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Date : 20091013

Dossier : A-544-08

Référence : 2009 CAF 291

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

COMTÉ DE WHEATLAND

appelant

et

SHAW CABLESYSTEMS LIMITED

intimée

 

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 6 octobre 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                  LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20091013

Dossier : A-544-08

Référence : 2009 CAF 291

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

COMTÉ DE WHEATLAND

appelant

et

SHAW CABLESYSTEMS LIMITED

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 64(1) de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38 (la Loi) par le comté de Wheatland (Wheatland), municipalité située en Alberta, à l’encontre d’une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC ), la décision de télécom CRTC 2008-45.

 

[2]               Aux termes de cette décision, le CRTC accordait à Shaw Cablesystems Limited (Shaw), entreprise canadienne de distribution et de télécommunications, la permission de construire, en tenant compte de certaines modalités, des lignes de transmission sur les voies publiques et autres lieux publics du comté de Wheatland.

 

[3]               Les parties avaient auparavant tenté de conclure un accord d’accessibilité municipale (AAM) en vertu duquel Shaw aurait étendu ses services de câble et de télécommunications à de nouveaux lotissements du comté de Wheatland. Bien que les parties soient arrivées à une entente sur de nombreuses dispositions de l’AAM, Shaw refusait d’adhérer aux services d’Alberta One‑Call Corporation (Alberta One‑Call), organisme sans but lucratif créé en 1984 et chargé d’avertir ses membres (principalement des exploitants d’installations souterraines) chaque fois qu’une opération de creusage est envisagée. Shaw insistait pour utiliser son programme de notification et son service de localisation internes, DIGSHAW, qui, selon ses dires, était en mesure de lui fournir des services au moins aussi satisfaisants que ceux d’Alberta One‑Call à un coût bien moindre.  

 

[4]               N’ayant pas réussi à négocier avec Wheatland une entente comportant des clauses qu’elle jugeait acceptables, Shaw s’est adressée au CRTC pour obtenir la permission de construire ses lignes de  transmission sur des terrains appartenant à Wheatland. Le CRTC a accédé à la demande et n’a pas exigé que l’AAM soit assorti de l’obligation pour Shaw d’adhérer aux services d’Alberta One‑Call, à moins que les parties n’en conviennent autrement. Wheatland a reçu le 27 août 2008 l’autorisation d’interjeter appel devant notre Cour.  

 

[5]               Au cours de l’instruction de l’appel, l’avocat n’a soulevé qu’une seule question : le paragraphe 43(3) de la Loi donne‑t‑il au CRTC le pouvoir d’imposer une modalité relative à l’adhésion aux services d’Alberta One‑Call puisqu’il s’agit d’un enjeu concernant la sécurité routière et l’aménagement et non la construction de lignes de transmission?

 

[6]               Le paragraphe 43(4) prévoit ce qui suit :  

43.(4) Dans le cas où l’administration leur refuse l’agrément ou leur impose des conditions qui leur sont inacceptables, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution peuvent demander au Conseil l’autorisation de construire les lignes projetées; celui-ci peut, compte tenu de la jouissance que d’autres ont des lieux, assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

43.(4)Where a Canadian carrier or distribution undertaking cannot, on terms acceptable to it, obtain the consent of the municipality or other public authority to construct a transmission line, the carrier or distribution undertaking may apply to the Commission for permission to construct it and the Commission may, having due regard to the use and enjoyment of the highway or other public place by others, grant the permission subject to any conditions that the Commission determines.

 

[7]               Je n’ai pas l’intention de me pencher sur les autres questions soulevées par Wheatland dans son mémoire, parce que l’avocat a expliqué qu’il ne les ferait pas valoir. Les ayant examinées lorsque je préparais l’audience, je me bornerai à dire que je doute que l’une d’elles soit fondée en droit.  

 

[8]               Malgré l’argumentation vigoureuse de l’avocat, je suis d’avis que le CRTC n’a pas commis d’erreur de droit ni de compétence lorsqu’il a décidé de se prononcer sur la question de l’adhésion aux services d’Alberta One‑Call et qu’il a choisi à cet égard la version des clauses de l’AAM proposée par Shaw : ces clauses font de DIGSHAW le fournisseur de services en matière de notification. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel.  

 

B.        CONTEXTE FACTUEL  

[9]               Le 30 avril 2007, Shaw a demandé à Wheatland la permission d’installer des lignes à fibres optiques sur l’emprise d’une voie publique et autres lieux publics appartenant à Wheatland. Dans une lettre en date du 17 mai 2007, Wheatland a avisé Shaw de l’acceptation de sa demande (à condition qu’elle adhère aux services d’Alberta One‑Call), et un accord satisfaisant a été conclu concernant un contrat de louage de services pour la réalisation du projet.

 

[10]           Alberta One-Call est le seul point de contact pour plus de 650 exploitants d’installations souterraines en Alberta, dont d’importantes entreprises de télécommunications. Son objectif est d’éviter que des dommages ne soient causés aux installations souterraines lors d’une opération de creusage. Grâce à de vastes campagnes de marketing, elle informe les personnes qui envisagent de procéder à une excavation de l’importance de « téléphoner avant de creuser ». Lorsque Alberta One‑Call reçoit une demande ou un avis relatif à une éventuelle opération d’excavation, elle le fait savoir à ses membres qui possèdent des installations souterraines dans la zone où est prévue l’excavation.

 

[11]           Shaw a signé le contrat de louage de services initial mais a écarté la clause relative à l’obligation d’adhérer aux services d’Alberta One‑Call, lui préférant DIGSHAW, le service de localisation qu’elle a créé en 2003. Selon Shaw, le recours à DIGSHAW serait beaucoup moins coûteux que l’adhésion aux services d’Alberta One-Call, tout en offrant aux deux parties les mêmes avantages. Apparemment, l’échec des négociations portant sur les clauses de l’AAM est en grande partie lié à cette question.

 

[12]           Le 21 août 2007, le Conseil du comté de Wheatland a adopté le règlement 2007‑83, règlement qui fixait les conditions standards pour la mise en place de structures portantes et d’installations de transmission dans le comté. Le règlement prévoyait une [traduction] « Entente concernant l’accès à l’emprise et le louage de services » standard, qui spécifiait que toutes les sociétés devaient accepter d’adhérer aux services d’Alberta One‑Call et devenir membres en règle de cet organisme. Le règlement prévoyait aussi l’exécution d’un AAM d’application générale régissant l’accès à toutes les emprises du comté de Wheatland. Cet AAM devait servir d’accord type et éviter aux transporteurs d’avoir à négocier les modalités d’une entente à partir de zéro. Quoi qu’il en soit, l’AAM d’application générale adopté par Wheatland n’empêchait pas un distributeur de négocier pour tenter de faire adopter ses propres clauses.  

 

[13]           Lorsqu’elle a été avisée de l’existence du règlement et de l’accord type, Shaw a souligné à Wheatland qu’elle était en désaccord avec de nombreuses clauses de l’AAM que Wheatland avait rédigé, certaines de ces clauses se trouvant dans le contrat de louage de services déjà accepté par Shaw. Dans une lettre en date du 20 septembre 2007, Shaw faisait remarquer que les travaux avançaient rapidement sur le site de l’ensemble résidentiel auquel elle devait fournir des services de télécommunications et elle proposait que Wheatland mette en œuvre le contrat de louage de services, permettant ainsi à Shaw de mettre provisoirement en place ses installations dans l’emprise routière. Pendant ce temps, les parties tenteraient de négocier un AAM mutuellement acceptable destiné à remplacer le contrat de louage de services. Wheatland a rejeté cette proposition le 1er octobre 2007.

 

[14]           Le 19 novembre 2007, à la suite de l’échec des négociations qui portaient principalement sur la question de l’adhésion aux services d’Alberta One‑Call, Shaw a déposé une demande au CRTC en vertu de la partie VII de la Loi (la demande) afin d’obtenir, conformément au paragraphe 43(4) de la Loi, l’autorisation d’accéder aux voies publiques et autres lieux publics du comté afin d’y construire, d’y entretenir et d’y exploiter ses lignes de transmission. Dans sa demande, Shaw s’opposait au fait que Wheatland exige son adhésion aux services d’Alberta One‑Call de même qu’à certaines conditions qui avaient déjà fait l’objet d’une entente entre les parties.  

 

[15]           Le 19 décembre 2007, Wheatland a répondu à la demande de Shaw et a fait valoir le fait que la seule question non résolue entre les parties concernait l’adhésion aux services d’Alberta One‑call : Wheatland demandait par conséquent au CRTC de rejeter les autres éléments de la demande de manière à permettre aux parties de poursuivre les négociations relatives aux clauses de l’AAM. Un certain nombre d’intervenants, dont Alberta One‑Call, ont également déposé des observations en décembre en réponse à la demande présentée par Shaw.

 

[16]           Le 22 février 2008, le CRTC a suspendu le traitement de la demande de Shaw pour donner aux parties une possibilité additionnelle de négocier les clauses controversées exigées par Wheatland pour qu’il donne son consentement. Les parties ont exprimé leur volonté de négocier, mais elles n’ont pu organiser une réunion avant le 7 avril 2008. Pendant cette période, elles ont cependant échangé des lettres à propos de leurs divergences.   

 

[17]           Le 9 avril 2008, les parties ont déposé leurs rapports auprès du CRTC, exposant les questions litigieuses et les clauses de l’accord qui demeuraient en litige. Le 11 avril 2008, les parties ont déposé leurs répliques, et chacune d’elles a identifié de nouveaux sujets de litige et présenté un projet d’AAM qui reflétait sa position concernant les questions litigieuses.

 

[18]           Le 21 avril 2008, Alberta One‑Call a présenté une lettre au CRTC afin de répondre aux observations écrites que Shaw avait fait parvenir à Wheatland et au CRTC entre février et avril 2008. Cette lettre expliquait la nature et l’étendue des services offerts par Alberta One‑Call mais n’ajoutait rien à la preuve et aux arguments qu’elle avait déjà fait valoir dans sa première réponse à la demande de Shaw. 

 

[19]           Le personnel du CRTC a refusé de verser au dossier la lettre d’Alberta One‑Call parce qu’elle avait été reçue après l’expiration du délai prescrit. Dans une décision rendue le 14 mai 2008, le CRTC a déclaré que cette lettre ne serait pas versée au dossier, faisant remarquer qu’Alberta One‑Call avait eu amplement l’occasion de répondre à la demande que Shaw avait présentée le 19 novembre 2007 et qu’elle y avait effectivement répondu dans les commentaires déposés le 18 décembre 2007.   

 

[20]           Le 30 mai 2008, le CRTC a rendu sa décision concernant la demande présentée par Shaw.

 

C.        DÉCISION DE TÉLÉCOM CRTC 2008-45 

[21]           Le CRTC a décidé d’exercer les pouvoirs que lui confère le paragraphe 43(4) de la Loi et d’accorder à Shaw l’autorisation de construire des lignes de transmission dans le comté de Wheatland au motif que les parties n’étaient pas parvenues à une entente sur les modalités de l’accord, même si elles avaient eu des possibilités raisonnables de négocier, et que la date du début de l’occupation du nouvel ensemble résidentiel était déjà passée. Le CRTC a également fait remarquer qu’il était assujetti, dans l’exercice de ses pouvoirs, aux instructions de la gouverneure en conseil (Décret C.P. 2006‑1534, en date du 14 décembre 2006).  

 

[22]           Le CRTC a déclaré que, pour fixer les modalités de l’autorisation accordée à Shaw de construire ses lignes de transmission sur des terrains appartenant à Wheatland, il reprendrait dans l’AAM les clauses identiques des projets d’AAM présentés par les parties. Le CRTC a identifié 18 dispositions divergentes dans les projets d’AAM soumis par les parties : il a brièvement motivé son choix de l’une ou l’autre version ou encore, lorsque aucune des deux versions ne lui semblait satisfaisante, a lui‑même formulé la clause.

 

[23]           Le CRTC a traité séparément de la principale pierre d’achoppement de la négociation de l’AAM, c’est‑à‑dire la question relative à Alberta One‑Call. Il a d’abord résumé les principaux avantages qui, selon Wheatland, font que Alberta One‑Call est un meilleur choix que DIGSHAW. Deuxièmement, il a fait référence à une décision antérieure (décision de télécom 2004‑17) dans laquelle il avait refusé de fixer des normes obligatoires en matière de procédures de localisation parce que cela serait contraire à l’objectif du CRTC, qui est d’alléger la réglementation, en particulier pour les entreprises non dominantes et les petites entreprises de services locaux titulaires. Troisièmement, il a refusé de faire de l’adhésion de Shaw aux services d’Alberta One‑Call l’une des conditions de l’AAM, à moins que les parties n’en conviennent autrement. Le CRTC a fait remarquer que si l’adhésion aux services d’Aberta One‑Call était avantageuse pour tous, les parties pouvaient poursuivre les négociations et modifier l’AAM par consentement mutuel. De plus, au vu de la preuve contenue au dossier, rien ne permettait au CRTC de conclure que le service de DIGSHAW était moins efficace et moins fiable que celui d’Alberta One‑Call.

 

[24]           Par conséquent, le CRTC a opté pour la version de la clause 11 qui se trouvait dans l’AAM préparé par Shaw et qui prévoit ce qui suit : 

[traduction] La société accepte de veiller à ses frais, pendant toute la durée de l’Accord, à l’enregistrement et à l’entretien de ses lignes en câble par l’entremise de son service interne de localisation, DIGSHAW. Elle s’engage également à continuer de participer à des groupes de discussion dont le mandat est de sensibiliser et d’éduquer les secteurs public et privé quant à l’importance de prévenir les blessures corporelles et les dommages aux biens ainsi qu’à l’importance de promouvoir, auprès de tous les intervenants de l’industrie du creusage, la sécurité en milieu de travail.  

 

 

 

D.        CADRE LÉGISLATIF  

[25]           Bien que seul le paragraphe 43(4) de la Loi sur les télécommunications soit directement pertinent dans le cadre du présent appel, d’autres dispositions de cette loi nous fournissent d’importants renseignements sur son contexte. Les articles 43 et 44 forment un ensemble complet de normes régissant l’accès des entreprises de télécommunications aux voies publiques et autres lieux publics pour la construction et l’exploitation de leurs lignes de transmission.

 

[26]           L’article 7 énonce les objectifs de la Loi. Les objectifs suivants sont particulièrement pertinents dans le cadre du présent appel.  

7. La présente loi affirme le caractère essentiel des télécommunications pour l’identité et la souveraineté canadiennes; la politique canadienne de télécommunication vise à :

a) favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;

b) permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions — rurales ou urbaines — du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;

c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;

[…]

f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celle-ci est nécessaire;

[…]

 

h) satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication;

7. It is hereby affirmed that telecommunications performs an essential role in the maintenance of Canada’s identity and sovereignty and that the Canadian telecommunications policy has as its objectives

(a) to facilitate the orderly development throughout Canada of a telecommunications system that serves to safeguard, enrich and strengthen the social and economic fabric of Canada and its regions;

(b) to render reliable and affordable telecommunications services of high quality accessible to Canadians in both urban and rural areas in all regions of Canada;

(c) to enhance the efficiency and competitiveness, at the national and international levels, of Canadian telecommunications;

(f) to foster increased reliance on market forces for the provision of telecommunications services and to ensure that regulation, where required, is efficient and effective;



 

(h) to respond to the economic and social   requirements of users of telecommunications services; and

 

[27]           Le paragraphe 42(1) énonce les pouvoirs étendus dont dispose le CRTC pour autoriser, entre autres, la construction, la mise en place, l’usage et l’entretien de lignes de transmission et pour imposer toute modalité que le Conseil estime juste et indiquée.

42. (1) Dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la présente loi ou une loi spéciale, le Conseil peut, par ordonnance,  … permettre à tout intéressé ou à toute personne touchée par l’ordonnance de procéder, selon les éventuelles modalités de temps, d’indemnisation, de surveillance ou autres qu’il estime justes et indiquées dans les circonstances, à l’une des opérations suivantes : … construction, … mise en place, … usage, … ou entretien d’installations de télécommunication, acquisition de biens ou adoption d’un système ou d’une méthode.

42. (1) Subject to any contrary provision in any Act other than this Act …  the Commission may, by order, in the exercise of its powers under this Act … permit any telecommunications facilities to be …, constructed, installed, … operated, .. or maintained …   at or within such time, subject to such conditions as to compensation or otherwise and under such supervision as the Commission determines to be just and expedient.

 

 

[28]           Le paragraphe 43(2) accorde aux entreprises de distribution ou de télécommunications canadiennes un droit d’accès aux voies publiques et autres lieux publics ainsi que le droit d’y procéder à des travaux de creusage pour la construction, l’entretien et l’exploitation de leurs lignes de transmission. Le paragraphe 43(3) prévoit cependant que ces droits ne peuvent être exercés qu’avec le consentement de l’administration municipale ou de toute autre administration publique compétente.

43.(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4) et de l’article 44, l’entreprise canadienne et l’entreprise de distribution ont accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l’exploitation ou l’entretien de leurs lignes de transmission, et peuvent y procéder à des travaux, notamment de creusage, et y demeurer pour la durée nécessaire à ces fins; elles doivent cependant dans tous les cas veiller à éviter toute entrave abusive à la jouissance des lieux par le public.

 

(3) Il est interdit à l’entreprise canadienne et à l’entreprise de distribution de construire des lignes de transmission sur une voie publique ou dans tout autre lieu public — ou au-dessus, au-dessous ou aux abords de ceux-ci — sans l’agrément de l’administration municipale ou autre administration publique compétente.

43.(2) Subject to subsections (3) and (4) and section 44, a Canadian carrier or distribution undertaking may enter on and break up any highway or other public place for the purpose of constructing, maintaining or operating its transmission lines and may remain there for as long as is necessary for that purpose, but shall not unduly interfere with the public use and enjoyment of the highway or other public place.

 



(3) No Canadian carrier or distribution undertaking shall construct a transmission line on, over, under or along a highway or other public place without the consent of the municipality or other public authority having jurisdiction over the highway or other public place.

 

 

[29]           Lorsqu’une entreprise de distribution ou de télécommunications ne peut obtenir le consentement de l’administration municipale ou de toute autre administration publique compétente, elle peut demander au CRTC l’autorisation requise. Le CRTC peut accorder cette autorisation en l’assortissant « des conditions qu’il juge indiquées ».

43.(4) Dans le cas où l’administration leur refuse l’agrément ou leur impose des conditions qui leur sont inacceptables, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution peuvent demander au Conseil l’autorisation de construire les lignes projetées; celui-ci peut, compte tenu de la jouissance que d’autres ont des lieux, assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

43.(4)Where a Canadian carrier or distribution undertaking cannot, on terms acceptable to it, obtain the consent of the municipality or other public authority to construct a transmission line, the carrier or distribution undertaking may apply to the Commission for permission to construct it and the Commission may, having due regard to the use and enjoyment of the highway or other public place by others, grant the permission subject to any conditions that the Commission determines.

 

[30]           L’article 47 régit l’exercice par le CRTC des pouvoirs que lui confère la loi.

47. Le Conseil doit, en se conformant aux décrets que lui adresse le gouverneur en conseil au titre de l’article 8 ou aux normes prescrites par arrêté du ministre au titre de l’article 15, exercer les pouvoirs et fonctions que lui confèrent la présente loi et toute loi spéciale de manière à réaliser les objectifs de la politique canadienne de télécommunication et à assurer la conformité des services et tarifs des entreprises canadiennes avec les dispositions de l’article 27.

47. The Commission shall exercise its powers and perform its duties under this Act and any special Act

(a) with a view to implementing the Canadian telecommunications policy objectives and ensuring that Canadian carriers provide telecommunications services and charge rates in accordance with section 27; and

 

(b) in accordance with any orders made by the Governor in Council under section 8 or any standards prescribed by the Minister under section 15.

 

[31]           Les instructions données au CRTC par la gouverneure en conseil le 14 décembre 2006 en vertu de l’article 8 de la Loi soulignent que le CRTC devrait, lorsqu’il exerce les pouvoirs qui lui sont conférés, se fier autant que possible au libre jeu du marché pour atteindre les objectifs de la loi et réduire, chaque fois que la chose est possible, le fardeau de la réglementation.

1. Dans l’exercice des pouvoirs et fonctions qui lui confère la Loi sur les télécommunications, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes doit mettre en œuvre la politique canadienne de télécommunication énoncée à l’article 7 de cette loi selon les principes suivants :

     a) il devrait :

(i) se fier, dans la plus grande mesure du possible, au libre jeu du marché comme moyen d’atteindre les objectifs de la politique,

(ii) lorsqu’il a recours à la réglementation, prendre des mesures qui sont efficaces et proportionnelles aux buts visés et qui ne font obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel que dans la mesure minimale nécessaire pour atteindre les objectifs;

1. In exercising its powers and performing its duties under the Telecommunications Act, the Canadian Radio-television and Telecommunications Commission (the “Commission”) shall implement the Canadian telecommunications policy objectives set out in section 7 of the Act, in accordance with the following:

      (a) the Commission should

(i) rely on market forces to the maximum extent feasible as the means of achieving the telecommunications policy objectives, and

(ii) when relying on regulation, use measures that are efficient and proportionate to their purpose and that interfere with the operation of competitive market forces to the minimum extent necessary to meet the policy objectives;

 

[32]           Le pouvoir de trancher les questions de fait et les questions de droit a été explicitement accordé au CRTC et les décisions qu’il prend sur les questions de fait sont « obligatoires et définitives ». Les décisions qu’il rend sur des questions de droit ou de compétence peuvent être portées en appel devant notre Cour, avec son autorisation.

52. (1) Le Conseil connaît, dans l’exercice des pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés au titre de la présente loi ou d’une loi spéciale, aussi bien des questions de droit que des questions de fait; ses décisions sur ces dernières sont obligatoires et définitives.

 

[…]

 

64. (1) Avec son autorisation, il peut être interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale, sur des questions de droit ou de compétence, des décisions du Conseil.

52. (1) The Commission may, in exercising its powers and performing its duties under this Act or any special Act, determine any question of law or of fact, and its determination on a question of fact is binding and conclusive.

 

 

 

64. (1) An appeal from a decision of the Commission on any question of law or of jurisdiction may be brought in the Federal Court of Appeal with the leave of that Court.

 

E.        QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE  

Première question :    Le CRTC était-il compétent pour trancher la question relative à Alberta One‑Call?    

 

[33]           Wheatland prétend que, pour savoir si la loi donne au CRTC le pouvoir de décider de la question relative à Alberta One‑Call, il faut s’interroger sur la compétence du CRTC et que ce dernier n’est pas compétent pour statuer sur des questions qui ne concernent pas le domaine des télécommunications. Par conséquent, il soutient que la Cour doit appliquer la norme de la décision correcte pour décider si le CRTC, disposant du pouvoir légal d’autoriser la construction d’une ligne de transmission en assortissant cette autorisation « des conditions qu’il juge indiquées », pouvait décider de ne pas exiger que Shaw adhère aux services d’Alberta One‑Call. Je ne suis pas d’accord avec cette façon de conceptualiser la question. 

 

[34]           La question en litige exige que la Cour interprète la portée des pouvoirs légaux étendus dont dispose le CRTC lorsqu’il assortit de conditions l’autorisation d’accéder aux terrains d’une municipalité pour la construction d’une ligne de transmission. Le pouvoir expressément reconnu au CRTC par le paragraphe 52(1) de connaître − dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que la Loi lui confère − de toute question de droit implique que l’on s’interroge sur la question de savoir si le paragraphe 43(4) permet au CRTC d’imposer des conditions qui portent atteinte à l’exercice, par une municipalité, des pouvoirs dont elle dispose en matière d’aménagement du territoire et de sécurité routière.

 

[35]           L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC  9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 62, exige que le tribunal qui procède à l’analyse de la norme de contrôle judiciaire examine d’abord la jurisprudence pour voir si des décisions antérieures ont répondu à la question de manière satisfaisante. En ce qui concerne la question en litige, l’arrêt le plus pertinent de notre Cour pourrait bien être Fédération canadienne des municipalités c. AT & T Canada Corp., 2002 CAF 500, [2003] 3 C.F. 379 (« FCM »), où le juge Létourneau, s’exprimant au nom de la majorité, a écrit :

[28]      […] Le paragraphe [43](4) accorde au CRTC un large pouvoir discrétionnaire, fondé sur son expertise, pour fixer des conditions d’accès propres à mettre en œuvre des objectifs de la Loi, énoncés à l’article 7, soit notamment de « favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions ». Ce faisant, le CRTC doit trouver un équilibre délicat entre les intérêts publics, privés et municipaux.

 

[29]           On ne peut douter de la compétence du CRTC pour mener une enquête sur les conditions que désirait imposer la ville de Vancouver : il n’a ni perdu ni excédé sa compétence en rendant sa décision. Il ne faut pas conclure trop vite à l’absence ou à l’excès de compétence […] [Non souligné dans l’original]

 

 

[36]           La juge Abella, qui a rédigé les motifs de la majorité dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, a énoncé, au paragraphe 96, les risques que comporte la jonction du concept de compétence d’un tribunal d’une part et d’autre part l’interprétation de la loi habilitante : 

L’attribution d’une étiquette limitative de compétence, comme celle d’« interprétation législative » […] à ce qui est en réalité une fonction confiée et exercée correctement en vertu de la loi habilitante, fait en sorte que c’est l’expertise d’un tribunal administratif qui doit céder le pas devant les connaissances générales d’une cour de justice, et non le contraire.

 

 

[37]           Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 59, la Cour suprême a souligné qu’il y a peu de « véritables » questions touchant à la compétence lorsqu’un tribunal d’arbitrage interprète les dispositions de sa loi habilitante qui ne se démarquent pas clairement de celles des tribunaux ou des processus concurrents : Dunsmuir, paragraphe 61; Johal c. Agence de revenu du Canada, 2009 CAF  276 , paragraphe 30. Plus récemment, le juge Rothstein, qui s’exprimait au nom de la Cour dans l’arrêt Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, au paragraphe 34, a fait remarquer que l’on ne pouvait appeler question de compétence que « la question générale de la compétence du tribunal ».

 

[38]           En fait, dans l’arrêt AFPC c. Association des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223, aux paragraphes 36 à 52, j’ai exprimé des doutes sur le fait que l’on puisse qualifier de « question de compétence » l’interprétation faite par un tribunal administratif spécialisé de sa loi habilitante si l’analyse relative à la norme de contrôle appelle plutôt la déférence (à condition, bien entendu, que le tribunal ait le pouvoir de statuer sur cette question). Quoi qu’il en soit, dans la présente affaire, il est évident que lorsqu’il s’est prononcé sur la question relative à Alberta One‑Call, le CRTC avait, selon les termes utilisés dans l’arrêt Dunsmuir (paragraphe 59), « la faculté [..] de connaître de la question », c’est‑à‑dire, en l’espèce, de trancher le litige qui opposait les parties à propos des conditions d’accès.   

 

[39]           L’avocat s’appuie sur l’arrêt Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476 (Barrie Public Utilities). Dans cette affaire, le juge Gonthier, qui a rédigé les motifs au nom des juges majoritaires, a considéré qu’une décision du CRTC − décision par laquelle le CRTC statuait que le membre de phrase « structure de soutien d’une ligne de transmission » utilisé au paragraphe 43(5) de la Loi était suffisamment large pour inclure les poteaux électriques des entreprises d’électricité relevant de la province  − devait être examinée en appliquant la norme de la décision correcte.   

 

[40]           Je ne crois pas, cependant, que l’avocat puisse utiliser cet arrêt pour appuyer son point de vue sur la question. Dans l’affaire Barrie Public Utilities, la Cour suprême en est arrivée à appliquer la norme de la décision correcte  en adoptant ce que l’on appelait alors une démarche pragmatique et fonctionnelle, et non en qualifiant de « question de compétence » les dispositions litigieuses.   

 

[41]           Je suis donc d’avis que la décision du CRTC ne comportait aucune question de compétence de nature à requérir automatiquement l’application de la norme de la décision correcte. Lorsqu’un tribunal spécialisé rend une décision en interprétant des dispositions de sa loi habilitante qui ne traitent pas de sa compétence, la norme de contrôle judiciaire applicable doit être déterminée conformément à la méthode recommandée dans l’arrêt Dunsmuir.  

 

Deuxième question :  Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable à la question de savoir si le CRTC a commis une erreur de droit lorsqu’il a statué sur la question concernant Alberta One‑Call?

 

[42]           Le CRTC, usant du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 43(4), a assorti de conditions l’autorisation accordée à Shaw de construire ses lignes de transmission sur des terrains appartenant au comté de Wheatland. L’exercice, par un tribunal administratif, d’un pouvoir discrétionnaire peut généralement être soumis à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, paragraphe 53.

 

[43]           Malgré cela, l’avocat de Wheatland prétend que le CRTC a également tranché une question de droit qui devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte, soit la question de savoir si le CRTC peut statuer sur un litige qui, comme c’était le cas avec la question relative à Alberta One‑Call, porte sur des questions de sécurité routière et d’aménagement du territoire et très peu, voire pas du tout, sur la construction par Shaw de lignes de transmission? Bien que je ne sois pas convaincu de l’opportunité de morceler ainsi les questions en litige dans la présente affaire, je vais néanmoins arrêter la norme de contrôle judiciaire applicable à la question de droit formulée par Wheatland.

 

[44]           Après avoir cherché dans un premier temps dans la jurisprudence des points de repère en ce qui concerne la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision rendue pas le CRTC − décision par laquelle le CRTC a choisi de trancher le litige relatif à Alberta One‑Call en intégrant dans l’AAM la version de la clause rédigée par Shaw −, je me tourne à nouveau vers les motifs du juge Létourneau dans l’arrêt FCM. Le juge déclare, au paragraphe 30 :

En l’espèce, l’exercice de la compétence du CRTC comprenait le pouvoir discrétionnaire d’accorder l’accès à une entreprise et de fixer les conditions d’un tel accès. On peut, tout au plus, soutenir que le CRTC a commis une erreur de droit dans l’exercice de sa compétence ou qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon irrégulière en accordant l’accès et en fixant les conditions qu’il a imposées. Cela étant, et la décision portant sur des questions qui relèvent clairement du domaine d’expertise du CRTC, la Cour doit faire montre de retenue envers lui. Par conséquent, cela signifie que la norme de contrôle applicable aux conclusions juridiques du CRTC sur des questions qui relèvent de son expertise est celle du caractère raisonnable. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[45]           Les appelants dans cette affaire font valoir que le paragraphe 43(4) ne permettait pas au CRTC d’imposer les conditions qu’il a fixées puisque ces conditions empêchent les municipalités de réglementer et de gérer de façon méthodique la circulation routière de plus en plus dense sur les voies publiques empruntées par les entreprises de télécommunications pour leurs installations. Si, comme l’a conclu le juge Létourneau, ces conditions relevaient de l’expertise du CRTC, il en est de même pour la condition visée en l’espèce.

 

[46]           À mon avis, l’arrêt FCM a établi de manière satisfaisante que la norme de la décision déraisonnable est celle qui doit être appliquée en cas de contrôle judiciaire des décisions prises par le CRTC lorsque celui-ci interprète le paragraphe 43(4) ou qu’il exerce les droits que lui confère cette disposition en assortissant l’autorisation d’accès accordée à une entreprise de télécommunications pour la construction de ses lignes de transmissions des « conditions qu’il juge indiquées ».

 

[47]           L’analyse relative à la norme de contrôle judiciaire que l’on trouve dans l’arrêt Dunsmuir ne fait que souligner la justesse de l’analyse faite dans l’arrêt FCM qui mène à la conclusion que la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision raisonnable.

 

a) Analyse de l’arrêt Dunsmuir  

 

(i) Nature de la question en litige 

[48]           Selon l’arrêt Dunsmuir (au paragraphe 54), la déférence est généralement de mise lorsqu’un tribunal spécialisé interprète sa loi habilitante. En l’espèce, la question de droit en litige n’est pas « une question de droit générale “à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre” » et elle n’est donc pas soumise à la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, paragraphe 60. [Non souligné dans l’original.]

 

(ii) Droit d’appel ou clause privative

[49]           L’existence d’un droit d’appel des décisions prises par le CRTC sur des questions de droit, même si cet appel doit être autorisé par la Cour, laisse croire que le législateur voulait que la norme de la décision raisonnable soit appliquée en cas de contrôle judiciaire. Cependant, ce facteur n’est pas déterminant et d’autres facteurs doivent également être pris en considération. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 23, la Cour suprême a souscrit à l’arrêt Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, où on avait appliqué la norme de la décision déraisonnable au contrôle judiciaire de l’interprétation faite par le tribunal spécialisé de sa loi habilitante, et ce, même si la loi prévoyait un droit d’appel.

 

(iii) Expertise relative 

[50]           Le vaste mandat du CRTC est de réglementer le domaine des télécommunications au Canada. Son expertise est à la hauteur de son mandat, ce qui garantit qu’il s’acquittera de ses responsabilités de la manière la plus propice à la réalisation des objectifs établis par la loi (Bell Canada c. Bell Aliant Communications régionales, 2009 CSC 40, paragraphe 36). Il voit notamment à : favoriser le développement du système de télécommunications dans l’ensemble du Canada; encourager la mise en place de services de télécommunications fiables et abordables; promouvoir le recours aux forces du marché (alinéas 7a), 7b) et 7f) de la Loi ainsi que l’alinéa 1a) des instructions de la gouverneure en conseil). Selon moi, l’expertise du CRTC lui permet de décider s’il doit imposer à Shaw l’obligation d’adhérer aux services d’Alberta One‑Call en assortissant d’une telle condition l’autorisation d’accès aux terrains appartenant à Wheatland pour la construction de lignes de transmission. À cet égard, le CRTC est mieux placé que la Cour.

 

(iv) Objectifs de la loi

[51]           En ce qui concerne les objectifs qui sous-tendent les dispositions légales dont il est question en l’espèce, le but visé par le paragraphe 43(3) est de permettre l’intervention du CRTC lorsque les parties n’arrivent pas à s’entendre sur des clauses acceptables pour l’entreprise de télécommunications, notamment pour assurer au public l’accès à des services de télécommunications à un coût raisonnable et sans retard indu. Cette préoccupation laisse croire que la déférence est de mise en cas de contrôle judiciaire, de manière à réduire autant que possible le nombre de litiges. Cet objectif sous-tend également le caractère obligatoire et définitif des décisions rendues par le CRTC sur les questions de fait (paragraphe 52(1)) et la nécessité d’obtenir l’autorisation d’appeler d’une décision portant sur une question de droit ou de compétence (paragraphe 64(1)).

 

b) L’arrêt Barrie Public Utilities

[52]           L’avocat − qui prétend que la norme de contrôle judiciaire applicable en l’espèce est la norme de la décision correcte puisque la question en jeu en est une d’interprétation de la loi et non une question touchant le domaine d’expertise du CRTC, soit le domaine des télécommunications − s’appuie fortement sur l’arrêt Barrie Public Utilities, qui est antérieur à l’arrêt Dunsmuir. Il invoque en particulier le passage suivant, tiré des motifs de la majorité rédigés par le juge Gonthier (paragraphe 16) :

[…] L’interprétation qu’il convient de donner au membre de phrase « la structure de soutien d’une ligne de transmission » au par. 43(5) n’est pas une question faisant appel à l’expertise particulière du CRTC en matière de réglementation et de supervision de la radiodiffusion et des télécommunications au Canada.  Il ne s’agit pas non plus d’une question de politique de télécommunication ou d’une question qui exige la compréhension de termes techniques.  Il s’agit plutôt d’une question purement de droit, qui relève donc, pour reprendre les propos du juge La Forest, « en dernière analyse de la compétence des cours de justice » (Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 28).  L’expertise de la Cour sur les questions d’interprétation législative pure est supérieure à celle du CRTC. Ce facteur implique une norme de retenue moins élevée. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[53]           À mon avis, je crois qu’il faut désormais invoquer prudemment cet énoncé puisqu’il laisse entendre, d’une manière générale, que l’interprétation faite par un tribunal de sa loi habilitante ne relève pas de son domaine d’expertise. En fait, comme je l’ai déjà noté, les arrêts Dunsmuir et Khosa ont établi que la norme applicable à cette question est généralement celle de la décision raisonnable.

 

[54]           Vu ces décisions, la thèse soutenue par les parties − et par le passé admise par la Cour qui, dans l’arrêt Edmonton (Ville) c. 360Networks Canada Ltd., 2007 CAF 106, [2007] 4 R.C.F. 747 paragraphes 33-35, fondée sur l’arrêt Barrie Public Utilities, selon laquelle la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision du CRTC concernant l’interprétation du mot « lieux » au paragraphe 43(4) était la norme de la décision correcte, semble désormais erronée.

 

[55]           Je note, entre parenthèses, que le juge Bastarache avait exprimé énergiquement sa dissidence dans l’affaire Barrie Public Utilities, annonçant les motifs de la majorité dans l’arrêt Dunsmuir (motifs qu’il a rédigés avec le juge Lebel, lequel ne siégeait pas dans l’affaire Barrie Public Utilities). Il écrivait donc, au paragraphe 78 :

Je conviens avec le juge Gonthier que l’« expertise du CRTC réside dans la réglementation et la supervision de la radiodiffusion et des télécommunications au Canada » (par. 15). Nous semblons différer d’opinion, toutefois, quant à savoir dans quelle mesure cette expertise permet au CRTC d’interpréter sa loi habilitante […] Le juge Gonthier laisse entendre que l’interprétation de la Loi ne relève pas de l’expertise particulière du CRTC en matière de réglementation et de supervision de la radiodiffusion et des télécommunications au Canada. Je suis plus porté à croire au contraire que l’interprétation donnée par un tribunal spécialisé à sa loi habilitante tient de l’application de cette loi, une composante essentielle de son mandat. [Non souligné dans l’original]

 

 

[56]           Finalement, la solution retenue dans Barrie Public Utilities a récemment été écartée dans l’arrêt Bell Aliant (paragraphes 49 et 50), au motif que les dispositions législatives en jeu dans l’affaire Barrie Public Utilities (soit le paragraphe 43(5)) ne conféraient pas de pouvoirs discrétionnaires aussi étendus que les dispositions examinées dans le cadre de l’arrêt Bell Aliant. Selon moi, il est également possible d’écarter en l’espèce l’application de l’arrêt Barrie Public Utilities puisque le paragraphe 43(4) confère au CRTC un large pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les conditions dont il peut assortir une autorisation d’accès.

 

c) Conclusion

[57]           À mon avis, la norme de la décision déraisonnable est donc la norme de contrôle judiciaire applicable à la question de savoir si la CRTC a commis une erreur de droit lorsqu’il a tranché la question relative à Alberta One‑Call. Il faut maintenant répondre à la question suivante : le CRTC a‑t‑il pris une décision déraisonnable lorsqu’il a statué qu’il pouvait trancher le litige?  

 

 

Troisième question : Le CRTC a‑t‑il pris une décision déraisonnable lorsqu’il a statué qu’il pouvait trancher le litige relatif à Alberta One‑Call?   

 

[58]           L’application de la norme de la décision déraisonnable commence par l’examen des motifs exposés par le tribunal, ce qui permet de voir si le processus de prise de décision présente à un degré suffisant toutes les caractéristiques requises relativement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, paragraphe 47) nécessaires pour garantir que la décision rendue par le tribunal administratif respecte la primauté du droit.

 

[59]           Bien que succincts, les motifs donnés par le CRTC à l’appui de sa décision de trancher le litige relatif à Alberta One‑Call répondent à mon avis aux exigences de cette norme, et ce, même s’ils ne traitent pas expressément du fait que la gestion et la sécurité routières sont principalement du ressort de Wheatland, la municipalité. Se fondant sur une décision antérieure (décision de télécom 2004‑17) qui portait sur une condition relative au processus de localisation, le CRTC a statué que le fait d’imposer aux entreprises de télécommunications des exigences additionnelles irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par le Conseil, soit la réduction du fardeau réglementaire. Le CRTC a conclu en disant que Wheatland n’avait pas prouvé que les services offerts par Alberta One‑Call étaient plus efficaces que ceux qu’offrait DIGSHAW.

 

[60]           Je ne suis pas non plus convaincu que la décision frappée d’appel se situe en marge des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47). Je remarque, en particulier, l’ampleur des pouvoirs discrétionnaires accordés au CRTC lorsqu’il assortit de conditions une autorisation. La décision présente également un lien rationnel avec l’objet de la loi, qui est d’assurer la fourniture de services de télécommunications fiables et abordables, puisqu’il existe un rapport entre la clause en litige et les coûts que doit assumer Shaw (et, au bout du compte, les consommateurs) pour fournir des services de télécommunication au nouvel ensemble résidentiel.

 

[61]           L’avocat admet que si le CRTC n’a pas commis d’erreur susceptible de révision lorsqu’il a tranché la question relative à Alberta One‑Call, il ne peut plus prétendre que les conditions imposées par le CRTC dans l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires sont déraisonnables.

 

[62]           Enfin, je tiens à signaler que je suis en désaccord avec Wheatland lorsque ce dernier prétend que le CRTC a outrepassé, dans le présent appel, son rôle d’intervenant en se prononçant sur le fond de l’affaire plutôt que de s’en tenir à expliquer le dossier, en faisant des observations concernant la norme de contrôle judiciaire appropriée et en tentant de démontrer sa compétence. Selon moi, les observations écrites et verbales de l’avocat se sont avérées très utiles.

 

F.        DISPOSITIF

[63]           Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter avec dépens l’appel interjeté par Wheatland .

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Carolyn Layden-Stevenson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A-544-08

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 30 MAI 2008 PAR LE CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES (LE CRTC) DANS LE DOSSIER 2008-45)

 

INTITULÉ :                                                   COMTÉ DE WHEATLAND

                                                                        c.

                                                                        SHAW CABLESYSTEMS LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 6 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT:                                      LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 13 OCTOBRE  2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barry A. Sjǿlie, c.r. et Lorne I. Randa

POUR L’APPELANT

 

Leslie J. Milton et Lori Assheton-Smith

POUR L’INTIMÉE

 

Christopher Bredt et Morgana Kellythorne

 

POUR LE CRTC

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brownlee s.r.l. – Edmonton (Alberta)

POUR L’APPELANT

Fasken Martineau DuMoulin SRL – Ottawa (Ontario)

Lori D. Assheton-Smith Professional Corporation – Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

Borden Ladner Gervais s.r.l. – Ottawa (Ontario)

POUR LE CRTC

 

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