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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

Date : 20090811

Dossier : A-124-08

Référence : 2009 CAF 242

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

ROBERT ARSENAULT, JOSEPH AYLWARD, WAYNE AYLWARD, JAMES

BUOTE, RICHARD BLANCHARD, EXÉCUTEUR DE LA SUCCESSION DE

MICHAEL DEAGLE, BERNARD DIXON, CLIFFORD DOUCETTE,

KENNETH FRASER, TERRANCE GALLANT,  DEVIN GAUDET, PETER

GAUDET, RODNEY GAUDET, TAYLOR GAUDET, CASEY GAVIN, JAMIE

GAVIN, SIDNEY GAVIN, DONALD HARPER, CARTER HUTT, TERRY

LLEWELLYN, IVAN MACDONALD, LANCE MACDONALD, WAYNE

MACINTYRE, DAVID MCISAAC, GORDON MACLEOD, DONALD

MAYHEW, AUSTIN O’MEARA ET BOYD VUOZZO

intimés

 

Audience tenue à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), le 10 juin 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 août 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                     LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                                 LE JUGE BLAIS

 


 

 

 

 

Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20090811

Dossier : A-124-08

Référence : 2009 CAF 242

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

ROBERT ARSENAULT, JOSEPH AYLWARD, WAYNE AYLWARD, JAMES

BUOTE, RICHARD BLANCHARD, EXÉCUTEUR DE LA SUCCESSION DE

MICHAEL DEAGLE, BERNARD DIXON, CLIFFORD DOUCETTE,

KENNETH FRASER, TERRANCE GALLANT,  DEVIN GAUDET, PETER

GAUDET, RODNEY GAUDET, TAYLOR GAUDET, CASEY GAVIN, JAMIE

GAVIN, SIDNEY GAVIN, DONALD HARPER, CARTER HUTT, TERRY

LLEWELLYN, IVAN MACDONALD, LANCE MACDONALD, WAYNE

MACINTYRE, DAVID MCISAAC, GORDON MACLEOD, DONALD

MAYHEW, AUSTIN O’MEARA ET BOYD VUOZZO

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               La Cour est saisie d’un appel de la décision du juge Martineau de la Cour fédérale (le juge des requêtes), publiée sous l’intitulé Arsenault c. Canada, 2008 CF 299, 330 F.T.R. 8, par laquelle le juge des requêtes a annulé une décision du protonotaire Morneau. L’appel soulève la question de l’application de l’arrêt de la Cour Grenier c. Canada, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287 (Grenier) aux faits allégués dans la déclaration des intimés et, en particulier, la question de savoir si la demande devrait être suspendue jusqu’à ce que les intimés aient contesté certaines décisions du ministre des Pêches et des Océans (le ministre) par voie de contrôle judicaire.

 

[2]               Les intimés sont des pêcheurs et des résidents de l’Île-du-Prince-Édouard. La Couronne énonce brièvement comme suit dans son mémoire des faits et du droit les allégations des intimés contre le ministre :

[traduction]

4. Dans la déclaration, les intimés allèguent qu’entre 1990 et 2002, ils ont conclu une série d’ententes (les « ententes sur les quotas individuels ») avec le ministre qui leur fournissait chacun un certain quota du total autorisé des captures (« TAC ») pour la pêcherie du crabe des neiges de l’Île-du-Prince-Édouard.

 

5. En plus des ententes sur les quotas individuels, les pêcheurs intimés ont également allégué avoir conclu une entente avec le ministre (l’« entente Marshall ») qui prévoyait que les Premières nations seraient amenées à participer à la pêche par un rachat volontaire de permis et que l’intégration de la pêcherie autochtone n’aurait pas pour effet d’augmenter le nombre de permis de pêche ni les activités effectives de pêche.

 

6. Les intimés soutiennent que les ententes sur les quotas individuels et l’entente Marshall renfermaient des promesses implicites que l’appelante les indemniserait en cas de violation des ententes.

 

7. Les intimés soutiennent que par suite de différentes mesures prises par le ministre en mai 2003, et qui ont été maintenues et reprises de 2004 à 2006, les ententes ont été violées. Les intimés soutiennent que le ministre a réaffecté à d’autres fins au cours de ces années une partie du quota de crabe des neiges auquel ils avaient droit en vertu des ententes.

 

[3]               Les intimés ne contestent pas cet exposé des faits.

 

[4]               Les pêcheurs intimés demandent une indemnité pour la perte du quota, soit à titre de dommages-intérêts pour violation de contrat, soit, en l’absence de contrat exécutoire, à titre de dommages-intérêts pour assertion négligente et inexacte. En outre, les intimés évoquent plusieurs autres chef de réclamation potentiels, mais ils insistent pour dire que leur demande est d’abord et avant tout une demande d’indemnisation de la part du ministre conformément à son engagement contractuel à les indemniser de la perte de leur part du total autorisé des captures.

 

[5]               Les intimés n’allèguent pas que la réaffectation du TAC était non autorisée ou illégale par ailleurs.  Ils conviennent que le ministre pouvait exercer comme il l’a fait le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi sur les pêcheries, L.R.C. 1985 ch. F-14, mais ils disent que si l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire leur a causé une perte, ils ont droit à une indemnité conformément à leur entente avec le ministre.

 

[6]               La Couronne est d’avis que la demande des intimés est essentiellement une contestation de la validité des diverses décisions qui auraient censément fait subir une perte aux intimés. La Couronne a donc présenté une requête en radiation de leur déclaration ou, à titre subsidiaire, en suspension de la demande des intimés jusqu’à ce qu’il soit statué sur la validité des arrêtés du ministre dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Le protonotaire a ordonné la radiation de tous les passages des actes de procédure des intimés se rapportant à leur réclamation fondée sur le droit contractuel au motif qu’ils ne révélaient aucune cause d’action raisonnable puisque le ministre ne pouvait pas restreindre par voie contractuelle son pouvoir discrétionnaire d’attribuer des quotas de pêche. Quant aux autres réclamations, le protonotaire a ordonné qu’elles soient suspendues, et il a accordé aux intimés un délai pour déposer une requête en prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               La décision du protonotaire a été portée en appel devant la Cour fédérale. Le juge des requêtes a annulé la décision du protonotaire radiant les passages des actes de procédure se rapportant à la réclamation fondée sur le droit des contrats, au motif qu’il s’agissait d’une question complexe de faits et de droit qui ne pouvait pas être tranchée dans le cadre d’une requête en radiation. Pour ce qui concerne les autres réclamations formulées par les intimés, le juge des requêtes a refusé de conclure qu’il était évident et manifeste que ces réclamations seraient rejetées.

 

[8]               La Couronne interjette appel de la décision du juge des requêtes pour deux motifs. Premièrement, elle soutient que le juge des requêtes a commis une erreur en appliquant le critère du caractère « évident et manifeste » énoncé dans l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, puisque ce n’est pas ce critère qu’il faut appliquer lorsqu’il s’agit de déterminer si une demande devrait être radiée au motif de l’absence de compétence. Deuxièmement, la Couronne soutient que, bien que les intimés prétendent le contraire, leur demande constitue une contestation oblique des décisions du ministre en matière de permis dont la légalité doit d’abord être établie par voie de demande de contrôle judiciaire.

 

[9]               L’argument de la Couronne concernant le critère du caractère « évident et manifeste » consiste simplement à dire que soit la Cour à compétence, soit elle n’a pas compétence, et que la Cour doit donc tirer une conclusion sur ce point plutôt que de s’appuyer sur le critère du caractère « évident et manifeste ». La Couronne affirme que pour ce faire, la Cour peut aller au-delà des causes d’action plaidées par les intimés et déterminer l’« essence » ou la « substance » de la demande des intimés. À vrai dire, les deux arguments formulés par la Couronne ne sont que deux aspects d’un même argument, à savoir que lorsque l’on va au-delà des mots employés par les intimés dans leurs demandes pour examiner leur vraie nature, les intimés contestent indirectement les décisions du ministre, et la Cour est donc en mesure de tirer une conclusion relativement à la question de la compétence.

 

[10]           À mon avis, pour l’application du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, la partie requérante doit prendre les actes de procédure de la partie adverse tels quels, et elle ne peut pas les interpréter de manière à y trouver quelque chose qui ne s’y trouve pas. La Couronne ne peut, par voie d’interprétation, faire de la demande des intimés quelque chose qu’elle ne dit pas.

 

[11]           Il me semble que les soucis de la Couronne concernant la compétence sont déplacés à ce stade préliminaire. Il ressort clairement de la décision de la Cour dans l’arrêt Grenier qu’une partie ne peut pas contester la légalité d’une décision administrative autrement que par voie de demande de contrôle judiciaire. Or, une partie n’a aucun avantage à intenter une action fondée sur l’illégalité d’une décision administrative sans avoir d’abord fait déclarer cette illégalité, puisqu’il faudra éventuellement tenir compte de l’arrêt Grenier. Personne n’a intérêt à dépenser des milliers de dollars pour exercer une action qui n’a aucune chance d’être accueillie. Si les actes de procédure n’allèguent pas l’illégalité, la Cour ne devrait pas s’évertuer à y trouver une telle allégation dans le but de forcer les parties à déposer une demande de contrôle judiciaire qui serait incompatible avec la position qu’ils ont adoptée dans leur action.

 

[12]           Étant donné que les intimés admettent que les décisions du ministre ont été prises valablement en vertu de la Loi sur les pêcheries, l’action devrait être admise à continuer pour ce motif. S’il s’avère plus tard que les intimés doivent plaider l’illégalité des décisions du ministre pour pouvoir obtenir gain de cause, la question de l’application de l’arrêt Grenier pourra être débattue à ce moment.

 

[13]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

 

 

«  Je souscris aux motifs

            M. Nadon j.c.a. »

 

«  Je souscris aux motifs

            Pierre Blais j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A-124-08

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DU JUGE MARTINEAU DATÉE DU 5 MARS 2008, DOSSIER NUMÉRO T-378-07)

 

INTITULÉ :                                                   Sa Majesté la Reine et Robert Arsenault et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE BLAIS

                                                                       

DATE DES MOTIFS :                                  Le 11 août 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Reinhold M. Endres, c.r.

Patricia MacPhee

 

POUR L’APPELANTE

 

Kenneth L. Godfrey

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Campbell, Lea, avocats

Charlottetown (Î.-P.-É.)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

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