Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20081126

Dossier : A-577-07

Référence : 2008 CAF 369

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE RYER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

JOHN RUSSELL MCKAY

appelant

et

WEATHERFORD CANADA LTD.,

WEATHERFORD ARTIFICIAL LIFT SYSTEMS INC.

ET WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP

intimées

 

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 24 novembre 2008.

Jugement rendu à Calgary (Alberta), le 26 novembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

 


 

Date : 20081126

Dossier : A-577-07

Référence : 2008 CAF 369

 

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE RYER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

JOHN RUSSELL MCKAY

appelant

et

WEATHERFORD CANADA LTD.,

WEATHERFORD ARTIFICIAL LIFT SYSTEMS INC.

ET WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

[1]               Il s’agit d’un appel formé à l’encontre d’une décision du juge Campbell (le juge), 2007 CF 1233, datée du 23 novembre 2007, qui a rejeté la prétention de l’appelant que les intimées avaient contrefait son brevet et la demande reconventionnelle des intimées, alléguant l’invalidité du brevet de l’appelant pour cause d’évidence, selon la définition prévue à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi). Le rejet de la demande reconventionnelle n’est pas attaqué dans le présent appel.

 

[2]               Le brevet canadien 2 371 155 de l’appelant (le brevet McKay), délivré le 10 juin 2003, revendique une méthode d’enlèvement des stators des cavités tubulaires, qui consiste à soumettre au refroidissement cryogénique la cavité tubulaire à la face interne de laquelle un stator usé est fixé au moyen d’un adhésif jusqu’à la rétraction du stator et à son décollement de la face interne de la cavité tubulaire (motifs du jugement, annexe A, page 39). Cette méthode, affirme-t-on, offre une solution de rechange à l’usage de refouloirs hydrauliques ou mécaniques pour briser la liaison avec l’adhésif et pousser le stator (ou élastomère) usé hors du tube (ibid., à la page 39).

 

[3]               Weatherford utilise aussi le refroidissement  pour enlever des élastomères des cavités statoriques, mais elle déclare que les températures appliquées ne sont pas celles que revendique le brevet McKay, car Weatherford refroidit le stator sous la température de transition vitreuse de l’élastomère, ce qui rend celui-ci fragile, et exerce ensuite une force importante pour enlever les fragments de l’élastomère fragilisé de la cavité métallique tubulaire (mémoire des faits et du droit des intimées, à l’alinéa 2d)).

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[4]               L’interprétation de la revendication d’un brevet étant préalable à l’examen de la contrefaçon, le juge s’est d’abord penché sur l’interprétation du brevet avant d’examiner les allégations de contrefaçon.

 

[5]               Les réalisations de l’invention pour lesquelles la protection est revendiquée sont définies comme suit dans la divulgation du brevet de l’appelant :

[traduction]

1.          Une méthode d’enlèvement des stators des cavités tubulaires, à savoir :

soumettre au refroidissement cryogénique une cavité tubulaire, à laquelle un stator usé est fixé au moyen d’un adhésif, jusqu’à rétraction  du stator et son  décollement de la face interne de la cavité métallique tubulaire, la température de la cavité étant abaissée graduellement à une valeur cryogénique et ensuite augmentée graduellement à la température ambiante de façon à ce que la cavité tubulaire et le stator élastomérique se rétractent à la même vitesse et afin d’éviter les chocs thermiques.

2.                   La méthode telle que définie dans la revendication 1, la cavité métallique tubulaire étant soumise à des températures entre -150 °C et -200 °C. (Dossier d’appel, vol. 1, onglet 3, à la page 42)

[Non souligné dans l’original.]

 

[6]               À la fin du procès, le juge a interprété les revendications du brevet de la manière suivante :

[10]      Par conséquent, le libellé de la revendication 1 exprime que trois caractéristiques essentielles de l’invention jouissent de la protection conférée par le brevet :

[traduction]

(1) soumettre au refroidissement cryogénique une cavité tubulaire contenant un élastomère usé fixé à sa face interne jusqu’à ce que l’élastomère se rétracte et se détache de cette face de la cavité [non souligné dans l’original],

et

afin d’éviter les chocs thermiques,

(2) la température de la cavité est abaissée graduellement à une température cryogénique,

et

(3) ensuite augmentée graduellement à la température ambiante.

[…]

[11]      La revendication 2 est une revendication dépendante étant donné qu’elle identifie comme essentielle [traduction] « la méthode telle que définie dans la revendication 1 » et, partant, qu’elle englobe toutes les caractéristiques essentielles de la revendication 1. Cependant, la revendication 2 limite la protection de la température à laquelle la cavité doit être soumise. Par conséquent, voici une interprétation raisonnable et équitable de la revendication 2 :

a) soumettre une cavité, ayant une face interne à laquelle est collé au moyen d’un adhésif un élastomère usé, à un refroidissement cryogénique compris entre -150 °C et -200 °C jusqu’à ce que l’élastomère se rétracte et se détache de la face interne de la cavité;

et

b) pour éviter un choc thermique, la température de la cavité est abaissée graduellement à la température cryogénique, entre -150 °C et -200 °C, et ensuite augmentée graduellement à la température ambiante. (Motifs, aux paragraphes 10 et 11.) [Souligné dans l’original.]

 

[7]               Sur le fondement de cette interprétation des revendications, le juge a rejeté les allégations de contrefaçon de l’appelant. Celui-ci interjette donc appel de cette décision.

 

L’ANALYSE

1.         La norme de contrôle

[8]               L’interprétation des revendications d’un brevet étant une question de droit (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 61; Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc., 2004 CAF 63, au paragraphe 3), l’interprétation que donne le juge des revendications 1 et 2 est assujettie au contrôle selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, au paragraphe 8).

 

[9]               La contrefaçon de brevet est une question mixte de fait et de droit (Whirlpool, précité, au paragraphe 75; Canamould, précité, au paragraphe 3). L’interprétation et l’application par le juge de première instance des témoignages des experts et son examen de la preuve tirée des démonstrations des intimées qui l’ont amené à la conclusion de non-contrefaçon de brevet ne seront pas infirmés en l’absence d’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, précité, au paragraphe 36).

 

 

2.         L’interprétation des revendications

[10]           L’interprétation des revendications tourne autour de deux thèmes principaux : le refroidissement cryogénique et le choc thermique. Le point de désaccord  principal concerne « le refroidissement cryogénique » des revendications 1 et 2.

 

[11]           Quant à cet élément , l’appelant est d’accord avec l’interprétation que donne le juge de la revendication 1, à savoir qu’à l’égard des éléments essentiels du refroidissement et du réchauffement visés à la revendication 1, il a été établi que le « refroidissement cryogénique » désigne la gamme des températures égales ou inférieures à -50ºC.

 

[12]           Toutefois, M. McKay conteste l’interprétation de la revendication 2. Il soutient que, contrairement à la conclusion du juge, [traduction] « [l]a revendication 2 n’exige pas que la température de la cavité soit abaissée entre -150ºC et -200ºC, mais exige seulement que la cavité “soit soumise” à des températures comprises dans cette gamme » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 16).

 

[13]           Le juge n’a pas accepté l’interprétation que propose M. McKay du refroidissement cryogénique des revendications 1 et 2, parce que l’antécédent sur lequel elle repose n’apparaît pas dans la formulation des revendications en question (motifs du jugement, aux paragraphes 12 et 13).

 

[14]           En fin de compte, le juge a estimé que l’argumentation de M. McKay soulevait une ambiguïté et il s’est référé à un extrait de la [traduction] Description détaillée de la réalisation préférée, qui présente une gamme plus étroite de températures.

 

[15]           L’appelant fait également valoir que le juge a commis une erreur [traduction] « en concluant qu’un élément essentiel de chacune des revendications du brevet était que la température de la cavité du stator soit abaissée puis augmentée à la vitesse de 2,5ºC par minute » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 18).

 

[16]           Je note que dans son interprétation des revendications, en particulier  le volet du choc thermique, le juge n’a pas intégré ces renseignements, qui figurent également dans la [traduction] Description détaillée de la réalisation préférée. Selon l’argumentation des intimées, le juge ne s’est référé au mémoire descriptif que pour aider à l’appréciation de la contrefaçon. Nous en sommes réduits à la seule argumentation de M. McKay au sujet du refroidissement cryogénique.

 

[17]           Dans l’interprétation d’une revendication de brevet, le rôle du juge de première instance est de départager et de distinguer les éléments de la revendication qui « sont essentiels pour que l’appareil fonctionne comme l’a prévu l’inventeur » et les éléments non essentiels qui « peuvent être substitués ou omis sans que la construction ou le fonctionnement de l’invention décrite dans les revendications n’en soit substantiellement modifié », de manière à définir les frontières de la protection juridique à laquelle a droit le brevet (Free World Trust c. Électro Santé Inc. et al., 2000 CSC 66, aux paragraphes 15 et 20).

 

[18]           Dans l’interprétation des revendications du brevet, « il faut tenir compte de l’ensemble du mémoire descriptif, dessins et divulgation […] Il incombe au breveté d’établir que, pour un expert du domaine, une caractéristique revendiquée d’une invention était manifestement remplaçable » (Canamould, précité, aux paragraphes 27 et 28). Si le titulaire du brevet ne se décharge pas de ce fardeau de preuve, « l’expression ou le mot descriptifs figurant dans la revendication doivent être considérés comme essentiels, sauf lorsque la teneur des revendications indique le contraire » (Free World Trust, précité, au paragraphe 57).

 

[19]           L’appelant n’a pas établi que la décision du juge au sujet de l’interprétation des revendications du brevet était erronée ou n’avait pas été rendue de manière juste et raisonnable, c’est‑à‑dire :

 

[…] selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications (Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 51).

 

[20]           Plus spécifiquement, l’appelant n’a pas établi pourquoi il était nécessaire de changer la gamme des températures choisie par le juge. Alors que la revendication 1 établissait que la gamme des températures de refroidissement cryogénique commençait à -50ºC, les démonstrations présentées par l’appelant au procès auraient conduit la personne versée dans l’art à conclure inexorablement que la cavité du stator au niveau de l’adhésif devait être soumise à des températures significativement plus basses pour que le processus breveté fonctionne comme l’avait prévu l’inventeur (dossier d’appel, annexe 1, aux pages 199, 216, 246, 247 et 280).

 

[21]           Ayant conclu que le juge n’avait pas commis d’erreur dans l’interprétation des revendications du brevet, je passe aux motifs d’appel relatifs aux allégations de contrefaçon formulées par M. McKay.

 

Les allégations de contrefaçon

[22]           Le juge a convenu avec les intimées que le procédé d’enlèvement du stator de Weatherford repose sur un principe différent de celui qui est protégé par le brevet. Cela étant dit, le juge a examiné la preuve relative à chaque élément essentiel des revendications, sans perdre de vue que « la toute première question sur la contrefaçon consiste à déterminer si un empiètement [par Weatherford] sur chacun des éléments essentiels du brevet résulte de l’application du principe » (motifs du jugement, au paragraphe 34).

 

[23]           À titre de rappel, les éléments essentiels litigieux sont les suivants : 1) le refroidissement cryogénique, soit l’atteinte d’une température assez froide pour provoquer la rétraction et le détachement du stator de la surface interne de la cavité métallique; 2) l’abaissement graduel de la température de la cavité du stator jusqu’à des niveaux cryogéniques; 3) l’élévation graduelle jusqu’à la température ambiante.

 

[24]           Après avoir entendu les observations de deux experts qui se sont prononcés sur les démonstrations enregistrées des méthodes respectives de l’appelant et des intimées, ainsi que les observations d’autres témoins, le juge a conclu que comme les intimées ne contrefont aucun des éléments essentiels de la revendication 1, et comme la revendication 2 est dépendante de la revendication 1, […] le procédé Weatherford ne constitue pas une contrefaçon du brevet McKay.

 

[25]           J’en viens maintenant aux conclusions du juge sur le premier élément essentiel. Pour avoir gain de cause sur l’élément essentiel du refroidissement cryogénique, M. McKay devait établir que Weatherford avait appliqué une température inférieure à -50ºC sur une cavité donnée de stator jusqu’à la rétraction de l’élastomère et à son détachement de la cavité du stator (motifs du jugement, au paragraphe 36).

 

[26]            Pour établir la contrefaçon du caractère essentiel du refroidissement cryogénique par l’intimée, M. McKay s’est appuyé sur le témoignage d’experts et sur des démonstrations techniques examinées par le juge sous deux grands titres :

a)                  Les démonstrations de M. McKay, qui cherchent à établir la température de rupture de l’adhésif (motifs du jugement, aux paragraphes 37 et suivants);

et

b)                  Les démonstrations de Weatherford, qui établissent la contrefaçon du caractère essentiel du refroidissement cryogénique par Weatherford (motifs du jugement, aux paragraphes 40 et suivants).

 

[27]           Au terme des démonstrations de M. McKay, le juge a noté qu’ « [a]ucun des experts n’offre de motif vérifiable au soutien des opinions rendues » (motifs du jugement, au paragraphe 39) et, par conséquent, il ne leur a pas accordé le poids suffisant pour établir, selon la prépondérance des probabilités, la température à laquelle l’élastomère se rétracte et se détache de la cavité du stator.

 

[28]           Ayant dégagé cette conclusion, le juge a fait des observations sur la démonstration de Weatherford, en ayant à l’esprit la position de M. McKay en matière d’interprétation tout au long du procès et son argumentation portant que l’application par les intimées de toute température inférieure à -50ºC constituait en soi la contrefaçon d’un élément essentiel du brevet.

 

[29]           Au terme d’un examen attentif du dossier, j’en viens à la conclusion que l’appelant n’a pas établi que le juge avait commis une erreur manifeste et dominante dans son interprétation et son application de la preuve.

 

[30]           Une preuve abondante au dossier étayait la conclusion du juge :

[…] suggérer que l’exposition du stator à une température donnée aurait conduit à la contrefaçon ne suffit pas. Il faut plutôt établir qu’elle s’est produite en une occasion précise par l’application d’une température, sous -50ºC, à un stator donné jusqu’à la survenance d’un événement donné.

 

[31]           Ces événements surviennent au moment où l’élastomère se rétracte et se détache de la cavité du stator.

 

[32]           En se fondant sur la preuve, le juge était justifié de conclure que le brevet McKay enseigne le retrait de l’élastomère du métal à des températures très froides en raison du rétrécissement différentiel alors que le procédé des intimées repose sur la fragilisation de l’élastomère et sur l’application postérieure d’une force pour effectuer son retrait de la cavité métallique.

 

[33]           Le juge n’ayant commis aucune erreur manifeste et dominante en rejetant les allégations de contrefaçon à l’égard du premier élément essentiel de la revendication 1, il n’est plus nécessaire que cette Cour examine les autres arguments avancés par les parties.

 

[34]           Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            A.M. Linden, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                A-577-07

 

APPEL D’UN JUGEMENT OU D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 23 NOVEMBRE 2007 DANS LE DOSSIER DE LA COUR FÉDÉRALE N° T-1707-03

 

INTITULÉ :                                                               JOHN RUSSELL MCKAY c.

                                                                                    WEATHERFORD CANADA LTD ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 24 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE LINDEN

                                                                                    LE JUGE RYER         

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 26 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

J. Cameron Prowse, c.r.

Noël Papadopoulos

 

POUR L’APPELANT

 

K.D. (Kim) Wakefield, c.r.

Dennis Schmidt

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Prowse Chowne

Edmonton (Alberta)

 

POUR L’APPELANT

 

Fraser Milner Casgrain

Edmonton (Alberta)

POUR LES INTIMÉES

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.