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Date : 20100125

Dossier : A-618-08

Référence : 2010 CAF 26

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS                 

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

STEPHEN ANTHONY EDELL

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE (Canada Revenue Agency),

LE SURINTENDANT DES FAILLITES et

RISMAN & ZYSMAN INC.

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 21 janvier 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                               LE JUGE EVANS

 


Date : 20100125

Dossier : A-618-08

Référence : 2010 CAF 26

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS                 

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

STEPHEN ANTHONY EDELL

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE (Agence du revenu du Canada),

LE SURINTENDANT DES FAILLITES et

RISMAN & ZYSMAN INC.

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

 

Contexte

 

[1]               L’appelant, anciennement un débiteur proposant en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3 (LFI), est maintenant réputé avoir fait une cession de faillite parce que l’Agence du revenu du Canada (ARC), son seul créancier, a rejeté sa proposition. L’appelant prétend que cela prouve la mauvaise foi de l’ARC et contrevient aux fonctions de l’ARC à titre d’organisme public, ce qui a donné lieu à une action en dommages-intérêts.

 

[2]               Par conséquent, il a intenté une action devant la Cour fédérale contre l’ARC, le surintendant des faillites (le surintendant) et le syndic, en vue d’obtenir un jugement contre l’ARC seulement. Voici les demandes formulées par l’appelant contre l’ARC :

 

a)                  une ordonnance enjoignant à l’intimée d’accepter la proposition soumise par l’appelant en vertu des dispositions de la LFI, conformément à ses conditions;

 

b)                  subsidiairement au point 1a), une ordonnance enjoignant à l’intimée d’accepter la nouvelle proposition modifiée que la Cour estimera appropriée et juste;

 

c)                  des dommages-intérêts de 100 000 $ ou, subsidiairement, des dommages-intérêts symboliques;

 

d)                  des dommages-intérêts spéciaux, dont tous les détails seront fournis aussitôt que possible avant que la cause soit entendue;

 

e)                  des dommages-intérêts punitifs de 250 000 $;

 

f)                    les dépens de la présente action, y compris la taxe sur les produits et services applicable, calculés sur la base avocat-client ou autrement à la discrétion de la Cour;

 

[3]               L’ARC et le surintendant ont réussi à faire radier la déclaration. Il s’agit donc de l’appel du jugement du juge Mandamin (le juge) radiant la déclaration de l’appelant au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action raisonnable et rejetant sa requête en vue d’obtenir une suspension provisoire [2008 CF 1306].

 

[4]               Avant de conclure, le juge a tiré les conclusions suivantes, lesquelles sont pertinentes dans le cadre du présent appel :

 

1.      L’appelant a omis d’invoquer des faits matériels qui étaieraient son action en dommages-intérêts quant au délit de faute ou de négligence. Par conséquent, il était clair et manifeste que la déclaration ne révélait aucune cause d’action raisonnable (ibidem, aux paragraphes 36, 37, 38 et 46).

 

2.      Il n’y a aucun pouvoir conféré par la loi qui autoriserait une cour de justice à suspendre l’application de l’alinéa 57a) de la LFI (ibidem, aux paragraphes 44 et 46).

 

 

Analyse

 

[5]               En statuant sur une requête en radiation d’un acte de procédure, le rôle de la Cour, qui est « strictement délimité, consiste plutôt à apprécier la question préliminaire de savoir s’il existe, en ce qui concerne les faits pertinents, une véritable question litigieuse exigeant la tenue d’une instruction » (Succession Macneil c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50, au paragraphe 38, Aguonie c. Galion Solid Waste Material Inc., [1998] 38 O.R. (3d) 161). Toutes les allégations de fait, sauf si elles sont manifestement ridicules ou  impossibles à prouver, doivent être considérées comme prouvées (Giacomelli c. Canada (Attorney General), (2005) 78 O.R. (3d) 388, au paragraphe 7). Pour faire rejeter sommairement l’action, le défendeur doit démontrer qu’il n’existe pas une telle véritable question (Canada (Procureur général) c. Lameman, [2008] 1 R.C.S. 372, 2008 CSC 14, au paragraphe 11).

 

[6]               En appliquant ces principes en l’espèce, je suis d’avis que l’instruction devrait être autorisée en partie puisqu’il n’était pas « clair et manifeste » que l’action entière de l’appelant ne révélait pas une demande raisonnable ou que permettre l’instruction de la présente action équivaudrait à un abus de procédure. Je vais maintenant analyser brièvement chacune des demandes.

 

[7]               En ce qui concerne les demandes 1a) et 1b), je suis d’accord avec le juge que ces ordonnances ne peuvent être délivrées par la Cour fédérale (motifs du jugement, au paragraphe 30).

[8]               Les demandes c), d) et e) se rapportent aux allégations de délit de négligence et de délit de faute dans l’exercice d’une charge publique formulées par l’appelant.

 

[9]               Contrairement au juge, je n’ai pas été convaincue que l’ARC, à titre de créancier, ne serait jamais tenue à une obligation de diligence envers une personne insolvable dans le contexte de la LFI. L’ARC a omis de démontrer l’existence d’un motif valable pour exclure son obligation de diligence ou pour la mettre complètement à l’abri d’une action intentée pour délit de négligence.

 

[10]           En ce qui concerne le délit de faute, je suis d’accord avec le juge que l’appelant doit démontrer que l’ARC a agi de manière illégitime et délibérée, qu’elle était consciente du caractère illégitime de sa conduite et de la probabilité de préjudice à l’égard de l’appelant (motifs du jugement, au paragraphe 36, avec un renvoi à Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] C.S.J. n° 74; 2003 CSC 69; [2003] 3 R.C.S. 263). Toutefois, le juge a radié la déclaration, aussi parce que l’appelant « a omis d’invoquer des faits matériels qui étaieraient son action en dommages-intérêts intentée en vertu de la responsabilité délictuelle » (motifs du jugement, à l’alinéa 46d).

 

[11]           Dans sa déclaration, l’appelant soutient que l’ARC a agi [traduction] « d’une manière oppressante, outrageuse et scandaleuse dans le but de harceler le demandeur […] sans se soucier du caractère raisonnable de ses actions et de l’exercice licite de son pouvoir discrétionnaire ». Cependant, l’appelant n’a pas inscrit les détails de sa plainte si ce n’est par référence aux actes de procédure en cours dans le cadre d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt (déclaration, volume d’appel, au paragraphe 12).

 

[12]           J’estime que cela n’est pas fatal et qu’il est possible d’y remédier en modifiant les actes de procédure par application de l’article 200 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

 

[13]           Dans son mémoire, le surintendant a fait valoir qu’une action en responsabilité délictuelle pour dommages-intérêts ne peut être intentée par un demandeur qui est déjà en faillite. C’est faux. Il a été décidé qu’une cause d’action qui est de nature personnelle « n’est pas dévolue au syndic de faillite et peut donc être exercée par [le failli] de son propre chef » (Wallace c. United Grain Growers Ltd. (c.o.b. Public Press), [1997] 3 R.C.S. 701, au paragraphe 38). Les dommages-intérêts punitifs tels que ceux demandés par l’appelant au paragraphe 16 de sa déclaration sont de nature personnelle (voir aussi Re Holley, [1986] O.J. No. 165 (C.A. Ont.).

 

[14]           Il est fort possible qu’un acte de procédure révèle une question de droit contestable, difficile ou importante, mais cela ne justifie pas la radiation de la déclaration à ce stade.

 

[15]           Enfin, le juge a rejeté la requête de l’appelant en vue d’obtenir une suspension provisoire parce que la LFI « n’autorise pas une cour de justice à suspendre l’application d’une ordonnance de séquestre ou d’une cession, que ce soit à titre provisoire ou à titre permanent » (motifs du jugement, au paragraphe 45; Kalau v. Dahl, [1985] A.J. No. 572, 39 Alta. L.R. (2d) 156). Bien que l’appelant ait contesté cette conclusion dans son avis d’appel, il n’a pas présenté sa requête de nouveau à l’instruction de l’appel. De toute façon, je suis d’accord avec le juge.

 

[16]           Il reste un dernier point à aborder, soit la désignation du surintendant et du syndic comme parties à l’action « afin qu’ils soient avisés des procédures et afin qu’ils soient liés par les ordonnances de la Cour » (motifs du jugement, au paragraphe 3). L’article 215 de la LFI prévoit explicitement que, sauf avec la permission de la Cour qui a compétence en matière de faillite, aucune action n’est recevable contre le surintendant ou un syndic. Une telle permission n’a pas été accordée. Par conséquent, il faut retirer au surintendant et au syndic le titre de défendeurs à la déclaration de l’appelant.

 

Conclusion

 

[17]           Pour ces motifs,

-                     J’accueillerais l’appel en partie avec dépens en appel et en première instance en faveur de l’appelant contre l’ARC seulement;

 

-                     J’annulerais, en partie, le jugement de la Cour fédérale et rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre,

 

-                     je radierais les demandes 1a) et 1b);

 

-                     j’ordonnerais, en vertu de l’article 104, que le surintendant des faillites et Risman & Zysman Inc. soient retirés comme parties à l’action, dossier T‑290-08, et que l’intitulé soit modifié en conséquence de manière à y lire :  

                        ENTRE :

STEPHEN ANTHONY EDELL

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE (Agence du revenu du Canada)

intimée

 

 

-                     J’autoriserais la poursuite de l’action contre Sa Majesté la Reine (Agence du revenu du Canada) à l’égard des demandes 1c), d), e) et f).

 

-                     Je permettrais à l’appelant de modifier sa déclaration, conformément à ces motifs, dans les quinze jours suivant le prononcé du jugement.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            John M. Evans, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-618-08

 

INTITULÉ :                                         Stephen Anthony Edell c. Sa Majesté la Reine (Agence du revenu du Canada), le surintendant des faillites et Risman & Zysman Inc.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 21 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 25 janvier 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen Anthony Edell

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Nancy Arnold

 

 

Liz Tinker

POUR L’INTIMÉE (SMLR-ARC)

 

POUR L’INTIMÉ LE SURINTENDANT DES FAILLITES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE (SMLR-ARC)

 

John H. Sims, c.r.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ LE SURINTENDANT DES FAILLITES 

 

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