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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20100127

Dossiers : A-237-09

A-240-09

Référence : 2010 CAF 31

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

A-237-09

LOCATION ROBERT LTÉE

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

A-240-09

TRANSPORT ROBERT (1973) LTÉE

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 25 janvier 2010.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 27 janvier 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL


Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20100127

Dossiers : A-237-09

A-240-09

Référence : 2010 CAF 31

 

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

 

 

A-237-09

LOCATION ROBERT LTÉE

 

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

 

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 

 

 

A-240-09

TRANSPORT ROBERT (1973) LTÉE

 

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

Les questions en appel

 

 

[1]               Les appelantes (ci-après désignées comme l’appelante) dans les dossiers A-237-09 et

A-240-09 se portent en appel à l’encontre de deux décisions rendues par le juge Hugessen (juge) de la Cour fédérale : Location Robert Ltée c. Sa Majesté la Reine; Transport Robert (1973) Ltée c. Sa Majesté la Reine, 2009 CF 516.

 

[2]               Par ces décisions, le juge accueillait la requête pour jugement sommaire présentée par l’intimée. En conséquence, il rejetait l’action intentée par l’appelante dans chacun des dossiers.

 

[3]               L’appelante allègue les quatre erreurs de droit suivantes à l’encontre de la décision du juge. Il se serait mépris lorsqu’il

 

a)         a conclu que le recours de l’appelante ne présentait aucune véritable question litigieuse;

 

b)         s’est dit d’avis que l’intimée avait satisfait au fardeau de preuve qui lui incombait sur une requête en jugement sommaire;

 

c)         a nié à l’appelante le droit de présenter au mérite son recours devant la Cour fédérale; et

 

d)         a jugé que la Loi d’exécution du budget de 2003, L.C. 2003, ch. 15 (Loi) éliminait le droit substantif de l’appelante de réclamer le remboursement des taxes d’accise qu’elle avait payées.

 

Analyse de la décision du juge et des représentations des parties

 

[4]               La prétention de l’appelante en appel, comme celle présentée en Cour fédérale, repose sur l’interprétation qu’elle fait de l’article 63 de la Loi qui modifie l’article 68.1(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15. Je reproduis les deux articles en débutant par celui de la Loi sur la taxe d’accise :

 

68.1 (1) Lorsque la taxe prévue par la présente loi a été payée sur des marchandises qu'une personne a exportées du Canada en conformité avec les règlements pris par le ministre, un montant égal à cette taxe est, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, payé à la personne si elle en fait la demande dans les deux ans suivant l'exportation des marchandises.

68.1 (1) Where tax under this Act has been paid in respect of any goods and a person has, in accordance with regulations made by the Minister, exported the goods from Canada, an amount equal to the amount of that tax shall, subject to this Part, be paid to that person if that person applies therefore within two years after the export of the goods.

 

63. (1) L’article 68.1 de la même loi est

modifié par adjonction, après le paragraphe

(2), de ce qui suit :

 

(3) Il est entendu qu’aucun montant n’est à payer à une personne aux termes du paragraphe (1) au titre de la taxe payée sur l’essence ou le combustible diesel qui est transporté en dehors du Canada dans le réservoir à combustible du véhicule qui sert à ce transport.

 

(2) Le paragraphe (1) s’applique à toute

demande de paiement, prévue à l’article

68.1 de la même loi, reçue par le ministre du Revenu national après le 17 février 2003.

63. (1) Section 68.1 of the Act is amended

by adding the following after subsection (2):

 

(3) For greater certainty, no amount is

payable to a person under subsection (1) in

respect of tax paid on gasoline or diesel fuel transported out of Canada in the fuel tank of the vehicle that is used for that transportation.

 

 

(2) Subsection (1) applies in respect of

any application for a payment under section 68.1 of the Act received by the Minister of National Revenue after February 17, 2003.

 

 

[5]               L’appelante soumet que l’article 63 a pour effet, d’une part, d’éliminer le droit au remboursement après le 17 février 2003 et, d’autre part, d’imposer rétroactivement un délai pour l’envoi des demandes de remboursement fondées sur ce droit à un remboursement qui existait avant le 17 février 2003. Elle en conclut que la disposition législative a eu pour effet d’imposer un délai d’exercice de son droit à un remboursement.

 

[6]               À partir de cette interprétation qu’elle fait de l’article 63, elle en déduit que l’article 63 est une disposition de prescription faisant en sorte que le droit au remboursement de la taxe devient prescrit le 17 février 2003.

 

[7]               Ceci étant, elle invoque alors une suspension du délai de prescription du fait qu’elle se trouvait dans l’impossibilité absolue en fait d’agir. Cette impossibilité absolue d’agir aurait pris naissance dans les agissements d’un représentant de l’Agence du revenu du Canada (Agence), lequel lui aurait dit de ne pas soumettre de demandes de remboursement additionnelles pour les années postérieures à 1993 tant qu’une décision finale n’aurait pas été rendue dans le dossier Penner et tant qu’un représentant ne l’aurait pas eu contactée.

 

[8]               En novembre 2002, l’arrêt Penner International Inc. c. Canada, 2002 CAF 453 fut rendu. Il confirmait le droit au remboursement de la taxe payée sur l’essence ou le combustible diésel transporté en dehors du Canada dans le réservoir à combustible du véhicule qui sert à ce transport.

 

[9]               En Cour fédérale, le juge a rejeté l’interprétation que l’appelante lui a soumise de l’article 63. Il a conclu que l’article ne créait ni délai de prescription, ni délai de déchéance, mais qu’il éliminait plutôt complètement le droit au remboursement à compter du 17 février 2003. Aux paragraphes 3 et 4 de sa décision, il écrit :

 

[3]      Le Parlement a, en 2003, adopté la Loi d’exécution du budget de 2003, L.C. 2003, ch. 15 et dans cette loi il a complètement éliminé le droit des contribuables de réclamer les taxes d’accise payées dans les circonstances alléguées par les demanderesses, et ce, à partir de la date même du prononcé du budget au mois de février 2003.

 

[4]      Il ne s’agit pas là d’un délai de prescription ni même d’un délai d’échéance. Il s’agit de la simple élimination d’un droit précédemment possédé par les contribuables.

 

 

[10]           La prétention de l’appelante que la disposition en litige crée simplement un délai de prescription ne manque pas d’ingéniosité. Mais elle ne peut résister à l’analyse qu’en a faite le juge en première instance. Pour qu’il y ait prescription d’un droit et, en conséquence, qu’un délai de prescription puisse exister, encore faut-il qu’il y ait un droit à prescrire. Or, ici le droit est tout simplement éliminé comme l’a conclu à juste titre le juge. Dit en termes lapidaires, l’article 63 crée une extinction et non une prescription du droit au remboursement de la taxe. On ne saurait donc prescrire le néant juridique.

 

[11]           Cette conclusion suffit à disposer des deux appels. J’ajouterais toutefois ceci quant à l’impossibilité absolue en fait d’agir qu’invoque l’appelante comme motif de suspension de la prescription.

 

[12]           Il est vrai que l’impossibilité absolue en fait d’agir ne se limite plus à des cas de force majeure. Elle peut résulter de la faute du débiteur de l’obligation commise dans un contexte de mauvaise foi ou d’abus de droit ou, en matière délictuelle, d’une crainte psychologique causée par la faute du défendeur : voir Oznaga c. Société d’exploitation des loteries et courses du Québec, [1981] 2 R.C.S. 113; Gauthier c. Lac Brome (Ville), [1998] 2 R.C.S. 3; Administration de pilotage des Laurentides c. Voyageur (Le), 2005 CAF 221, [2006] 1 R.C.F. 37.

 

[13]           Ceci dit, il ne faut « pas élargir outre mesure la notion de ‘l’impossibilité absolue en fait d’agir’ que prévoit l’article 2232 du Code civil comme fondement d’une suspension des délais » comme le rappelle la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt J.C. c. D.B., 2006 QCCA 1090, [2006] J.Q. no. 9223 en se référant à cette mise en garde que faisait le juge Lamer dans l’affaire Oznaga, précitée.

 

[14]           Même en tenant pour acquis qu’un représentant de l’Agence aurait dit à l’appelante d’attendre la décision de la Cour dans l’affaire Penner avant de faire ses réclamations, il n’est pas possible de conclure à l’existence d’une faute de la part de l’Agence en l’absence d’une allégation et d’éléments de preuve qu’elle agissait de mauvaise foi, dans le but d’empêcher ou d’éviter un remboursement.

 

 

[15]           De plus, rien n’empêchait en fait et en droit l’appelante de soumettre ses demandes de remboursement malgré le conseil du représentant de l’Agence. Tout au plus, l’adjudication sur celles-ci aurait été mise en attente de la décision dans l’affaire Penner. Et l’appelante aurait ainsi protégé ses droits.

 

[16]           Enfin, tel que déjà mentionné, la décision de notre Cour dans l’affaire Penner fut rendue en novembre 2002, plus exactement le 20. Or, le budget modifiant l’article 68.1 de la Loi sur la taxe d’accise ne fut déposé qu’en février 2003. L’appelante disposait d’amplement de temps durant cet intervalle pour soumettre ses demandes. Dans de telles circonstances, il est tout simplement impossible de conclure à une impossibilité absolue en fait d’agir, tout comme on ne saurait accepter, à la demande de l’appelante, de substituer une faute du débiteur à l’absence de diligence du créancier. Si l’ignorance par un créancier des faits juridiques générateurs de son droit ne peut constituer une impossibilité absolue en fait d’agir (Oznaga, précitée, à la page 126), il est difficile de concevoir que son ignorance des faits juridiques qui l’éteignent, en l’occurrence la Loi, puisse constituer une telle impossibilité.

 

 

 

 

 

Conclusion

 

[17]           Pour ces motifs, je rejetterais les deux appels avec dépens, limités pour l’audition à un seul jeu. Je mettrais dans le dossier A-240-09 une copie des présents motifs au soutien du jugement à intervenir.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Pierre Blais, j.c. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-237-09

 

 

INTITULÉ :                                                   LOCATION ROBERT LTÉE c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 25 janvier 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 janvier 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Serge Fournier

 

POUR L’APPELANTE

 

Me Stéphanie Dion

Me Jean-Robert Noiseux

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BCF s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-240-09

 

 

INTITULÉ :                                                   TRANSPORT ROBERT (1973) LTÉE c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 25 janvier 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 janvier 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Serge Fournier

 

POUR L’APPELANTE

 

Me Stéphanie Dion

Me Jean-Robert Noiseux

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BCF s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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