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Date : 20090316

Dossier : A-385-08

Référence : 2009 CAF 83

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

KATHRYN KOSSOW

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 mars 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 mars 2009.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                        LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20090316

Dossier : A-385-08

Référence : 2009 CAF 83

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

KATHRYN KOSSOW

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions soulevées en appel

 

[1]               Il s’agit de l’appel d’une décision interlocutoire de la juge V. Miller de la Cour canadienne de l’impôt rendue en juillet 2008. L’appelante conteste la décision de la juge sur sa requête en vue de :

 

 

 

a)         Radier certains actes de procédure au motif qu’ils contiennent des éléments de fait, des conclusions de droit ou des allégations de fait au sujet de tierces parties inconnues de l’appelante;

 

b)         Faire porter au ministre le fardeau de preuve quant à certaines hypothèses de fait invoquées par lui;

 

c)         Forcer l’intimée à répondre à certaines questions et à donner suite à certains engagements en plus d’astreindre le représentant de l’intimée à comparaître de nouveau aux frais de cette dernière pour la poursuite de l’interrogatoire.

 

[2]               Avant que j’entreprenne l’analyse de la décision de la juge, je dois prendre en considération deux requêtes adressées à la formation de la Cour par l’appelante lors de l’audience.

 

Requête en permission de déposer de nouveaux éléments de preuve en appel

 

[3]               En raison de certains interrogatoires préalables ayant eu lieu à la suite de l’ordonnance interlocutoire prononcée par la juge, l’appelante a présenté une requête dans le but d’obtenir l’autorisation de déposer une nouvelle preuve, consistant en trois affidavits et huit pièces, lors de l’appel. Le dossier de requête contenait alors 200 pages (voir les motifs de l’ordonnance du juge Evans de la Cour d’appel fédérale, publiés le 29 janvier 2009, 2009 CAF 26).

 

[4]               Le juge Evans a rejeté la requête de l’appelante, mais lui a permis de la présenter à nouveau au début de l’instruction de l’appel parce qu’il a estimé que la formation serait mieux à même de déterminer la pertinence de cette preuve quant au fond.

 

[5]               L’appelante a eu tout le temps nécessaire pour produire sa requête entre le 29 janvier 2009 et le 11 mars 2009, date fixée pour l’instruction de l’appel.

 

[6]               Dans l’après-midi du jeudi 5 mars 2009, soit seulement six jours avant l’instruction de l’appel, l’appelante a produit sa requête en permission de présenter une nouvelle preuve à l’audience.

 

[7]               Or, cette fois, la requête ne comptait pas moins de quatre volumes, pour un total de 1189 pages. En grande hâte, l’intimée a préparé un dossier de requête en réponse et l’a fait remettre en main propre à l’appelante et à la Cour le 10 mars, c’est-à-dire la veille de l’audience.

 

[8]               La requête de l’appelante a été présentée au début de l’instruction de l’appel, qui devait durer deux heures le 11 mars. La formation a accepté que l’intimée dépose son dossier de requête.

 

[9]               Nous avons entendu les observations des parties et pris la requête en délibéré afin de procéder à l’instruction de l’appel.

 

[10]           En vérité, la requête introduit de nouvelles questions qui n’ont pas été soulevées devant la Cour canadienne de l’impôt du Canada. Une requête portant sur les mêmes documents que ceux devant nous est toujours pendante devant cette cour. De plus, la présente requête porte sur des questions qui ne font pas l’objet de l’appel. Par exemple, l’avis d’appel ne contient aucune conclusion quant au refus de la juge d’ordonner à l’intimée de déposer un affidavit de documents complémentaire, suivant l’article 82 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt du Canada (Procédure générale). Aucun des documents contenus dans le dossier de requête de l’appelante en lien avec cette question n’est pertinent.

 

[11]           Quoi qu’il en soit, l’appelante n’a pas réussi à nous convaincre que les nouveaux documents qu’elle veut déposer sont nécessaires pour disposer de l’appel interlocutoire, voire qu’ils seraient d’une aide quelconque pour l’examen de l’appel au fond.

 

[12]           Pour ces motifs, la requête sera rejetée et des dépens de 3 000 $ payables sans délai seront adjugés à l’intimée. Les dépens sont fixés à cette somme en raison du dépôt tardif d’une grande quantité de documents par l’appelante, ce qui a forcé l’avocat de l’intimée à supporter des dépenses supplémentaires afin de prendre connaissance de ces documents au cours de la fin de semaine et de produire en temps opportun sa réponse à la requête de l’appelante.

 

Requête en modification de l’avis d’appel

 

[13]           Au moment de clore ses observations dans le cadre de l’appel, l’avocate de l’appelante a présenté sans l’avoir annoncé une requête en modification de l’avis d’appel afin d’y inclure une conclusion demandant que notre Cour ordonne à l’intimée de produire une nouvelle liste de documents suivant l’article 82 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt du Canada (Procédure générale).

 

[14]           Cette modification tardive a eu pour effet d’ajouter un nouveau motif d’appel pour lequel il n’existe ni dossier de requête ni observations dans le mémoire des faits et du droit de l’appelante (le paragraphe 87 du mémoire renvoie simplement à la requête en dépôt de nouvelle preuve, qui a été rejetée).

 

[15]           L’avocat de l’intimée s’est opposé à juste titre à cette requête, alléguant la surprise et le préjudice. Pour ce motif et vu la conclusion à laquelle est arrivée la Cour quant au fond de l’appel, la requête sera rejetée.

 

Le refus de la juge de radier les actes de procédure

 

[16]           La juge a conclu que les actes de procédure attaqués constituaient des irrégularités au sens de l’article 7 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt du Canada (Procédure générale), ce qui ne l’obligeait pas à déclarer leur nullité.

 

[17]           De plus, elle a conclu que l’appelante a pris en compte la réponse dans sa plaidoirie et qu’elle a donc implicitement accepté les irrégularités. En vérité, l’appelante n’a déposé une requête en radiation que deux ans et demi après avoir pris connaissance desdites irrégularités. L’avocate de l’appelante a demandé la production de documents et a par la suite demandé des précisions sur les mêmes paragraphes des actes de procédure qu’elle cherche maintenant à faire radier. Elle a également mené l’interrogatoire préalable du représentant de l’intimée. Elle a entrepris de nouvelles démarches qui couvraient également les irrégularités.

 

[18]           J’estime que la juge n’a commis aucune erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire, prévu à l’article 8 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale), de ne pas autoriser la contestation des actes de procédure dans ces circonstances.

 

Le refus de la juge de déplacer le fardeau de preuve quant aux hypothèses de fait

 

[19]           L’appelante a fait valoir devant la juge qu’il devait incomber au ministre de prouver les allégations présentes dans un grand nombre des hypothèses de fait qu’il a invoquées, parce qu’elle ne connaît pas ou qu’elle n’a aucun contrôle sur les tierces parties concernées par ces hypothèses quant à l’existence d’une combine. À titre subsidiaire, elle fait valoir que les hypothèses ne sont pas pertinentes et qu’elles devraient être radiées puisqu’elles ne se rapportent pas à elle. L’appelante nous suggère d’ordonner que ces allégations soient retirées des hypothèses de fait et soient placées, à titre d’allégations, dans une partie différente des actes de procédure, ce qui aurait pour résultat de déplacer le fardeau de preuve sur le ministre.

 

[20]           Après avoir analysé les observations des parties, la preuve présentée devant elle et la jurisprudence, la juge a conclu que le juge du procès serait mieux à même de déterminer s’il y avait lieu de déplacer le fardeau de preuve sur le ministre quant à certaines hypothèses de fait.

 

[21]           Au paragraphe 45 de ses motifs, la juge a cité l’extrait suivant du juge Bowman, alors juge en chef adjoint de la Cour canadienne de l’impôt, dans Mungovan c. La Reine, 2001 CCI 568, aux paragraphes 10, 12 et 14 :

 

 

[10]     Les hypothèses ne sont pas tout à fait comme des actes de procédure déposés dans le cadre d'une action en justice ordinaire. Elles ressemblent plus à des précisions de faits sur lesquels le ministre s'est fondé en établissant la cotisation. Il est essentiel qu'elles soient complètes et véridiques. Traditionnellement, elles placent un fardeau sur les épaules d'un appelant, et, comme M. Mungovan le fait remarquer avec une justification solide, elles peuvent l'obliger à tenter de réfuter des faits dont il n'a pas connaissance. De prime abord, cela peut s'avérer vrai, mais il s'agit d'une question qui peut être explorée lors d'un interrogatoire préalable. Le juge de première instance est dans une bien meilleure position qu'un juge entendant une requête préliminaire pour examiner quel poids devrait être accordé à ces hypothèses. Le juge de première instance peut décider qu'elles ne sont pas pertinentes. Il ou elle peut également décider d'obliger l'intimée de les prouver. La règle établie dans l'affaire M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., 64 DTC 5184 est une règle d'application générale mais elle n'est pas coulée dans le béton.

 

[…]

 

[12]     Il est tout à fait possible, comme M. Mungovan le fait remarquer, que certaines des hypothèses attaquées soient non pertinentes. Il revient au juge de première instance de le déterminer après la présentation de la preuve. Ce n'est pas une question qui peut ou devrait être déterminée dans le cadre de la présentation d'une requête préliminaire en radiation. Il se peut très bien que les paragraphes contiennent des allégations dont seule l'intimée a connaissance. Il reviendra au juge de première instance de déterminer si l'intimée devrait avoir à les prouver.

 

[…]

 

[14]     Le juge de première instance peut très bien décider que la Couronne possède un certain fardeau qui va au-delà de la simple récitation d'hypothèses vagues. Le poids devant être accordé à ces paragraphes est une question qui relève du juge de première instance tout comme le fardeau de preuve. Ce n'est toutefois pas une raison pour radier les paragraphes avant le procès.

 

                                                                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Dans une affaire subséquente comportant de nombreuses ressemblances avec celle de l’appelante (Gould c. La Reine, 2005 CCI 556, paragraphes 21 et 22), le juge Bowman, alors juge en chef à la Cour canadienne de l’impôt, a affirmé :

 

[21]     En toute déférence, je ne peux attribuer à la décision Status‑One — ni à la décision qu'elle suivait, R. c. Global Communications Limited, no A‑147‑97, 7 avril 1997, 97 D.T.C. 5194 (C.A.F.) — l'effet invoqué par l'avocat de l'appelant. Un élément central de la cotisation par laquelle n'ont pas été admis les dons de bienfaisance est l'existence d'une combine à laquelle on allègue que l'appelant a participé et qui a permis aux participants d'obtenir ce que la Couronne considère comme des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance artificiels ou gonflés. Cette combine impliquait nécessairement des tiers et, si l'existence d'une combine est essentielle pour la thèse de la Couronne, cette dernière devrait pouvoir invoquer et prouver tous les éléments de cette combine. C'est aller trop loin que de prétendre, comme le fait l'appelant, que les décisions Global et Status‑One empêchent toute mention d'opérations de tiers, à moins que l'appelant n'ait été au courant de ces opérations ou y ait participé. Si l'existence d'une combine est liée au fait que les dons de bienfaisance n'ont pas été admis, on ne peut en faire fi, que le ministre ait supposé ou non que l'appelant était au courant d'opérations de tiers qui, d'après la Réponse, faisaient partie intégrante de la combine, ou qu'il y ait participé. Si l'un quelconque des faits supposés n'est réellement connu que de la Couronne, celle‑ci a probablement la charge de le prouver, bien que ce soit en définitive au juge du procès d'en décider.

 

[22]  Je pourrais faire observer que la plainte habituellement formulée est que la Couronne n'a pas invoqué toutes les hypothèses pertinentes ou n'a pas invoqué certaines hypothèses qui seraient favorables à la partie appelante. Ici, c'est plutôt l'inverse. L'appelant se plaint que trop d'hypothèses sont invoquées. Il me semble que si une cotisation est basée sur des hypothèses non pertinentes, contradictoires ou illogiques, comme l'allègue l'appelant, on pourrait arguer que c'est un fondement solide pour attaquer la cotisation. Si ces hypothèses sont supprimées de la Réponse, l'appelant se prive d'une des armes de son arsenal. La raison pour laquelle il souhaiterait agir de la sorte m'échappe. En s'absorbant trop dans de menus détails techniques, on risque de perdre de vue l'avantage tactique important qu'il y a à obliger la Couronne à composer avec ses propres allégations. Il y a beaucoup à dire en faveur de la règle respectable consistant à ne pas renseigner son adversaire.

 

                                                                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

Voir également Stanfield c. La Reine, 2007 CCI 480.

 

[23]           Ayant l’avantage de pouvoir examiner étudier l’ensemble de la preuve, le juge du procès pourra apprécier la justesse des hypothèses et fournir la réparation nécessaire s’il devait en résulter une situation inéquitable pour l’appelante (voir Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, au paragraphe 36; Transocean Offshore Ltd. c. Canada, 2005 CAF 104, au paragraphe 35). Je partage l’avis de la juge voulant qu’il soit prématuré de déplacer le fardeau de preuve.

 

Le refus de la juge d’ordonner à l’intimée de répondre à certaines questions, de donner suite à certains engagements et d’astreindre le représentant de l’intimée à comparaître de nouveau aux frais de l’intimée pour la poursuite de l’interrogatoire

 

 

[24]           Avant de procéder à l’examen des questions soumises pour l’interrogatoire, la juge a exposé les principes juridiques, appuyés par la législation et la jurisprudence applicables, qui devraient guider l’examen. Je ne détecte aucune erreur dans son approche. Le rôle de notre cour n’est pas de substituer son point de vue à celui de la juge quant à l’appréciation de la pertinence des questions, de l’opportunité de permettre des questions complémentaires et de la justesse des réponses fournies si elle n’a pas commis d’erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou d’erreur de principe (Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1992), 45 C.P.R. (3d) 116 (C.A.F.)).

 

[25]           En ce qui concerne la requête de l’appelante demandant la poursuite de l’interrogatoire préalable, la juge a fait remarquer que ce dernier avait suffisamment duré. « À un moment donné, écrit-elle au paragraphe 66 de ses motifs, il faut que l’interrogatoire préalable se termine pour permettre aux parties de se préparer pour l’instruction de l’affaire. Ce moment est arrivé. » Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle était en droit de mettre fin à l’interrogatoire préalable : voir Canada c. Aventis Pharma Inc., 2008 CAF 316.

 

Conclusion

 

[26]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens. La requête en modification de l’avis d’appel sera rejetée. La requête en permission de déposer une nouvelle preuve en appel sera rejetée et des dépens de 3 000 $ payables sans délai seront adjugés à l’intimée.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            M. Nadon j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-385-08

 

 

INTITULÉ :                                                                           KATHRYN KOSSOW c.

                                                                                                SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 11 mars 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 16 mars 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

A. Christina Tari

Leigh Somerville Taylor

 

POUR L’APPELANTE

 

Arnold H. Bornstein

S. Patricia Lee

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richler and Tari

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c. r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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