Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20100219

Dossier : A-587-08

Référence : 2010 CAF 52

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON              

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

PHILIP ANISMAN

appelant

et

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 13 octobre, 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 février, 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                        LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                          LE JUGE SEXTON

                                                                                                            LA JUGE SHARLOW

 

 


Date : 20100219

Dossier : A-587-08

Référence : 2010 CAF 52

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON              

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

PHILIP ANISMAN

appelant

et

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Le 7 janvier 2007, à leur retour au Canada, l’appelant et sa conjointe ont déclaré l’importation de trois bouteilles de vin (une quantité totale de 2,5 litres) dont la valeur de chaque bouteille était de 500,00 $ . L’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a donc perçu de l’appelant une marge bénéficiaire provinciale sur l'alcool de 537,13 $ devant être remise à la Régie des alcools de l'Ontario (la LCBO).

 

[2]               Lorsqu’elle a perçu de l’appelant et de sa conjointe ladite marge bénéficiaire, l’ASFC était censée agir pour le compte de la LCBO en vertu d’une entente intervenue en date du 19 janvier 1993.

 

[3]               L’appelant a par la suite réclamé un remboursement à l’ASFC qui a alors sollicité des instructions de la LCBO quant à la demande de l’appelant. Le 2 mars 2007, la LCBO a informé l’ASFC que la marge bénéficiaire perçue de l’appelant n’était pas remboursable. Le 20 avril 2007, l’ASFC a écrit à l’appelant l’avisant que sa demande de remboursement était refusée.

 

[4]               Le 16 juillet 2007, l’appelant a présenté par écrit à l’ASFC de longues observations exposant pourquoi elle devrait réexaminer sa décision du 20 avril 2007.

 

[5]               Après avoir réexaminé la demande de remboursement de l’appelant, l’ASFC l’a avisé par écrit qu’elle rejetait sa demande.

 

[6]               Le 26 mars 2008, l’appelant a présenté une demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’ASFC lui refusant le remboursement d’une somme de 537,13 $ .

 

[7]               Le 4 juillet 2008, le sous-procureur général du Canada, agissant pour le compte des intimés, a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelant aux motifs, entre autres, que la Cour fédérale n’était pas habilitée à accorder les réparations qu’il demandait parce qu’en percevant la somme de 537, 13 $ de l’appelant et en refusant de la rembourser, l’ASFC n’agissait pas en tant qu’« office fédéral », au sens donné à cette expression à l’art. 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7 (la Loi).

 

[8]               En réponse à la requête des intimés, l’appelant a présenté une requête incidente en vue d’obtenir un jugement à l’égard de sa demande de contrôle judiciaire et exigeant que lui soit remboursée par l’AFSC la somme de 537, 13 $ au motif, entre autres, que les intimés n’étaient pas autorisés par la loi fédérale à conclure l’entente avec la LBCO.

 

[9]               Les requêtes ont été entendues par le juge Barnes de la Cour fédérale, le 16 septembre 2008, et celles-ci ont toutes les deux été rejetées, le 21 novembre 2008.

 

[10]           Les deux parties ont interjeté appel de la décision du juge Barnes. L’appelant conteste la partie de la décision du juge qui rejette sa requête en vue d’obtenir un jugement sur le fond de sa demande de contrôle judiciaire. Par contre, les intimés ont logé un appel incident contestant le rejet par le juge de leur requête visant à obtenir le rejet de la demande de contrôle judiciaire de l’appelant.

 

[11]           Je vais maintenant examiner la décision de la Cour fédérale.

 

 

 

Décision de la Cour fédérale

[12]           Le juge s’est en premier lieu penché sur la requête des intimés visant le rejet de la demande de contrôle judiciaire de l’appelant. Dans un premier temps, il a analysé la décision rendue par notre Cour dans l’affaire David Bull Laboratories ( Canada ) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, où notre Cour a jugé qu’une demande de contrôle judiciaire pouvait être rejetée sommairement lorsqu’elle est, pour utiliser les mots du juge Strayer s’exprimant pour la Cour, « manifestement irréguli[ère] au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli[e] »

(p. 600). Le juge Strayer a ajouté que de tels cas étaient exceptionnels et ne visaient pas ceux où la question en litige portait sur la pertinence des allégations de la demande. Cette position a amené le juge Barnes à affirmer que lorsque le motif du rejet est fondé sur la compétence, la Cour pouvait examiner la requête.

 

[13]           Le juge a ensuite examiné les dispositions législatives pertinentes, dont l’art. 3.1 de la Loi sur les alcools, L.R.O. 1990, ch. L.18 (la Loi sur les alcools), autorisant la LCBO à conclure des accords avec le gouvernement du Canada, représenté par le ministre du Revenu national, portant sur des boissons alcooliques introduites dans la province de l’Ontario d’un endroit situé hors du Canada. Le juge a souligné qu’un accord de ce genre avait été conclu entre le gouvernement du Canada et la LBCO en date du 19 janvier 1993, et il a reproduit les dispositions pertinentes de l’accord. Étant donné que ces dispositions sont pertinentes quant à l'issue du présent appel, je vais également les reproduire :

[traduction]

6.     L’objet du présent accord est de confier au ministre du Revenu national la responsabilité de la perception, pour le compte de la Régie, de la  marge bénéficiaire sur des quantités précises de boissons alcooliques qui sont introduites en Ontario d’un endroit hors du Canada.

 

[…]

 

8.    Lorsque la marge bénéficiaire s’inscrit dans le cadre des obligations internationales du Canada et que le Canada perçoit la taxe imposée sur les boissons alcooliques en vertu des dispositions de la section III de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, le Canada,  agissant pour le compte de la Régie, à ses bureaux de douane en Ontario :

a)    accepte la consignation par la personne des boissons alcooliques;

b)   réalise la vente à la personne des boissons alcooliques par la Régie;

c)   perçoit la marge bénéficiaire sur les boissons alcooliques;

d)   retient les boissons alcooliques lorsque la marge bénéficiaire n’est pas acquittée;

e)   remet les boissons alcooliques à la personne sur paiement de la marge bénéficiaire,

 

à l’égard des quantités (fixées dans l’annexe A) de boissons alcooliques introduites par une personne, ou que celle-ci a fait introduire, en Ontario.

 

La Régie avise le Canada des changements apportés aux quantités de boissons alcooliques fixées dans l’annexe A. Ces changements entrent en vigueur à la date indiquée dans l’avis ou deux semaines de calendrier après la réception de l’avis, si celle-ci vient après.

 

[…]

 

11.      Les obligations du Canada en vertu de l’article 8 commencent à courir à compter de la plus tardive des dates suivantes :

(a)      le 1er février 1993,

(b)      la date d’entrée en vigueur des dispositions législatives autorisant la mise en œuvre par le Canada des dispositions de l’article 8, et

(c)     la date d’entrée en vigueur du règlement.

 

12.              La marge bénéficiaire dont la perception relève du Canada est calculée conformément à la version courante du règlement de la Régie. Le Canada doit avoir un accès constant à ce règlement et lui est loisible, à son gré, d’en communiquer la teneur à quiconque.

 

[…]

 

14.         En vertu de l’alinéa 3.1a) de la Loi sur les alcools, l’agent, au sens de l’article 2 de la Loi sur les douanes, est habilité pour la mise en application les dispositions de l’article 8.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[14]           Je reproduis également le sous-alinéa 3.1a)(ii) d le la Loi sur les alcools :

3.1  La Régie peut conclure avec le gouvernement du Canada, représenté par le ministre du Revenu national, au sujet des boissons alcooliques qui y sont précisées et qui sont introduites en Ontario en provenance d’un endroit situé hors du Canada, un accord qui :

a) désigne à titre de mandataires de la Régie les agents, au sens du paragraphe 2 (1) de la Loi sur les douanes (Canada), qui sont employés dans les bureaux de douane situés en Ontario, aux fins suivantes :

[…]

(ii) la perception, pour le compte de la Régie, de la marge bénéficiaire sur ces boissons alcooliques que fixe de temps à autre la Régie,, […]

 

[Non souligné dans l’original]

 

3.1 The Board may enter into an agreement with the Government of Canada as represented by the Minister of National Revenue, in relation to liquor referred to in that agreement that is brought into Ontario from any place outside Canada:

(a) appointing officers, as defined in subsection 2(1) of the Customs Act (Canada), employed at customs offices located in Ontario, as agents of the Board for the purposes of:

(ii) collecting, on behalf of the Board, the mark-up set by the Board from time to time in relation to that liquor,

 

[Emphasis added]

 

 

[15]           La question de savoir s’il existe des lois fédérales autorisant la conclusion de l’accord de la LBCO intervenu en 1993 est analysée plus loin. À ce stade, il convient de souligner qu’en vertu de l’art. 103 de la Loi sur l'Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17 (la LARC), quel que soit les pouvoirs détenus par le ministre de Revenu national sous le régime de l’accord de la LBCO intervenu en 1993, ces pouvoirs ont été dévolus à l’ARC. En 2005, ces pouvoirs ont  été transférés à l’ASFC en application de la Loi sur l'agence des services frontaliers du Canada, L.C. 2005, ch. 38, art.14 (la LASFC) (voir les articles 21 à 28).

 

[16]           Le juge a signalé le fait qu’un règlement de la LCBO établissant une marge bénéficiaire sur le vin importé en Ontario avait été adopté conformément à l’article 12 de l’accord. Le juge a en outre souligné qu’en percevant la marge bénéficiaire applicable en vertu de la  Loi sur les alcools, l’ASFC prétendait agir comme mandataire de la LCBO.

 

[17]           Au paragraphe 6 de ses motifs, le juge décrit la position de l’appelant à l’égard de la requête en rejet d’appel des intimés :

[traduction]

[6]     Bien que le demandeur reconnaisse que l’ASFC soit autorisée à agir comme mandataire de la LCBO en vertu du droit provincial, il soutient qu’aucune législation  fédérale ne prévoit un tel pouvoir.  En conséquence, il dit que l’ASFC a agi illégalement et a outrepassé sa compétence en demandant et en percevant une marge bénéficiaire à l’égard de son vin. 

 

 

[18]           Le juge a ensuite examiné l’argumentation de l’appelant. Il a premièrement exprimé l’avis que lorsque les dispositions de l’alinéa 13(2)b) de la LASFC, entrées en vigueur en 2005, étaient lues de concert avec celles de l’alinéa 5(1)c) de la même loi,  ces dispositions étaient suffisantes pour [traduction] «  maintenant autoriser l’ASFC à conclure un accord avec la LCBO de la nature de celle en cause» (voir le paragraphe 7 des motifs du juge). Voici le texte de ces dispositions :

5.  (1) L’Agence est chargée de fournir des services frontaliers intégrés contribuant à la mise en œuvre des priorités en matière de sécurité nationale et de sécurité publique et facilitant le libre mouvement des personnes et des biens — notamment les animaux et les végétaux — qui respectent toutes les exigences imposées sous le régime de la législation frontalière. À cette fin, elle :

[…]

c) met en œuvre tout accord conclu entre elle ou le gouvernement fédéral et le gouvernement d’une province ou un organisme public remplissant des fonctions gouvernementales au Canada et portant sur l’exercice d’une activité, la prestation d’un service, l’administration d’une taxe ou l’application d’un programme;

 

[…]

 

13.  (2) Dans le cadre de sa mission, l’Agence peut :

[…]

b) conclure des accords ou des ententes avec le gouvernement d’une province, un ministère ou un organisme fédéral ou toute personne ou organisation.

5.  (1) The Agency is responsible for providing integrated border services that support national security and public safety priorities and facilitate the free flow of persons and goods, including animals and plants, that meet all requirements under the program legislation, by

 

 

(c) implementing agreements between the Government of Canada or the Agency and the government of a province or other public body performing a function of the Government in Canada to carry out an activity, provide a service or administer a tax or program;

 

 

 

13.  (2) The Agency may, for the purposes of carrying out its mandate,

(b) enter into an agreement or arrangement with the government of a province, a department or agency of the Government of Canada or any person or organization.

 

 

[19]           Bien que le juge était convaincu qu’il y avait des dispositions législatives fédérales valides en vigueur conférant à l’ASFC le pouvoir de conclure un accord avec la LBCO, il était dans l’incertitude sur la question de savoir si une telle autorité législative existait en 1993, au moment de la signature de l’accord. Il a examiné l’art. 7 de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, L.R.C. 1985, ch. F-8 (la Loi sur les arrangements fiscaux), lequel autorise la conclusion d’accord entre le gouvernement fédéral et les provinces en matière de perception de taxes, ce qui l’a amené à constater que la jurisprudence consacrait le principe selon lequel la perception d’une marge bénéficiaire sur l’alcool ne constituait pas une taxe. Le juge se demandait également si la loi actuellement en vigueur pouvait, pour utiliser ses propres termes, [traduction] « valider un accord conclu quelques années auparavant ». Voici ce qu’il a écrit au paragraphe 8 de ses motifs :

[8]     […] Dans la mesure où les observations additionnelles des parties me permettent de le constater, aucune autre législation fédérale n’était en vigueur en 1993 pour appuyer l’accord.  L’autorité législative actuelle suffirait de nos jours pour l’appuyer, mais il semble que ces dispositions soient toutes postérieures à la date de l’accord.  Il est à tout le moins discutable que l’autorité législative actuelle puisse valider un accord conclu quelques années auparavant.  Il est possible que l’article 11 de l’accord produise un tel effet puisqu’il prévoit que « les responsabilités du Canada aux termes de l’article 8 prennent naissance à la date la plus éloignée entre [...] (b) la date d’entrée en vigueur de la loi autorisant le Canada à mettre en œuvre les dispositions de l’article 8 ». Cet article pourrait être suffisant en droit pour autoriser la conclusion de l’accord en raison des art. 5 et 13 de la Loi ASFC et de ceux qui les ont précédés, mais je ne suis pas prêt à disposer des requêtes pour ces motifs parce qu’aucune des parties n’a traité de ce point dans leurs observations présentées à la Cour.  En somme, je ne suis pas d’avis que le critère énoncé dans David Bull a été satisfait en ce qui concerne cette question.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[20]           En conséquence, le juge a conclu que le critère adopté par notre Cour dans David Bull, précité, n’avait pas été respecté en raison de l’incertitude entourant l’existence de législation  fédérale autorisant l’ASFC à conclure un accord avec la LCBO lors de sa signature en janvier 1993, et aussi en raison de l’incertitude du juge quant à la question de savoir si la législation  fédérale actuellement en vigueur constituait une autorisation suffisante pour permettre à l’ASFC de donner effet à l’accord.  

 

[21]           Le juge a ensuite examiné la requête visant l’obtention d’un jugement sommaire de l’appelant. Voici les propos formulés à cet égard au paragraphe 9 de ses motifs :

[9]      Le demandeur a présenté une requête visant en réalité à obtenir un jugement sur le fond quant à la remise des sommes perçues, mais je vais néanmoins examiner la question de savoir si la décision de l’ASFC de percevoir de l’appelant une marge bénéficiaire relève de la compétence de notre Cour, telle que l’a fixée l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales.  Compte tenu des faits qui, pour l’essentiel, ne sont pas contestés en l’espèce, je ne crois que cela soit le cas.

 

 

[22]           Ainsi qu’il ressort du passage précité, le juge était d’avis qu’il devait examiner la question de savoir si les gestes posés par l’ASFC, en  percevant de l’appelant une marge bénéficiaire provinciale, relevaient de la compétence de la Cour fédérale en vertu de l’article 18.1 de la Loi. Le juge a ensuite indiqué que la Cour fédérale n’avait pas compétence [traduction] « [C]ompte tenu des faits qui, pour l’essentiel, ne sont pas contestés en l’espèce ». Voici le raisonnement qu’il a développé sur ce point aux paragraphes 10 et 11 de ses motifs :

[10]           Bien que le droit fédéral prévoit qu’il est loisible à l’ASFC d’agir comme le mandataire de la province de l’Ontario pour calculer et percevoir une marge bénéficiaire sur l’alcool, il est évident que le fondement législatif pour se livrer à ces activités réside dans la Loi sur les alcools, précitée. Il s’agit de la mesure législative attributive du pouvoir des activités de perception et de remise exercées par l’ASFC en tant que mandataire de la LBCO.  Il s’agit également du fondement juridique sur lequel la LBCO s’appuie pour conclure un accord en vertu duquel est fixée la formule pour le calcul de la marge bénéficiaire.

 

[11]           Il est évident que le débat sur les questions de fond obligerait notre Cour à interpréter les dispositions de lois provinciales et les documents contractuels pertinents en vue d’établir et de définir le droit de perception de la marge bénéficiaire de la LBCO.  À mon avis, il n’entre pas dans le rôle de notre Cour d’interpréter et d’appliquer les lois provinciales, d’autant plus, qu’en l’espèce, ni la Province ni la LBCO n’était partie à l’instance.  Bien que l’appelant soutienne qu’il était loisible à la Province d’intervenir, là n’est pas la question.  Si l’interprétation et l’application du droit provincial sont à l’origine d’une instance, la Province ou ses organismes intéressés devraient y participer de plein droit et la Cour supérieure de la Province est le forum approprié pour entendre l’affaire au fond.  En somme, il ne s’agit pas d’une tâche qui relève de la compétence délimitée par l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales. […]

 

 

[23]           Au soutien de ce point de vue, le juge s’est fondé entre autres sur la thèse développée aux paragraphes 46 à 50 par la juge Tremblay-Lamer dans Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires c. Canada (Commission du lait), 2001 CPFI 34, 200 F.T.R. 138. Cette position l’a amené à conclure que si le pouvoir du décideur découle de dispositions législatives provinciales, « […] c’est là une raison suffisante pour faire échec à la compétence de notre Cour, que le décideur agisse, exclusivement ou en partie seulement, à d’autres fins, en vertu du droit fédéral » (par. 12 des motifs du juge).

 

[24]           Au paragraphe 13 de ses motifs, le juge a ensuite expliqué en quoi, compte tenu des circonstances de l’affaire dont il était saisi, il ne serait pas indiqué de se prononcer sur le fond de la demande de contrôle judiciaire de l’appelant. Voici ce qu’il a écrit :

[13]           La thèse du demandeur selon laquelle l’accord n’est pas juridiquement valable parce qu’il ne s’appuie sur aucune législation fédérale nécessite des observations et des arguments additionnels et plus étoffés de la part des parties.  Cette question ainsi que les ramifications juridiques qu’elle est susceptible de présenter, le cas échéant, sont les derniers points qui demeurent en suspens dans le cadre de la présente demande.  J’ajouterais que, même si aucune disposition législative n’autorisait, et n’autorise toujours pas, le gouvernement fédéral  à agir comme mandataire de la Province quant à la perception d’une marge bénéficiaire sur l’alcool, la question demeure de savoir si cette situation changerait quoi que ce soit quant au remboursement des sommes  d’argent de l’appelant.  Si les sommes étaient légalement payables à la Province (une hypothèse que notre Cour devrait tenir pour avérer), le fait que la partie les percevant n’avait pas le pouvoir de le faire n’entraîne pas nécessairement un recouvrement de fonds pour le demandeur.  Il s’agit d’une question que les parties ont également omis d’examiner dans leurs arguments.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[25]           Il est clair que le juge a rejeté la requête de l’appelant en vue d’obtenir un jugement sommaire parce qu’il croyait nécessaire la présentation d’observations additionnelles et plus étoffées concernant la question de savoir si la loi fédérale autorisait l’ASFC à conclure un accord avec la LCBO. À mon humble avis cependant, les motifs qui ont mené le juge à rejeter également la requête des intimés ne sont pas aussi clairs, étant donné qu’il était d’avis que la décision de l’ASFC de percevoir la marge bénéficiaire en vertu de la Loi sur les alcools et d’en refuser le remboursement à l’appelant ne relevait pas de la compétence de la Cour fédérale en vertu de l’art. 18.1 de la Loi.

 

Questions en litige

[26]           À mon avis, la principale question en litige en l’espèce est de savoir si la Cour fédérale a compétence en vertu de l’article 18.1 de la Loi pour examiner la décision de l’ASFC de percevoir de l’appelant et de sa conjointe une marge bénéficiaire, et de refuser par la suite de la leur rembourser. Il s’agit de questions de droit à l’égard desquelles notre Cour est justifiée d’intervenir, si le juge a commis une erreur.

 

Analyse

[27]           L’article 18.1 de la Loi prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée à l’égard de décisions ou d’ordonnances rendues par des offices fédéraux. La question qui doit être tranchée en l’espèce est de savoir si l’ASFC était un « office fédéral », au sens de l’art. 2 de la Loi, lorsqu’elle a perçu la marge bénéficiaire provinciale sur les bouteilles de vin importées au Canada par l’appelant et sa conjointe, et qu’elle a ensuite refusé de leur rembourser. Dans la négative, il s’ensuit alors nécessairement, à mon avis, que la requête en rejet des intimés doit être accueillie et que celle de l’appelant visant l’obtention d’un jugement sommaire doit être rejetée

 

[28]           Les définitions suivantes sont prévues à l’article 2 de la Loi :

Office fédéral :

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Federal board, commission or other tribunal:

“federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867 ;

 

 

[29]           Les mots clés de la définition d’« office fédéral » que donne l’art. 2 précise que l’organisme ou la personne a exercé, exerce ou est censé exercer une compétence ou des pouvoirs « prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale [...] ». On doit donc procéder à une analyse en deux étapes pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un « office fédéral ». Il est ainsi nécessaire en premier lieu de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Deuxièmement, il y lieu de déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer.

 

[30]           Au paragraphe 2:4310 de leur ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 1, édition sur feuilles mobiles (Toronto, Canvasback Publishing, 1998), les éminents auteurs, D.J.M. Brown et  J.M. Evans, ont écrit que lorsqu’il s’agit de déterminer si un organisme ou une personne est un « office fédéral », il convient d’examiner [traduction] « la source de la compétence du tribunal ». Voici ce qu’ils écrivent à ce sujet :

[traduction]

En fin de compte, la source de la compétence d'un tribunal--et non pas la nature du pouvoir exercé ou de l'office l'exerçant--est le premier facteur déterminant quant à savoir si elle fait partie de la définition. Le test consiste à chercher à savoir si l'office détient les pouvoirs en vertu d'une loi fédérale ou d'une ordonnance prise en vertu d'une prérogative de la Couronne fédérale. […]

 

 

[31]           Cette démarche, à mon avis, a été acceptée à juste titre par la juge Tremblay-Lamer au paragraphe 48 de la décision rendue dans Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires, précitée.

 

[32]           En ce qui concerne la présente affaire, il ne fait aucun doute qu’en percevant la marge bénéficiaire à l’égard du vin importé au Canada par l’appelant et sa conjointe, l’ASFC puise son pouvoir dans la Loi sur les alcools de l’Ontario et son règlement d’application.  De façon évidente, l’ASFC n’a jamais prétendu percevoir la marge bénéficiaire en vertu de dispositions législatives fédérales, ni en vertu d’une ordonnance prise en vertu d’une prérogative de la Couronne fédérale. En d’autres termes, l’ASFC puisait plutôt son pouvoir dans la loi provinciale, et non dans la loi fédérale ou une ordonnance prise en vertu d’une prérogative de la Couronne fédérale.  

 

[33]           En conséquence, lorsque l’ASFC a perçu la marge bénéficiaire le 7 janvier 2007, elle n’agissait pas en tant qu’« office fédéral », au sens de l’art. 2 de la Loi. Je m’empresse d’ajouter que pour trancher cette question, il importe peu que l’ASFC ait été autorisée ou non en vertu de dispositions législatives fédérales à conclure un accord avec la LCBO. Que l’ASFC ait été autorisée ou non, elle a perçu (de personnes rentrant au Canada, dont l’appelant et sa conjointe) la marge bénéficiaire sur du vin pendant la période entre 1993 et 2007. Lorsqu’elle percevait la marge bénéficiaire, l’ASFCI a prétendu agir en tant que mandataire de la LCBO et s’est fondée sur les dispositions de la Loi sur les alcools et son règlement d’application. L’ASFC ne prétendait pas agir en vertu d’aucune disposition législative fédérale. En conséquence, j’estime que l’ASFC n’agissait pas en tant qu’« office fédéral » et que la Cour fédérale n’a pas compétence en ce qui concerne la perception de la marge bénéficiaire et le refus de l’ASFC de la rembourser.  

 

[34]           Si l’appelant souhaite réclamer un remboursement des sommes payées à l’ASFC, il doit poursuivre la LCBO, pour le compte de laquelle l’ASFC exerçait le pouvoir de perception de la marge bénéficiaire. En tirant cette conclusion, je n’ai pas l’intention de formuler de commentaires portant sur le bien-fondé de l’allégation de l’appelant, selon laquelle la Loi sur les alcools n’autorisait pas la perception de la marge bénéficiaire dans les circonstances de l’espèce. En conséquence, la question de savoir si l’appelant était tenu de payer une marge bénéficiaire à la LCBO, en fonction de la valeur du vin importé au Canada, en est une qui doit être laissée à l’appréciation de la Cour supérieure de l’Ontario qui a manifestement compétence pour statuer sur les droits et obligations découlant de la Loi sur les alcools.

 

[35]           Ainsi, bien que le juge ait conclu à juste titre que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour statuer sur les gestes de l’ASFC, il a commis une erreur en n’accueillant pas la requête en rejet des intimés et en omettant de rejeter la requête de l’appelant en vue d’obtenir un jugement sommaire.

 

[36]            Pour le cas où je conclurais à tort que la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre la présente affaire, je traiterai de la question de déterminer si l’ASFC pouvait légalement percevoir la marge bénéficiaire en cause.

 

[37]           Comme je l’ai expliqué précédemment, le fondement juridique en vertu duquel l’ASFC prétendait agir en percevant la marge bénéficiaire est l’accord de 1993 intervenu avec la LCBO. Le 19 janvier 1993, en vertu de l’art. 3.1 de la Loi sur les alcools, la LCBO a conclu un accord avec le gouvernement du Canada, selon lequel des douaniers (maintenant des agents de l’ASFC) ont été désignés comme mandataires de la LCBO en vue, notamment, de percevoir pour son compte la marge bénéficiaire qu’elle avait établie à l’égard des alcools visés par l’accord. L’article 12 de l’accord prévoyait que le calcul de la marge bénéficiaire serait fait « conformément aux dispositions du règlement de la Régie [LBCO] et ses modifications ». Comme je l’ai indiqué précédemment, conformément à l’article 12 de l’accord, la LCBO a adopté un règlement prévoyant le calcul de la marge bénéficiaire, laquelle a été perçue de l’appelant et de sa conjointe par l’ASFC.

 

[38]           Il est également utile de rappeler que le juge était convaincu que des dispositions législatives fédérales autorisant maintenant l’ASFC à conclure un accord avec la LCBO étaient en vigueur, notamment les alinéas 13(2)b) et 5(1)c) de la LASFC. Il avait toutefois des doutes au sujet de l’existence en janvier 1993 « d’autorité législative autorisant le gouvernement fédéral à conclure l’accord » (paragraphe  8 de ses motifs). Le juge avait également des doutes à l’égard de la question de savoir si les dispositions de la LASFC suffisaient à l’ASFC pour donner effet, en 2007, à l’accord intervenu le 19 janvier 1993. Au paragraphe 8 de ses motifs, le juge a écrit qu’ « [I]l est à tout le moins discutable qu’un accord conclu quelques années auparavant puisse être validé par l’autorité législative actuelle ».

 

[39]           À mon avis, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si des dispositions législatives fédérales autorisant le gouvernement du Canada à conclure un accord avec la LCBO étaient en vigueur en janvier 1993. Je suis de cet avis parce qu’il existe, depuis 2005, des lois fédérales valides autorisant le gouvernement fédéral à conclure un accord du même type que celui conclu avec la LCBO en janvier 1993. Le juge a exprimé l’avis, et je suis d’accord avec lui, que les alinéas 5(1)c) et 13(2)b) de la LASFC sont maintenant suffisants, comme ils l’étaient en 2007, pour autoriser la participation du fédéral à l’accord avec la LCBO ainsi que la perception, pour le compte de la LCBO, de la marge bénéficiaire prescrite par le règlement d’application. 

 

[40]           L’ASFC a perçu de l’appelant et de sa conjointe la marge bénéficiaire provinciale en 2007, à une époque où des dispositions législatives fédérales valides autorisaient le gouvernement du Canada à conclure un accord avec la LCBO. À mon avis, le fait que l’accord a été conclu avant l’entrée en vigueur des dispositions législatives de 2005 est sans importance. Il était prévu à l’article 11 de l’accord qu’il puisse s’écouler un certain laps de temps avant l’adoption de dispositions législatives fédérales autorisant le ministre du Revenu (maintenant l’ASFC) à conclure l’accord en plus de lui donner effet. Plus particulièrement, l’article 11 prévoyait que les responsabilités du Canada aux termes de l’article 8 prendraient naissance, entre autre, à compter de [traduction] « la date d’entrée en vigueur de la loi autorisant le Canada à mettre en œuvre les dispositions de l’article 8 [...] ». Je suis donc convaincu qu’au moment du retour au Canada de l’appelant et de sa conjointe avec trois bouteilles de vin, soit le 7 janvier 2007, des dispositions législatives fédérales autorisaient l’ASFC à donner effet à l’accord intervenu avec la LCBO en date du 19 janvier 1993.

 

Disposition

[41]            Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens, j’accueillerais l’appel incident avec dépens et j’annulerais la décision de la Cour fédérale. Procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue, j’accueillerais la requête des intimés et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de l’appelant, avec dépens. Je rejetterais la requête de l’appelant en vue d’obtenir un jugement sommaire, avec dépens également.   

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow, j.c.a. » 

 

 

Traduction certifiée conforme.

Jean-Jacques Goulet, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-587-08

 

INTITULÉ :                                                                           PHILIP ANISMAN c. AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA  ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 13 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                       LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE SEXTON

                                                                                                LA JUGE SHARLOW

 

DATE :                                                                                   Le 19 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip Anisman

L’APPELANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

Christopher Parke

Maria Vujnovic

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

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