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Date : 20081103

Dossier : A-534-07

Référence : 2008 CAF 341

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

PAUL RICHARDS

appelant

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 29 septembre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                             LE JUGE SEXTON

 

 


 

Date : 20081103

Dossier : A-534-07

Référence : 2008 CAF 341

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

PAUL RICHARDS

 

appelant

et

 

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

 

[1]               Il s’agit de l’appel d’un jugement (2007 CF 1100) par lequel le juge Teitelbaum a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Paul Richards à l’égard d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne. Cette dernière a rejeté la plainte formulée par M. Richards contre l’Agence des services frontaliers du Canada. La question que soulève le présent appel est de savoir si la décision de la Commission, qui a adopté la recommandation d’un enquêteur, aurait dû être annulée en raison d’une observation consignée au rapport de l’enquêteur et dénotant que ce dernier a pu mal comprendre un principe applicable en matière de droits de la personne. À mon avis, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, la réponse est non.

 

Cadre législatif

[2]               Le présent appel porte sur une plainte concernant un acte discriminatoire, défini comme suit à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.RC. 1985, ch. H-6 :

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

a) d’en priver un individu;

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

5. It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

(b) to differentiate adversely in relation to any individual,

on a prohibited ground of discrimination.

 

[3]               Les motifs de distinction illicite sont énoncés au paragraphe 3(1) de la Loi, qui prévoit :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

 

[4]               La Commission canadienne des droits de la personne est constituée par l’article 26 de la Loi. Elle est investie de certains pouvoirs et fonctions, notamment de recevoir les plaintes de discrimination déposées en vertu de l’article 40 de la Loi. Certaines dispositions de la Loi permettent le rejet sommaire d’une plainte, mais aucune de ces dispositions ne s’applique en l’espèce. La plainte a été soumise à un enquêteur conformément à l’article 43.

 

[5]               L’enquêteur procède à une enquête, puis présente à la Commission un rapport dans lequel il résume le résultat de l’enquête et recommande à la Commission soit de rejeter la plainte, soit de la déférer pour instruction au Tribunal canadien des droits de la personne. En général, le rapport de l’enquêteur est communiqué au plaignant et à la personne contre qui la plainte est formulée. Ceux-ci ont la possibilité de déposer des observations, dont la Commission tient compte avec le rapport de l’enquêteur. 

 

[6]               Se fondant sur le rapport de l’enquêteur et les observations des parties, le cas échéant, la Commission décide s’il convient de rejeter la plainte ou s’il y a lieu de la déférer au Tribunal pour instruction. Cette décision est prise au titre du paragraphe 44(3) de la Loi, dont la partie pertinente est rédigée comme suit :

44. (3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié […]

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié […].

44. (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, […] or

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted […].

 

[7]               Lorsque la Commission rend décision en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi, elle assume une fonction semblable à celle d’un juge qui tient une enquête préliminaire, en ce sens qu’elle ne se prononce pas sur la plainte, mais décide, d’après le rapport de l’enquêteur et les observations du plaignant et des autres parties, selon le cas, si la preuve est suffisante pour justifier la tenue d’une instruction (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au paragraphe 53; Syndicat des employés de production du Québec et de L'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 899).

 

[8]               Le travail de l’enquêteur est considéré comme faisant partie intégrante du travail de la Commission. Si la Commission suit la recommandation d’un enquêteur sans donner de motifs distincts, comme dans le cas présent, elle est réputée avoir fait siens les motifs de l’enquêteur (Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 C.F. 392, au paragraphe 37; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie, précité, aux pages 902 et 903).

 

[9]               En général, il convient de faire preuve de retenue à l’égard de la Commission en ce qui concerne la portée et l’envergure de l’enquête sur laquelle elle se fonde pour décider si une plainte doit être rejetée ou si elle doit être renvoyée au Tribunal pour instruction. Néanmoins, au titre de l’équité procédurale, une décision de la Commission peut être annulée si elle est fondée sur une enquête qui manque de neutralité ou qui n’est pas rigoureuse (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne) (1re inst.), [1994] 2 C.F. 574, au paragraphe 56, confirmée par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.)).

 

[10]           Très peu de jurisprudence traite de la neutralité de l’enquête. Toutefois, les décisions qui abordent cette question ont établi qu’une enquête est neutre si l’enquêteur l’entreprend avec un esprit ouvert et sans idée préconçue quant au bien-fondé de la plainte ou quant à toute défense susceptible d’être opposée à la plainte (voir Société Radio-Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1993), 71 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 45 à 47).

[11]           La jurisprudence qui traite du caractère rigoureux de l’enquête établit qu’une enquête manque de rigueur si l’enquêteur omet d’examiner une preuve manifestement importante ou de répondre à des arguments essentiels présentés par une des parties (voir, par exemple, les décisions Sketchley (précitée), Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) (C.F.), [2006] 3 C.F. 283, au paragraphe 42). La question de savoir s’il existe d’autres motifs de contester le caractère rigoureux d’une enquête n’a pas encore été tranchée.

 

Faits

[12]           M. Richards, un employé de la Commission ontarienne des droits de la personne, est un Afro-canadien né en Jamaïque; il porte des tresses rastas. Le 8 juillet 2003, M. Richards est rentré de vacances passées en Jamaïque, atterrissant à l’aéroport international Lester B. Pearson. Sa plainte à la Commission fait suite au traitement que lui ont réservé, à l’aéroport, trois inspecteurs au service de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Il a déposé sa plainte le 9 décembre 2003, environ cinq mois après les événements.

 

[13]           L’ASFC est responsable d’assurer la sécurité nationale et la sécurité du public aux postes frontaliers et dans les aéroports internationaux, notamment à l’aéroport international Lester B. Pearson. L’entrée de tous les passagers qui arrivent à l’aéroport doit être autorisée, en vertu de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.) et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Il n’est pas contesté que les agents chargés de la procédure d’autorisation doivent notamment être attentifs aux indices d’activité illégale, y compris la contrebande de drogues.

 

[14]           Le processus d’autorisation comporte un examen primaire et, dans une minorité de cas, un examen secondaire. À l’étape de l’examen primaire, tous les voyageurs sont interrogés par un inspecteur des douanes, appelé « premier inspecteur ». Ce dernier examine la Carte de déclaration douanière remplie par le voyageur pour les besoins des douanes, de l’agriculture et des questions de santé. Après l’examen primaire, la plupart des voyageurs sont invités à récupérer leurs bagages et à quitter. Certains voyageurs sont envoyés à un « examen secondaire », habituellement pour une vérification plus approfondie de questions relatives à l’immigration ou aux douanes, pour le paiement de droits ou de taxes, ou pour l’inspection des bagages.

 

[15]           En plus d’être assujettis à l’examen primaire et à l’examen secondaire, les voyageurs peuvent être interrogés en tout temps par un inspecteur « itinérant ». Celui-ci peut interroger des voyageurs abordés au hasard ou choisis parce que l’inspecteur a observé un « indicateur ». Un indicateur consiste en un indice qui donne à penser qu’un examen plus poussé est indiqué. La preuve au dossier n’offre pas une explication exhaustive de ce que sont les indicateurs justifiant le renvoi de voyageurs à un examen secondaire ou l’interrogatoire par un inspecteur itinérant, mais je présume qu’un comportement nerveux ou le fait de donner des réponses évasives à des questions routinières constitueraient de tels indicateurs.

 

[16]           Les incidents dont se plaint M. Richards se rapportent tous aux interactions qu’il a eues avec des agents de l’ASFC au cours du processus d’autorisation. L’appelant ne prétend pas que l’un ou l’autre de ces agents a fait un geste ou a tenu des propos interdits par la loi qui régit sa conduite. Si je comprends bien, il allègue avoir fait l’objet d’une attention accrue et avoir été soumis à une inspection plus poussée que les autres voyageurs, pour la seule raison qu’il est un homme de race noire d’origine jamaïcaine et qu’il porte des tresses rastas. 

 

[17]           Avant d’analyser les faits, il convient de souligner qu’il n’y a aucune raison de douter que le 9 juillet 2003, M. Richards a bien été envoyé à une inspection secondaire et a aussi été interrogé par un inspecteur itinérant. Cependant, aucun élément de preuve n’indique pourquoi M. Richards a été envoyé à un examen secondaire ni pourquoi un agent d’inspection secondaire a choisi de l’interroger. En fait, aucun inspecteur de l’ASFC ne se souvient s’être occupé de M. Richards le 9 juillet 2003. Certaines raisons peuvent expliquer cet état de choses. L’une est que les inspecteurs de l’ASFC ont affaire à un nombre considérable de personnes. L’autre est que cinq mois se sont écoulés avant que M. Richards porte plainte. Selon la preuve, 930 voyageurs ont subi un examen douanier à l’aéroport international Lester B. Pearson le 8 juillet 2003, environ à la même heure que celui de M. Richards.

 

[18]           Je passe maintenant au résumé des faits. Ce résumé repose sur les faits attestés par M. Richards, complétés par les renseignements que l’enquêteur a reçus de l’ASFC.

 

[19]           Lorsque M. Richards est arrivé à l’aéroport, il a présenté la Carte de déclaration douanière qu’il avait remplie à un premier inspecteur. Il y avait déclaré rapporter une bouteille de rhum. Le premier inspecteur a demandé à voir la bouteille de rhum, et M. Richards la lui a montrée. Le premier inspecteur a estampillé la Carte de déclaration douanière de l’appelant et envoyé celui-ci à l’inspection secondaire. L’identité du premier inspecteur n’est pas connue. La preuve ne permet pas de savoir pourquoi le premier inspecteur a envoyé M. Richards à l’inspection secondaire.

 

[20]           Pendant que M. Richards attendait ses bagages, un inspecteur itinérant lui a enjoint : [traduction] « Venez ici ». M. Richards lui a présenté ses documents de citoyenneté et ses documents de vol. Selon l’appelant, l’inspecteur itinérant a tourné toutes les pages de ses documents de vol, même si tous les renseignements étaient consignés sur la première page, et il ne cessait de regarder ses documents de citoyenneté. L’inspecteur itinérant lui a aussi posé de nombreuses questions sur le motif de son séjour en Jamaïque et l’endroit où il était resté. M. Richards a répondu à toutes ces questions. L’inspecteur itinérant lui aurait également demandé s’il [traduction] « occupait en emploi rémunéré », question que l’appelant a trouvée insultante, parce qu’elle sous‑entendait qu’il n’avait pas les moyens d’effectuer le voyage à moins de se livrer à une activité illégale. L’inspecteur lui a ensuite demandé ce qu’il faisait pour gagner sa vie, ce à quoi l’appelant a répondu qu’il était agent des droits de la personne à la Commission ontarienne des droits de la personne. L’inspecteur a cessé d’interroger M. Richards, lui a rendu ses documents et lui a fait signe de se diriger vers la zone d’inspection des bagages (je suppose qu’il s’agit de la zone réservée à l’inspection secondaire, à laquelle le premier inspecteur avait déjà envoyé l’appelant).

 

[21]           L’inspecteur itinérant a pu être identifié, mais il ne se souvient pas avoir abordé M. Richards. Il a confirmé que lorsqu’il choisit d’interroger un voyageur, il pose habituellement des questions semblables à celles évoquées par M. Richards. Il a aussi convenu qu’une personne qui porte des tresses rastas [traduction] « se remarque ». Il a expliqué que lorsqu’il estime que les bagages d’un voyageur devraient être inspectés, il l’indique au surligneur dans la Carte de déclaration douanière du voyageur. Il a déclaré que si la carte de M. Richards ne porte pas de trace de surligneur, c’est qu’il a sans doute ajouté foi aux réponses données par M. Richards et ne l’a pas envoyé à l’inspection des bagages. 

 

[22]           L’agent d’inspection secondaire a demandé à M. Richards de déverrouiller ses deux valises. Avant de procéder à l’inspection, l’agent lui a demandé s’il avait quelque chose à déclarer. M. Richards a répondu qu’il avait seulement une bouteille de rhum à déclarer. L’agent a demandé à la voir, et l’appelant la lui a remise. L’agent a tenu la bouteille debout, l’inclinant d’un côté puis de l’autre. L’agent a demandé à M. Richards s’il occupait un emploi rémunéré, et celui-ci a répondu que oui. Interrogé sur l’endroit où il travaillait, il a déclaré qu’il travaillait pour la Commission des droits de la personne. L’agent a examiné rapidement une de ses valises, n’a pas jugé bon d’examiner la seconde et a dit à M. Richards qu’il pouvait partir.

 

[23]           L’agent d’inspection secondaire a aussi été identifié mais, à l’instar de l’inspecteur itinérant, il ne se rappelle pas s’être occupé de M. Richards. Toutefois, il a déclaré qu’il tient habituellement les bouteilles d’alcool de la manière décrite par M. Richards, pour s’assurer que la bouteille ne contient pas de cocaïne liquide, une substance qui peut être cachée dans des bouteilles contenant d’autres liquides. Il a aussi confirmé qu’il demande souvent aux voyageurs quel est leur gagne-pain, afin de recueillir des indices de la légitimité du voyage ou, au contraire, des indices de contrebande de drogues. Il a nié avoir pu traiter M. Richards injustement ou avoir fait une distinction illicite à son égard en raison de sa race, de sa couleur ou de son lieu d’origine, et a déclaré qu’il traite tous les voyageurs de la même façon.

 

[24]           Le système informatique où sont normalement enregistrés les renseignements concernant les inspections primaires ne fonctionnait pas le 8 juillet 2003. Par conséquent, la seule preuve documentaire de l’inspection subie par M. Richards consiste en sa Carte de déclaration douanière. La carte montre que M. Richards a déclaré importer une bouteille de rhum. Les inscriptions sur la carte révèlent également que le premier inspecteur l’a envoyé à l’inspection secondaire pour vérification de sa déclaration douanière, et qu’aucun inspecteur n’a ordonné que les bagages de M. Richards soient inspectés pour voir s’ils recelaient des drogues. 

 

[25]           Dans la plainte qu’il a déposée le 9 décembre 2003, M. Richards allègue avoir fait l’objet de distinction illicite en raison de sa race, de sa couleur et de son lieu d’origine. Il a soutenu alors que les agents ont présumé qu’il était plus susceptible qu’une autre personne d’introduire des drogues en contrebande parce qu’il est de race noire, qu’il est originaire de la Jamaïque et qu’il arrivait de la Jamaïque.

 

[26]           La plainte de M. Richards a été confiée à un enquêteur. Par lettre en date du 18 juin 2004, l’appelant a été informé que l’ASFC avait présenté une défense en réponse à la plainte. Il a été invité à transmettre ses commentaires relativement à cette défense, ce qu’il a fait dans une lettre envoyée à l’enquêteur le 19 juillet 2004. Dans cette lettre, M. Richards a donné plus de précisions sur sa plainte, écrivant : [traduction] « La Jamaïque est ciblée comme étant un pays « source » qui cultive la marijuana, et où certaines personnes qui ont une apparence particulière conforme à leurs coutumes consomment de la marijuana » (souligné dans l’original). Faisant allusion à certaines des questions que les agents d’inspection lui ont posées, il s’est dit d’avis qu’elles [traduction] « reposaient toutes sur l’hypothèse que je pratique un certain style de vie (religion) et que, partant, les drogues font partie de ce style de vie. Ensemble, les actions et les commentaires des agents concernés, qui ont donné lieu à la mauvaise expérience que j’ai vécue, ont tous été indiscutablement motivés par ma race, mon sexe et les croyances religieuses qu’on m’a imputées. » Dans une conversation téléphonique ultérieure avec l’enquêteur, M. Richards a expliqué qu’en mentionnant les « croyances religieuses […] imputées », il pensait au mouvement Rastafari.

 

[27]           L’inspecteur n’a plus parlé avec M. Richards par la suite, mais son rapport contient certains renseignements qu’il a recueillis dans un site Web au sujet du mouvement Rastafari. L’avocate de l’appelant fait valoir que ce résumé est inexact et trompeur, mais comme il semble avoir joué un certain rôle dans le raisonnement de l’enquêteur, il est utile de le reproduire intégralement :

[traduction]

Créé en Jamaïque vers 1930, le mouvement Rastafari compte, estime-t-on, quelque 1 000 000 d’adeptes dans le monde. La plupart des membres sont des hommes, portent des tresses rastas et font usage de marijuana dans le cadre de leurs pratiques religieuses. L’ancien empereur éthiopien Haile Selassie Ier a été révéré comme une figure messianique par les Rastafariens, convaincus que son couronnement, en 1930, a constitué la concrétisation d’un texte prophétique de Marcus Mosiah Garvey, un homme de race noire qui était un combattant de la liberté et qui s’est distingué dans le mouvement de « retour vers l’Afrique » du début du XXe siècle. Dans la décennie 1970, le musicien de reggae Bob Marley « a personnifié les valeurs et les croyances des Rastafariens » et « a joué un rôle de catalyseur dans le mouvement Rastafari partout dans le monde ». Après le décès de Haile Selassie en 1975, « le mouvement Rastafari s’est de plus en plus sécularisé. De nombreux symboles du mouvement ont perdu leur signification religieuse et idéologique […] Les couleurs des Rastafariens (rouge, vert et or), qui ornent toutes les bannières et tous les objets symbolisant le mouvement, ont été en grande partie dépouillées de leur valeur idéologique et sont désormais portées par chacun. De plus, les tresses rastas sont maintenant portées comme une coiffure à la mode tant par des personnes de race blanche que par des personnes de race noire, en Jamaïque et ailleurs ». (En italique dans l’original.)

 

[28]           Le rapport de l’enquêteur comporte une analyse dans laquelle celui-ci définit et examine trois questions concernant la plainte de M. Richards. La première est une question de fait ([traduction] « le plaignant a-t-il ou non fait l’objet d’une inspection inhabituelle de la part des agents des douanes qu’il a rencontrés? »); la deuxième comporte une appréciation de la nature de l’inspection ([traduction] « s’agit-il en l’occurrence d’une inspection déraisonnable et injuste? »); la troisième, enfin, consiste à se demander si l’inspection résulte d’une discrimination fondée sur un motif de distinction illicite ([traduction] « cette inspection inhabituelle et injuste s’explique-t-elle par la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique ou la religion imputée? »). En toute logique, une réponse négative à n’importe laquelle de ces questions pouvait conduire l’enquêteur à recommander le rejet de la plainte.

 

[29]           L’enquêteur a tiré une conclusion négative relativement à la première question au motif que, même si M. Richards a estimé que les questions qu’on lui a posées étaient intrusives et injustifiées, il ressortait de la preuve qu’elles n’étaient pas inhabituelles.

 

[30]           L’enquêteur a aussi tiré une conclusion négative quant à la deuxième question, après avoir fait le raisonnement suivant :

[traduction]

Le plaignant a fait observer dans sa réfutation que son apparence « correspond à un certain stéréotype », celle d’un Rastafarien. Se fondant sur son apparence, les agents en cause lui ont posé des questions sur les objets qu’il importait et ont examiné ses effets pour s’assurer qu’aucune loi du Parlement n’était enfreinte. Il semble raisonnable qu’un agent des douanes s’assure qu’une personne qui semble adhérer à une religion dont l’une des pratiques est de consommer une substance illégale ne soit pas en train d’introduire ladite substance illégale. Contrairement à la déclaration où le demandeur prétend que les questions qu’on lui a posées portaient sur ses « mœurs », les renseignements qu’il a lui-même fournis indiquent que les questions portaient sur son itinéraire de voyage et ses occupations, et non pas sur ses caractéristiques innées. Les données recueillies ne démontrent pas qu’il était déraisonnable de la part des agents, dans l’exercice de leurs fonctions, de poser des questions au plaignant et de lui demander de montrer le contenu de son sac.

 

[31]           L’enquêteur n’a pas répondu à la troisième question, ne jugeant pas nécessaire de le faire. Il a recommandé le rejet de la plainte parce que [traduction] « les données recueillies n’étayent pas l’allégation ». La Commission a accepté la recommandation et rejeté la plainte de M. Richards pour les motifs exposés par l’enquêteur. La demande de contrôle judiciaire déposée par M. Richards contre la décision de la Commission a été rejetée.

 

Analyse

[32]           L’appel de M. Richards vise principalement l’analyse de la deuxième question par l’enquêteur. L’appelant soutient que l’analyse de cette question par l’enquêteur crée un doute sur la question de savoir si celui-ci a correctement compris et appliqué les principes afférents aux droits de la personne. À mon avis, cet argument mérite qu’on s’y arrête. 

 

[33]           Contrairement à ce qu’a écrit l’enquêteur, il est douteux qu’un inspecteur de l’ASFC puisse présumer qu’une personne de race noire qui est originaire de la Jamaïque et qui porte des tresses rastas peut être un adepte du Rastafari, et, de ce fait, est susceptible de fumer de la marijuana, de sorte qu’elle peut être en train d’importer une substance illégale. Par conséquent, une personne qui répond à cette description et qui est choisie pour subir une inspection inhabituelle parce qu’elle répond à cette description peut fort bien avoir le sentiment qu’une plainte est justifiée.

 

[34]           Toutefois, cette observation de la part de l’enquêteur n’était pas essentielle à sa décision. La conclusion principale de l’enquêteur est une conclusion de fait. Il a en effet conclu que la plainte de M. Richards ne justifiait pas la tenue d’une instruction parce que la preuve ne démontrait pas, dans les faits, que M. Richards avait fait l’objet d’un traitement inhabituel. Cette conclusion n’est pas contestée et elle suffit à justifier la décision de la Commission d’accepter la recommandation de l’enquêteur de rejeter la plainte. Je suis d’avis qu’il s’agit là d’un motif suffisant pour conclure que le juge Teitelbaum n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande de contrôle judiciaire de M. Richards.

 

Conclusion

[35]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

     Robert Décary, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-534-07

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM EN DATE DU 25 OCTOBRE 2007, DOSSIER NUMÉRO T-190-05

 

INTITULÉ :                                                               PAUL RICHARDS c.

                                                                                    MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 29 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LA JUGE SHARLOW

                                                                                   

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE DÉCARY

                                                                                    LE JUGE SEXTON

                                                                                   

DATE DES MOTIFS :                                              Le 3 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Marie Chen

POUR L’APPELANT

 

Gillian Patterson

Julie Jai

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

African Canadian Legal Clinic

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANT

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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