Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20080918

Dossiers : A-316-07

A-315-07

A-317-07

A-318-07

A-319-07

 

Référence : 2008 CAF 274

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE RYER

 

A-316-07

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

et

 

CHOI HAH HUANG

défenderesse

 

 

A-315-07

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

et

 

YI BAO HUANG

défenderesse

 

 

A-317-07

 

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

et

 

SHAO PING HUANG

défenderesse

 

A-318-07

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

 

et

 

MUI KIU CHOW

défenderesse

 

A-319-07

 

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

 

et

 

JANET WAI CHUN YUK

défenderesse

 

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 septembre 2008.

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 18 septembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE BLAIS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                        LE JUGE DÉCARY

        LE JUGE RYER

 


 

Date : 20080918

Dossiers : A-316-07

A-315-07

A-317-07

A-318-07

A-319-07

 

Référence : 2008 CAF 274

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE RYER

 

A-316-07

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

et

 

CHOI HAH HUANG

défenderesse

 

 

A-315-07

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

et

 

YI BAO HUANG

défenderesse

 

 

A-317-07

 

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

et

 

SHAO PING HUANG

Défenderesse

 

 

A-318-07

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

 

et

 

MUI KIU CHOW

défenderesse

 

 

A-319-07

 

ENTRE :

TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD.

demanderesse

 

et

 

JANET WAI CHUN YUK

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BLAIS

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision rendue le 28 mai 2007 par le juge-arbitre Max Teitelbaum, du Bureau du juge-arbitre.

 

[2]               De façon générale, la question qui oppose les parties est de savoir si cinq couturières à l’emploi de Taiga Works-Wilderness Equipment Ltd. (Taiga) étaient fondées à quitter leur emploi après que Taiga eut apparemment modifié leurs conditions de rémunération.

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire porte explicitement sur la question de savoir si le juge-arbitre a eu raison de conclure que les employées étaient fondées à quitter l’emploi qu’elles exerçaient auprès de Taiga alors que la majorité du conseil arbitral en était arrivée à la conclusion contraire dans le cas des défenderesses représentées par Mme Huang.

 

[4]               La décision du juge-arbitre devrait être renvoyée au juge-arbitre en chef pour nouvelle décision.

 

Les faits à l’origine du litige

La décision de la Commission

[5]               Le 20 décembre 2005, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a décidé que onze couturières n’avaient pas démontré qu’elles étaient fondées à quitter l’emploi qu’elles exerçaient auprès de Taiga. De l’avis de la Commission, les défenderesses n’avaient pas cherché d’autres solutions raisonnables que celle de quitter volontairement leur emploi et, notamment, qu’elles n’avaient pas communiqué avec un bureau de placement ou avec un bureau des normes d’emploi avant leur départ. Elle a donc imposé une exclusion du bénéfice des prestations pour une période indéfinie conformément aux articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi.

 

La décision du conseil arbitral

[6]               Devant le conseil arbitral, les appels des couturières ont été réunis en deux groupes. Le premier groupe d’appelantes était représenté par Mme Huang (A-316-07) et le second, par Mme Lau (A-321-07). Les appels des deux groupes ont été entendus dans le cadre de deux audiences distinctes devant le conseil arbitral et la preuve présentée dans chaque appel ne semble pas être la même. Chaque décision a donné lieu, à son tour, à des appels différents devant la Cour d’appel fédérale.

 

[7]               Les défenderesses du groupe Huang ont interjeté appel de la décision de la Commission devant le conseil arbitral (le conseil), qui a conclu, dans une décision majoritaire, que lesdites défenderesses n’étaient pas fondées à quitter leur emploi au sens de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’assurance-emploi. De l’avis du conseil :

[traduction] [l]a prestataire en l’espèce n’était pas admissible en vertu du sous‑alinéa 29c)(vii), contrairement à ce que son représentant a soutenu. En raison de la nature complexe et changeante du système de rémunération du travail à la pièce, il était impossible de procéder à une comparaison de la rémunération lorsque différents articles étaient produits. La majorité du conseil n’a pu en arriver à une conclusion sur la question de savoir si des « modifications importantes » avaient été apportées aux conditions de rémunération.

 

Elle n’a pu conclure non plus à la lumière de la preuve à une modification importante des fonctions (sous-alinéa 29c)(ix).

 

[8]               La majorité du conseil a également conclu qu’il n’était pas vraiment urgent que les défenderesses du groupe Huang quittent leur emploi, parce que d’autres solutions raisonnables s’offraient à elles :

[traduction] …l’employeur avait le droit d’essayer de nouvelles formules afin d’améliorer la qualité et la quantité; même si le nouveau plan était complexe et pouvait demander du temps, il était légal. La majorité du conseil est d’avis que les conditions de travail n’étaient pas intolérables au point de justifier le départ de la prestataire au moment où elle a quitté son emploi. Cette observation a été confirmée lorsque la prestataire a avoué qu’elle serait prête à retourner chez Taiga.

[9]               En conséquence, le 13 mars 2006, la majorité du conseil a décidé que les défenderesses du groupe Huang n’étaient pas fondées à quitter leur emploi et a rejeté l’appel. La minorité du conseil a conclu en faveur des défenderesses du groupe Huang, estimant que les facteurs invoqués par celles-ci constituaient une justification suffisante et établissaient qu’elles étaient fondées à quitter leur emploi.

 

[10]           Les défenderesses du groupe Huang ont interjeté appel devant le juge-arbitre. Le 4 juillet 2006, avant que le juge-arbitre puisse rendre une décision, la Commission a révisé la décision du conseil arbitral et a admis l’appel des défenderesses du groupe Huang. Elle a recommandé au juge-arbitre que l’appel de celles-ci soit accueilli. Le 12 juillet 2006, les défenderesses du groupe Huang ont avisé la Commission qu’elles se désistaient de leur demande d’audience devant le juge-arbitre. Le 18 juillet 2006, la demanderesse a fait savoir à la Commission qu’elle s’opposait au changement de position de celle-ci et qu’elle demandait la tenue d’une audience devant le juge-arbitre.

 

[11]           L’appel que les défenderesses du groupe Huang avaient interjeté devant le juge-arbitre a été entendu et accueilli et la décision que le conseil arbitral avait rendue le 13 mars 2007 a été infirmée.

 

[12]           Le juge-arbitre a pris connaissance des observations écrites de la demanderesse avant de rendre ses décisions dans les affaires des défenderesses du groupe Huang. Le 28 mai 2007, il a conclu que ces observations ne comportaient pas de nouveaux renseignements et que la demanderesse y réitérait simplement la position de l’employeur.

 

[13]           Le juge-arbitre a également conclu que le conseil arbitral avait rendu une décision erronée dans le cas des défenderesses du groupe Huang. De l’avis du juge-arbitre, l’employeur

[traduction] […] a modifié unilatéralement les conditions de travail. L’employeur a décidé d’accroître la production des employées en éliminant leur pause-café et en engageant des « messagers » de façon qu’elles ne puissent quitter leur machine à coudre.

 

La majorité du conseil arbitral n’a pas accordé suffisamment de poids aux changements unilatéraux apportés par l’employeur.

 

[14]           De l’avis du juge-arbitre, la décision partagée qu’a rendue le conseil arbitral au sujet des défenderesses du groupe Huang montrait que certains éléments de preuve permettaient de conclure que lesdites défenderesses étaient fondées à quitter leur emploi.

 

Analyse

[15]           Dans Canada (Procureur général) c. Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc., 2003 CAF 344, [2003] A.C.F. n° 1413 (QL) (Tourelle), le juge Létourneau a conclu que le juge‑arbitre n’avait pas le pouvoir d’apprécier à nouveau la preuve :

Le juge-arbitre a tout simplement substitué son appréciation des faits et de la crédibilité des témoins, en l’occurrence l’employeur, à celle du conseil arbitral.

 

Il ne disposait pas de ce pouvoir. Son rôle se limitait « à décider si l’appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier » : Procureur général du Canada c. McCarthy, 174 N.R. 28 (C.A.F.). Or, en l’espèce, le dossier contenait suffisamment d’éléments de preuve permettant au conseil arbitral de tirer les conclusions que le juge-arbitre a erronément renversées.

 

 

[16]           Dans la présente affaire, le juge-arbitre a conclu que le conseil arbitral avait rendu une décision erronée, mais a précisé que l’erreur était fondée sur le poids accordé à la preuve :

[traduction] La majorité du conseil n’a pas accordé suffisamment de poids aux changements unilatéraux apportés par l’employeur. (non souligné dans l’original)

 

 

[17]           Eu égard à la décision rendue dans Tourelle, le juge-arbitre n’avait tout simplement pas le pouvoir de déterminer le poids à accorder à la preuve, ce qui favorise l’octroi de la demande de contrôle judiciaire et un réexamen de l’appel interjeté devant le juge-arbitre.

 

[18]           Dans sa conclusion, le juge-arbitre s’exprime comme suit :

[traduction] À mon avis, il y a lieu d’accepter la recommandation de la Commission. Le conseil arbitral était saisi des observations que l’employeur avait formulées devant le juge-arbitre et qui ne sont rien de plus qu’une répétition des arguments qu’il avait déjà invoqués. En fait, comme le montre la décision partagée qu’a rendue le conseil arbitral, certains éléments de preuve permettent de conclure que les défenderesses du groupe Huang étaient fondées à quitter leur emploi. Eu égard à la preuve, la décision de la minorité du conseil arbitral peut certainement être considérée comme une conclusion raisonnable. (Non souligné dans l’original.)

 

 

[19]           Malgré le fait qu’une décision du conseil faisant droit à la réclamation des défenderesses du groupe Huang aurait pu être admise, tel n’a pas été le cas. En conséquence, le juge-arbitre devait soupeser la décision de la majorité du conseil pour savoir si elle était raisonnable. La question de savoir si la conclusion tirée par la minorité du conseil était raisonnable ne permet pas de sceller l’issue de l’appel interjeté devant le juge-arbitre. Le conseil arbitral aurait peut‑être pu en arriver à plusieurs conclusions différentes en se fondant sur la preuve. C’est la décision rendue par la majorité du conseil qui doit être examinée dans le cadre de l’analyse du juge-arbitre. Or, celui‑ci ne tire aucune conclusion quant au caractère raisonnable de la décision de la majorité du conseil.

 

[20]           Dans sa décision, le conseil arbitral a souligné ce qui suit :

[traduction] En raison de la nature complexe et changeante du système de rémunération du travail à la pièce, il était impossible de procéder à une comparaison de la rémunération lorsque différents articles étaient produits. La majorité du conseil n’a pu en arriver à une conclusion sur la question de savoir si des « modifications importantes » avaient été apportées aux conditions de rémunération.

 

[…]

 

Il est indéniable que la prestataire en l’espèce a quitté volontairement son emploi alors que d’autres solutions s’offraient à elle à l’époque. La majorité du conseil a conclu qu’en fait, il n’était pas vraiment urgent que la prestataire quitte son emploi à l’époque et qu’elle aurait pu communiquer avec le bureau des normes d’emploi ou avec la Commission de l’assurance-emploi afin d’obtenir un avis au sujet de sa position juridique.

 

[21]           Le juge-arbitre ne s’est pas demandé si la conclusion du conseil selon laquelle les défenderesses du groupe Huang n’étaient pas fondées à quitter volontairement leur emploi était raisonnable, compte tenu des motifs invoqués à l’appui de cette conclusion.

 

[22]           En conséquence, la décision du juge-arbitre devrait être infirmée et l’affaire devrait être renvoyée au juge-arbitre en chef, ou au juge-arbitre qu’il désignera, afin qu’il décide s’il était raisonnable que la majorité du conseil en arrive à la conclusion que les défenderesses du groupe Huang n’étaient pas fondées à quitter volontairement l’emploi qu’elles exerçaient auprès de la demanderesse.

 

Conclusion

[23]           J’accueillerais la demande de contrôle judiciaire à l’égard des défenderesses du groupe Huang, j’infirmerais la décision du juge-arbitre et je renverrais l’affaire au juge-arbitre en chef ou au juge-arbitre qu’il désignera, afin qu’il décide si les défenderesses du groupe Huang étaient fondées à quitter volontairement l’emploi qu’elles exerçaient auprès de la demanderesse.

 

[24]           Les parties n’ayant pas sollicité de dépens, je n’accorderais aucun montant à ce titre.

« Pierre Blais »

j.c.a.

 

 

 

« Je souscris aux présents motifs.

                        Robert Décary j.c.a. »

 

 

« Je souscris aux présents motifs.

C. Michael Ryer j.c.a. »

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS

 

DOSSIERS :                                                  A-316-07

                                                                        A-315-07

                                                                        A-317-07

                                                                        A-318-07

                                                                        A-319-07

 

INTITULÉ :                                                   TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD. c.

                                                                        CHOI HAH HUANG

                                                                        TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD. c.

                                                                        YI BAO HUANG

                                                                        TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD. c.

                                                                        SHAO PING HUANG

                                                                        TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD. c.

                                                                        MUI KIU CHOW

                                                                        TAIGA WORKS-WILDERNESS LTD. c.

                                                                        JANET WAI CHUN YUK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        Le juge Blais

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     Le juge Décary

                                                                        Le juge Ryer

                                                                       

DATE DES MOTIFS :                                  Le 18 septembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert A. Kasting

POUR LA DEMANDERESSE

 

Personne n’a comparu

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

 

Stewart, Aulinger & Co.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.