Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour d'appel fédérale

CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20091119

Dossier : A-480-08

Référence : 2009 CAF 337

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW                   

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION TZEACHTEN,

LA PREMIÈRE NATION SKOWKALE et

LA PREMIÈRE NATION YAKWEAKWIOOSE

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LA SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DU CANADA LIMITÉE et

LA SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DU CANADA CLC LIMITÉE

intimés

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 septembre 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                   LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LE JUGE SEXTON

                                                                                                                              LE JUGE RYER

 

 


Cour d'appel fédérale

CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20091119

Dossier : A-480-08

Référence : 2009 CAF 337

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW                   

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION TZEACHTEN,

LA PREMIÈRE NATION SKOWKALE et

LA PREMIÈRE NATION YAKWEAKWIOOSE

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LA SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DU CANADA LIMITÉE et

LA SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DU CANADA CLC LIMITÉE

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               La question en litige est celle de savoir si la Couronne avait l’obligation, après l’an 2000, de consulter la Première nation Tzeachten, la Première nation Skowkale et la Première nation Yakweakwioose (que je désignerai collectivement pour plus de simplicité comme étant les Tzeachten) avant de décider de transférer certaines terres à la Société immobilière du Canada CLC Limitée (la SIC) en 2003. Connues sous les noms « champ de tir » et « Promontory Heights »,  les terres en cause sont deux lots de l’ancienne base des forces canadiennes (la BFC) de Chilliwack. La juge Tremblay-Lamer a statué que cette obligation n’existait pas pour les motifs exposés dans Première nation Tzeachten c. Canada (Procureur général), 2008 CF 928.  Les Tzeachten ont interjeté appel du jugement. Ils sollicitent une ordonnance annulant le jugement ainsi qu’une déclaration portant que la décision de 2003 de transférer les terres était invalide ou illégale et une déclaration portant que la Couronne a et continue d’avoir l’obligation juridique de consulter les Tzeachten et de trouver des accommodements appropriés en ce qui concerne leurs intérêts relativement au champ de tir et à Promontory Heights.

 

Les faits

[2]               Les Tzeachten sont trois collectivités de la nation Sto:lo qui descendent de la tribu Chilliwack, laquelle est un sous‑groupe des Sto:lo et fait partie du peuple des Salish du littoral. Ils ont des réserves à l’intérieur des limites de la ville de Chilliwack, en Colombie‑Britannique. Ils soutiennent que leurs réserves sont trop petites pour satisfaire à leurs besoins de logement et d’infrastructures communautaires.

 

[3]               Le champ de tir et Promontory Heights font partie de l’ancienne BFC de Chilliwack et sont adjacents à la réserve de la Première nation Tzeachten. Invoquant deux fondements différents, les Tzeachten font valoir un intérêt dans le champ de tir et Promontory Heights et, à vrai dire, sur toute la zone antérieurement occupée par la BFC de Chilliwack.

 

[4]               Le premier fondement a trait aux allégations de treize collectivités Sto:lo, dont les Tzeachten, suivant lesquelles les terres sur lesquelles la BFC de Chilliwack était située faisaient partie de deux réserves indiennes, les RI 13 et 14, qui avaient été créées pour elles en 1864 sous l’autorité de James Douglas, alors gouverneur de la colonie de la Colombie-Britannique. Selon les allégations, la Colombie-Britannique leur a illégalement ravi des terres des RI 13 et 14 en 1868 et en a transféré une partie au Canada dans les années 1880 pour la construction du chemin de fer national. Entre 1892 et 1915, le Canada a transféré une partie des terres à des particuliers et a par la suite acquis de nouveau une partie de ces terres, qui comprennent le champ de tir et Promontory Heights, pour créer la BFC de Chilliwack. En 1988 et 1997, les treize collectivités Sto:lo ont présenté une revendication particulière relativement aux RI 13 et 14 dans le cadre de la politique du gouvernement canadien sur les revendications particulières. En juillet 1999, la Couronne a refusé de recommander que la revendication donne lieu à une négociation dans le cadre de cette politique parce que, de son point de vue, toutes les mesures juridiques requises pour créer les deux réserves n’avaient pas été prises par le gouverneur Douglas ou par son successeur, Frederick Seymour, qui n’avait pas consenti à la création des réserves. Cette décision a été portée en appel devant la Commission des revendications des Indiens. En septembre 2003, l’appel a été suspendu et l’est toujours dans l’attente de la conclusion du litige concernant les revendications sur la réserve Douglas.

 

[5]               Le second fondement a trait à la revendication de dix-huit collectivités de la nation Sto:lo, dont les Tzeachten, sur un titre ancestral non éteint à l’égard d’un territoire comprenant les terres de l’ancienne BFC de Chilliwack. En 1995, ces dix-huit collectivités Sto:lo ont déposé une déclaration d’intention de négocier un traité sous les auspices de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Le traité n’a pas été conclu. Les négociations relatives au traité comportaient des discussions sur des terres de réserve additionnelles.

 

[6]               En 1995, la Couronne a annoncé son intention de fermer la BFC de Chilliwack. Entre septembre 1995 et juin 2000, environ 26 rencontres ont eu lieu entre des représentants de la Couronne et des représentants des Tzeachten. La juge Tremblay-Lamer donne un résumé partiel de ces rencontres aux paragraphes 57 à 61 de ses motifs :

 

¶57     En 1996 et 1997, les consultations entre les demanderesses et le Canada portaient principalement sur deux propositions. Selon la première, le Canada demeurerait le propriétaire de la BFC, mais sa gestion et son administration reviendraient conjointement à SIC et aux demanderesses jusqu’à ce que leurs revendications particulières soient résolues ou jusqu’à ce que des terres soient sélectionnées dans le cadre du PTCB. Selon la seconde proposition, 25 % de la BFC serait accordée à SIC tandis que la moitié environ des 75 % qui restent serait gérée par une fiducie contrôlée également par SIC et les demanderesses et le reste des terres demeurerait la propriété du Canada.

¶58     Aucune entente n’a été conclue au sujet de la première proposition et la seconde a finalement été rejetée par les demanderesses, car elles n’acceptaient pas le transfert de quelque portion que ce soit de la BFC de Chilliwack à SIC.

¶59     À partir de la fin de 1997, il a été discuté de deux options principales. Selon la première option, 60 % des terres seraient retenues en vue de la sélection des terres pour un traité possible, tandis que le reste des terres serait transféré à SIC. Les demanderesses ont rejeté cette proposition, car elles étaient d’avis que, puisqu’elles possédaient toutes les terres, elles devraient être indemnisées pour les terres qu’elles abandonnaient. Selon la seconde option, des terres sélectionnées par les demanderesses seraient transférées au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, lesquelles leur seraient ensuite louées pour une période de quatre à neuf ans, et les demanderesses obtiendraient par la suite les terres à la conclusion d’un traité. Les autres terres qui n’auraient pas été sélectionnées par les demanderesses auraient été transférées à SIC pour qu’elle en dispose. Aucune entente n’a été conclue relativement à cette proposition.

¶60     En 1998, les discussions ont porté sur deux autres options. Selon la première proposition, les demanderesses sélectionneraient les terres à l’intérieur de la Base ainsi que des terres du MDN à l’extérieur, mais près de la BFC, qui accommoderaient leurs divers besoins et qui leur seraient ultimement transférées. La seconde option prévoyait une entente de coentreprise entre SIC et les demanderesses. L’idée avancée par le Canada était qu’une partie ou la totalité de la BFC serait transférée à une coentreprise gérée par SIC et les demanderesses et les terres en question ne feraient pas partie du processus de traité. La coentreprise développerait les terres transférées.

¶61     Les demanderesses ont rejeté la première option. Quant à la seconde option, elles étaient intéressées, mais elles souhaitaient qu’une partie de la BFC soit exclue de la coentreprise et leur soit transférée. L’exclusion de terres de la coentreprise était une source d’inquiétude pour SIC puisque, en fonction de la superficie des terres exclues, la coentreprise pourrait ne plus être viable financièrement. Les demanderesses ont laissé savoir qu’elles présenteraient la proposition de coentreprise au conseil des chefs le 16 novembre 1998 pour obtenir des directives, mais elles ne sont jamais revenues avec une réponse et l’option est devenue caduque.

 

[7]               La position des Tzeachten tout au long des rencontres et des discussions susmentionnées était qu’ils avaient un besoin pressant de terres additionnelles à des fins de logement et à d’autres fins communautaires, qu’ils avaient une revendication particulière non réglée sur un titre ancestral relativement aux terres de la BFC de Chilliwack et que le seul règlement juste et approprié de leur revendication serait de leur remettre les terres de la BFC de Chilliwack. Selon l’affidavit du chef Joseph Leonard Hall, souscrit le 14 juin 2007, les Tzeachten estimaient qu’aucune des propositions de la Couronne ne répondait valablement à leurs revendications.

 

[8]               Le chef Hall déclare également que les Tzeachten ont fait la proposition que la Couronne achète les terres de la BFC de Chilliwack à leur juste valeur marchande, proposition qui reposait sur leur prétention selon laquelle les terres de la BFC de Chilliwack leur avaient originellement été réservées en tant que RI 13 et 14. Selon le témoignage du chef Hall, à la suite de cette proposition, le Canada aurait pour ainsi dire mis fin aux discussions. Le chef Hall ne dit pas quand la proposition a été faite, mais selon l’affidavit de Paul Gono, qui représentait la Couronne dans la plupart des rencontres avec les Tzeachten, elle aurait été faite lors d’une rencontre à la fin de 1999.

 

[9]               Au printemps 2000, le Conseil du Trésor a reçu une présentation (je suppose de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada ou du ministère de la Défense nationale (le MDN)) relativement à l’aliénation des terres de l’ancienne BFC de Chilliwack. Il y était proposé que les terres soient divisées en lots désignés A à I. Le champ de tir et Promontory Heights y étaient désignés comme étant le lot C. La proposition était la suivante :

a.       Le lot A serait transféré immédiatement à la SIC, afin qu’il soit amélioré ou vendu.

b.                Les lots B, C, E, F et G seraient retenus pour une période de deux ans à partir de juin 2000 pour permettre au négociateur en chef des traités du gouvernement fédéral d’entamer des négociations avec la nation Sto:lo concernant la sélection des terres qui feraient l’objet d’un traité et, à la fin de ces deux ans, l’autorisation de transférer à la SIC toutes les terres qui n’auraient pas été sélectionnées pour le traité serait de nouveau demandée au Conseil du Trésor.

c.       Le lot D serait protégé à des fins de conservation de la nature.

d.      Le lot H serait utilisé par la Gendarmerie royale du Canada à des fins de formation.

e.       Le lot I serait laissé au MDN pour y constituer un cénotaphe militaire et une unité de soutien de secteur pour les Forces canadiennes.

 

[10]           En mai 2000, les Tzeachten et les Soowahlie (une autre collectivité Sto:lo) ont également fait une présentation au Conseil du Trésor, laquelle consistait en une étude approfondie faisant ressortir l’importance pour eux des terres de la BFC de Chilliwack et en un plan prévoyant leur mise en valeur, notamment pour la construction de logements et d’infrastructures pour la bande ainsi qu’à des fins commerciales et mixtes génératrices de revenus.

 

[11]           Le 16 juin 2000, un décret (C.P. 2000-925) a été pris pour autoriser le transfert du lot A à la SIC. À la même date, le Conseil du Trésor a informé les Tzeachten et les Soowahlie que leur présentation avait été examinée, mais qu’il avait décidé d’accepter la proposition de la Couronne. Dans un passage qui renvoie expressément à l’élément b) de la proposition (relative aux lots B, C, E, F et G), la lettre indique ceci :

[Traduction] Enfin, environ les deux tiers du site seront conservés dans l’inventaire fédéral pendant deux ans pour permettre de plus amples discussions avec la nation Sto:lo à propos d’une sélection possible de terres dans le cadre du processus des traités.

 

[12]           Après les discussions de juin 2000, le négociateur en chef du gouvernement fédéral pour les négociations relatives à la conclusion d’un traité avec la nation Sto:lo, M. Robin Dodson, s’est montré intéressé à discuter des terres retenues avec le négociateur de traités pour les Sto:lo, M. David Joe, dans le contexte du déclenchement de négociations en vue d’un traité définitif. M. Joe a fait savoir à M. Dodson qu’il n’était pas mandaté pour discuter de ces terres dans ce contexte étant donné qu’elles étaient susceptibles d’être visées par un intérêt particulier (renvoi aux revendications particulières des Tzeachten sur les RI 13 et 14). M. Joe a également conseillé au négociateur de la Couronne de rencontrer les collectivités Sto:lo ayant un intérêt dans les terres de la BFC de Chilliwack afin de régler les revendications particulières.

 

[13]           Aucune autre discussion n’a eu lieu et aucune entente n’a été conclue entre la Couronne et les Tzeachten relativement à l’aliénation d’une portion quelconque des terres de l’ancienne BFC de Chilliwack.

 

[14]           En juillet 2000, les Tzeachten et les Soowahlie ont présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire visant la décision de transférer le lot A à la SIC. Entretemps, la SIC a commencé à vendre des parties du lot A. Les Tzeachten et les Soowahlie ont sollicité une ordonnance suspendant tout nouveau transfert dans l’attente d’une décision relativement à leur demande,  mais leur demande a été rejetée par la Cour fédérale et leur appel devant notre Cour a été rejeté. La procédure devant la Cour fédérale a été abandonnée.

 

[15]           Le 7 juin 2002, M. Dodson a informé M. Joe que le ministre de la Défense nationale était sur le point de retourner devant le Conseil du Trésor afin d’obtenir de nouvelles directives relativement à l’aliénation des portions retenues des terres de l’ancienne BFC de Chilliwack. M. Dodson a fait savoir que Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) donnerait au ministre l’avis qu’il n’avait aucun intérêt à acquérir une portion quelconque des terres aux fins de la négociation de traités.

 

[16]           Le 26 juin 2002, le MDN a écrit aux Tzeachten à propos des terres retenues. Les passages pertinents de la lettre sont libellés comme suit.

[traduction] La période de rétention de deux ans est maintenant terminée et AINC a récemment conseillé de n’acquérir aucune partie des terres de l’ancienne BFC de Chilliwack. La même décision a été communiquée à M. Dave Joe, le négociateur en chef de la nation Sto:lo, par Robin Dobson [sic], négociateur en chef du gouvernement fédéral, le l7 juin 2002.

Par la présente lettre, je voudrais vous informer que le ministère de la Défense nationale se dispose à retourner devant le Conseil du Trésor des ministres, conformément au plan d’aliénation de juin 2000, pour obtenir de nouvelles directives relativement à l’aliénation des terres restantes de Chilliwack.

 

 

[17]           Le 8 août 2003, le MDN a informé les Tzeachten que la Couronne avait autorisé la vente à la SIC des terres retenues restantes. Le transfert a été conclu le 31 mars 2004. Au moment de l’introduction de l’instance ayant donné lieu à l’appel, la SIC avait vendu 14 acres du champ de tir au conseil scolaire de Chilliwack.

 

[18]           Du point de vue des Tzeachten, le transfert du champ de tir et de Promontory Heights à la SIC retirait ces terres de l’inventaire fédéral éventuellement disponible pour conclure le traité avec les Sto:lo ou régler les revendications particulières des Tzeachten. Comme ils estimaient que ces lots particuliers étaient l’un des meilleurs choix pour toute expansion de leurs réserves actuelles, en particulier de la réserve de la Première nation Tzeachten qui est adjacente au champ de tir et à Promontory Heights, ils considéraient le transfert comme une perte substantielle et peut‑être permanente. La position des Tzeachten est que la Couronne était obligée de les consulter davantage après 2000 et avant de procéder à des transactions relativement à toute terre visée par la période de rétention de deux ans.

 

[19]           Les Tzeachten ont présenté une demande de contrôle judiciaire afin d’obtenir une déclaration portant que la décision de 2003 de transférer les terres à la SIC était illégale et que le Conseil du Trésor, le ministre de la Défense nationale, la SIC et sa société mère, la Société immobilière du Canada (la Société immobilière) avait l’obligation juridique de consulter les Tzeachten avant de vendre ou de mettre en valeur le champ de tir et Promontory Heights, ainsi qu’un mandamus enjoignant au ministre, à la Société immobilière et à la SIC de les consulter et de trouver des accommodements relativement à leurs intérêts. Les Tzeachten n’ont fait aucune revendication à l’égard des 14 acres situés dans la terre du champ de tir qui avaient été vendus au conseil scolaire de Chilliwack.

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire a été rejetée par la juge Tremblay-Lamer, pour des motifs qu’elle a longuement expliqués. Je résumerai ainsi ses principales conclusions :

 

a.       La revendication ancestrale des Tzeachten à l’égard du champ de tir et de Promontory Heights est d’une solidité modérée et le transfert de ces terres par la Couronne représente une atteinte à leur titre ancestral potentiel. Cependant, il est possible de les indemniser, pécuniairement ou d’une autre manière, dans le cadre des négociations relatives au traité pour le préjudice subi. Dans ces circonstances, il y avait une obligation de consultation qui était plus que minimale, qui requérait une consultation de bonne foi et un processus visant à répondre aux inquiétudes des Tzeachten.

 

b.      L’autorisation de 2003 de transférer le champ de tir et Promontory Heights a donné effet à la stratégie d’aliénation des terres de la BFC de Chilliwack qui avait été adoptée en 2000. En conséquence, la période pertinente pour déterminer si le Canada s’est acquitté de son obligation de consulter est comprise entre 1995, au moment de l’annonce de la fermeture de la BFC de Chilliwack, et 2003, lorsque l’autorisation a été donnée de transférer le champ de tir et Promontory Heights.

 

c.       De 1995 à 2000, le Canada a procédé à une consultation importante auprès des Tzeachten qui, à certains moments, pouvait être qualifiée de consultation approfondie (renvoi à Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73, paragraphe 44). Durant ces consultations, le Canada a tenté de répondre aux préoccupations des Tzeachten en leur faisant différentes propositions aux termes desquelles certaines parties des terres seraient retenues par la Couronne ou une partie des terres serait cogérée par les Tzeachten. Il s’agissait de tentatives de bonne foi du Canada en vue d’harmoniser des intérêts contraires et de se rapprocher d’une réconciliation (renvoi à Nation haïda, paragraphes 45 à 49, et à Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), [2004] 3 R.C.S. 550, 2004 CSC 74, au paragraphe 25).

 

d.      Les Tzeachten ont participé aux discussions de bonne foi et leur refus de mettre en péril ce qu’ils considéraient comme de solides revendications fondées en droit n’était pas déraisonnable. Ils se sont acquittés de leur obligation réciproque, telle qu’elle est définie dans Halfway River First Nation c. British Columbia (Ministry of Forests), 1999 BCCA 470, au paragraphe 161.

 

e.       En dépit des efforts de bonne foi des deux parties, aucune entente n’a été conclue. Cependant, cela ne signifie pas que la Couronne a manqué à son obligation de consulter ou qu’elle n’a pas agi honorablement. Le droit n’exige pas des parties qu’elles parviennent à une entente.

 

Questions en appel

[21]           Le mémoire des faits et du droit des Tzeachten contient quatre moyens d’appel. Il en est traité séparément ci-dessous.

 

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en traitant la décision de 2003 de transférer les terres comme la deuxième étape d’une discussion antérieure et, en conséquence, comme ne requérant pas de plus amples consultations ?

 

[22]           La juge Tremblay-Lamer considérait la stratégie d’aliénation de 2000 comme une décision prise par la Couronne et qu’il était raisonnable, étant donné les négociations ayant eu lieu entre 1995 et 2000, de s’attendre à ce que la Couronne la mette en application conformément à son libellé. La stratégie d’aliénation prévoyait une période de rétention de deux ans pour une grande partie de l’ancienne BFC de Chilliwack, qui inclut le champ de tir et Promontory Heights, ainsi que le retrait de l’inventaire fédéral des terres visées par la période de rétention de deux ans sauf si, durant ces deux années, les terres se révélaient nécessaires pour conclure un traité avec les Sto:lo. 

 

[23]           Cette compréhension des faits est compatible avec tous les éléments de preuve versés au dossier. Je suis d’avis qu’il était raisonnablement loisible à la juge Tremblay-Lamer de conclure, comme elle l’a fait, que la décision d’aliénation de 2003 ne pouvait pas être séparée de l’adoption de la stratégie d’aliénation et qu’il convenait d’évaluer sur cette base l’étendue et la qualité des consultations entre la Couronne et les Tzeachten. Je rejetterais en conséquence ce moyen d’appel.

 

L’échec des tentatives en vue de parvenir à une entente libérait-il la Couronne de son obligation d’accommoder les Tzeachten ?

 

[24]           Ce moyen d’appel, selon ce que j’en comprends, est étroitement lié au précédent. Les Tzeachten soutiennent que la Couronne n’était pas libre de mettre en œuvre la stratégie d’aliénation de 2000 relativement au champ de tir et à Promontory Heights sans poursuivre les consultations avec les Tzeachten. Plus précisément, la position des Tzeachten est que l’obligation de la Couronne d’agir honorablement interdisait qu’elle retire le champ de tir et Promontory Heights de son inventaire après la période de rétention de deux ans sans procéder préalablement à de plus amples consultations auprès des Tzeachten. À l’appui de cet argument, les Tzeachten invoquent les deux facteurs suivants : 1) les Tzeachten ont une revendication relativement à un titre ancestral modérément solide à l’égard du champ de tir et de Promontory Heights ainsi qu’une revendication particulière non réglée à l’égard des RI 13 et 14, 2) le champ de tir et Promontory Heights sont adjacents à la réserve actuelle de la Première nation Tzeachten, ce qui lui donnerait une valeur unique comme terre de réserve éventuelle des Tzeachten et 3) la Couronne s’est pendant deux ans montrée disposée à présenter diverses propositions pour l’utilisation et la gestion du champ de tir et de Promontory Heights qui auraient pu permettre de ne pas retirer de manière permanente ces lots de l’inventaire fédéral des terres susceptibles de constituer éventuellement des éléments d’un règlement des revendications des Tzeachten.

 

[25]           Étant donné la compréhension des faits de la juge Tremblay-Lamer, qui à mon avis est inattaquable, il semble que la question est de savoir quelles étaient les obligations de la Couronne durant la période de rétention de deux ans, le cas échéant. La réponse à cette question dépend surtout de l’objectif déclaré de la période de rétention, qui était de conserver les terres pendant cette période aux fins de conclure le traité avec les Sto:lo.

 

[26]           Les Tzeachten font remarquer qu’une période de deux ans ne constitue pas un horizon temporel réaliste pour conclure un traité avec les Autochtones. J’en conviens. Cependant, il n’était pas exigé qu’au terme de la période de rétention de deux ans un traité soit conclu avec les Sto:lo, mais seulement qu’il soit procédé à la sélection des terres aux fins de conclure à un traité. J’estime que cela signifiait que la terre continuerait d’être retenue aussi longtemps que les négociations relatives au traité avec les Sto:lo progresseraient suffisamment pour qu’AINC puisse indiquer que les terres étaient susceptibles d’être requises pour parvenir à un traité.

 

[27]           Cependant, les Tzeachten n’ont pris aucune mesure après l’an 2000 pour faire progresser les négociations sur le traité en ce qui a trait au champ de tir et à Promontory Heights. Au contraire, le dossier indique que le négociateur de traités pour les Sto:lo a dit au négociateur en chef du gouvernement fédéral qu’il n’avait pas le mandat pour discuter du champ de tir et de Promontory Heights dans le contexte des négociations en vue de la conclusion d’un traité, apparemment parce que les Tzeachten voulaient que leur revendication particulière à l’égard des RI 13 et 14 soit d’abord résolue. Le dossier ne révèle aucun changement de la situation en 2003.

 

[28]           Les Tzeachten étaient conscients de l’existence et de l’objectif de la période de rétention de deux ans et ils doivent avoir su qu’aucune mesure n’avait été prise pour inclure le champ de tir et Promontory Heights dans les négociations relatives au traité. Toutes les parties savaient que la Couronne et les Tzeachten avaient mené sans succès des négociations pendant plusieurs années et les Tzeachten avaient de façon constante rejeté toutes les propositions relatives au champ de tir et à Promontory Heights en raison de leur forte conviction quant à la solidité de leur revendication particulière.

 

[29]           Il ne fait pas de doute que la Couronne aurait pu en tout temps décider de prolonger la période de rétention au-delà des deux ans prévus dans la stratégie d’aliénation de 2000. Cependant, étant donné les circonstances, il serait à mon avis déraisonnable de requérir de la Couronne qu’elle prolonge la période de rétention afin de procéder à de plus amples consultations auprès des Tzeachten. Je suis d’accord avec la juge Tremblay-Lamer, en ce qui a trait à l’adoption et à la mise en application de la stratégie d’aliénation de 2000, pour dire que l’obligation de la Couronne de consulter avait été satisfaite en juin 2000, au moment de l’adoption de la stratégie d’aliénation, et qu’aucune nouvelle obligation n’est née après 2000 lorsque la Couronne a mis en œuvre la stratégie d’aliénation conformément à son libellé.

 

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en appliquant les critères du « caractère unique » et de la « possibilité d’indemniser », provenant du droit relatif aux injonctions, pour déterminer l’étendue de l’obligation de consulter ?

 

[30]           Ce moyen d’appel porte sur la conclusion de la juge Tremblay-Lamer que la perte du champ de tir et de Promontory Heights pour les Tzeachten pourrait être indemnisée (voir les paragraphes 42 à 51 de ses motifs). À mon avis, ce moyen d’appel est sans fondement.

 

[31]           Selon ma compréhension de ses motifs, la juge Tremblay-Lamer n’appliquait pas le droit relatif aux injonctions lorsqu’elle examinait la question de la possibilité d’obtenir une indemnisation. Elle appliquait le principe énoncé dans Nation haïda  (paragraphe 44) selon lequel il n’est pas pertinent, lorsqu’on évalue la gravité des effets potentiellement préjudiciables d’une décision sur une revendication relativement à un titre ancestral, de considérer la question de savoir si de tels effets sont susceptibles d’une indemnisation pécuniaire, ou s’ils ne le sont pas parce que l’objet de la revendication est, sous un aspect important, unique et qu’il se rapporte à une revendication ancestrale non reconnue. Je ne vois aucune erreur dans son analyse de cette question.

 

[32]            Les Tzeachten redoutent tout naturellement que, malgré la conclusion de la juge Tremblay-Lamer selon laquelle le transfert du champ de tir et de Promontory Heights constitue une perte pour laquelle ils pourraient obtenir indemnisation, la Couronne prenne la position contraire dans le contexte des négociations sur le traité ou dans les procédures ayant trait aux revendications particulières non réglées à l’égard des RI 13 et 14. Cependant, la Couronne a concédé au cours des plaidoiries, à bon droit à mon avis, que la décision en l’espèce ne tranche pas les réclamations d’indemnisation que les Tzeachten pourraient faire valoir sur le fondement de leurs revendications à l’égard des RI 13 et 14 ou de leurs revendications relativement à un titre ancestral. Par conséquent, la question de l’indemnisation peut encore faire l’objet de négociations ou de litiges en ce qui concerne l’une ou l’autre de ces revendications.

 

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’effet sur la décision de 2003 de l’affirmation relative au privilège du Cabinet lorsqu’elle a examiné la question de savoir s’il s’agissait d’une décision qui requérait une consultation ?

 

[33]           À mon avis, ce moyen d’appel n’a pas été dûment soulevé. Les Tzeachten n’ont rien fait pour contester l’affirmation relative au privilège du Cabinet et ils n’ont pas tenté de contre‑interroger les personnes ayant souscrit un affidavit pour le compte du Canada.

 

La position de la Société immobilière et de la SIC

[34]           La Société immobilière est une société d’État et une mandataire de la Couronne aux termes de la Loi sur le fonctionnement des sociétés du secteur public, L.R.C. 1985, ch. G‑4. La SIC est une filiale à cent pour cent de la Société immobilière. Aucune loi ne désigne la SIC comme étant une mandataire de la Couronne. Cependant, les Tzeachten ont soutenu devant la Cour fédérale que la SIC était une mandataire de la Couronne et qu’elle était une défenderesse appropriée en raison de son mandat de recevoir et d’aliéner les terres en cause.

 

[35]           Les deux sociétés ont été nommées comme défenderesses dans les procédures de la Cour fédérale. Elles n’ont pas tenté de se faire retirer comme défenderesses. Cependant, elles ont soutenu devant la Cour fédérale que, comme la SIC n’est pas un « office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, la Cour fédérale n’avait pas compétence pour rendre une ordonnance à leur encontre en vertu de l’article 18.1 de cette loi. La juge Tremblay-Lamer a accepté l’argument et cette conclusion n’a pas été contestée dans le présent appel. La juge Tremblay-Lamer a refusé de décider si la SIC était un mandataire de la Couronne.

 

[36]           En dépit de leur succès sur la question de la compétence de la Cour fédérale, la Société immobilière et la SIC ont présenté des moyens de preuve écrits et oraux sur le fond de l’appel. Tous les arguments de la Société immobilière et de la SIC, sauf un, traitent des mêmes points que ceux soulevés par la Couronne. L’exception concerne l’argument subsidiaire de la Société immobilière et de la SIC selon lequel aucune obligation de consulter n’est née relativement aux terres de l’ancienne BFC de Chilliwack. Cet argument n’est pas compatible avec la position du Canada que celui-ci avait l’obligation de consulter, mais qu’il s’en était acquitté et que, pour cette raison, il n’y avait pas lieu d’examiner cet argument dans le présent appel. À mon avis, aucun des arguments de la SIC et de la Société immobilière n’a aidé la Cour à trancher l’appel.

 

Conclusion

[37]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. J’adjugerais des dépens au procureur général du Canada, mais non aux autres intimées.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

     J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-480-08

 

(APPEL INTERJETÉ À L’ENCONTRE DES MOTIFS DU JUGEMENT ET DU JUGEMENT DE LA JUGE TREMBLAY-LAMER DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉS DU 30 JUILLET 2008, DOSSIER NO T‑745‑07)

 

INTITULÉ :                                                                          La Première nation Tzeachten et al. c. Le procureur général du Canada et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 30 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE :                                        LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE SEXTON

                                                                                                LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 19 novembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Gregory J. McDade, c.r.

Elisabeth A. Finney

 

POUR LES APPELANTES

 

Robin S. Whittaker

Steven C. Postman

POUR L’INTIMÉ,

Procureur général du Canada

 

 

Simon B. Margolis

Ryan D.W. Dalziel

POUR LES INTIMÉES,

La Société immobilière du Canada Limitée et la Société immobilière du Canada CLC Limitée

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ratcliff & Company s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES APPELANTES

 

John H Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ,

Procureur général du Canada

 

 

Bull, Housser & Tupper s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES INTIMÉES,

La Société immobilière du Canada Limitée et la Société immobilière du Canada CLC Limitée

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.