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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

Date : 20091022

Dossier : A-420-08

Référence : 2009 CAF 302

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

INNOVATIONS ET INTÉGRATIONS

BRASSICOLES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 20 octobre 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2009.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                     LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT:                                                                                        LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20091022

Dossier : A-420-08

Référence : 2009 CAF 302

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

INNOVATIONS ET INTÉGRATIONS

BRASSICOLES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel dirigé à l’encontre d’un jugement rendu par le juge Tardif de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la CCI) qui a annulé l’avis d’appel déposé par l’appelante au motif qu’il s’agissait du mauvais recours. Selon le juge de la CCI, un appel devant la Cour d’appel fédérale était le recours applicable dans les circonstances.

 

[2]               De façon sommaire, l’appelante a dans le cadre d’un premier appel choisi de faire valoir ses droits devant la Cour canadienne de l’impôt en optant de suivre la procédure informelle. Cette procédure a pour effet de limiter à 12 000 $ la somme qui peut lui être remboursée. Dans un deuxième appel logé devant la Cour canadienne de l’impôt, elle a demandé que cette limite soit levée et que la somme additionnelle de 7 000 $, à laquelle elle aurait eu droit n’eût été de la procédure choisie, lui soit remboursée. Le juge de la CCI a invoqué le principe de la chose jugée (res judicata) pour conclure que le seul recours disponible était un appel devant la Cour d’appel fédérale.

 

[3]               Selon l’appelante, qui est représentée par l’un de ses dirigeants, le juge de la CCI s’est mal dirigé en droit. Elle nous demande d’accueillir l’appel et d’ordonner le remboursement de la somme excédentaire, avec intérêts.

 

EXPOSÉ DES FAITS

[4]               Le 9 décembre 2003, le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une cotisation initiale à l’égard de l’appelante pour son année d’imposition 2001, par laquelle il lui refusait le crédit d’impôt à l’investissement remboursable de plus de 19 000 $ réclamé pour l’année, au motif que ses activités ne constituaient pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental.

 

[5]               Le 23 juin 2004, l’appelante a interjeté un premier appel devant la Cour canadienne de l’impôt à l’encontre de cette cotisation (appel numéro 2004-2805(IT)I). Dans son avis d’appel, l’appelante a expressément demandé que son appel soit régi par la procédure informelle.

 

[6]               Le 31 août 2004, l’intimée faisait parvenir à l’appelante la réponse à l’avis d’appel. La lettre accompagnant cette procédure avisait l’appelante du fait que selon la procédure informelle la Cour canadienne de l’impôt ne pouvait statuer sur son appel qu’à concurrence d’un montant d’impôt n’excédant pas 12 000 $, à moins de choisir que son appel soit régi par la procédure générale. La lettre précisait que le montant en cause dans son appel s’élevait à environ
19 065 $.

 

[7]               De façon plus formelle, l’intimée indiquait dans sa réponse à l’avis d’appel, avoir pris acte du fait que l’appelante avait choisi que son appel soit régi par la procédure informelle même si le total de l’impôt en litige pour son année d’imposition 2001 excédait 12 000 $.

 

[8]               L’appel initial s’est déroulé devant le juge Bédard. La transcription révèle que lors de la première journée de l’audition, le procureur de l’intimée a soulevé le fait que l’appelante avait choisi que son appel soit régi par la procédure informelle, même si le montant en litige pour son année d’imposition 2001 s’établissait à environ 19 000 $ (Transcription des préliminaires de l’audition du 28 février 2005 dans l’appel 2004-2805(IT)I, page 5, ligne 22 et page 8, ligne 15, Pièce I-1, dossier d’appel, onglet 7, pages 236 à 268, aux pages 240 à 243).

 

[9]               Le juge Bédard s’est alors assuré que l’appelante était consciente de la limite de 12 000 $ et a confirmé séance tenante qu’advenant un jugement favorable, le jugement serait limité à 12 000 $ (Transcription des préliminaires de l’audition du 28 février 2005 dans l’appel 2004-2805(IT)I, page 6, lignes 12 à 14 et page 8, lignes 11 à 15, Pièce I-1, dossier d’appel, onglet 7, pages 236 à 268, aux pages 241 et 243).

 

[10]           Avant la fin de l’audition, dans une lettre envoyée à la Cour canadienne de l’impôt en date du 1er avril 2005, l’appelante a demandé, compte tenu de la limite de 12 000 $, que la Cour lui accorde des dépens spéciaux de 7 000 $ pour tenir compte du montant qu’elle ne pouvait réclamer.

 

[11]           Par jugement en date du 25 septembre 2005, la Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel et a déféré la cotisation établie à l’égard de l’appelante pour son année d’imposition 2001 au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement.

 

[12]           La Cour canadienne de l’impôt par la suite a modifié ses motifs à la demande des parties pour tenir compte d’une entente intervenue et elle a rendu un jugement modifié le 1er décembre 2005, accueillant toujours l’appel de l’appelante.

 

[13]           Le 2 juin 2006, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante pour son année d’imposition 2001, par laquelle il lui a accordé un crédit d’impôt à l’investissement remboursable de 12 000 $.

 

[14]           Le 29 août 2006, l’appelante a signifié au ministre un avis d’opposition à l’encontre de cette nouvelle cotisation.

 

[15]           Le 14 novembre 2006, l’appelante a transmis à la Cour canadienne de l’impôt une lettre lui demandant d’intervenir dans la mise en œuvre du jugement modifié du 1er décembre 2005 afin qu’un crédit d’impôt à l’investissement remboursable de 19 404 $ lui soit plutôt accordé. L’intimée s’opposa à cette demande par lettre en date du 7 décembre 2006.

 

[16]           Le 20 décembre 2006, la Cour canadienne de l’impôt a refusé de donner suite à la demande de l’appelante, au motif que les pouvoirs de la Cour canadienne de l’impôt étaient épuisés et qu’elle était dessaisie de l’appel depuis le 1er décembre 2005.

 

[17]           Le 20 avril 2007, une nouvelle cotisation a été établie par le ministre à l’égard de l’appelante pour son année d’imposition 2001. Cette nouvelle cotisation maintenait toujours à 12 000 $ le crédit d’impôt à l’investissement remboursable qui avait préalablement été accordé à l’appelante dans la cotisation du 2 juin 2006.

 

[18]           Le 18 juillet 2007, l’appelante a interjeté un second appel à la Cour canadienne de l’impôt (numéro 2007-3271(IT)I), cette fois-ci à l’encontre de cette nouvelle cotisation du 20 avril 2007, et ce, toujours afin de contester la limite de 12 000 $ appliquée par le ministre au calcul du crédit d’impôt à l’investissement remboursable lors de l’établissement de la cotisation.

 

 

 

 

DÉCISION DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

[19]           Le juge de la CCI débute son analyse en soulignant que la différence entre la procédure informelle et la procédure dite générale n’a rien d’anodin. Elle se manifeste notamment au niveau des dépens qui peuvent être alloués, des règles de preuve applicables (motifs, para. 7).

 

[20]           Le juge de la CCI précise que les parties sont généralement informées quant aux différences entre les deux régimes lorsque le montant se situe près de la limite de 12 000 $. En l’occurrence, la question a été portée à l’attention de l’appelante plusieurs fois, soit suite au dépôt de l’avis d’appel, lors du dépôt de la réponse et lors de l’audience devant le juge Bédard (motifs, para. 9).

 

[21]           Le juge de la CCI aborde ensuite le plaidoyer de l’appelante selon lequel elle n’aurait pas obtenu les renseignements requis pour effectuer un choix éclairé. Il explique tout d’abord que l’ignorance n’est pas une excuse (motifs, paras 10 et 11). De plus, le représentant de l’appelante a par son silence accepté les effets de la procédure informelle (ibidem).

 

[22]           Selon le juge de la CCI, l’appelante aurait pu en appeler du jugement rendu par le juge Bédard mais ne l’a pas fait (motifs, paras 16 et 17). Selon le juge de la CCI, il s’agit là du seul recours possible. En l’absence d’un tel recours, la décision du juge Bédard est res judicata (motifs, paras 21, 26, 27 et 28).

 

[23]           Le juge de la CCI conclut son analyse comme suit (motifs, para. 30) :

 

L’appelante ne peut faire indirectement aujourd’hui ce qu’elle aurait dû faire dans le délai prescrit. L’avis d’appel est donc annulé.

 

 

ERREURS ALLÉGUÉES

[24]           Au soutien de son appel, le représentant de l’appelante maintient qu’il pouvait en appeler devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu du paragraphe 164(4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, C. 1 (5e suppl.) (la Loi). Cette disposition permet à un contribuable de s’assurer qu’une cotisation émise suite à un jugement de la Cour est conforme au jugement rendu.

 

[25]           Quant au fond du litige, il réitère l’argument selon lequel il n’a pas été adéquatement informé de ses droits. Il reproche aussi au juge Bédard de ne pas avoir modifié la procédure de son propre chef afin de permettre à l’appelante de recouvrer le plein montant.

 

ANALYSE ET DÉCISION

[26]           Tel que démontré ci-après, l’appelante ne pouvait se voir accorder un crédit d’impôt à l’investissement supérieur à 12 000 $ selon la procédure informelle. La seule question qui se pose est donc celle à savoir si l’appelante a consenti à ce que son appel devant le juge Bédard soit régi par la procédure informelle. Le cas échéant, elle ne peut prétendre avoir droit à un montant supérieur à 12 000 $.

 

[27]           En effet, aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, c. T-2 (la LCCI), le jugement qui fait droit à un appel régi par la procédure informelle est réputé comporter une disposition ordonnant que le « total de tous les montants » en cause ne soit pas réduit de plus de 12 000 $ ou, selon le cas, que le montant de la perte en cause ne soit pas augmenté de plus de 24 000 $. Il n’y a aucune limite quant au montant sur lequel la Cour canadienne de l’impôt peut statuer dans un appel régi par la procédure générale.

 

[28]           Par ailleurs, l’article 2.1 de la LCCI prévoit que le « total de tous les montants » s’entend du total de tous les montants déterminés par le ministre en vertu de la Loi ou à l’égard desquels il a établi une cotisation, à l’exception toutefois des intérêts ou des pertes déterminées par le ministre.

 

[29]           Le crédit d’impôt à l’investissement remboursable, prévu à l’article 127.1 de la Loi, est un montant déterminé par le ministre en vertu de l’alinéa 152(1)b) de la Loi. En vertu du paragraphe 152(1.2) de la Loi, les dispositions concernant l’opposition et l’appel à l’encontre d’une cotisation s’y appliquent, avec les adaptations nécessaires.

 

[30]           Le crédit d’impôt à l’investissement remboursable de plus de 19 000 $ en litige, était donc visé par la définition de « total de tous les montants » à l’article 2.1 de la LCCI à titre de montant déterminé par le ministre en vertu de la Loi et, par voie de conséquence, il était un montant visé par l’article 18.1 de la LCCI.

 

[31]           Cet article est une disposition déterminative : tout jugement accueillant un appel régi par la procédure informelle est donc réputé comporter une disposition ordonnant que le « total de tous les montants » en cause ne soit pas réduit de plus de 12 000 $, que le jugement en fasse ou non expressément mention.

 

[32]           Le dossier révèle que le jugement modifié du juge Bédard en date du 1er décembre 2005 a été mis en œuvre par voie de détermination en date du 2 juin 2006, conformément au paragraphe 164(4.1) de la Loi. Aux termes du paragraphe 165(1.1) de la Loi, l’appelante pouvait faire opposition à la détermination qui a mis en œuvre le jugement modifié et pouvait, aux termes du paragraphe 169(2) de la Loi, interjeter appel de cette détermination auprès de la Cour canadienne de l’impôt. Cependant, ce droit se limitait à s’assurer que la déduction était conforme au jugement rendu, lequel était assujetti à la limite de
12 000 $ imposée par la Loi.

 

[33]           L’appelante après avoir fait opposition à la détermination du 2 juin 2006 ne s’est pas prévalue de son droit d’appel. Elle a plutôt transmis une lettre à la Cour canadienne de l’impôt lui demandant d’intervenir dans la mise en œuvre du jugement modifié du 1er décembre 2005 afin qu’un crédit d’impôt de 19 404 $ lui soit accordé.

 

[34]            Par lettre datée du 20 décembre 2006, signée par un agent du greffe, l’appelante a reçu la réponse suivante :

 

[…] La Cour a rendu son jugement le 1er décembre 2005. Les pouvoirs de la Cour sont épuisés et la Cour est dessaisie du présent appel depuis le 1er décembre [2]005.

 

 

[35]           Suite à ce refus, une autre cotisation fut émise, identique à la précédente, limitant à 12 000 $ le remboursement accordé. Je n’ai pu identifier la disposition selon laquelle cette dernière cotisation a été émise, et l’avocat de l’intimée n’a pu non plus nous éclairer sur ce point. Mais en la présumant valide, seule hypothèse qui puisse nous permettre d’entretenir le présent recours, la problématique qui confronte l’appelante demeure la même puisque la détermination est toujours issue du jugement qui a fait droit à son appel selon la procédure informelle.

 

[36]           C’est donc que l’appelante ne peut avoir gain de cause à moins de démontrer que son appel devant le juge Bédard n’était pas assujetti à la procédure informelle. À cet égard, l’appelante prétend ne pas avoir consenti à la procédure informelle (mémoire de l’appelante, pp. 15, 16 et 17) et qu’à tout événement le juge Bédard avait l’obligation en vertu de l’article 18.13 de la LCCI d’ordonner que son appel soit régi par la procédure générale (idem, p. 19).

 

[37]           Quant au premier argument, la preuve, comme nous l’avons vu, établit clairement que l’appelante a été avisée à maintes occasions du fait que la procédure informelle qu’elle a invoquée avait pour effet de réduire le montant qui pouvait lui être versé dans l’éventualité où elle avait gain de cause. Elle ne peut aujourd’hui prétendre avoir agi sans connaissance de cause. En particulier, l’appelante était bien consciente du fait que la limite de 12 000 $ s’appliquait aux crédits d’impôt qu’elle réclamait comme en fait foi sa lettre du 1er avril 2005, qui demandait, alors que son appel devant le juge Bédard était toujours pendant, que les crédits qui étaient assujettis à cette limite lui soient remis sous forme de dépens.

 

[38]           Quant au deuxième argument, il est vrai que l’article 18.13 de la LCCI obligeait le juge Bédard, sur demande de l’une des parties, d’ordonner que l’appel soit régi par la procédure générale. Cependant, aucune telle demande ne fut faite.

 

[39]           Par ailleurs, le juge Bédard avait en vertu de cette même disposition le pouvoir de transformer la procédure de sa propre initiative. À cet égard, le juge Bédard, après avoir constaté que l’appelante était tout à fait consciente des conséquences qui découlaient de son choix, se devait de respecter ce choix.

 

[40]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

       J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

       Johanne Trudel j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-420-08

 

(APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE TARDIF DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU 3 JUILLET 2008, N° DU DOSSIER
2007-3271(IT)I).)

 

INTITULÉ :                                                                           Innovations et intégrations Brassicoles Inc. et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 20 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE PELLETIER

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 22 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Blais

POUR L’APPELANTE

 

Philippe Dupuis

Simon Petit

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jean-François Blais

Saint-Malo (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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