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Date : 20100203

Dossier : A-124-09

Référence : 2010 CAF 35

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

IAN BAIRD

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 novembre 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 février 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE EVANS

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 

 


Date : 20100203

Dossier : A-124-09

Référence : 2010 CAF 35

 

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

IAN BAIRD

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

Introduction

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision datée du 2 février 2009 par laquelle le juge Margeson, de la Cour canadienne de l’impôt (2009CCI24), a rejeté l’appel que l’appelant avait interjeté à l’égard des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003.

 

[2]        Dans la nouvelle cotisation relative aux années d’imposition en question, le ministre a refusé des pertes d’entreprise de 539 419 $ pour l’année 2001 et de 559 338 $ pour l’année 2002. Le ministre a également établi une nouvelle cotisation d’impôt à l’encontre de l’appelant pour l’année d’imposition 2003 en refusant un montant de 79 836 $ au titre des pertes autres qu’en capital reportées d’années d’imposition antérieures.

 

[3]        La principale question que devait trancher la Cour canadienne de l’impôt était de savoir si les pertes que l’appelant avait subies au cours des années d’imposition 2001 et 2002 par suite de la disposition des options d’achat d’actions qu’il détenait dans BCE Emergis (Emergis) étaient imputables au capital ou au revenu. Lorsqu’il a confirmé les nouvelles cotisations établies par le ministre, le juge de la CCI a conclu que l’appelant n’exploitait pas une entreprise de courtage en valeurs ni ne participait à un projet comportant un risque de caractère commercial relativement aux actions qu’il détenait dans Emergis. Le juge de la CCI a également conclu que l’appelant n’avait pas le droit de reporter sur l’année d’imposition 2003 les pertes autres qu’en capital subies par suite de la disposition d’actions au cours des années d’imposition 2001 et 2002.

 

[4]        L’appel interjeté devant nous concerne uniquement la conclusion du juge selon laquelle l’appelant ne participait pas à un projet comportant un risque de caractère commercial.

 

Les faits

[5]        Le résumé suivant des faits suffira pour trancher l’appel.

 

[6]        L’appelant a été à l’emploi d’Emergis de 1998 jusqu’en février 2000. Pendant la durée de son emploi, il a obtenu 62 000 options d’achat d’actions dans Emergis, lesquelles pouvaient être levées jusqu’en décembre 2000 à un prix d’option de 7 $ à 10 $ l’action. Lorsqu’il a quitté son emploi en février 2000, la valeur marchande de ses options d’achat d’actions oscillait entre 140 $ et 150 $ l’action, ce qui représentait une valeur totale de 8 000  000 $ à 10 000 000 $. En décembre 2000, il a emprunté une somme d’environ 700 000 $ et a levé ses options. À cette époque, la valeur marchande des actions d’Emergis s’établissait à 42 $ l’action, ce qui représentait une valeur approximative de 2 600 000 $.

 

[7]        En mars et avril 2001, l’appelant a vendu environ la moitié de ses 62 000 actions. Les actions qui restaient ont été vendues en mars 2002. Par suite de ces opérations, l’appelant a subi des pertes de 539 419 $ et 559 338 $, qu’il a déclarées à titre de pertes imputables au revenu. De plus, pour l’année d’imposition 2003, l’appelant a déduit une perte autre qu’en capital de 79 837 $, qu’il croyait pouvoir reporter des années d’imposition antérieures.

 

Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[8]               Aux paragraphes 142 et 143 de ses motifs, le juge a formulé les commentaires suivants au sujet de l’intention de l’appelant à l’égard des actions d’Emergis :

[142]    L’avocat de l’appelant a expliqué qu’il s’agissait d’une affaire dans laquelle [traduction] « nous avons à la fois une intention et des indices permettant de conclure à l’exploitation d’un commerce ». La Cour est toutefois convaincue que les éléments de preuve les plus substantiels en ce qui concerne l’intention de l’appelant et qui portent sur son intention déclarée, après le fait et le nombre d’opérations effectuées, ne sont pas assez solides pour indiquer clairement qu’on a affaire à un « courtier en valeurs mobilières ».

 

[143]    Son intention déclarée doit être corroborée par l’ensemble de ses agissements. Or, en l’espèce, la Cour est convaincue que les agissements de l’appelant ne permettent pas de conclure qu’il était un courtier en valeurs mobilières.

 

[9]               Ainsi, de l’avis du juge, l’ensemble des agissements de l’appelant ne corroboraient pas son intention déclarée, soit d’exercer des activités de courtier en valeurs mobilières relativement à ses actions. Le juge en est arrivé à cette conclusion en raison de ses constatations au sujet des faits pertinents, selon lesquelles :

1.                  L’appelant a obtenu les options d’achat d’actions dans Emergis dans le cadre de son travail et non par suite de recherches indépendantes de sa part.

2.                  L’appelant a quitté l’emploi qu’il exerçait chez Emergis pour soutenir son épouse, qui s’entraînait en vue des Jeux olympiques de Sydney. Après son départ d’Emergis, l’appelant a passé le plus clair de son temps à épauler son épouse et à suivre la carrière de celle-ci.

3.                  La durée de période au cours de laquelle l’appelant a conservé ses actions d’Emergis ne correspondait pas à la conduite qu’un courtier aurait adoptée dans les circonstances. Le mode de négociation de l’appelant ne correspondait pas non plus à celui d’un courtier en valeurs mobilières. Plus précisément, l’appelant a vendu une partie de ses actions lorsque Price Waterhouse lui a suggéré de le faire afin de diversifier son portefeuille.

4.                  Au cours de l’année 2000, l’appelant a vendu à profit des actions et a déclaré ce montant à titre de gain en capital.

5.                  L’appelant n’a pas déduit de dépenses pour le bureau qu’il soutenait avoir à la maison.

6.                  Les activités de négociation d’actions de l’appelant étaient restreintes au cours de la période en litige.

7.                  L’appelant n’a pas fait témoigner son épouse.

À ces conclusions, j’ajouterais que le juge a inféré, au paragraphe 170 de ses motifs, que le projet comportant un risque de caractère commercial auquel l’appelant aurait participé correspondait plutôt à « une planification fiscale opportuniste déclenchée par les pertes subies au cours des années en question ».

 

[10]           En conséquence, le juge a conclu, au paragraphe 173 de ses motifs, que l’appelant n’a pas réussi à établir « ... qu’il était un courtier en valeurs mobilières ou qu’il participait à un projet comportant un risque de caractère commercial au cours des années en question ». Le juge a également conclu, au paragraphe 174, que les activités d’achat et de vente d’actions auxquelles l’appelant s’est livré au cours des années d’imposition 2001 et 2002 « ... ne constituent pas une entreprise au sens du paragraphe 248(1) de la Loi ». Enfin, le juge a souligné que « les pertes subies au cours des années en question à la suite de la disposition de ses actions ne constituent pas des pertes découlant d’une entreprise au sens du paragraphe 9(2) de la Loi, mais bien des pertes en capital au sens du paragraphe 9(2) de la Loi ».

 

Arguments de l’appelant

[11]           L’appelant invoque plusieurs arguments pour soutenir que le juge de la CCI a commis une erreur en refusant de conclure qu’il participait à un projet comportant un risque de caractère commercial relativement aux actions qu’il détenait dans Emergis. D’abord, il fait valoir qu’il a participé en tout temps pertinent à un projet de cette nature. Il ajoute que le juge a commis une erreur en omettant de distinguer correctement la question de savoir s’il était un courtier en valeurs mobilières d’avec celle de savoir s’il participait à un projet comportant un risque de caractère commercial. Enfin, il reproche au juge d’avoir tiré une conclusion défavorable à son endroit parce qu’il n’avait pas fait témoigner son épouse devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

Analyse

[12]           Quelques commentaires s’imposent au sujet de la norme de contrôle judiciaire. La question de savoir si l’appelant participait à un projet comportant un risque de caractère commercial est d’abord et avant tout une question de fait. En conséquence, pour avoir gain de cause, l’appelant doit nous convaincre qu’en l’absence d’erreur sur une question de droit, le juge a commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation de la preuve, plus précisément relativement aux inférences qu’il a faites à partir de ses constatations. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 22 :

[22]      … Si aucune erreur manifeste et dominante n’est décelée en ce qui concerne les faits sur lesquels repose l’inférence du juge de première instance, ce n’est que lorsque le processus inférentiel lui-même est manifestement erroné que la cour d’appel peut modifier la conclusion factuelle...

 

[13]           J’en arrive maintenant au coeur de la question dont nous sommes saisis : le juge a-t-il commis une erreur en concluant que l’appelant ne participait pas à un projet comportant un risque de caractère commercial?

 

[14]           Bien que la définition du mot « entreprise » énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi comprenne « un projet comportant un risque de caractère commercial », ce concept n’est pas défini. Dans leur ouvrage intitulé Principles of Canadian Income Tax Law, 5e  édition (Toronto : Carswell, 2005), à la page 333, les auteurs Peter Hogg, Joanne E. Magee et Jinyan Li expliquent le concept comme suit :

[traduction]

Un projet comportant un risque de caractère commercial s’entend d’une opération isolée (n’ayant pas le caractère répétitif ou organisé d’un commerce ou négoce) dans le cadre de laquelle le contribuable achète un bien dans le but de le vendre à profit et vend ensuite ce bien (normalement à profit, mais parfois à perte). En conséquence, lorsque le contribuable conclut une opération isolée (ou seulement un nombre peu élevé d’opérations), il n’est pas commerçant ou négociant. Cependant, si l’opération était spéculative et visait à générer un bénéfice, il s’agira d’une opération de nature commerciale.

 

[15]           Dans Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, le juge Major, qui s’exprimait au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, a fait remarquer à la page 115 que la notion de projet comportant un risque de caractère commercial est une création jurisprudentielle visant à départager les opérations d’achat et de vente qui sont de nature commerciale de celles qui tiennent d’une immobilisation. Le juge Major a ensuite souligné que, pour qu’une opération d’achat et de vente constitue un projet comportant un risque de caractère commercial, elle doit comporter un « plan visant la réalisation d’un bénéfice ». À son avis, le contribuable devait avoir l’intention légitime de tirer un bénéfice de l’opération. À cet égard, il a cité le Bulletin d’interprétation IT-459, « Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial » (8 septembre 1980), où sont résumés les facteurs pertinents dont les tribunaux se sont servis pour déterminer si une opération immobilière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial. Voici un extrait du paragraphe 4 de ce Bulletin :

Pour déterminer si une transaction en particulier représente un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, les tribunaux ont établi que toutes les circonstances entourant la transaction doivent être prises en considération et qu’aucun critère unique ne peut être formulé. De façon générale, cependant, les principaux critères qui ont été appliqués sont les suivants :

1.         le contribuable a-t-il traité le bien qu’il avait acquis de la même manière qu’un négociant aurait habituellement traité un tel bien;

2.         la nature et la quantité des biens excluent-elles la possibilité que leur vente soit la réalisation d’un investissement ou soit, par ailleurs, une réalisation de capital, ou que les biens puissent avoir fait l’objet d’une disposition autrement que par une transaction commerciale;

3.         l’intention du contribuable, établie par les faits ou par déduction, est-elle dans la même ligne que d’autres preuves indiquant une motivation commerciale.

[Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Pour trancher les questions dont il était saisi, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a cité un certain nombre de décisions. Cependant, en ce qui concerne la notion du projet comportant un risque de caractère commercial, il s’est fondé principalement sur le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Irrigation Industries Ltd. c. Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 346; (1962) C.T.C. 215.

 

[17]           Dans Irrigation Industries, l’appelante, société à responsabilité limitée constituée sous le régime de la Companies Act, R.S.A. 1955, ch. 53, de la province de l’Alberta, a acheté en février 1953 4 000 actions du trésor d’une autre société, Brunswick Mining and Smelting Corporation Ltd., au prix de 10 $ l’action, soit un prix d’achat total de 40 000 $. En mars et juin 1953, l’appelante a vendu ses actions et réalisé un bénéfice de 26 897,50 $ de l’achat et de la vente de ses 4 000 actions. Le juge Martland, qui s’exprimait au nom de la majorité, a formulé la question à trancher comme suit au paragraphe 6 de ses motifs :

[traduction]

6.         Le problème à trancher dans cet appel est celui de savoir si l’achat isolé d’actions sur les réserves d’une compagnie et leur vente subséquente avec bénéfice, activité qui ne fait pas partie de l’entreprise exploitée par l’acheteur des actions ou qui ne lui est en rien rattachée, constituent une initiative d’un caractère commercial propre à assujettir ce bénéfice à l’impôt sur le revenu.

 

[18]           En d’autres termes, le bénéfice que l’appelant a réalisé était-il imputable au compte de capital ou au compte de revenu?

 

[19]           Pour trancher la question dont la Cour était saisie dans cette affaire-là, le juge Martland a formulé un certain nombre de commentaires qui demeurent pertinents aujourd’hui. D’abord, il a souligné au paragraphe 13 de ses motifs qu’il lui était difficile de concevoir un cas d’achat de titres dans lequel l’acheteur n’aurait pas [traduction] « au moins en partie l’intention de revendre ces derniers si leur valeur augmentait au point où leur vente paraîtrait financièrement souhaitable ». Il a ensuite ajouté que, si l’intention de vendre à profit des actions permet de trancher le litige, [traduction] « alors l’achat et la revente de titres doivent constituer un projet comportant un risque de caractère commercial... ». Il a donc souligné que la question de savoir si une transaction isolée sur des titres constitue un projet comportant un risque de caractère commercial ne peut être tranchée uniquement en fonction de l’intention subjective principale de l’acheteur au moment de l’achat. Il a ensuite formulé les commentaires suivants au paragraphe 14 de ses motifs :

[traduction]

À mon avis, on ne peut pas dire qu’une personne qui place de l’argent dans une entreprise commerciale en achetant une seule fois des actions d’une compagnie, hors du cadre de son entreprise ordinaire, se soit engagée dans une affaire de caractère commercial du simple fait que l’achat était spéculatif, parce qu’à ce moment-là elle n’avait pas l’intention de garder les actions indéfiniment, mais avait l’intention, si possible, de les vendre et d’en tirer un profit dès que possible. Je pense qu’il faut plus de caractéristiques de commerce pour qu’il s’agisse d’une affaire de caractère commercial, comme le lord juge Scott l’a dit lorsqu’il a rendu le jugement de la Cour d’appel dans Barry c. Cordy (1946) 2 All E.R. 396 à la page 400 en ces termes :

 

[traduction]

Il est évident qu’une transaction isolée peut entrer dans le cadre du premier cas, mais pour cela la transaction doit comporter un caractère commercial évident; cf., Martin c. Lowry (1925) 11 Tax Cas. 297 où il s’agissait de l’acquisition unique d’une grande quantité de lingerie destinée à être revendue; ou Rutledge c. Commissioners of Inland Revenue, (1929) 14 Tax Cas. 495, où il s’agissait d’une acquisition unique de papier. À moins qu’elle n’apparaisse de prime abord comme non commerciale, la transaction isolée est commerciale de toute évidence, et le bénéfice qu’on en tire est plus susceptible d’augmenter le capital que de constituer un revenu.

[Non souligné dans l’original.]

 

[20]           Le juge Martland s’est ensuite tourné vers la décision que la Cour de l’Échiquier a rendue dans Minister of National Revenue c. Taylor (1956), C.T.C. 189, où le président Thorson, après avoir passé en revue quelques décisions clés rendues en Angleterre et en Écosse au sujet du sens du projet comportant un risque de caractère commercial, a formulé un certain nombre de propositions générales liées à la question de savoir si une opération donnée constitue ou non un projet de cette nature. Au paragraphe 17 de ses motifs, le juge Martland a résumé les propositions que le président Thorson a décrites comme des propositions positives :

[traduction]

Les critères positifs qui ressortent de la jurisprudence et qui indiquent l’existence d’un projet comportant un risque de caractère commercial sont les suivants : (1) la personne a-t-elle agi lors de l’achat des biens de la manière dont agit habituellement un négociant et (2) la nature et la quantité des biens qui ont fait l’objet de la transaction peuvent-elles exclure la possibilité que leur vente ait été la réalisation d’un placement, ou ait été de la nature d’un capital ou qu’elle ait pu avoir lieu autrement qu’à titre de transaction commerciale?

 

 

[21]           Dans la décision Taylor, le président Thorson a également formulé des critères qu’il a décrits comme des critères négatifs. Le juge Cartwright a énoncé ces critères dans les motifs dissidents qu’il a rédigés dans Irrigation Industries, au paragraphe 49 :

[traduction]

                           i.                  La conclusion d’une seule transaction isolée ne peut pas constituer un critère lorsqu’il s’agit de savoir s’il s’agissait d’un projet comportant un risque de caractère commercial – c’est la nature de la transaction, et non son caractère unique ou isolé, qu’il faut établir;

                         ii.                  Pour qu’une transaction soit un projet comportant un risque de caractère commercial, il n’est pas essentiel qu’une organisation soit créée afin de mener la transaction à bonne fin;

                        iii.                  Le fait qu’une transaction est tout à fait différente, quant à sa nature, des autres activités du contribuable et que le contribuable n’a jamais auparavant, ni depuis lors, conclu une transaction de ce genre n’empêche pas en soi la transaction d’être un projet comportant un risque de caractère commercial;

                       iv.                  L’intention de vendre le bien acheté en réalisant un bénéfice ne constitue pas en soi un critère permettant de déterminer si le bénéfice est assujetti à l’impôt puisque l’intention de réaliser un bénéfice peut tout aussi bien se rapporter à une transaction conclue à titre de placement qu’à une transaction commerciale. Les considérations qui ont amené la conclusion de la transaction peuvent être d’une nature commerciale telle que la transaction revêt le caractère d’un projet comportant un risque de caractère commercial même en l’absence de l’intention de réaliser un bénéfice au moment de la vente du bien acheté.

 

[22]           En conservant ces principes à l’esprit, j’en arrive maintenant aux arguments de l’appelant. Je commenterai d’abord son argument selon lequel le juge n’a pas fait la distinction nécessaire entre les deux questions dont il était saisi. Plus précisément, l’appelant soutient que les seuls paragraphes des motifs de la décision du juge qui concernent la question d’un projet comportant un risque de caractère commercial sont les paragraphes 133 à 139, 170 et 173, et que les conclusions qu’il a formulées au sujet du temps qu’il a passé à aider son épouse à s’entraîner en vue des Olympiques et de la façon dont il a traité la distribution d’actions autres que les actions d’Emergis n’étaient pas pertinentes quant à la question de savoir s’il participait à un projet comportant un risque de caractère commercial.

 

[23]           L’argument de l’appelant m’a d’abord semblé intéressant. Cependant, après avoir examiné attentivement les motifs du juge, je dois conclure que cet argument est sans fondement. Bien que les motifs du juge ne soient peut-être pas aussi clairs et étoffés qu’ils auraient pu l’être en ce qui concerne l’existence d’un projet comportant un risque de caractère commercial et l’analyse séparée des deux questions dont il était saisi, il est indéniable que le juge a cherché à savoir si l’appelant participait à un projet comportant un risque de caractère commercial. Même si quelques‑unes des conclusions du juge n’étaient pas pertinentes quant à cette question, cela ne signifie pas pour autant qu’il ne s’est pas suffisamment attardé à celle-ci pour nous permettre de comprendre son raisonnement. La question de savoir si le juge a commis ou non une erreur pour en arriver à sa conclusion est une autre question à laquelle je reviendrai sous peu.

 

[24]           J’en arrive maintenant à l’argument de l’appelant selon lequel le juge a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable à son endroit du fait que son épouse n’a pas témoigné. Plus précisément, l’appelant conteste les commentaires que le juge a formulés au paragraphe 172 de ses motifs :

[172]    La Cour doit également tirer une conclusion défavorable à l’égard de l’appelant du fait que son épouse n’a pas témoigné. On se serait certainement attendu à ce qu’elle soit en mesure de parler des activités commerciales de l’appelant et qu’elle témoigne notamment au sujet du temps que l’appelant avait passé, lors des années en cause, à l’aider dans son entraînement et à l’accompagner aux nombreuses compétitions sportives auxquelles elle avait participé.

 

[25]           À mon avis, même si le juge a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable à l’endroit de l’appelant, cette erreur ne justifie pas l’intervention de la Cour. En d’autres termes, je suis convaincu que, si une erreur a été commise de la part du juge, l’erreur n’est pas dominante. Comme l’a expliqué le juge Fish, qui s’exprimait au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, dans H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, au paragraphe 55 :

[55]      L’expression « erreur manifeste et dominante » décrit de manière à la fois élégante et colorée la norme bien établie et généralement applicable en appel à l’égard d’une conclusion de fait tirée lors du procès.  Elle ne supplante cependant pas les autres formulations de la norme applicable.  Par exemple, dans l’arrêt Housen, les juges majoritaires (au par. 22) et les juges minoritaires (au par. 103) ont convenu que les inférences de fait « manifestement erronée[s] » tirées au procès pouvaient être annulées en appel.  Les deux expressions consacrent le même principe : une cour d’appel modifiera les conclusions de fait du juge de première instance seulement si elle peut relever clairement l’erreur alléguée et s’il est établi que cette erreur a joué dans la décision.

[Non souligné dans l’original.]

 

[26]           Je partage l’avis exprimé ci-dessus, parce que j’estime que le témoignage que l’épouse de l’appelant aurait pu présenter était pertinent uniquement quant à la question de savoir si son époux était courtier en valeurs mobilières. Il est indéniable, à mon sens, que le temps que l’appelant a consacré à aider son épouse n’était pas pertinent quant à la question de savoir s’il participait à un projet comportant un risque de caractère commercial. Eu égard aux commentaires que le juge a formulés au paragraphe 172 de ses motifs, je crois également que tel était son avis. De plus, en tout état de cause, le témoignage de l’épouse de l’appelant n’aurait probablement pas été utile pour savoir s’il participait à un projet comportant un risque de caractère commercial. À cet égard, j’ai en mémoire la partie du témoignage de l’appelant où il a mentionné en toutes lettres qu’il n’avait pas consulté son épouse ni discuté sérieusement avec elle de ses activités commerciales (voir la transcription de la preuve, vol. II du dossier d’appel, p. 131 et 132). En conséquence, je suis convaincu que, si le juge a commis une erreur en tirant une inférence défavorable à l’endroit de l’appelant, son erreur n’a nullement influé sur l’issue de l’affaire.

 

[27]           En dernier lieu, l’appelant fait valoir qu’il participait à un projet comportant un risque de caractère commercial en ce qui a trait à ses opérations relatives aux actions qu’il détenait dans Emergis. Se fondant sur les facteurs que le président Thorson avait formulés dans la décision Taylor, précitée, l’appelant soutient que son témoignage concernant son intention de vendre ses actions [traduction] « à la première occasion favorable pour faire un bénéfice » n’a pas été contredit, qu’il avait une connaissance spécialisée semblable à celle du courtier en ce qui a trait au marché visé par ses opérations, que le nombre d’opérations qu’il a conclues n’est pas déterminant et que la preuve a révélé des « caractéristiques de commerce ».

 

[28]           Le présent appel a une fois de plus mis en relief la difficulté inhérente à la détermination de la limite entre les revenus et les gains en capital et, par conséquent, la question de savoir si le contribuable participe à un projet comportant un risque de caractère commercial. L’intention qu’avait le contribuable lors de l’acquisition des biens en cause est toujours un facteur très pertinent que seul l’examen de l’ensemble des agissements dudit contribuable permet de déterminer. De plus, je souscris aux commentaires que le juge Martland a formulés au paragraphe 14 de ses motifs dans l’arrêt Irrigation Industries, selon lesquels le contribuable ne sera réputé avoir participé à un projet comportant un risque de caractère commercial relativement à la vente d’actions pour la seule raison que [traduction] « l’achat était spéculatif, parce qu’à ce moment-là [il] n’avait pas l’intention de garder les actions indéfiniment, mais avait l’intention, si possible, de les revendre à profit dès que possible », et qu’il faut plus de « caractéristiques de commerce » pour conclure qu’il s’agissait d’un projet comportant un risque de caractère commercial. Dans l’arrêt Friesen, précité, le juge Major a formulé ce critère de façon légèrement différente lorsqu’il a mentionné que le projet examiné devait comporter « un plan visant la réalisation d’un bénéfice » pour qu’il soit possible de conclure qu’il s’agissait d’un projet comportant un risque de caractère commercial.

 

[29]           Dans la présente affaire, le juge Margeson a examiné attentivement l’ensemble des agissements de l’appelant, tiré des conclusions de fait et décidé que le contribuable ne s’était pas comporté comme un courtier relativement aux actions qu’il détenait dans Emergis. En conséquence, le juge a conclu que l’appelant ne participait pas à un projet comportant un risque de caractère commercial. À mon avis, le juge pouvait indéniablement en arriver à cette conclusion, eu égard à la preuve.

 

[30]           En conséquence, je n’ai pas été convaincu que le juge a commis une erreur manifeste et dominante qui nous permettrait d’intervenir. Plus précisément, je ne vois aucune raison d’intervenir relativement aux conclusions du juge concernant l’intention de l’appelant ou concernant l’ensemble de ses agissements. De plus, contrairement à ce que l’appelant a soutenu, je n’ai pu trouver aucune « caractéristique de commerce » permettant de dire que le juge a commis une erreur pour en arriver à sa décision. En bout de ligne, l’appelant nous demande d’apprécier à nouveau la preuve présentée devant le juge Margeson. En l’absence d’erreur de droit ou d’erreur manifeste et dominante concernant les faits, nous ne pouvons intervenir de cette façon.

 

[31]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

« Je souscris aux présents motifs.

            John M. Evans, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs.

            J.D. Denis Pelletier, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-124-09

 

INTITULÉ :                                                   IAN BAIRD c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EVANS

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 3 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard W. Winkler

POUR L’APPELANT

 

 

André LeBlanc

Andrew Miller

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aird & Berlis LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANT

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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