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Date : 20080711

Dossier : A-9-07

Référence : 2008 CAF 237

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ DES ARRIMEURS DE QUÉBEC

et

COMPAGNIE D’ARRIMAGE DE QUÉBEC LTÉE

et

SERVICES MARITIMES QUÉBEC INC.

demandeurs

et

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE,

SECTION LOCALE 3810

et

SYNDICAT DES DÉBARDEURS DU PORT DE QUÉBEC,

SECTION LOCALE 2614 DU SCFP

défendeurs

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 28 avril 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                                 LE JUGE BLAIS

 


Date : 20080711

Dossier : A-9-07

Référence : 2008 CAF 237

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ DES ARRIMEURS DE QUÉBEC

et

COMPAGNIE D’ARRIMAGE DE QUÉBEC LTÉE

et

SERVICES MARITIMES QUÉBEC INC.

demandeurs

et

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE,

SECTION LOCALE 3810

et

SYNDICAT DES DÉBARDEURS DU PORT DE QUÉBEC,

SECTION LOCALE 2614 DU SCFP

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Nous sommes saisis d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) siégeant en réexamen d’une décision rendue par une formation différente du Conseil.

 

[2]               Sont en litige les pouvoirs du Conseil a) de réexaminer sa décision initiale; b) d’adjuger lors du réexamen sur la portée intentionnelle du certificat d’accréditation; c) de statuer sur les limites de sa compétence par rapport à celle d’un arbitre de grief; et d) de réexaminer de son propre chef une question en litige dans la décision initiale.

 

[3]               À ces questions s’ajoute une allégation que le Conseil siégeant en réexamen aurait fait défaut de respecter les règles de justice naturelle.

 

Les faits et la procédure

 

[4]               Par demande datée du 17 avril 2003, le Syndicat canadien de la Fonction publique (SCFP) interpelle le Conseil quant à la portée du certificat d’accréditation qui gouverne les relations entre les parties. Il lui demande de déclarer que le certificat comprend les activités de chargement et de déchargement de vrac ainsi que celles de manutention des bagages de passagers. En outre, il demande au Conseil de déclarer que treize (13) personnes, qui ne détenaient pas l’autorisation requise, auraient effectué des activités de vérification contrairement à l’accréditation existante.

 

[5]               Après de longues audiences (18 jours), l’audition de nombreux témoins et le dépôt d’une preuve documentaire importante, le Conseil, dans sa décision initiale rendue par la Vice-présidente siégeant seule, conclut ainsi :

 

déclare qu’à défaut d’être directement affectés au chargement et au déchargement des navires, les employés mentionnés au paragraphe 7 de la demande n’exercent pas des tâches de vérification;

 

déclare que le libellé de l’ordonnance d’accréditation actuelle, à moins d’une entente entre les parties ou d’une sentence arbitrale concernant l’interprétation de la convention collective, ne comprend pas l’étiquetage et la vérification des bagages;

 

 

[6]               Cette décision du Conseil émise le 9 novembre 2005 fait l’objet d’une demande de réexamen en date du 30 novembre 2005. Le SCFP section locale 3810 et le SCFP section locale 2614 sont alors les demandeurs.

 

[7]               Le 8 décembre 2006, le Conseil, composé de trois membres et siégeant en réexamen, rend une décision unanime qui emporte modification des conclusions de la décision initiale. Plus précisément, il écrit :

 

[…]

 

2)  réexamine et annule la conclusion du banc initial selon laquelle « à défaut d’être directement affectés au chargement et au déchargement des navires, les employés mentionnés au paragraphe 7 de la demande [liste des treize personnes mentionnées dans la demande initiale] n’exercent pas des tâches de vérification ». Le litige entre les parties, à savoir si les travaux particuliers effectués par les treize personnes visées par la demande initiale sont des travaux de vérification, relève de la compétence d’un arbitre de griefs;

 

3)  réexamine et annule les conclusions du banc initial conduisant à l’exclusion des cargaisons en vrac ainsi que de l’étiquetage et la vérification des bagages de passagers et déclare qu’en l’absence d’une demande visant formellement à modifier la description du certificat d’accréditation en vertu de l’article 18 du Code, celui-ci n’exclut aucun type de cargaison.

 

 

De là, la demande de contrôle judiciaire faite à notre Cour par la Société des arrimeurs du Québec, la Compagnie d’arrimage de Québec Ltée et les Services maritimes Québec Inc.

 

[8]               Par leur questionnement, les demandeurs cherchent à débattre à nouveau de sujets qui ont déjà fait l’objet d’une adjudication par notre Cour. Aussi ne sera-t-il pas nécessaire d’épiloguer longuement sur chacune des questions qu’ils soumettent.

 

Le pouvoir du Conseil de réexaminer sa décision initiale

 

 

[9]               Dans les circonstances de la présente affaire, il est indubitable que le Conseil possédait la compétence pour réviser une de ses décisions antérieures car le pouvoir de réexamen que lui confère l’article 18 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (Code) n’est pas contraint par l’article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, DORS/2001-520 (Règlement).

 

[10]           Ainsi que l’a décidé notre Cour dans l’affaire ADM Agri-Industries Ltée c. Syndicat national des employés de Les Moulins Maple Leaf (de l’Est), 2004 CAF 69, l’énumération des motifs de réexamen que l’on retrouve à l’article 44 du Règlement n’est pas limitative. Elle n’affecte pas la portée du pouvoir discrétionnaire de l’article 18 du Code.

 

 

 

Le pouvoir du Conseil lors du réexamen d’adjuger sur la portée intentionnelle du certificat d’accréditation

 

 

[11]           Le Conseil siégeant en réexamen de sa décision initiale était investi de la compétence nécessaire pour statuer sur la portée intentionnelle du certificat d’accréditation. Il s’agit d’un aspect important du rôle qu’il est appelé à jouer et la question se situe au cœur de son expertise. Il n’a donc pas excédé sa compétence en procédant à déterminer si l’accréditation détenue par le SCFP englobait les marchandises en vrac ainsi que l’étiquetage et la vérification de bagages de passagers.

 

Le pouvoir du Conseil lors du réexamen de décider s’il a compétence ou non pour déterminer si les personnes exerçaient des tâches de vérification

 

 

[12]           Le Conseil pouvait lors du réexamen déterminer s’il relevait de sa compétence, ou plutôt de celle d’un arbitre de grief, de décider la question de savoir si les treize personnes mentionnées dans la demande initiale de réexamen effectuaient ou non des tâches de vérification.

 

Le pouvoir du Conseil lors du réexamen de réexaminer de son propre chef une question en litige dans la décision initiale

 

 

[13]           Le Conseil siégeant en réexamen de sa décision initiale à la demande d’une partie pouvait, de son propre chef, examiner une question qui n’avait pas été soulevée par les parties. Notre Cour dans l’affaire ADM Agri-Industries Ltée, précitée, a réitéré la conclusion en ce sens à laquelle elle en était venue dans la cause impliquant le Syndicat canadien des communications de l’énergie et du papier c. Canada (Conseil canadien des relations de travail) (1994), 174 N.R. 57. Toutefois, ce faisant, le Conseil doit donner aux parties l’occasion de soumettre des observations.

 

[14]           La question dans le cas présent portait sur l’interprétation du certificat d’accréditation aux fins de déterminer s’il englobait l’étiquetage et la vérification des bagages de passagers. Il est vrai que les demandeurs n’ont pas été appelés à produire devant le Conseil siégeant en réexamen des observations sur le sujet.

 

[15]           Mais la question avait été amplement débattue lors de l’audition conduisant à la décision initiale du Conseil. Les parties avaient, de fait, fait valoir leurs prétentions sur l’interprétation à donner au certificat d’accréditation en rapport avec cette question.

 

[16]           Au moment du réexamen de la décision initiale, le Conseil disposait de toute la preuve soumise, des prétentions des demandeurs sur cette question ainsi que de l’analyse que le Conseil en a faite initialement.

 

[17]           Dans ce contexte, je ne crois pas que les demandeurs aient subi un quelconque préjudice. Cela suffit pour disposer de la question. J’ajouterais aussi ceci.

 

[18]           Le Conseil bénéficie d’une clause privative qui limite considérablement la révision judiciaire qui peut être demandée à l’égard de ses décisions ou de ses ordonnances. Selon l’article 22 du Code, hormis les manquements aux principes de justice naturelle, seules les absences, excès ou refus de compétence peuvent faire l’objet d’une révision judiciaire (je laisse de côté la fraude car cet élément n’est pas en cause).

 

[19]           Ici, la décision au mérite du Conseil en réexamen porte sur l’interprétation de la portée du certificat d’accréditation. En présumant, sans trancher la question, que cette décision au mérite puisse être soumise à la révision judiciaire, elle ne saurait être annulée que si elle est déraisonnable selon la nouvelle classification de la norme de contrôle dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] A.C.S. no. 9. Il n’est plus du tout évident depuis cet arrêt qu’une décision déraisonnable résulte en une perte de compétence : voir par exemple la décision de notre collègue, le juge Pelletier, dans l’affaire Air Canada, Jazz Air LP and West Jet v. Canadian Transportation Agency and the Estate of Eric Norman, Joanne Neubauer and the Council of Canadians with Disabilities, 2008 FCA 168.

 

[20]           Dans les circonstances, vu l’absence de préjudice, la clause privative et les sévères restrictions apportées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir quant à la notion de compétence, je crois qu’ordonner une nouvelle audition aboutirait inexorablement au même résultat aux deux paliers de décision. J’appliquerais la mesure corrective invoquée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mobil Oil c. Office des Hydrocarbures, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228, qui consiste dans ces cas à ignorer un manquement à la justice naturelle : voir aussi les arrêts Yassine v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] F.C.J. No. 949 (C.A.F.), paragraphe 9; Cartier c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no. 1386, paragraphes 31 à 33; et Vézina c. Le Procureur général du Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 67, au paragraphe 7, où la mesure fut aussi appliquée.

 

[21]           Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs

            Alice Desjardins, j.c.a. »

« Je suis d’accord

            Pierre Blais, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        A-9-07

 

INTITULÉ :                                       SOCIÉTÉ DES ARRIMEURS DE QUÉBEC et COMPAGNIE D’ARRIMAGE DE QUÉBEC LTÉE et SERVICES MARITIMES QUÉBEC INC. c. SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 3810 et SYNDICAT DES DÉBARDEURS DU PORT DE QUÉBEC, SECTION LOCALE 2614 DU SCFP

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                         LA JUGE DESJARDINS

                                                            LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alphonse Lacasse

Nathalie Vaillant

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jacques Lamoureux

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joli-Coeur, Lacasse, Jetté, Saint-Pierre

Québec (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Lamoureux, Morin, Lamoureux

Longueuil (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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