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Date : 20091020

Dossier : A-289-08

Référence : 2009 CAF 299

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

Jean-Gilles Chiasson, Marc Couture, Pêcheries Jean-Yan II inc., Aurélien Haché,

Robert F. Haché, Succession Richard Allain, Roland Anglehart jr.,

Bernard Arseneault, Héliodore Aucoin, Albert Benoît, Robert Boucher, Élide Bulger,

Gérard Cassivi, Ludger Chiasson, Martin M. Chiasson, Lucien Chiasson,

Jacques Collin, Robert Collin, Roméo G. Cormier, Cie 2973-0813 Québec inc.,

Les Crustacées de Gaspé ltée, Cie 2973-1288 Québec inc., Cie 3087-5199 Québec inc.,

Lino Desbois, Donald Duguay, Denis Duguay, Carol Duguay, Marius Duguay,

Charles-Aimé Duguay, Randy Deveau, Cyrenus Dugas, Edgar Ferron, Livain Foulem,

Simon J. Gionet, Jocelyn Gionet, Claude Gionest, Aurèle Godin, Gregg Hinkley,

Jean-Pierre Huard, Donald R. Haché, Guy Haché, Jacques E. Haché,

Jean-Pierre Haché, Jacques A. Haché, Jason-Sylvain Haché, succession de

Sylva Haché, Gaétan Haché, Rhéal Haché, Alban Hautcoeur, Fernand Hautcoeur,

Jean-Claude Hautcoeur, Vincent Jones, Réjean LeBlanc, Christian Lelièvre,

Elphège Lelièvre, Jean-Elie Lelièvre, Jules Lelièvre, Dassise Mallet, Delphis Mallet,

Francis Mallet, Odile Mallet, Jean-Marc Marcoux, André Mazerolle, Eddy Mazerolle,

Gilles A. Noël, Lévis Noël, Serge Noël, Onésime Noël, Nicolas Noël, Martin Noël,

Raymond Noël, Francis Parisé, Domitien Paulin, Sylvain Paulin, Claude Poirier,

Les Pêcheries Serge-Luc inc., Pêcheries Ray-L. inc., Pêcheries FACEP inc.,

Pêcheries Denise Quinn Syvrais inc., Pêcheries François inc., Pêcheries J.V.L. ltée,

Pêcheries Jimmy L. ltée, Produits Belle Baie ltée, Roger Pinel,

Succession Jean-Pierre Robichaud, Adrien Roussel, Jean-Camille Roussel,

Mathias Roussel, Steven Roussy, Mario Savoie, Jean-Marc Sweeney, Michel Turbide,

Réal Turbide Donat Vienneau, Fernand Vienneau, Livain Vienneau, Rhéal Vienneau

 

intimés

 

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 25 mai 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                          LA JUGE TRUDEL

 

 


Date : 20091020

Dossier : A-289-08

Référence : 2009 CAF 299

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

Jean-Gilles Chiasson, Marc Couture, Pêcheries Jean-Yan II inc., Aurélien Haché,

Robert F. Haché, Succession Richard Allain, Roland Anglehart jr.,

Bernard Arseneault, Héliodore Aucoin, Albert Benoît, Robert Boucher, Élide Bulger,

Gérard Cassivi, Ludger Chiasson, Martin M. Chiasson, Lucien Chiasson,

Jacques Collin, Robert Collin, Roméo G. Cormier, Cie 2973-0813 Québec inc.,

Les Crustacées de Gaspé ltée, Cie 2973-1288 Québec inc., Cie 3087-5199 Québec inc.,

Lino Desbois, Donald Duguay, Denis Duguay, Carol Duguay, Marius Duguay,

Charles-Aimé Duguay, Randy Deveau, Cyrenus Dugas, Edgar Ferron, Livain Foulem,

Simon J. Gionet, Jocelyn Gionet, Claude Gionest, Aurèle Godin, Gregg Hinkley,

Jean-Pierre Huard, Donald R. Haché, Guy Haché, Jacques E. Haché,

Jean-Pierre Haché, Jacques A. Haché, Jason-Sylvain Haché, succession de

Sylva Haché, Gaétan Haché, Rhéal Haché, Alban Hautcoeur, Fernand Hautcoeur,

Jean-Claude Hautcoeur, Vincent Jones, Réjean LeBlanc, Christian Lelièvre,

Elphège Lelièvre, Jean-Elie Lelièvre, Jules Lelièvre, Dassise Mallet, Delphis Mallet,

Francis Mallet, Odile Mallet, Jean-Marc Marcoux, André Mazerolle, Eddy Mazerolle,

Gilles A. Noël, Lévis Noël, Serge Noël, Onésime Noël, Nicolas Noël, Martin Noël,

Raymond Noël, Francis Parisé, Domitien Paulin, Sylvain Paulin, Claude Poirier,

Les Pêcheries Serge-Luc inc., Pêcheries Ray-L. inc., Pêcheries FACEP inc.,

Pêcheries Denise Quinn Syvrais inc., Pêcheries François inc., Pêcheries J.V.L. ltée,

Pêcheries Jimmy L. ltée, Produits Belle Baie ltée, Roger Pinel,

Succession Jean-Pierre Robichaud, Adrien Roussel, Jean-Camille Roussel,

Mathias Roussel, Steven Roussy, Mario Savoie, Jean-Marc Sweeney, Michel Turbide,

Réal Turbide Donat Vienneau, Fernand Vienneau, Livain Vienneau, Rhéal Vienneau

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit en l’espèce d’un appel de la décision du juge Harrington de la Cour fédérale rendue le 16 mai 2008, 2008 CF 616, qui accueillait, en partie, la demande de contrôle judiciaire des intimés. Plus particulièrement, le juge déclarait que le ministre des Pêches et des Océans (le « ministre ») avait : (a) utilisé ou vendu de façon illégale un permis de pêche en 2006 pour 1000 tonnes métriques de crabe des neiges pour financer les activités de recherche de son ministère, et; (b) que le ministre détenait illégalement le produit de la vente en 2006 de 1000 tonnes métriques de crabe des neiges.

 

[2]               L’appel du Procureur général du Canada (le « Procureur général » ou l’ « appelant ») ne concerne que la deuxième déclaration du juge Harrington. Selon le Procureur général, le juge Harrington a erré en droit en faisant cette déclaration.

 

Les faits

[3]                Le résumé des faits qui suit sera utile à une bonne compréhension de la question en litige devant nous.

 

[4]               Le 30 mars 2006, le ministre approuvait les détails du Plan de gestion de la pêche du crabe des neiges (« Plan de gestion ») pour 2006 dans certaines zones de pêche du crabe, dans le sud du golfe de Saint-Laurent, selon lequel, inter alia, le total autorisé des captures (« TAC ») du crabe des neiges serait fixé à 25 869 tonnes si certaines activités de gestion améliorée (« activités de gestion ») étaient mises en place. Si ces activités de gestion ne procédaient pas, le TAC serait établi à 20 862 tonnes.

 

[5]               Le jour même où il approuvait les détails du Plan de gestion, le ministre, par voie d’un communiqué publique, annonçait les détails du Plan de gestion pour 2006. Ce plan, tel qu’il a été annoncé par voie du communiqué, est le suivant :

Le 30 mars 2006

 

Moncton – L’honorable Loyola Hearn, ministre des Pêches et des Océans, a annoncé aujourd’hui les détails du Plan de gestion de la pêche du crabe des neiges pour 2006 dans les zones de pêches du crabe (ZPC) 12, 18, 25 et 26, dans le sud du golfe du Saint-Laurent.

 

Le total autorisé des captures (TAC) est fixé à 25 869 t si les activités de gestion améliorée sont en place. « Je suis conscient de la perspective de l’industrie qui cherchait un TAC plus élevé. Toutefois, je crois qu’il est important d’être prudent pendant cette phase décroissante de la biomasse. En outre, une approche d’autant plus prudente sera possiblement à prévoir en 2007, » a déclaré le ministre.

 

Le ministère révise présentement les propositions reçues pour les activités de gestion améliorée; si ces activités ne procèdent pas, le TAC sera établi à 20 862 t. La revue par le ministère devrait être complétée bientôt et d’autres informations seront fournies à l’industrie.

 

Pour faire suite à la décision d’accorder un nouvel accès « permanent » à la pêcherie et de stabiliser les niveaux jusqu’en 2009, le TAC disponible est réparti comme suit : les Premières nations auront accès à 15,816 %; les flottilles traditionnelles recevront 65,182 %; les pêcheurs de la zone 18 recevront 4,002 % et le nouvel accès recevra 15 %. Cette répartition tient compte d’une solution permanente pour le manque de quota nécessaire pour les Premières nations et une aide financière de 37,4 M$ pour les flottilles traditionnelles. Ajouter aux programmes de retrait volontaire, les pêcheurs traditionnels ont reçu des paiements se chiffrant à plus de 55 millions de dollars pour les quotas accordés aux Premières nations conformément à l’initiative de l’après-Marshall.

 

Le ministère conserve pour 2006 les mesures de gestion établies en 2005, tels la vérification à quai, une couverture de 30 % par les observateurs en mer, le Système de surveillance des navires (SNN), et la zone d’exclusion de la pêche sur le lieu du naufrage du Irving Whale. Un protocole de suivi compréhensif du crabe mou sera appliqué si les activités de gestion améliorée vont de l’avant. Les demandes par l’industrie de modifications aux mesures de gestion seront discutées dans le contexte d’un futur plan pluriannuel.

 

Après la saison de pêche, le ministère tiendra auprès des intervenants des consultations sur l’élaboration d’une approche de gestion de la pêche à long terme, favorisant une approche de cogestion avec tous les groupes clés des pêcheurs. Les discussions pourraient porter, entre autres, sur la mise en place de recherches scientifiques conjointes, sur le concept des règles de décision visant les TACs, sur l’élaboration d’une stratégie de gestion de la pêche tenant compte de l’effort de pêche dans une situation d’une biomasse décroissante, et sur le financement des activités de la gestion améliorée de la pêche.

 

Le MPO déterminera la date d’ouverture en tenant compte des besoins opérationnels et d’une recommandation du Comité des glaces, présidé par l’industrie. La dernière journée de pêche sera le 15 juillet 2006.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[6]               En raison de la signature, le 5 avril 2006, d’une « Entente de projet conjoint » (l’ « EPC » ou l’ « entente ») par le ministre et l’Association des Pêcheurs de Poissons de Fond Acadiens (l’ « APPFA »), la condition du Plan de gestion prévoyant qu’une activité de gestion devait être mise en place aux fins de fixer le TAC à 25 869 tonnes était satisfaite. Selon l’entente, dont le but était l’amélioration de la gestion de la pêche du crabe des neiges, l’APPFA devait mettre en œuvre certains projets et verser une somme de 1 500 000$ au ministre pour qu’il puisse la dépenser envers des activités prévues par l’entente, à savoir, surveillance et contrôle du crabe à carapace molle; relevé scientifique au chalut, analyse scientifique et surveillance accrue des prises. En contrepartie du paiement effectué par l’APPFA, un permis de pêche assorti d’une allocation de 1000 tonnes métriques du crabe des neiges lui serait octroyé.

 

[7]               Le 23 juin 2006, après que l’APPFA eut versé au ministre le montant agréé, notre Cour rejetait une entente similaire conclue pour la saison de pêche 2003. Dans Larocque c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2006 CAF 237, le juge Décary reprenait les paroles prononcées par la Cour suprême du Canada au paragraphe 37 de ses motifs dans Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, lorsqu’il déclarait, au paragraphe 13 de ses motifs, que « les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens » et que « le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public. » En outre, le juge Décary énonçait au paragraphe 13 de ses motifs :

[13]     … Elles [les ressources halieutiques du Canada] n'appartiennent pas au Ministre, pas plus que leur prix de vente. Aussi, quand le Ministre a décidé de payer un contractant avec le produit de la vente de crabes des neiges, il payait avec des biens qui ne lui appartenaient pas. Payer à même le bien d'autrui est un acte à tout le moins extraordinaire que l'Administration ne saurait poser à moins d'y être autorisée par une loi ou par un règlement dûment adopté. Un tel geste, à sa face même, se rapproche d'une expropriation des ressources halieutiques ou d'une taxe sur celles-ci aux fins de financer les engagements de l'État.

 

 

[8]               Ces propos amenaient le juge Décary à conclure, aux paragraphes 26 et 27 de ses motifs, comme suit :

[26]     Bref, j'en arrive à la conclusion que le Ministre a financé son programme de recherche scientifique sans avoir approprié à l'avance les fonds nécessaires et en pillant à toutes fins utiles des ressources qui ne lui appartiennent pas. Il a confondu fonds publics et domaine public. À défaut d'appropriation de fonds publics il s'est approprié le domaine public. Cela ne peut être.

 

 

[27]     J'accueillerais l'appel, j'infirmerais le jugement de la Cour fédérale, j'accueillerais la demande de jugement déclaratoire et je déclarerais que le ministre des Pêches et des Océans n'avait pas le pouvoir de financer les recherches scientifiques de son Ministère à même l'octroi d'un permis de pêche et de vente de crabe des neiges. J'accorderais à l'appelant ses dépens en cette Cour et en Cour fédérale.

 

 

 

[9]               Lorsque la décision de cette Cour dans Larocque, supra, a été rendue, soit le 23 juin 2006, le ministre avait dépensé 477 326$ de la somme de 1 500 000$ reçue de l’APPFA, laissant un solde de 1 022 674$. Le ministère a complété le restant des activités prévues à l’entente en les finançant à même le budget d’opérations de son ministère.

 

[10]           Suite à la décision Larocque, supra, les intimés ont communiqué leur position au ministre selon laquelle la somme versée par l’APPFA, en contrepartie d’une allocation de 1000 tonnes métriques de crabe des neiges, ne lui appartenait pas et, par conséquent, que celle-ci devait être distribuée, compte tenu de la réduction de leur quote-part du TAC, parmi les détenteurs de permis pour la saison de pêche 2006.

 

[11]           Les intimés ont déposée une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, cherchant : a) des déclarations que le ministre a utilisé ou a vendu, illégalement, 1000 tonnes métriques de crabe des neiges pour financer les activités de recherche du ministère et qu’il détient, illégalement, le produit de la vente de crabe des neiges; b) un bref de mandamus forçant le ministre à remettre la somme d’argent détenue, illégalement, aux demandeurs en proportion du pourcentage du TAC alloué à chaque demandeur selon la formule de distribution prévue par le Plan de gestion annoncé le 30 mars 2006; et c) si nécessaire une ordonnance de prolongation de délai.

 

[12]           Le 16 mai 2008, le juge Harrington accueillait, en partie, leur demande de contrôle judiciaire.

 

Décision de la Cour fédérale

[13]           En premier lieu, le juge Harrington a accordé aux intimés une prorogation de délai pour le dépôt de leur demande de contrôle judiciaire. En deuxième lieu, prenant note que le ministre admettait, comme il se devait en raison de Larocque, supra, que sa décision de 2006 de vendre un permis de pêche pour 1000 tonnes métriques de crabe était illégale, le juge faisait deux déclarations demandées par les intimés, à savoir, que le ministre avait utilisé ou vendu de façon illégale un permis de pêche pour 1000 tonnes métriques de crabe des neiges pour financer les activités de recherche de son ministère (la « première déclaration »), et que le ministre détenait illégalement le produit de la vente en 2006 de 1000 tonnes métriques de crabes des neiges (la « deuxième déclaration »). Aux paragraphes 31 et 32 de ses motifs, le juge énonçait ce qui suit :

[31]     Dans le cas en l’espèce, je suis prêt à déclarer que le ministre a utilisé ou vendu de façon illégale 1 000 tonnes métriques de crabes des neiges pour financer les activités de recherche du Ministère et détient illégalement le produit de la vente en 2006.

[32]      Il importe qu’une telle déclaration, énonçant que le ministre a outrepassé son autorité, ne soit pas sous-estimée. Nous pouvons facilement supposer une fois qu’une loi, un règlement ou une certaine ligne de conduite a été déclaré ultra vires, que le ministre respecterait l’état du droit et que les autres procédures en guise d’une demande de contrôle judiciaire ou autres ne seraient pas nécessaires.

 

 

[14]           En dernier lieu, le juge a refusé d’émettre l’ordonnance de mandamus que recherchaient les intimés. Au paragraphe 30 de ses motifs, le juge s’est exprimé ainsi :

[30]     Il s’ensuit que le bref de mandamus n’est pas applicable dans les circonstances de l’espèce. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas satisfait que les critères pour ordonner un bref de mandamus soient rencontrés (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, [1993] A.C.F. no 1098 au paragraphe 42; confirmé  [1994] 3 R.C.S. 1100). Une des critères à satisfaire est de déterminer que le demandeur n’a aucun autre recours. Selon moi, il y a un tel recours, une action civile en dommages-intérêts, et que même plusieurs des demandeurs ont déjà entamé une telle action (Anglehart, T-2171-07).

 

 

Prétentions des parties

 

Prétentions de l’appelant

[15]           L’appelant conteste uniquement la deuxième déclaration du juge Harrington selon laquelle le ministre détenait illégalement le produit de la vente de 1000 tonnes métriques de crabe des neiges. L’appelant soumet que le juge a outrepassé ses pouvoirs en faisant cette déclaration.

 

[16]           L’appelant concède que le ministre a outrepassé ses pouvoirs en autorisant l’utilisation de la ressource de crabe des neiges pour financer les activités supplémentaires de gestion et de recherche de son ministère. Toutefois, il soumet qu’il n’a jamais concédé que l’entente qu’il a conclue avec l’APPFA était invalide. À son avis, le juge a erré en concluant que l’invalidité de la décision du ministre d’utiliser la ressource pour financer ses activités faisait en sorte que le contrat était automatiquement invalide.

 

[17]           L’appelant soumet que la preuve des droits résultant d’un contrat doit être faite dans le cadre d’une action en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales et non dans le cadre d’un contrôle judiciaire commencé en vertu de l’article 18.1. En outre, l’appelant soumet que les intimés ne font pas partie de l’entente conclue entre l’APPFA et le ministre.

 

[18]           De plus, l’appelant prétend que le ministre ne peut détenir illégalement la somme reçue de l’APPFA s’il a dépensé cette somme dans le cadre de ses obligations contractuelles. Par conséquent, l’appelant demande à cette Cour d’annuler la déclaration du juge selon laquelle le ministre détenait illégalement le produit de la vente en 2006 de 1000 tonnes métriques de crabe des neiges, et il demande aussi de condamner les intimés aux dépens, tant en première instance qu’en appel.

 

Prétentions des intimés

[19]           Les intimés soumettent que l’appelant interprète le jugement de façon erronée, puisque le juge Harrington a conclu qu’il ne pouvait se prononcer sur la question de savoir à qui revenait la somme reçue par le ministre. Contrairement à ce que prétend l’appelant, les intimés soumettent que le jugement ne statue nullement sur les droits des parties à un contrat, c’est-à-dire sur les droits découlant de l’entente conclue entre le ministre et l’APPFA. Selon les intimés, qu’un contrat ait existé ou non ne change en rien la nature du débat : la somme reçue par le ministre a été perçue en paiement d’une vente illégale de la ressource halieutique, et le ministre n’avait pas le pouvoir légal de percevoir une telle somme.

 

[20]           Par ailleurs, les intimés prétendent que la déclaration du juge était conforme à la décision de cette Cour dans Larocque, supra.

 

 

 

Question en litige

[21]           La seule question en litige est la suivante : le juge Harrington a-t-il erré en déclarant que le ministre détenait illégalement le produit de la vente en 2006 de 1000 tonnes métriques de crabe des neiges? Plus particulièrement, le juge pouvait-il déterminer les droits du ministre résultant de l’entente conclue avec l’APPFA?

 

Analyse

Norme de contrôle

[22]           L’appelant soutient, s’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Housen v. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision correcte, puisque la décision du juge déclarant que le ministre détenait une somme d’argent de façon illégale est une question mixte de droit et de faits qui nécessite l’application du droit à l’ensemble des faits. L’appelant prétend que la norme de la décision correcte s’applique parce que l’erreur se retrouve dans l’application du droit à un ensemble de fait proprement décidé et que la question de droit est facilement dégagée.

 

[23]           Les intimés ne soumettent aucune argumentation sur la norme de contrôle applicable.

 

[24]           À mon avis, la question en litige est une pure question de droit : nonobstant qu’en raison de notre décision dans Larocque, supra, selon laquelle le ministre ne pouvait financer les recherches scientifiques de son ministère à même l’octroi d’un permis de pêche et de vente de crabe des neiges, le juge pouvait-il déterminer si le ministre détenait illégalement la somme de

1 500 000$ que lui avait versée l’APPFA dans le cadre de l’entente?

 

Le juge Harrington a-t-il erré en déclarant que le ministre détenait illégalement le produit de la vente en 2006 de 1000 tonnes métriques de crabe des neiges?

[25]           Les passages suivants des motifs de la décision rendue par le juge Harrington explique pourquoi il a déclaré que le ministre détenait illégalement 1000 tonnes métriques de crabe des neiges :

[21]     Comme il n’y a plus de controverse sur la nature illégale de ce que le ministre a fait, il faut en arriver à une décision par rapport à la somme de 1 500 000 $. Il existe trois possibilités : a) que l’argent demeure entre les mains du Ministère; b) que l’argent soit retourné, en totalité ou en partie, à l’APPFA; ou c) que l’argent soit distribué parmi ceux qui ont vu leur quote-part réduite proportionnellement pour permettre au ministre d’octroyer à l’APPFA un permis de pêche pour 1 000 tonnes métriques de crabes de neiges.

 

[22]     Je suis d’avis que les demandeurs faisant partie du Flottille Traditionnel semi-hauturière (Québec et Nouveau-Brunswick) ont gain de cause. Le ministre avait déclaré publiquement qu’ils recevraient 65.182 % du TAC permissible, ce qu’ils ont reçu.  Toutefois, en effet, le TAC a été réduit par approximativement 4 % pour pouvoir accommoder le contrat signé avec l’APPFA.

 

 

[24]     … Dans le cas en l’espèce, les demandeurs n’ont pas payé directement mais on peut soutenir la notion de paiement indirecte en conséquence de la réduction dans leur quote-part.

 

[25]     Un examen du dossier des demandeurs s’est avéré nécessaire puisque c’est un des critères à être évalués pour déterminer si la Cour va accueillir la demande de prorogation de délai. Cependant, il serait inapproprié de me prononcer au-delà de la conclusion qu’ils ont une bonne cause car je suis d’avis qu’il est davantage question de dommages-intérêts et que dans cette optique, la Cour n’a pas la compétence d’ordonner un tel remède dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[26]     Le ministre n’avait pas plaidé spécifiquement que les frais chargés pour le permis de pêche devraient être retenus par la Couronne. Toutefois, en avançant l’argument que les demandeurs étaient hors délai, logiquement la conclusion doit être que la somme reste avec la Couronne. En me basant sur la décision Larocque, précitée, je n’ai aucune hésitation à conclure que la Couronne n’a pas le droit de réclamer une somme si le droit à cette somme appartient à quelqu’un d’autre. Par analogie on peut se référer à la notion autour des biens en déshérence.

 

[27]     Le ministre n’avait pas non plus allégué que la somme devrait être remise à l’APPFA. Il s’est dit inquiet de la possibilité que l’APPFA pourrait lancer une poursuite judiciaire. L’APPFA n’était pas mise en cause dans ces procédures, donc il serait inapproprié de faire un commentaire sur son droit. Toutefois, il importe de noter que le ministre pourrait « renvoyer devant cette Cour pour décision et jugement toute question de droit, de compétence ou de pratique et de procédure »  selon l’article 18.3 de la Loi sur les cours fédérales et les règles 320 et suivant des Règles des cours fédérales sur les renvois d’un office fédéral.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[26]           Une première constatation s’impose à l’égard des propos du juge. Tel qu’il appert des extraits ci-haut, le juge était d’avis que la part du TAC que devaient recevoir les intimés pour la saison 2006 avait été réduite d’environ 4% en raison de l’entente signée entre le ministre et l’APPFA.

 

[27]           À la lumière de la preuve, il ne peut faire de doute que le juge a fait erreur à cet égard. Il suffit de se rappeler que le TAC devait être établi à 20 862 tonnes métriques à moins qu’il n’y ait des activités de gestion et, dans cette éventualité, le TAC serait fixé à 25 869 tonnes. Par conséquent, n’eut été de l’entente conclue avec l’APPFA, la part du TAC des intimés de 65,182% aurait résulté en un ou plusieurs permis de pêche 13 598,3 tonnes métriques. Par ailleurs, vu l’entente conclue avec l’APPFA, la part du TAC des intimés de 65,182% a été calculée sur un TAC de 25 869 tonnes moins les 1000 tonnes allouées à l’APPFA. Comme le Procureur général le signale au paragraphe 11 de son mémoire, « Ironiquement, les intimés ont ainsi été avantagés par l’émission du permis de 1000 tonnes à l’APPFA, puisqu’ils ont pu capturer plus de crabe, ils en ont eu, par conséquence, des revenus plus élevés ».

 

[28]           De toute façon, il est important de souligner que les intimés n’avaient pas droit à un pourcentage déterminé du TAC. Il est maintenant bien établi que le ministre a discrétion entière quant à l’émission de permis de pêche (voir Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des pêches et océans), [1997] 1 R.C.S.12, paragraphes 36, 37, 40 et 49).

 

[29]           Une autre constatation à l’égard des propos du juge Harrington concerne notre décision dans Larocque, supra. Au paragraphe 26 de ses motifs, le juge Harrington écrit, s’appuyant sur cette décision, « que la Couronne n’a pas le droit de réclamer une somme si le droit à cette somme appartient à quelqu’un d’autre ». Je comprends des propos du juge Harrington qu’il était d’avis que le ministre ne pouvait validement réclamer le paiement de la somme de 1 500 000$ parce que « quelqu’un d’autre » avait le droit de recevoir cette somme. En d’autres mots, selon le juge, parce que le ministre n’avait pas le pouvoir d’utiliser les ressources halieutiques pour financer certaines activités de gestion et de recherche de son ministère, il en découle que le ministre détenait illégalement la somme de 1 500 000$ reçue de l’APPFA parce qu’il n’avait pas le droit de la réclamer.

 

[30]           À mon avis, il ne peut faire de doute que notre décision dans Larocque, supra, ne peut nullement soutenir la deuxième déclaration du juge Harrington. La seule conclusion à laquelle en est venue notre Cour dans Larocque, supra, est que le ministre ne peut financer les programmes de recherche de son ministère par l’émission d’un permis de pêche et la vente de ressources halieutiques. Avec respect, je ne vois rien dans Larocque, supra, qui pourrait permettre au juge de déclarer que le ministre détenait illégalement les sommes qu’il avait reçues de l’APPFA.

 

[31]           Je suis d’avis que la deuxième déclaration du juge Harrington en est une qu’il ne pouvait faire dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire déposée sous l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (la « Loi »). En effet, cette deuxième déclaration en est une qui porte sur les droits contractuels du ministre découlant de l’entente intervenue avec l’APPFA. Une lecture attentive des paragraphes 21 et 26 des motifs du juge me convainc qu’en faisant sa deuxième déclaration, le juge avait à l’esprit non seulement les droits contractuels du ministre, mais aussi ceux de l’APPFA et ceux que pouvaient avoir les intimés, compte tenu du fait que le TAC de 25 869 tonnes (à partir duquel leur pourcentage devait être calculé) avait été réduit de 4% en raison de l’émission d’un permis pour 1000 tonnes en faveur de l’APPFA.

 

[32]           Même si ultimement le juge évite de se prononcer quant aux droits de l’APPFA et des intimés à l’égard de la somme payée par l’APPFA au ministre, il ne peut faire de doute qu’il s’est prononcé quant aux droits du ministre. Selon le juge, le ministre détenait illégalement la somme reçue de l’APPFA et, par conséquent, cette somme devait être retournée soit à l’APPFA ou aux intimés.

 

[33]           Comme je viens de le dire, il appert clairement que le juge a pris pour acquis que le ministre détenait illégalement la somme reçue de l’APPFA parce que ce dernier ne pouvait financer la recherche scientifique de son ministère à même la vente du crabe des neiges. Ceci explique pourquoi, au paragraphe 26 de ses motifs, le juge énonce que sa conclusion tient comme prémisse notre décision dans Larocque, supra.

 

[34]           Au paragraphe 27 de ses motifs, le juge déclare que compte tenu du fait que l’APPFA n’est pas une partie dans le dossier devant lui, il ne peut se prononcer quant à ses droits, nécessairement contractuels à mon avis, résultant de l’entente conclue avec le ministre.

 

[35]           Quant aux droits des intimés, il déclare au paragraphe 22 de ses motifs qu’ils « ont gain de cause » en raison de la quantité réduite de crabe des neiges qui leur a été allouée. Au paragraphe 25 de ses motifs, le juge revient à son opinion que les intimés « ont une bonne cause », ajoutant, par ailleurs, qu’il ne peut aller au-delà de cette constatation vu que le recours ouvert aux intimés en est un en dommages-intérêts à l’égard duquel il n’a pas compétence dans le cadre de la procédure devant lui.

 

[36]           Par ailleurs, le juge se prononce sans hésitation quant aux droits du ministre de conserver les sommes reçues de l’APPFA. Au paragraphe 26 de ses motifs, il déclare que « que la Couronne n’a pas le droit de réclamer une somme si le droit à cette somme appartient à quelqu’un d’autre ». Autrement dit, puisque le ministre a reçu 1 500 000$ de l’APPFA en raison d’une entente dont le but était de financer les programmes de recherche scientifique de son ministère, un processus déclaré invalide par notre Cour dans Larocque, supra, il en découle, selon le juge, que le ministre n’avait aucun droit de retenir cette somme.

 

[37]           Avec respect, le juge ne pouvait en venir à une telle conclusion dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire déposée sous l’article 18.1 de la Loi. En se prononçant ainsi, le juge venait déterminer les droits contractuels du ministre découlant de l’entente conclue avec l’APPFA. À mon avis, le juge s’est mal dirigé en droit en faisant sa deuxième déclaration.

 

[38]           L’article 17 de la Loi donne compétence concurrente à la Cour fédérale en ce qui a trait à toute action contre la Couronne relative à tout « contrat conclu par ou pour la Couronne ». Par conséquent, si les intimés désirent réclamer en totalité ou en partie le montant versé par l’APPFA au ministre, ils doivent instituer une action contre la Couronne en vertu de l’article 17 de la Loi. Dans le cadre d’une telle action, la cour aura à se prononcer à l’égard des droits du ministre, de l’APPFA, des intimés et de toute personne croyant avoir droit de recevoir, en totalité ou en partie, la somme versée par l’APPFA au ministre. La Cour aura, en outre, à analyser la validité du contrat conclu entre le ministre et l’APPFA, ainsi que l’effet de ce contrat sur des tiers prétendument lésés par la transaction.

 

Dispositif

[39]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la deuxième déclaration du juge Harrington selon laquelle le ministre détenait illégalement le produit de la vente en 2006 de 1000 tonnes métriques de crabe des neiges et je condamnerais les intimés aux dépens, tant en première instance qu’en appel.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-289-08

 

INTITULÉ :                                                                           P.G.C. c. JEAN-GILLES CHIASSON ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Halifax, Nouvelle-Écosse

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 25 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE PELLETIER

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 20 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Ginette Mazerolle

 

POUR L’APPELANT

 

Me Bernard Jolin

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L.

Montréal (Qc)

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

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