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Date : 20081009

Dossier : A-142-08

Référence : 2008 CAF 302

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE RYER

 

                                               

                       

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

HEATHER M. WOOD

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                    LE JUGE EN CHEF RICHARD

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                                                          LE JUGE RYER

 


Date : 20081009

Dossier : A-142-08

Référence : 2008 CAF 302

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE RYER

                                               

                       

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

HEATHER M. WOOD

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF RICHARD

[1]               Il s’agit d’un appel du jugement (2008 TCC 105) rendu le 22 février 2008, par lequel la Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel de l’intimée interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2004.

 

[2]               La question en litige dans l’appel devant la Cour de l’impôt était de savoir si le retrait que la contribuable avait effectué de son régime enregistré d’épargne-retraite (REER) constituait un montant admissible en application de l’article 146.02 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Dans le cadre du régime d’éducation permanente, le contribuable peut retirer en franchise d’impôt une somme de son régime enregistré d’épargne-retraite pour financer son participation à temps plein, ou celle de son conjoint, à des programmes de formation suivis dans un établissement d’enseignement agréé.

 

[3]               Les questions soulevées dans l’appel devant notre Cour sont les suivantes : 

a)                  le juge de première instance a-t-il omis de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale qu’il était légalement tenu de respecter?

b)                  le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en refusant de permettre à la Couronne de présenter des éléments de preuve?

 

 

[4]               L’appelante demande que l’appel soit accueilli et que l’affaire soit renvoyée pour audition devant un autre juge de la Cour canadienne de l’impôt. 

 

[5]               Voici les faits à l’origine du litige :

a)                  Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2004 pour inclure dans le revenu le retrait de 10 000 $ effectué par la contribuable de son régime enregistré d’épargne-retraite. Le ministre a confirmé par la suite la nouvelle cotisation;

b)                  La contribuable a interjeté appel à l’encontre de la nouvelle cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt, en demandant que la procédure informelle régisse l’appel;

c)                  Le 3 juillet 2007, la Couronne a déposé une réponse dans laquelle le ministre s’est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes :

i)                    l’appelante a retiré la somme de 10 000,00 $ de son REER;

ii)                   l’argent a servi à financer les études de son conjoint;

iii)                 le conjoint de l’appelante était inscrit dans un programme de formation pour devenir courtier;

iv)                 ce programme de formation était offert par OREA Real Estate College (OREA);

v)                  OREA n’est pas un établissement d’enseignement agréé.

d)                  Au début de l’audience tenue le 15 février 2008, le représentant de la Couronne a informé la Cour que la Couronne avait, le 23 janvier 2008, envoyé une réponse modifiée à la Cour canadienne de l’impôt ainsi qu’à M. Wood. M. Wood  agissait à titre de mandataire de l’appelante, Mme Wood.

e)                  Dans la réponse modifiée proposée, la Couronne reconnaissait désormais que l’établissement d’enseignement était agréé, mais elle soutenait que le programme de formation n’était pas offert à temps plein et que l’époux de l’appelante, Ronald Wood, n’était pas étudiant à temps plein, conformément aux conditions prévues aux paragraphes 118.6(1) et 146.02(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu;

f)                    Le mandataire de l’appelante s’est opposé au dépôt de la réponse révisée;

g)                  Le juge de première instance a décidé de ne pas admettre en preuve la réponse modifiée et de considérer les nouveaux faits en tant qu’hypothèses de fait, mais cela n’a pas empêché la Couronne de présenter une preuve concernant le nombre d’heures du programme de formation ou la question de savoir si le programme était offert à temps plein.

 

 

 

[6]               La transcription de l’audience tenue le 15 février 2008 indique que l’instance a commencé à 9 h 35 et qu’elle a pris fin à 9 h 48. La transcription atteste aussi de la présence de Heather M. Wood et de son époux, Ronald Wood, ainsi que de celle du représentant de la Couronne. 

 

[7]               À l’audience, l’échange suivant a eu lieu :

             [TRADUCTION]

LE JUGE HERSHFIELD : La partie intimée doit établir le bien-fondé de sa cause. Vous n’avez rien à prouver, c’est essentiellement ce que j’ai déjà dit. Alors, si vous n’avez rien à prouver, que voulez-vous faire? 

 

M. WOOD : Rien.

 

LE JUGE HERSHFIELD : Rien. D’accord. Donc, vous n’avez pas besoin d’un avocat. C’est ce qu’un avocat aurait dit.

 

Quels sont les éléments de preuve que vous voulez présenter aujourd’hui?

 

Mme HALPAPE : Nos éléments de preuve ont trait à la nature du programme de formation, au nombre d’heures… 

 

LE JUGE HERSHFIELD : Comment avez-vous l’intention de présenter cette preuve?

 

Mme HALPAPE : En déposant le guide d’admission de l’établissement d’enseignement ainsi que…

 

LE JUGE HERSHFIELD : Je n’accepte aucun élément de preuve qui n’est pas présenté par un témoin. Qui est votre témoin?

 

Mme HALPAPE : Nous n’avons pas de témoins additionnels…

 

LE JUGE HERSHFIELD : Il n’y a pas de témoin?

 

Mme HALPAPE : Non.

 

LE JUGE HERSHFIELD : Alors, vous ne pouvez rien prouver.

 

Mme HALPAPE : Si, nous le pouvons, si nous appelons l’appelante à la barre.

 

LE JUGE HERSHFIELD : Vous ne pouvez pas appeler l’appelante à la barre. L’appelante a terminé son plaidoyer. Vous ne pouvez pas appeler à la barre la partie adverse. L’avez-vous assignée à comparaître?

 

Mme HALPAPE : Nous n’avons pas de témoin ici.

 

LE JUGE HERSHFIELD : Donc, vous ne pouvez pas établir le bien-fondé de votre cause. L’appel est accueilli. Je vous remercie. –Fin de l’audience à  9 h 48.

 

 

[8]                 Dans ses motifs écrits datés du 22 février 2008, le juge de première instance a ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION] Permettre à l’intimée d’interroger l’appelante serait l’équivalent d’une ultime tentative désespérée d’éviter les conséquences de ne pas être tout à fait préparé pour  un renversement du fardeau de la preuve. Permettre à l’intimée d’interroger l’appelante, qui n’avait pas les connaissances juridiques requises et qui n’avait pas d’avocat, aurait forcément exigé, à mon avis, l’intervention de la Cour. Consentir à l’application d’une règle qui aurait permis de tenter d’amener l’appelante à attester de la validité des éléments de preuve de l’intimée, n’est pas quelque chose que la Cour devrait encourager. Pour les motifs qui précèdent, je n’ai pas autorisé l’intimée à faire témoigner l’appelante. [par. 12]

 

En l’espèce, l’intérêt de la justice est mieux servi en refusant la présentation d’une preuve qui, à mon avis, ne répondait pas aux normes de la meilleure preuve établies pour permettre à la Cour de tirer des conclusions fiables. [par. 13]

 

 

Par conséquent, l’audience a pris fin sans que l’intimée, la partie à laquelle incombait le fardeau de la preuve, ait déposé les éléments de preuve qui appuyaient ses nouvelles allégations. Les parties ont été informées que l’appel serait ainsi accueilli. [par. 14]

 

 

[9]               Notre Cour a dit clairement que, même si les règles de preuve dans la procédure informelle de la Cour de l’impôt sont quelque peu assouplies, les règles de justice naturelle doivent néanmoins être respectées (voir Muszka c. Sa Majesté la Reine, [1993] A.C.F. n° 1346, au par. 6 (CAF)).

 

[10]           Le juge de première instance a pris l’instruction en main et n’a pas permis à la Couronne de présenter sa preuve. Les motifs pour lesquels il n’a pas permis à la Couronne de faire entendre des témoins sont insuffisants pour justifier de déroger à la règle fondamentale de la justice naturelle. 

 

[11]           Dans ses motifs de jugement, le juge de première instance a reconnu que la Couronne souhaitait faire témoigner la contribuable et son époux (au par. 8). Ils se trouvaient tous les deux dans la salle d’audience, l’époux agissait à titre de mandataire de la contribuable, il était l’étudiant inscrit dans le programme d’enseignement en cause et il avait personnellement connaissance des faits en litige. Toutefois, le juge de première instance a conclu que l’époux ne pouvait pas être contraint à témoigner parce que la Couronne ne l’avait pas assigné à comparaître. Or une assignation à comparaître oblige simplement une personne à comparaître devant un tribunal.

 

[12]           Le juge de première instance a commis également une erreur de droit lorsqu’il a refusé à la Couronne la permission de faire témoigner l’appelante. Il a déclaré : [TRADUCTION] « Vous ne pouvez pas appeler l’appelante à la barre. L’appelante a terminé son plaidoyer. Vous ne pouvez pas appeler à la barre la partie adverse. L’avez-vous assignée à comparaître? » (par. 15). Il ressort des motifs du jugement que le juge lui-même a considéré par la suite qu’il avait commis une erreur en excluant le témoignage de la contribuable. Il a déclaré : [TRADUCTION] « À titre de partie adverse, l’appelante aurait pu être contrainte à témoigner » (par. 10).

 

[13]           Ayant concédé dans ses motifs de jugement que la contribuable, qui se trouvait dans la salle d’audience, était un témoin contraignable, le juge a tenté d’appuyer la décision qu’il a rendue de vive voix sur la règle de la meilleure preuve. Il déclare : [TRADUCTION] « Toutefois, il est évident qu’elle [la contribuable] ne pouvait pas attester de la validité des documents de l’intimée. Elle ne pouvait produire la meilleure preuve pour aucune des questions en litige. » (par. 10). Puisque le juge n’a pas donné à la Couronne la possibilité de produire une preuve, il ne pouvait savoir sur quel élément de preuve la Couronne allait se fonder ni ne pouvait apprécier la pertinence des témoignages que la Couronne voulait faire entendre. Au sens où on l’applique aujourd’hui, la règle de la meilleure preuve vise uniquement la preuve documentaire et, en particulier, la possibilité de verser en preuve la copie d’un document en substitution de son original. Les éléments de preuve pertinents ne doivent pas être exclus pour la seule raison qu’un autre témoin pourrait présenter une meilleure preuve. Cette préoccupation touche à la valeur probante de la preuve, non à son admissibilité.

 

[14]           Par conséquent, l’appel sera accueilli et l’affaire renvoyée pour audition devant un autre juge de la Cour canadienne de l’impôt.

 

[15]           Suivant l’article 18.25 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, l’intimée, Heather M. Wood, aura droit aux dépens qui s’appliquent à cet appel. 

 

 

 « J. Richard »

Juge en chef

« Je souscris aux présents motifs

   J.D. Denis Pelletier, juge »

 

 

« Je souscris aux présents motifs

   C. Michael Ryer, juge »

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-142-08

 

(APPEL D’UN JEGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU 22 FÉVRIER 2008 (2008 TCC 105))

 

INTITULÉ :                                                                           SA MAJESTÉ LA REINE  C. HEATHER M. WOOD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 7 OCTOBER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE EN CHEF RICHARD

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE PELLETIER ET

                                                                                                     LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 9 OCTOBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wendy Burnham

Deborah Horowitz

POUR L’APPELANTE

 

 

Robert McMechan

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’APPELANTE

 

 

Robert McMechan

 

POUR L’INTIMÉE

 

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