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Date : 20091020

Dossier : A-144-08

Référence : 2009 CAF 300

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

ROBERT ARSENAULT, JOSEPH AYLWARD, WAYNE AYLWARD,

JAMES BUOTE, BERNARD DIXON, CLIFFORD DOUCETTE,

KENNETH FRASER, TERRANCE GALLANT, DEVIN GAUDET,

CASEY GAVIN, JAMIE PETER GAUDET, RODNEY GAUDET, TAYLOR GAUDET,

GAVIN, SIDNEY GAVIN, DONALD HARPER,

CARTER HUTT, TERRY LLEWELLYN, IVAN MACDONALD,

LANCE MACDONALD, WAYNE MACINTYRE, DAVID MCISAAC,

GORDON MACLEOD, DONALD MAYHEW, AUSTIN O’MEARA

 

intimés

 

Audience tenue à Charlottetown (I.-P.-É), le 11 juin 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE NADON

Y A SOUSCRIT :                                                                                    LE JUGE EN CHEF BLAIS

MOTIFS CONCOURANTS :                                                                          LE JUGE PELLETIER

 


 

Date : 20091020

Dossier : A-144-08

Référence : 2009 CAF 300

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

ROBERT ARSENAULT, JOSEPH AYLWARD, WAYNE AYLWARD,

JAMES BUOTE, BERNARD DIXON, CLIFFORD DOUCETTE,

KENNETH FRASER, TERRANCE GALLANT, DEVIN GAUDET,

PETER GAUDET, RODNEY GAUDET, TAYLOR GAUDET,

CASEY GAVIN, JAMIE GAVIN, SIDNEY GAVIN, DONALD HARPER,

CARTER HUTT, TERRY LLEWELLYN, IVAN MACDONALD,

LANCE MACDONALD, WAYNE MACINTYRE, DAVID MCISAAC,

GORDON MACLEOD, DONALD MAYHEW, AUSTIN O’MEARA

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision, 2008 CF 492, datée du 16 avril 2008, par laquelle le juge Blanchard de la Cour fédérale a ordonné au ministre des Pêches et des Océans (le ministre) de mettre en application le Plan de gestion de la pêche du crabe des neiges pour les zones 12, 18, 25 et 26 (le Plan de gestion) de 2006. Plus particulièrement, le juge Blanchard a ordonné au ministre de verser aux intimés leur part de l’aide financière de 37,4 millions de dollars prévue dans le Plan de gestion pour les pêcheurs de crabe traditionnels.

 

[2]               La principale question soulevée par le présent appel est celle de savoir si le ministre était lié par le Plan de gestion qu’il avait approuvé le 30 mars 2006. En d’autres mots, le Plan de gestion avait-il pour effet de créer des droits dont les intimés étaient justifiés de demander le respect par le ministre? Pour les motifs qui suivent, il convient de donner à cette question une réponse négative.

 

LES FAITS

[3]               Les faits pertinents pour le présent appel peuvent se résumer comme suit.

 

[4]               Le 17 septembre 1999, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, a statué que, aux termes des traités de 1760 et 1761 qui avaient été conclus entre Sa Majesté et les Indiens mi’kmaq, les signataires des Premières nations avaient le droit de se livrer à des activités traditionnelles de pêche pour s’assurer une subsistance convenable.

 

[5]               Dans la suite de l’arrêt Marshall, précité, de la Cour suprême, le gouvernement du Canada a mis en place en 2001 l’« Initiative de l’après-Marshall » (l’Initiative Marshall), qui comprenait un certain nombre de volets et était financée par le Parlement au moyen du processus habituel pour l’affectation des crédits. Dans le cadre de l’Initiative Marshall, le ministère des Pêches et des Océans du Canada (le ministère) a conclu des ententes de pêche avec les Premières nations afin de leur donner accès à la pêche communautaire dans les pêcheries commerciales de l’Atlantique canadien, y compris de crabe des neiges, et de leur permettre d’acquérir les moyens et les habiletés nécessaires pour exercer une concurrence fructueuse dans la pêche commerciale.

 

[6]               L’un des volets de l’Initiative Marshall était un programme de retrait volontaire de permis en vertu duquel les pêcheurs traditionnels, y compris les pêcheurs de crabe traditionnels, renonçaient à leurs permis de pêche, qui devenaient alors disponibles pour les Premières nations. Le but que visait le ministère en demandant le renoncement volontaire aux permis de pêche était d’éviter une pression excessive sur les ressources halieutiques.

 

[7]               Douze des trente ententes de pêche conclues avec les Premières nations donnaient à celles‑ci accès au crabe des neiges. Plus précisément, les ententes donnaient aux Premières nations l’accès à 15,8 % du total autorisé des captures (le TAC).

 

[8]               De 2002 à mars 2006, mois où l’Initiative Marshall devait prendre fin, dix permis de pêche du crabe des neiges seulement avaient été retirés dans le cadre du programme de retrait, ce qui représentait 4,96 % de l’accès total au crabe des neiges prévu dans les ententes de pêches conclues avec les Premières nations; 10,85 % du TAC accordé aux Premières nations n’avait donc pas pu être obtenu au moyen des retraits volontaires. En d’autres mots, les offres faites par le ministère aux pêcheurs de crabe traditionnels de renoncer à leurs permis de pêche en contrepartie d’une aide financière précise n’ont guère obtenu de succès.

 

[9]               En conséquence, l’Initiative Marshall a été prolongée jusqu’au 31 mars 2007. Vu les circonstances et le peu d’intérêt que montraient les pêcheurs de crabe traditionnels à renoncer à leurs permis, une note de service, datée du 29 mars 2006, a été présentée au ministre pour lui demander de rendre une décision relativement à un certain nombre d’options, notamment en ce qui avait trait à la possibilité d’accorder une aide financière aux pêcheurs de crabe traditionnels pour compenser les quotas retirés et acquis pour le compte des Premières nations dans le cadre de l’Initiative Marshall. Plus précisément, il était demandé au ministre de considérer les options suivantes :

1.                  le maintien des formules de partage qui existaient en 2005, sans aide financière aux pêcheurs de crabe traditionnels;

2.                  le versement d’une aide financière de 37,4 millions de dollars aux pêcheurs de crabe traditionnels afin de les indemniser pour le 10,85 % du TAC requis pour atteindre la part des Premières nations et un ajustement des parts du TAC en vertu duquel 15,186 % des parts reviendraient aux Premières nations, 65,182 % aux pêcheurs de crabe traditionnels, 4 % aux dix-huit zones de pêche du crabe des neiges et 15 % aux nouveaux accès;

3.                  le versement d’une aide financière de 37,4 millions de dollars sans ajustement des formules de partage en vigueur en 2005.

 

[10]           La note de service recommandait au ministre d’approuver la deuxième option. Le 30 mars 2006, le ministre a signé son consentement à la recommandation ministérielle. Le ministre a également approuvé un TAC de 27,869 tonnes si certaines activités de gestion étaient mises en place ou un TAC de 20 862 tonnes si elles ne l’étaient pas.

 

[11]           Le 30 mars 2006, le ministre a rendu public le Plan de gestion. Il y annonçait que, l’année suivante, le TAC serait partagé entre les pêcheurs de crabe traditionnels, les Premières nations et les nouveaux venus dans l’industrie, et qu’il en résulterait une réduction du pourcentage du TAC auquel les pêcheurs de crabe traditionnels avaient eu droit les années antérieures. Le ministre a également fait savoir qu’il avait donné son approbation à une aide financière de 37,4 millions de dollars qui serait offerte aux pêcheurs de crabe traditionnels afin de les indemniser pour leur part du TAC transférée aux Premières nations.

 

[12]           Par la suite, dans des lettres datées du 11 juillet 2006, les intimés ont été informés de l’aide financière alors offerte et de leur droit à une portion de cette aide. Voici la lettre écrite à Robert Arsenault, l’un des intimés :

[traduction] Les négociations menées dans le cadre de la Réponse Marshall entre le ministère des Pêches et des Océans du Canada et les Premières nations sont maintenant terminées. Les parties sont parvenues à déterminer l’étendue de l’accès qui doit être accordé aux Premières nations pour la pêche du crabe des neiges dans les zones 12, 18, 25 et 26. L’accès accordé aux Premières nations est de 15,81 % du total autorisé des captures (TAC) disponible et, comme les participants des dix entreprises traditionnelles détiennent une proportion équivalente à 4,96 % du TAC disponible, la proportion du TAC dont les Premières nations ne bénéficient toujours pas n’est plus que de 10,85 %.

 

Afin de clore le dossier avant la fin du programme (le 31 mars 2007), le ministre a annoncé, dans un communiqué daté du 30 mars 2006, une solution finale en ce qui a trait à l’accès des Premières nations au crabe des neiges et une aide financière de 37,4 millions de dollars pour les pêcheurs traditionnels. Cette aide sera distribuée aux pêcheurs de crabe traditionnels, en fonction de leur allocation, afin de donner aux Premières nations accès au crabe des neiges au niveau provincial.

 

Le ministère des Pêches et des Océans est disposé à vous donner une aide financière de 72 481 dollars pour la renonciation à votre droit à une quot-part du crabe des neiges attribué aux termes de la licence no 024375. Vous trouverez ci-inclus trois exemplaires de l’entente d’aide financière à renvoyer au ministère (les enveloppes de retour sont incluses). Dès que le ministère des Pêches et des Océans aura reçu les trois exemplaires signés, un chèque sera préparé et une copie de l’entente signée par le ministère vous sera retournée pour vos dossiers.

 

[…]

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[13]           Comme l’indiquait la lettre, trois exemplaires du document intitulé « Entente d’aide financière afin de fournir l’accès au crabe des neiges aux autochtones, zone 12, 18, 25/26 » (l’entente) étaient joints à l’envoi. Pour recevoir l’aide financière, le destinataire devait signer les trois exemplaires de l’entente et les retourner au ministère.

 

[14]           N’ayant pas reçu de réponse des intimés, les fonctionnaires du ministère leur ont écrit le 15 mars 2007 pour leur rappeler qu’ils avaient droit à une aide financière dans le cadre de l’Initiative Marshall et qu’ils devraient retourner leurs trois exemplaires de l’entente, dûment signés, au ministère. Peu après, le 21 mars 2007, les intimés ont écrit aux fonctionnaires du ministère pour demander le versement de leur part de l’aide financière prévue dans le Plan de gestion et indiquer clairement qu’ils n’avaient pas l’intention de signer l’entente.

 

[15]           Les intimés et les fonctionnaires du ministère se sont échangés d’autres lettres, mais sans succès, entre le 21 mars et le 31 mars 2007, date à laquelle l’Initiative Marshall prenait fin. Par conséquent, les intimés n’ont reçu aucune aide financière pour les indemniser de la réduction de leur part du TAC.

 

[16]           Les intimés, des pêcheurs de crabe traditionnels de l’Île-du-Prince-Édouard, contestent la mise en application du Plan de gestion annoncé par le ministre le 30 mars 2006. Ils soutiennent notamment que l’exonération exigée par les fonctionnaires du ministère, à la clause 9 de l’entente, ne constituait pas un élément du Plan de gestion et qu’ils avaient donc le droit de refuser de signer l’entente. Voici la clause 9 de l’entente :

9.     En contrepartie des paiements résultant de la présente Entente, le Bénéficiaire, par les présentes, tient indemne et à couvert Sa Majesté la Reine du chef du Canada, ses ministres, ses officiers, ses salariés, ses préposés et ses mandataires, de tout droit et de toute poursuite, action ou demande en justice de toute nature découlant directement ou indirectement d’actes ou d’omissions qui ont été faits en vertu de la présente Entente ou en relation avec elle par le Bénéficiaire.

 

 

 

[17]           Par conséquent, le 20 avril 2007, les intimés ont présenté à la Cour fédérale une demande par laquelle ils sollicitaient notamment un bref de mandamus enjoignant le ministre de leur verser l’aide financière prévue au Plan de gestion.

 

DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[18]           Le juge Blanchard a accueilli en partie la demande de contrôle judiciaire des intimés. Il a ordonné que le Plan de gestion soit mis en application, tel qu’il avait été approuvé le 30 mars 2006, sans que les demandeurs n’aient à signer l’exonération.

 

[19]           Le juge Blanchard était convaincu que les conditions requises pour la délivrance d’un bref de mandamus avaient été démontrées. Plus précisément, il était d’avis que, par suite de l’approbation et de l’annonce du Plan de gestion, son pouvoir discrétionnaire était épuisé et qu’il était donc juridiquement tenu d’appliquer le plan. Selon le juge Blanchard, comme le Plan de gestion ne comportait pas la condition que les intimés signent une exonération, cette condition ne pouvait leur être imposée. Dans sa conclusion, le juge Blanchard s’est appuyé sur les articles 7 et 9 de la Loi sur les pêches, L.R. 1985, ch. F‑14 ( la Loi), et a statué que le Plan de gestion ne pouvait être révisé ou révoqué que conformément aux dispositions expresses de l’article 9.

 

[20]           Le juge Blanchard a en outre conclu qu’il existait une obligation juridique à caractère public envers les intimés ainsi qu’un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, que les intimés ne disposaient d’aucun autre recours et que la prépondérance des inconvénients les favorisait.

 

LES OBSERVATIONS DES PARTIES

[21]           Les parties présentent les arguments suivants relativement à leur position respective.

 

[22]           L’appelant fait valoir que le juge Blanchard a commis une erreur en estimant que les intimés avaient établi les éléments requis pour la délivrance d’un bref de mandamus et, en particulier, en concluant que l’approbation du Plan de gestion avait créé une obligation juridique contraignante.

 

[23]           Selon l’appelant, le juge Blanchard a commis une erreur en statuant que le Plan de gestion constituait un document juridique contraignant; l’appelant soutient que le Plan de gestion constitue plutôt l’énoncé d’une politique discrétionnaire, qui ne pouvait pas entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre relativement à la gestion de la pêche et de l’Initiative.

 

[24]           De plus, l’appelant soutient que les autres éléments requis pour la délivrance d’un bref de mandamus n’ont pas été établis : aucune obligation n’existait envers les intimés, les intimés n’avaient pas rempli les conditions préalables donnant droit à la prétendue obligation d’accorder une aide financière sans condition, il existait d’autres recours et la prépondérance des inconvénients favorisait l’appelant.

 

[25]           Les intimés ne sont pas du tout d’accord avec la position de l’appelant. Ils soutiennent que le juge Blanchard n’a commis aucune erreur en concluant que tous les éléments requis pour la délivrance d’un bref de mandamus avaient été établis et en ordonnant que le ministre mette en application le Plan de gestion tel qu’il l’avait annoncé. Ils font valoir que le Plan de gestion constituait un exercice du pouvoir discrétionnaire, final et contraignant, et non une déclaration de politique.

 

[26]           En particulier, les intimés soutiennent qu’il n’existe pas de preuve que le ministre a changé d’avis après avoir annoncé le Plan de gestion, mais que l’exécution de celui-ci a été entravée par les fonctionnaires du ministère de la Justice qui ont prévu l’exigence de signer une exonération. Les intimés allèguent également que l’appelant retient des renseignements demandés concernant les conditions de l’Initiative au motif qu’il s’agit de documents confidentiels du Cabinet. En conséquence du refus de l’appelant de leur remettre la documentation, les intimés demandent à la Cour de tirer une conclusion défavorable de la conduite de l’appelant.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[27]           Deux questions se posent dans le présent appel :

1.                  Quelle est la norme de contrôle en appel?

2.                  Le juge Blanchard a-t-il commis une erreur en statuant que les intimés avaient établi les éléments requis pour la délivrance d’un bref de mandamus et, en particulier, que l’approbation du Plan de gestion avait pour effet de créer une obligation juridique contraignante?

 

LÉGISLATION

[28]           Avant d’examiner ces deux questions, il sera utile de reproduire les articles 7 et 9 de la Loi :

7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries — ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

 

  (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’octroi de baux, permis et licences pour un terme supérieur à neuf ans est subordonné à l’autorisation du gouverneur général en conseil.

 

[…]

 

9. Le ministre peut suspendre ou révoquer tous baux, permis ou licences consentis en vertu de la présente loi si :

a) d’une part, il constate un manquement à leurs dispositions;


b) d’autre part, aucune procédure prévue à la présente loi n’a été engagée à l’égard des opérations qu’ils visent.

7. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

 

 

  (2) Except as otherwise provided in this Act, leases or licences for any term exceeding nine years shall be issued only under the authority of the Governor in Council.

 

[…]

 

9. The Minister may suspend or cancel any lease or licence issued under the authority of this Act, if

(a) the Minister has ascertained that the operations under the lease or licence were not conducted in conformity with its provisions; and

(b) no proceedings under this Act have been commenced with respect to the operations under the lease or licence.

 

 

ANALYSE

1.         Quelle est la norme de contrôle en appel ?

[29]           Se fondant sur l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, l’appelant prétend que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Selon lui, le présent appel soulève des questions de droit ou des questions mixtes de fait et de droit desquelles il est facile de dégager les questions de droit.

 

[30]           Les intimés font valoir au contraire que la décision du juge Blanchard était en partie de nature discrétionnaire et qu’il convient donc de faire preuve de retenue à l’égard des éléments discrétionnaires de sa décision. Ils soutiennent que la norme applicable a été énoncée par notre Cour au paragraphe 15 de l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374 : la cour d’appel est libre de substituer l’exercice de son propre pouvoir discrétionnaire à celui exercé par le juge de première instance si celui‑ci n’a pas accordé suffisamment d’importance à des facteurs pertinents ou s’est fondé sur un mauvais principe de droit, ou si le juge a mal apprécié les faits, ou encore si une injustice évidente serait autrement causée. En soutenant cela, les intimés ne précisent pas les parties de la décision du juge qui étaient de nature discrétionnaire et celles qui ne l’étaient pas. Les intimés ne disent pas non plus quelle norme devrait s’appliquer aux parties de la décision du juge Blanchard qui ne sont pas de nature discrétionnaire.

 

[31]           Comme, pour trancher le présent appel, je dois seulement examiner la question de savoir si le juge a commis une erreur en statuant que le Plan de gestion créait une obligation juridique contraignante, et que cette question est clairement une question de droit relativement à laquelle le juge devait donner la bonne réponse, la norme applicable est indubitablement celle de la décision correcte. Quoi qu’il en soit, même si la norme applicable était celle énoncée par la Cour dans Apotex, précité, je n’aurais aucune difficulté à conclure que le juge Blanchard s’est fondé sur un mauvais principe de droit pour conclure que les intimés avaient établi les éléments requis pour la délivrance d’un bref de mandamus.

 

2.         Le juge Blanchard a-t-il commis une erreur de droit en statuant que les intimés avaient établi les éléments requis pour la délivrance d’un bref de mandamus et, en particulier, que l’approbation du Plan de gestion avait pour effet de créer une obligation juridique contraignante?

 

[32]           Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), confirmé par la Cour suprême du Canada dans [1994] 3 R.C.S. 110, la Cour a établi les conditions qui doivent être remplies avant l’émission d’un bref de mandamus. Aux pages 766 à 769, le juge Robertson a énoncé ces conditions en ces termes :

1.                Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.

2.                L’obligation doit exister envers le requérant.

3.                Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a)                  le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b)                  il y a eu […] une demande d’exécution de l’obligation, […] un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande […], et […] il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite.

4.                Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

a)                  le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

b)                  un mandamus ne peut être accordé que si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

c)                  le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

d)                  un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

e)                  un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé », c’est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.

5.                Le requérant n’a aucun autre recours.

6.                L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.

7.                Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé.

8.                Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

[Renvois omis.]

 

 

[33]           En l’espèce, je suis convaincu que le ministre n’avait aucune « obligation légale d’agir à caractère public » et que le juge Blanchard a en conséquence commis une erreur en concluant que les intimés avaient établi que les conditions pour la délivrance d’un bref de mandamus avaient été remplies. À mon avis, le Plan de gestion ne constituait pas un document juridique contraignant et, en conséquence, les intimés ne pouvaient pas le faire exécuter.

 

[34]           Le Plan de gestion est au cœur du présent appel. En le publiant, le ministre faisait connaître aux parties intéressées et, en particulier, aux pêcheurs de crabe traditionnels, quelles politique et pratique il avait décidé d’adopter ou avait l’intention d’adopter pour l’année suivante. L’annonce publiée le 30 mars 2006 est brève et j’en donne par conséquent le texte en entier :

Le ministre Hearn annonce le plan de gestion de la pêche du crabe des neiges de 2006 dans le sud du Golfe (zones 12, 18, 25 et 26)

 

Le 30 mars 2006

 

Moncton – L’honorable Loyola Hearn, ministre des Pêches et des Océans, a annoncé aujourd’hui les détails du Plan de gestion de la pêche du crabe des neiges pour 2006 dans les zones de pêche du crabe (ZPC) 12, 18, 25 et 26, dans le sud du golfe du Saint‑Laurent.

 

Le total autorisé des captures (TAC) est fixé à 25 869 t si les activités de gestion améliorée sont en place. « Je suis conscient de la perspective de l’industrie qui cherchait un TAC plus élevé. Toutefois, je crois qu’il est important d’être prudent pendant cette phase décroissante de la biomasse. En outre, une approche d’autant plus prudente sera possiblement à prévoir en 200, » a déclaré le ministre.

 

Le ministère révise présentement les propositions reçues pour les activités de gestion améliorée; si ces activités ne procèdent pas, le TAC sera établi à 20 862 t. La revue par le ministère devrait être complétée bientôt et d’autres informations seront fournies à l’industrie.

 

Pour faire suite à la décision d’accorder un nouvel accès « permanent » à la pêcherie et de stabiliser les niveaux jusqu’en 2009, le TAC disponible est réparti comme suit : les Premières nations auront accès à 15,816 %; les flottilles traditionnelles recevront 65,182 %; les pêcheurs de la zone 18 recevront 4,002 % et le nouvel accès recevra 15 %. Cette répartition tient compte d’une solution permanente pour le manque de quota nécessaire pour les Premières nations et une aide financière de 37,4 M$ pour les flottilles traditionnelles. Ajouter aux programmes de retrait volontaire, les pêcheurs traditionnels ont reçu des paiements se chiffrant à plus de 55 M$ pour les quotas accordés aux Premières nations conformément à l’Initiative de l’après-Marshall.

 

Le Ministère conserve pour 2006 les mesures de gestion établies en 2005, tels la vérification à quai, une couverture de 30 % par les observateurs en mer, le Système de surveillance des navires (SNN), et la zone d’exclusion de la pêche sur le lieu du naufrage du Irving Whale. Un protocole de suivi compréhensif du crabe mou sera appliqué si les activités de gestion améliorée vont de l’avant. Les demandes par l’industrie de modifications aux mesures de gestion seront discutées dans le contexte d’un futur plan pluriannuel.

 

Après la saison de pêche, le Ministère tiendra auprès des intervenants des consultations sur l’élaboration d’une approche de gestion de la pêche à long terme, favorisant une approche de cogestion avec tous les groupes clés de pêcheurs. Les discussions pourraient porter, entre autres, sur la mise en place de recherches scientifiques conjointes, sur le concept des règles de décision visant les TACs, sur l’élaboration d’une stratégie de gestion de la pêche tenant compte de l’effort de pêche dans une situation d’une biomasse décroissante, et sur le financement des activités de la gestion améliorée de la pêche.

 

Le MPO déterminera la date d’ouverture en tenant compte des besoins opérationnels et d’une recommandation du Comité des glaces, présidé par l’industrie. La dernière journée de pêche sera le 15 juillet 2006.

 

 

[35]           Comme il ressort de l’annonce du ministre, le Plan de gestion traite d’un certain nombre de questions, y compris du TAC pour l’année suivante et de l’indemnisation qu’il avait l’intention d’offrir aux pêcheurs de crabe traditionnels dont la part du TAC était réduite en raison de l’Initiative Marshall.

 

[36]           Le paragraphe 32 des motifs du juge Blanchard indique clairement le raisonnement suivi par celui‑ci pour conclure que le ministre était juridiquement tenu d’appliquer le Plan de gestion :

[32]      Par suite de l’arrêt Marshall, le ministre avait l’obligation légale de prendre en compte les intérêts des pêcheurs des Premières nations. Pour se conformer à cette obligation et bien gérer la ressource, le ministre n’avait d’autre possibilité que de réduire les quotas des pêcheurs de crabe traditionnels. Il n’avait toutefois nulle obligation d’indemniser ces derniers pour la réduction de ces quotas. Cependant, une fois que le ministre a décidé d’accorder une aide financière aux pêcheurs traditionnels dans le cadre de l’Initiative et d’intégrer les mesures d’aide financière au Plan de gestion, celles‑ci devenaient un élément de sa décision discrétionnaire. Une fois le Plan de gestion annoncé, le pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de la Loi s’est épuisé, et le Plan ne pouvait plus être révisé ou révoqué que conformément aux conditions expressément énoncées à l’article 9 de la Loi. Ces conditions ne trouvent pas application en l’espèce. Dans les circonstances, le ministre avait l’obligation légale de mettre le Plan de gestion en application tel qu’annoncé. Cette obligation légale découle de l’obligation imposée par la Loi au ministre de gérer, conserver et développer les pêches.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           Le juge semble avoir considéré le Plan de gestion comme une question de délivrance de permis en vertu de l’article 7 de la Loi. En d’autres mots, le pouvoir discrétionnaire du ministre s’épuisait dès l’annonce ou la publication du Plan de gestion, comme s’il s’était agi d’un permis. À mon avis, le juge a commis une erreur en parvenant à cette conclusion. Je ne vois nullement comment les articles 7 et 9 de la Loi pourraient s’appliquer en l’espèce, puisque ces articles, comme il ressort de leur formulation, ne s’appliquent qu’au pouvoir discrétionnaire absolu du ministre d’émettre ou d’autoriser l’émission de permis de pêche (article 7) et, dans les circonstances prévues aux alinéas 9a) et b) de la Loi, au pouvoir du ministre de suspendre ou d’annuler un permis. L’on ne peut nullement soutenir que le Plan de gestion est visé par ces deux articles.

 

[38]           En toute déférence, il convient plutôt de considérer le Plan de gestion seulement comme une déclaration ou une expression de l’intention du ministre ou comme une ligne directrice relativement aux questions qui y sont traitées. Son objet clair est de définir les pratiques et les mesures de gestion que le ministre estime nécessaires pour l’année suivante. De plus, il est bien établi que la politique du ministre ne restreint, ni ne peut restreindre, son pouvoir discrétionnaire relativement aux affaires dont il est question dans la politique. Dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 6 à 8, le juge McIntyre, écrivant pour la Cour, a fait les remarques suivantes concernant le pouvoir discrétionnaire du ministre aux termes de l’article 8 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, S.R.C. 1979, ch. E‑17, remarques tout à fait pertinentes en l’espèce :

[…] C’est la Loi qui accorde le pouvoir discrétionnaire et la formulation et l’adoption de lignes directrices générales ne peut le restreindre. Il n’y a rien d’illégal ou d’anormal à ce que le Ministre chargé d’appliquer le plan général établi par la Loi et les règlements formule et publie des conditions générales de délivrance de licences d’importation. Il est utile que les demandeurs de licences connaissent les grandes lignes de la politique et de la pratique que le Ministre entend suivre. Donner aux lignes directrices la portée que l’appelante allègue qu’elles ont équivaudrait à attribuer un caractère législatif aux directives ministérielles et entraverait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. […]

 

[…]

 

En interprétant des lois semblables à celles qui sont visées en l’espèce et qui mettent en place des arrangements administratifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient, pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet à ces dispositions de manière à permettre aux organismes administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme les textes le veulent. A mon avis, lorsqu’elles examinent des textes de ce genre, les cours devraient, si c’est possible, éviter les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner effet à l’intention du législateur appliquée à l’arrangement administratif en cause. C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. […]

 

 

[39]           À mon avis, les pouvoirs du ministre de publier le Plan de gestion procèdent de sa compétence générale en matière de gestion des pêches, conformément à l’article 4 de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, S.R. 1985, ch. F-15, que voici :

4. 1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

a) à la pêche côtière et à la pêche dans les eaux internes;

b) aux ports de pêche et de plaisance;

c) à l’hydrographie et aux sciences de la mer;

d) à la coordination des plans et programmes du gouvernement fédéral touchant aux océans.

 

   (2) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent en outre aux domaines de compétence du Parlement liés aux océans et qui lui sont attribués de droit.

4. (1) The powers, duties and functions of the Minister extend to and include all matters over which Parliament has jurisdiction, not by law assigned to any other department, board or agency of the Government of Canada, relating to

(a) sea coast and inland fisheries;

(b) fishing and recreational harbours;

(c) hydrography and marine sciences; and

(d) the coordination of the policies and programs of the Government of Canada respecting oceans.

 

   (2) The powers, duties and functions of the Minister also extend to and include such other matters, relating to oceans and over which Parliament has jurisdiction, as are by law assigned to the Minister.

 

 

[40]           En outre, le Plan de gestion est conforme aux obligations du ministre de gérer, de conserver et de développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public. Au paragraphe 37 de ses motifs auxquels la Cour suprême du Canada a unanimement souscrit dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, le juge Major a fait les remarques suivantes :

[…] Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (art. 43). […]

 

 

[41]           Dans Carpenter Fishing c. Canada, [1998] 2 C.F. 548, notre Cour, au paragraphe 28 des motifs, a traité de la nature des politiques en matière de quotas imposées par le ministre. Le juge Décary, qui a rédigé les motifs de la Cour, a indiqué qu’une politique en matière de quotas, contrairement à un permis de pêche accordé en vertu de l’article 7 de la Loi, constituait une décision discrétionnaire et que son contrôle judiciaire était grandement limité. Il a en outre indiqué que le ministre pouvait émettre des lignes directrices stratégiques à la condition qu’elles n’entravent pas son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis « en tenant les lignes directrices pour obligatoires ». Voici l’intégralité de ses remarques :

28.   La mise en œuvre d’une politique en matière de quotas (par opposition à la délivrance d’un permis particulier) est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Les lignes directrices stratégiques qui exposent les conditions générales rattachées à la délivrance d’un permis ne sont pas des règlements; elles n’ont pas force de loi non plus. Il découle de la décision Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada de la Cour suprême du Canada et de la décision Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général) de cette Cour que le ministre est libre d’indiquer le genre de considérations qui, de façon générale, le guideront pour attribuer les quotas, à condition de ne pas entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis en tenant les lignes directrices pour obligatoires. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en ce qui a trait aux trois exceptions mentionnées dans l’arrêt Maple Lodge Farms, à savoir la mauvaise foi, le non-respect des principes de justice naturelle dont l’application est exigée par la loi et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[42]           De plus, dans l’arrêt Carpenter, précité, le juge Décary a insisté au paragraphe 37 de ses motifs sur l’importance de reconnaître au ministre une large discrétion dans l’exercice de ses pouvoirs relativement à l’établissement d’une politique en matière de quotas de pêche :

37.   Il s’ensuit que les tribunaux qui sont saisis de la question de l’exercice par le ministre de ses pouvoirs et fonctions et de son pouvoir discrétionnaire relativement à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une politique en matière de quotas de pêche devraient reconnaître l’intention exprimée par le législateur et le gouverneur en conseil de donner au ministre la plus grande marge possible de manœuvre, et y donner effet. C’est uniquement lorsque le Ministère prend des mesures, par ailleurs autorisées par la Loi sur les pêches, qui outrepassent manifestement les buts généraux autorisés par la Loi que les tribunaux devraient intervenir.

 

 

[43]           En toute déférence, j’estime par conséquent que le juge Blanchard a commis une erreur de droit ou qu’il s’est fondé sur un principe de droit erroné pour conclure que le pouvoir discrétionnaire du ministre était épuisé au moment de son approbation du Plan de gestion. Le Plan de gestion est l’expression d’une politique, non une décision d’accorder des permis en vertu de l’article 7, et le pouvoir discrétionnaire du ministre n’a pas été épuisé du fait de son approbation. Le ministre n’était pas lié par sa politique et il pouvait, en tout temps, y apporter des modifications. Par conséquent, la question de savoir si c’est au moment d’annoncer le Plan de gestion ou par la suite à la suggestion des fonctionnaires du ministère que le ministre a pensé à une exonération de responsabilité n’est, à mon avis, nullement utile pour les intimés, car le ministre ne pouvait pas entraver son pouvoir discrétionnaire quand il a annoncé le Plan de gestion.

 

[44]           Par conséquent, le fait que le Plan de gestion, tel qu’il a été annoncé le 30 mars 2006, ne comportait pas l’exigence que les fonctionnaires du ministère obtiennent des intimés une exonération de responsabilité avant qu’une aide financière ne soit accordée à ceux-ci ne permet pas de conclure que le ministre était tenu d’appliquer le Plan de gestion.

 

DISPOSITIF

[45]           Pour ces motifs, j’accueillerais donc l’appel avec dépens et, rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire des intimés, également avec dépens.

 

« M. Nadon »

j.c.a

 

 

« Je suis d’accord.

            Le juge en chef Pierre Blais »

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


LE JUGE PELLETIER (Motifs concourants)

[46]           J’ai lu l’ébauche des motifs de mon collègue le juge Nadon et je parviens aux mêmes conclusions que lui, mais pour des motifs différents.

 

[47]           À mon avis, il est erroné de parler du Plan de gestion de la pêche du crabe des neiges (que je désignerai, à l’instar de mon collègue et du juge de première instance, sous le nom de Plan de gestion) comme s’il s’agissait d’une décision unique. Le Plan de gestion, tel qu’il était énoncé dans le communiqué, comportait plusieurs éléments :

- Le total autorisé des captures (TAC) était fixé à 25 869 tonnes si certaines mesures de conservation étaient mises en place, et à 20 862 tonnes si elles ne l’étaient pas.

 

- Le TAC était réparti comme suit parmi les intervenants : Premières nations, 15,816 %; pêcheurs traditionnels, 65,182 %; pêcheurs de la zone 18, 4,002 %; nouvel accès, 15 %.

 

- Certaines mesures de gestion des années précédentes étaient reconduites : vérification à quai, 30 % des sorties de pêche en compagnie d’observateurs en mer, système de surveillance des navires (SSN), zone d’exclusion de la pêche sur le lieu du naufrage du Irving Whale et mise en oeuvre d’un protocole exhaustif de suivi du crabe à carapace molle si les activités de gestion améliorée étaient mises en place.

 

-  La date d’ouverture de la saison devait être déterminée en consultation avec un groupe issu de l’industrie; la dernière journée de pêche était fixée au 15 juillet 2006.

 

-  Une aide financière de 37,4 millions de dollars était offerte aux pêcheurs traditionnels.

 

 

[48]           Quoique certaines des mesures fussent liées, chacune représentait néanmoins une décision distincte qui devait prendre effet au cours des pêches de 2006. Diverses autorisations ou approbations législatives ou réglementaires étaient requises. La délivrance de permis de pêche assortis de quotas réduits relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire légal prévu à l’article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14 (la Loi). Le financement du plan d’indemnisation requérait des crédits parlementaires. D’autres mesures auraient pu nécessiter d’autres types d’approbations ou d’autorisations réglementaires. En d’autres mots, le Plan de gestion ne consistait pas en une décision unique ou en l’exercice en une seule fois du pouvoir discrétionnaire.

 

[49]           Dans la mesure où le Plan de gestion représentait des décisions prises, il ne s’agissait pas d’une politique, c’est-à-dire d’un guide pour la prise de décisions futures. Les décisions avaient été prises. Il ne restait qu’à les mettre en application. Tous les droits qui découlent du Plan de gestion découlent des décisions qui ont réellement été prises. Par conséquent, je ne pense pas que l’on puisse dire que le Plan de gestion n’a pas créé d’obligations juridiques parce qu’il s’agissait simplement d’une politique. Chacune des décisions prises a donné naissance à différents droits et obligations. Par exemple, les permis des pêcheurs de crabe traditionnels étaient assortis de quotas moindres que dans le passé. Le TAC a été fixé à un niveau donné, sous réserve d’une modification si certaines mesures de conservation étaient mises en place. Chacune des décisions avait des conséquences juridiques.

 

[50]           La question soulevée dans le présent appel consiste à savoir si la décision d’offrir une indemnisation aux pêcheurs de crabe traditionnels en concomitance avec la réduction des quotas dont leurs permis sont assortis entraînait le droit pour les pêcheurs de crabe de recevoir cette indemnisation sans aucune limitation à des revendications ultérieures d’indemnisation et l’obligation juridique à caractère public correspondante du ministre de leur verser les indemnités sans exiger d’eux qu’ils renoncent à tout droit à d’autres indemnisations.

 

[51]           Les pêcheurs de crabe font valoir que la source de leurs droits se trouve dans la note de service datée du 29 mars 2006, dans laquelle certaines options et une recommandation étaient présentées au ministre, ainsi que dans le choix de l’une de ces options par le ministre. Les pêcheurs de crabe considèrent cette approbation ministérielle comme un arrêté du ministre. Par exemple, sous le titre [traduction] « obligation légale d’agir à caractère public » dans leur mémoire, ils écrivent :

[traduction]

43.     Nul ne conteste le pouvoir du ministre d’émettre l’arrêté que le jugement visé par l’appel rend exécutoire.

 

44.     Par son arrêté, le ministre a créé l’obligation juridique à caractère public que ses fonctionnaires distribuent l’aide financière aux pêcheurs traditionnels de crabe des neiges des zones 12, 18, 25 et 26. Il importe de noter que, dans son arrêté, le ministre n’a imposé aucune condition relativement à l’octroi de ladite aide financière.

 

45.     Comme les intimés sont des pêcheurs de crabe traditionnels dans les zones visées, l’obligation juridique à caractère public mentionnée ci-dessus existait envers eux.

 

 

[52]           Le point de vue des pêcheurs de crabe est que, par l’expression de son accord avec la recommandation qui lui était présentée, le ministre ordonnait au ministère de mettre en application la recommandation exactement comme il l’avait approuvée.

 

[53]           Le juge de première instance a lié le plan d’indemnisation à la délivrance des permis de pêche des pêcheurs de crabe, au motif que, comme l’indemnisation était intimement liée à la réduction de leurs quotas, les deux éléments n’étaient que des aspects d’une même décision en vertu de la Loi. Le juge de première instance a considéré qu’il s’agissait en fait d’une décision portant sur des permis de pêche, laquelle constituait le fondement législatif de l’obligation juridique d’agir à caractère public.

 

[54]           À mon avis, aucune de ces analyses ne résiste à un examen. La position des pêcheurs de crabe est que, si l’on interprète correctement la décision du ministre, celle-ci ne comportait pas l’exigence qu’ils renoncent à leur droit à une indemnisation additionnelle afin d’obtenir le bénéfice de l’indemnisation offerte. Il s’agit d’une question d’interprétation du document, et donc d’une question de droit pour laquelle il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue ni envers le juge de première instance, ni envers les pêcheurs de crabe. Rien dans le document même n’appuie la conclusion que le paiement aux pêcheurs de crabe devait être effectué sans condition. La reconnaissance de ce que les pêcheurs de crabe ne seraient pas heureux du montant proposé et de ce qu’ils s’attendaient à obtenir davantage au moyen d’une poursuite n’est rien de plus que la reconnaissance des faits connus. Ce n’est pas un argument favorable ou défavorable à la proposition selon laquelle les fonds devaient être versés sans condition.

 

[55]           Il est, je crois, tout simplement irréaliste de supposer que le ministre, simplement en apposant sa signature à l’option 2, fixait toutes les conditions du plan d’indemnisation. Il ne faisait qu’autoriser la poursuite du plan d’indemnisation déjà existant, dans des circonstances où la répartition des quotas sur la base de renoncements volontaires avait été abandonnée. Les détails de l’administration du plan relevaient, comme cela avait toujours été le cas, des fonctionnaires du ministère et de leurs conseillers juridiques. Si le ministère avait jugé souhaitable de recommander que les paiements soient effectués sans condition, il l’aurait fait, et s’il avait jugé souhaitable d’insister pour que les paiements soient effectués sans condition, il l’aurait également fait. Il aurait été saugrenu que le ministre autorise un paiement partiel aux pêcheurs de crabe qui auraient épuisé les crédits prévus pour l’Initiative Marshall sans porter attention à l’absence d’une autorisation parlementaire pour le solde de tout montant à payer. À mon avis, les pêcheurs de crabe ont mal interprété le document sur lequel ils fondent leur demande de bref de mandamus.

 

[56]           Le juge de première instance n’a pas accepté la revendication des pêcheurs de crabe selon laquelle ils avaient droit à un bref de mandamus sur le fondement d’une obligation juridique à caractère public découlant de la directive ministérielle. Il a reconnu qu’une obligation juridique à caractère public doit découler d’une loi ou d’un règlement : voir Arsenault c. Canada (Procureur général), 2008 CF 492, [2008] A.C.F. no 604, au paragraphe 27. Comme il a déjà été indiqué, il a conclu à l’existence d’une obligation légale d’agir à caractère public en confondant le droit à une indemnisation et la délivrance de permis de pêche assortis de quotas réduits.

 

[57]           Les pêcheurs de crabe n’avaient aucun droit reconnu à un quelconque quota. Ceci découle de la nature des permis de pêche, relativement à la délivrance desquels le ministre détient un pouvoir discrétionnaire considérable : voir Comeau’s Sea Foods Ltd c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, [1997] A.C.S. no 5, au paragraphe 49. Par conséquent, s’il n’existe pas de droit acquis à un quota donné, aucun droit à une indemnisation ne peut découler du simple fait d’une perte de quota. Il s’ensuit que la décision d’offrir une indemnisation pour les quotas perdus n’était pas fondée sur une loi ou un règlement. En fait, les pêcheurs de crabe allèguent dans leur action que leur droit à une indemnisation est de nature contractuelle. L’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre de délivrer des permis de pêche assortis de quotas réduits en vertu de l’article 7 de la Loi ne donnait pas naissance à une obligation juridique à caractère public de verser des indemnités pour les quotas perdus. Comme il n’existe pas d’obligation juridique à caractère public, les pêcheurs de crabe n’ont pas droit à un bref de mandamus.

 

[58]           En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens et j’annulerais la décision du juge de la Cour fédérale.

 

 

“J.D. Denis Pelletier”

j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-144-08

 

INTITULÉ :                                                   P.G.C. c. ROBERT ARSENAULT ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Charlottetown (Î.-P.É.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 11 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NADON

 

Y A SOUSCRIT :                                           LE JUGE BLAIS

 

MOTIFS CONCOURANTS :                       LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia MacPhee

POUR L’APPELANT

 

Kenneth L. Godfrey

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Campbell, Lea Barristers & Solicitors

Charlottetown (Î.-P.-P.)

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

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