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Date : 20080613

Dossier : A-454-07

Référence : 2008 CAF 214

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE SEXTON              

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

appelant

et

BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM

et NATION SQUAMISH

intimées

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 mai 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 juin 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                               LE JUGE EVANS                                                                                                                                                                                               

 


 

Date : 20080613

Dossier : A-454-07

Référence : 2008 CAF 214

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE SEXTON              

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

appelant

et

BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM

et NATION SQUAMISH

intimées

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

[1]               La Cour est saisie de l’appel interjeté par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (l’appelant) de l’ordonnance en date du 28 septembre 2007 par laquelle le juge de première instance a fait droit à la requête en injonction interlocutoire présentée par l’intimée, la bande indienne de Musqueam (les Musqueam) en vue d’interdire à l’appelant de vendre deux immeubles à bureaux situés au centre-ville de Vancouver, sous réserve d’un engagement pris par Musqueam en faveur de l’appelant pour la somme limitée de deux millions de dollars. L’instance principale est une demande de contrôle judiciaire dans laquelle les intimées réclament une ordonnance interdisant la vente ou l’aliénation des immeubles, de même qu’un jugement déclarant que Sa Majesté la Reine du chef du Canada était légalement tenue de consulter les Musqueam de bonne foi au sujet de l’aliénation des immeubles en question avant d’en disposer et de s’efforcer de tenir raisonnablement compte des droits ancestraux des Musqueam et des droits qui leur sont conférés par des traités sur les immeubles en question.

 

[2]               Les Musqueam ont formé un appel incident. Ils demandent à la Cour de ne pas les obliger à s’engager à se conformer à toute ordonnance que la Cour pourrait prononcer au sujet des dommages causés par le prononcé ou la prorogation de l’injonction réclamée.

 

[3]               L’arrêt RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général) [1994] 1 R.C.S. 311 (RJR‑MacDonald) a confirmé les trois critères auxquels le requérant doit satisfaire pour avoir droit à l’injonction qu’il sollicite : (1) il doit y avoir une question sérieuse à juger dans l’instance principale; (2) le requérant doit risquer de subir un préjudice irréparable dont il ne pourrait être indemnisé par des dommages-intérêts si l’injonction interlocutoire lui est refusée; (3) compte tenu de l’intérêt public, la prépondérance des inconvénients doit favoriser le requérant. Les trois facteurs sont cumulatifs : le défaut de satisfaire à l’un d’entre eux entraîne le refus de prononcer l’injonction interlocutoire. Il incombe au requérant de démontrer qu’il satisfait à chacun des facteurs.

 

[4]               La démarche suivie par le juge de première instance pour appliquer le critère posé dans l’arrêt RJR-MacDonald a pour effet d’accorder aux groupes autochtones (qui se plaignent que le gouvernement fédéral ne les a pas consultés) un droit qui équivaut à un droit de véto sur le transfert, par le gouvernement fédéral, du titre de propriété sur les immeubles situés dans tout secteur revendiqué par ce groupe en tant que territoire traditionnel et ce, malgré le fait que le groupe autochtone ne prétende pas : (1) que le transfert de la propriété entraînerait une éventuelle dégradation de l’immeuble susceptible de porter atteinte à leurs droits ancestraux; (2) qu’il a besoin de ces immeubles précis pour ses propres besoins. Il s’ensuit que le groupe autochtone n’est pas tenu de faire la preuve d’un préjudice irréparable et qu’on ne respecte pas ainsi l’équilibre entre les intérêts de la société et les intérêts autochtones que la Cour suprême du Canada cherchait à atteindre en imposant au gouvernement l’obligation de consulter les peuples autochtones, une obligation qui découle du principe de l'honneur de la Couronne.

 

[5]               Il est essentiel de bien comprendre le contexte dans lequel s’inscrit l’opération projetée et de saisir la nature des deux immeubles en cause pour bien analyser la présente affaire. L’opération vise deux grands complexes de bureaux situés en plein centre-ville de Vancouver, dont la nature et la vocation ne seraient pas modifiées à la suite de l’opération.

 

[6]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que le juge de première instance a commis une erreur de fait et de droit en décidant que les Musqueam subiraient un préjudice irréparable par suite de l’aliénation des immeubles en question. Je suis par conséquent d’avis d’accueillir l’appel. Il n’est donc pas nécessaire de statuer sur l’appel incident.

Les faits

Les parties

[7]               Les Musqueam sont une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5 (la Loi). Les Musqueam sont dirigés par un chef élu et par dix conseillers élus conformément aux dispositions de la Loi. Ils possèdent trois réserves, situées dans la vallée du Bas‑Fraser, dans la partie sud-ouest de Vancouver. Les membres actuels des Musqueam sont des descendants d’Autochtones qui vivaient sur un territoire de la vallée du Bas‑Fraser, en Colombie‑Britannique, qui englobe le centre‑ville de Vancouver.

 

[8]               Les Musqueam revendiquent un territoire qui englobe notamment la totalité de Vancouver comme territoire traditionnel. D’autres Premières nations revendiquent aussi des territoires traditionnels qui comprennent le centre-ville de Vancouver et qui chevauchent le territoire revendiqué par les Musqueam. Font partie de ce groupe la Nation Squamish, la Nation Sto:lo et la Nation Tsleil-Wauthuth. Le groupe Hul’qumi’num, qui est engagé dans des négociations en vue de la signature d’un traité, revendique un territoire maritime traditionnel qui englobe un secteur qui entoure le centre-ville de Vancouver. L’appelant a par ailleurs laissé entendre que la Première nation Kwiketlem, qui n’est pas présentement engagée dans des négociations de traité, revendique un territoire qui pourrait chevaucher celui que revendiquent les Musqueam.

 

[9]               Le Canada a accepté en 1991 de négocier avec les Musqueam, qui revendiquent un droit de propriété sur le territoire de Vancouver, dans le cadre des négociations menées en vertu de la Politique des revendications territoriales globales et depuis 1994, le Canada a poursuivi des négociations de manière sporadique avec les Musqueam sous le régime du processus actuel des traités de la Colombie- Britannique (PTCB). Le gouvernement du Canada n’a jamais reconnu que les Musqueam avaient légalement droit aux immeubles en question.

 

[10]           Le PTCB comporte six étapes; les Musqueam en sont présentement à la quatrième étape, celle de la négociation d’un accord de principe qui devrait servir de base à un éventuel traité. Depuis que la quatrième étape du PTCB a été entamée, les négociations avec l’intimée sont essentiellement au point mort. Hormis le fait qu’elle a présenté les nouveaux représentants de l’équipe fédérale, la Couronne fédérale n’a participé qu’à une seule rencontre bilatérale avec les Musqueam le 28 septembre 2005, pour discuter de la quatrième étape, en l’occurrence celle de la planification des travaux de négociation de l’accord de principe.

 

[11]           Les Musqueam n’auraient pas donné suite aux invitations qui lui ont été faites en octobre et en novembre 2005 en vue de reprendre les rencontres. Les démarches entreprises pour entrer en contact avec les Musqueam ont été abandonnées en 2006 en raison de l’absence de réponse aux demandes qui leur avaient été faites pour suggérer des dates de rencontres ou pour confirmer que les négociations se poursuivaient d’une façon ou d’une autre. Les négociations s’enlisent depuis et en sont toujours à la quatrième étape du PTCB. Les Musqueam expliquent que leur manque de collaboration est peut-être attribuable aux questions litigieuses urgentes qui ont sollicité leur attention et leurs ressources depuis 2004 et les ont empêchés de participer pleinement au PTCB.

[12]           Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) fournit aux employés du gouvernement fédéral de partout au Canada des locaux situés dans des immeubles loués par l’État ou lui appartenant. TPSGC a décidé d’explorer des mécanismes qui lui permettraient de ne plus s’occuper de la gestion d’immeubles et de se concentrer uniquement sur ce qu’il considère comme des activités « essentielles » du gouvernement, tout en économisant du même coup l’argent des contribuables. TPSGC souhaitait réduire le rapport entre les immeubles qui lui appartiennent et ceux qu’il loue, pour transférer au secteur privé les risques associés au fait d’être propriétaire d’immeubles. C’est à cette fin qu’il a demandé, le 16 juin 2006, des propositions concernant l’achat d’un certain nombre d’immeubles lui appartenant, y compris ceux dont il est question ci-après.

 

Les immeubles

[13]           Le présent appel et la demande principale de contrôle judiciaire concernent l’immeuble situé au 401, rue Burrard, ainsi que le Centre Sinclair, situé au 757, rue Hastings Ouest, à Vancouver (les immeubles). L’appelant décrit les immeubles comme suit :

[traduction]

L’immeuble sis au 401, rue Burrard a été initialement acquis par la Couronne fédérale de simples particuliers en 1948. Un bureau de douane a été construit sur les lieux en 1955 ou vers cette année pour être ensuite démoli en 1995 ou vers cette année. À l’époque, le terrain, qui avait été transféré en 1992 par la Couronne fédérale à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, a été cédé à la Société immobilière du Canada limitée. Avant l’achèvement des travaux de construction de l’immeuble actuel, la propriété a été rétrocédée à la Couronne fédérale en 2002. L’immeuble du 401, rue Burrard est presque exclusivement occupé par des bureaux de divers ministères du gouvernement fédéral. On y trouve un petit café-restaurant, un entrepôt utilisé par le gestionnaire de l’immeuble, ainsi que des locaux utilisés par des services de télécommunication.

 

Le terrain sur lequel est construit le Centre Sinclair est composé de plusieurs parcelles qui appartenaient toutes antérieurement à des particuliers. En 1904, une partie de la propriété a été acquise par la Couronne fédérale en vue de la construction du bureau de poste principal de Vancouver. Au cours des années, la Couronne fédérale a continué à acquérir des parties du terrain sur lequel se trouve présentement le Centre Sinclair. La dernière portion a été transférée à la Couronne fédérale en 1984. Le Centre Sinclair est composé de l’ancien bureau de poste et des immeubles voisins. Il renferme plusieurs points de vente au détail, ainsi que des bureaux occupés par des ministères fédéraux.

 

 

Au cours des débats, il semble que les parties se sont entendues sur le fait que la superficie totale des immeubles en question s’étendait sur environ deux acres. Les immeubles sont situés dans les limites du territoire désigné dans la déclaration de titre ancestral faite par la Nation de Musqueam en juin 1976.

 

Genèse de l’instance

[14]           Le 5 mars 2007, l’appelant a annoncé publiquement que le gouvernement du Canada procéderait à l’aliénation de neuf immeubles lui appartenant, dont les immeubles en cause faisaient partie, au moyen d’ententes de cession‑bail. Les intimées ont été contactées, de même que les bandes Tseil-Waututh, Sto:Lo et de New Westminster.

 

[15]           Les Musqueam ont exprimé plusieurs réserves au sujet de la vente proposée et ils ont réclamé la tenue de consultations avec des représentants de TPSGC, tout d’abord par une lettre datée du 29 mars 2007 (cette lettre n’aurait été reçue qu’après l’envoi d’une seconde copie le 19 avril 2007). Les Musqueam ont notamment rappelé que la Couronne avait l’obligation de tenir compte des intérêts des peuples autochtones, que les immeubles en question étaient susceptibles d’être visés par le règlement de leur revendication territoriale et que les Musqueam avaient besoin d’un plus grand nombre de terres pour le logement et qu’ils avaient droit à ces terres.

 

[16]           Au cours de la semaine du 1er mai 2007, le gouvernement fédéral a annoncé la vente des immeubles à l’échelle nationale dans des médias ainsi que par le biais du système de soumission en ligne du gouvernement. Le 4 mai 2007, TPSGC a envoyé une lettre pour demander une rencontre avec des représentants des Musqueam.

 

[17]           Le 22 mai 2007, les Musqueam ont eu une rencontre d’information avec des représentants de TPSGC. Les Musqueam se sont vus remettre une note contenant des renseignements confidentiels, note qui a été remise aux acheteurs éventuels. Suivant le procès-verbal de la rencontre dressé par un haut fonctionnaire de TPSGC, la rencontre a duré environ une heure. Il ressort de la preuve qu’aucune autre rencontre n’a été fixée. Suivant l’appelant, on a dit à plusieurs reprises aux représentants des Musqueam que la Couronne serait en mesure d’acheter à nouveau les immeubles.

 

[18]           Le 31 mai 2007, un fonctionnaire de TPSGC a écrit aux Musqueam et leur a notamment posé les questions suivantes :

[traduction]

[…] quels renseignements pouvez‑vous nous donner qui démontrent que vous possédez un titre ancestral sur les immeubles mentionnés ci‑dessus? Ces immeubles revêtent‑ils une importance particulière pour la Première nation de Musqueam? Y a‑t‑il d’autres renseignements qu’il serait important de prendre en compte, selon vous?

 

Avant de prendre une décision concernant ces immeubles, nous examinerons tous les renseignements et documents relatifs aux intérêts ancestraux que nous aurons recueillis ou reçus afin d’évaluer la solidité des revendications et leurs répercussions. Le résultat de cette évaluation déterminera la façon dont nous procéderons.

 

[19]           Les Musqueam ont écrit à TPSGC le 29 juin 2007 en réponse à la lettre du 31 mai 2007. Dans leur lettre, les Musqueam ont exprimé leur avis que la rencontre du 22 mai 2007 ne représentait qu’une étape préliminaire en vue de l’élaboration d’un processus de consultation. Par lettre datée du 11 juillet 2007, les Musqueam ont soumis deux rapports d’experts censés se rapporter aux immeubles, à savoir le rapport de M. Leonard C. Ham intitulé [traduction] « Occupation par la bande de Musqueam de la péninsule Coal au centre-ville de Vancouver », et une lettre d’opinion écrite par M. Michael Kew. Les rapports font état de l’occupation des Musqueam et de leur utilisation historique de la région du centre-ville de Vancouver. Ils n’appuient pas les arguments des Musqueam au sujet d’une grave pénurie de terres et ils ne parlent pas d’un attachement particulier envers le territoire en question.

 

[20]           TPSGC a accusé réception des pièces envoyées par les Musqueam dans une lettre datée du 27 juillet 2007. La Bande a reçu l’assurance que [traduction] « l’État n’a pas encore décidé de manière définitive d’aliéner les immeubles ». Les Musqueam affirment n’avoir reçu cette lettre que le 28 août 2007.

 

[21]           Le 20 août 2007, l’appelant a annoncé sa décision de vendre les immeubles (en même temps que les sept autres immeubles) à Larco Investments Ltd. (Larco). Larco avait été l’enchérisseur le plus offrant à répondre à l’appel d’offres portant sur les immeubles. La partie du prix d’achat attribué à chacun des immeubles excédait les 100 millions de dollars. TPSGC a également fait part de cette nouvelle aux Musqueam par lettre, en ajoutant : [traduction] « nous estimons que l’État a rempli toute obligation légale qu’il pouvait avoir de mener des consultations relativement au projet d’aliénation de ces immeubles ».

 

[22]           L’opération comprenant notamment les éléments suivants :

  • Chaque immeuble serait reloué à la Couronne pour une période de vingt‑cinq (25) ans, avec droit de reconduction pour un nombre illimité de périodes de dix (10) ans.

 

  • Les baux confèrent à la Couronne fédérale le droit d’acheter les biens à l’expiration du bail pour le cas ou l’appelant prendrait une décision de principe ou une décision de politique qui ne viserait pas principalement un but lucratif. Ces dispositions ont, selon l’appelant, [traduction] « été expressément stipulées pour protéger toute éventuelle revendication autochtone sur les immeubles qui pourrait être établie plus tard ».

 

  • Les baux confèrent également à la Couronne un droit de préemption advenant le cas où Larco souhaiterait vendre les immeubles.

 

  • Les baux permettent à la Couronne de sous-louer les immeubles à sa discrétion.

 

[23]           Le 22 août 2007, les Musqueam ont répondu à la lettre de TPSGC en déclarant qu’ils estimaient que la Couronne ne s’était pas acquittée de son obligation de les consulter. Le 28 août 2007, TPSGC a envoyé aux Musqueam une télécopie dans laquelle la Couronne affirmait qu’elle estimait avoir rempli son obligation de les consulter. Elle a également envoyé aux Musqueam un rapport commandé par Public History Inc., qui datait d’août 2007 et qui portait sur une évaluation de l’utilisation et de l’occupation que les peuples autochtones entendaient faire des immeubles. Ce rapport se concentrait sur les revendications autochtones opposées sur les régions entourant les immeubles en question.

[24]           Le 19 septembre 2007, l’intimée a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de vendre les immeubles. Elle a notamment réclamé les réparations suivantes :

  • Un jugement déclarant que Sa Majesté la Reine du chef du Canada est légalement tenue de consulter les Musqueam de bonne foi au sujet de l’aliénation des immeubles en question avant d’en disposer et de s’efforcer de tenir raisonnablement compte des droits ancestraux des Musqueam et des droits qui leur sont conférés par des traités sur les immeubles en question;

 

  • Un jugement déclarant que Sa Majesté la Reine du chef du Canada ne s’est pas acquittée de son obligation légale de consulter les Musqueam de bonne foi au sujet de l’aliénation des immeubles en question et de s’efforcer de tenir raisonnablement compte des droits ancestraux des Musqueam et des droits qui leur sont conférés par des traités sur les immeubles en question avant d’en disposer;

 

  • Une ordonnance interdisant la vente ou toute autre aliénation des immeubles.

 

[25]           Le 24 septembre 2007, les Musqueam ont déposé une requête en injonction interlocutoire en vue de faire interdire au gouvernement du Canada de transférer, vendre ou autrement aliéner les immeubles pendant l’instruction de la demande de contrôle judiciaire principale. Cette requête en injonction interlocutoire a été accueillie et elle fait l’objet du présent appel.

 

[26]           Les avantages financiers des opérations étaient liés à la valeur exceptionnellement élevée des immeubles, de sorte que le moment choisi pour effectuer l’opération était susceptible d’être crucial. TPSGC s’est engagé aux termes d’un contrat exécutoire à procéder à l’opération. Le contrat permettait de soustraire les immeubles à l’opération, mais, suivant l’appelant, il y avait un prix à payer, en ce sens que l’appelant perdait l’avantage de la conjoncture favorable du marché. Lors de l’instruction de la requête en injonction, l’appelant a estimé que les retards occasionnés par l’injonction entraîneraient dans les faits une réduction du prix d’achat de l’ordre de 33 millions de dollars. Cette estimation était fondée sur les prévisions des grandes banques sur ce que seraient les taux d’intérêt dans deux mois (en partant du principe que le contrôle judiciaire s’échelonnerait sur douze mois).

 

[27]           Le juge Nadon a fait droit le 7 février 2008 (dossier A-454-07) à la requête présentée par la Nation Squamish (les Squamish) en vue d’être constituée intimée dans le présent appel. Les immeubles sont également situés dans les limites du territoire sur lequel les Squamish revendiquent des droits et des titres ancestraux.

 

Dispositions législatives

[28]           Le pouvoir de la Cour fédérale de prononcer des injonctions provisoires est prévu à l’article 373 des Règles de la Cour fédérale (1998) qui dispose en partie :

(1) Un juge peut accorder une injonction interlocutoire sur requête.

 

(2) Sauf ordonnance contraire du juge, la partie qui présente une requête pour l’obtention d’une injonction interlocutoire s’engage à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages-intérêts découlant de la délivrance ou de la prolongation de l’injonction.

 

[…]

(1) On motion, a judge may grant an interlocutory injunction.

 

(2) Unless a judge orders otherwise, a party bringing a motion for an interlocutory injunction shall undertake to abide by any order concerning damages caused by the granting or extension of the injunction.

 

 

 

 

[29]           L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, dispose :

(1) Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

 

(2) Dans la présente lois, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

 

(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

 

(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits – ancestraux ou issus de traités – visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

(1) The existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal peoples of Canada are hereby recognized and affirmed.

 

(2) In this Act, “aboriginal peoples of Canada” includes the Indian, Inuit and Métis peoples of Canada.

 

 

(3) For greater certainty, in subsection (1) “treaty rights” includes rights that now exist by way of land claims agreements or may be so acquired.

 

 

 

(4) Notwithstanding any other provision of this Act, the aboriginal and treaty rights referred to in subsection (1) are guaranteed equally to male and female persons.

 

La décision de première instance

[30]           Le 28 septembre 2007, le juge de première instance a prononcé une injonction interlocutoire interdisant à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, au Conseil du Trésor du Canada et au ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux, selon le cas, de transférer, vendre ou autrement aliéner les immeubles pendant l’instruction de la demande en ce qui concerne le présumé défaut de la Couronne de consulter les Musqueam. Il a également enjoint aux Musqueam de s’engager à payer à l’appelant des dommages‑intérêts jusqu’à concurrence de deux millions de dollars.

 

[31]           L’appelant et les Musqueam conviennent que le critère qui s’applique en matière d’injonctions interlocutoires est celui qui a été énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald. Pour ce qui est de l’existence d’une question sérieuse à juger, le juge de première instance a décidé, au paragraphe 23, que, comme la réparation demandée « est semblable en partie à [celle] sollicité[e] dans le cadre du contrôle judiciaire sous‑jacent, il faut procéder à un examen plus approfondi que normalement du fondement de la présente demande afin de déterminer s’il y a une question sérieuse à juger ». Le juge de première instance a conclu que la question de l’obligation de consulter de bonne foi « est une question sérieuse [qui est] objectivement défendable » (paragraphe 26). Pour en arriver à cette conclusion, le juge a adhéré au raisonnement suivi par le juge Phelan dans le jugement Bande indienne de Musqueam c. Canada (Gouverneur en conseil) 2004 CF 579 (l’affaire Garden City), et a étayé cette conclusion en citant le raisonnement suivi par la Cour suprême dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) [2004] 3 R.C.S. 511 (Nation haïda).

 

[32]           Pour ce qui est de la question du préjudice irréparable, le juge de première instance a conclu que les questions qui préoccupaient les Musqueam pourraient bien ne pas faire l’objet d’un règlement monétaire, étant donné qu’« [u]n territoire plus grand est capital pour la demanderesse, et, comme je l’ai mentionné précédemment, les immeubles de Vancouver font partie d’un inventaire limité de terres demeurées entre les mains du gouvernement du Canada à l’intérieur du territoire revendiqué par [les Musqueam] » (paragraphe 28).

 

[33]           S’agissant du critère de la prépondérance des inconvénients prévu dans l’arrêt RJR‑MacDonald, le juge de première instance a estimé que l’intérêt public concernant la préservation de l’honneur de la Couronne l’emportait sur l’intérêt public découlant de la vente des immeubles. Il a également signalé ce qui suit, au paragraphe 32 :

Le fait que, selon la preuve qui a été présentée à la Cour, l’État a le droit de redevenir propriétaire des immeubles de Vancouver dans vingt‑cinq (25) ans environ ne constitue pas en soi une indemnisation suffisante de la Bande pour la perte de consultations exhaustives et utiles et, peut‑être, d’accommodement.

 

 

[34]           Abordant la question de l’engagement, le juge de première instance s’est dit préoccupé par le fait que les Musqueam n’avaient pas envisagé la situation dans laquelle ils se trouveraient si leur requête en injonction était accueillie et qu’ils n’étaient pas dégagés de l’obligation de fournir un engagement. L’avocat des Musqueam a fait savoir qu’après avoir revu leur position au sujet du dépôt d’un engagement, les Musqueam étaient disposés à fournir un engagement, à condition que celui‑ci ne dépasse pas deux millions de dollars, tandis que l’appelant continuait de soutenir qu’un engagement illimité devait être fourni. Le juge de première instance a enjoint aux Musqueam de prendre l’engagement en question parce que « il n’y a aucune raison spéciale, selon la Cour, de dégager [les Musqueam] de l’obligation de s’engager à déposer un engagement relatif au versement de dommages‑intérêts » (paragraphe 37). Le juge de première instance a toutefois reconnu par ailleurs que la preuve concernant les dommages‑intérêts éventuels était « très hypothétique ».

 

Questions en litige

[35]           L’appelant soulève cinq questions dans le cadre du présent appel :

  • La norme applicable en ce qui concerne le premier volet du critère de l’arrêt RJR‑MacDonald est-elle seulement celle de l’existence d’une question « objectivement défendable »?

 

  • Si l’on applique la norme appropriée, les Musqueam ont-ils satisfait au premier volet du critère de l’arrêt RJR-MacDonald?

 

  • Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant à l’existence d’un préjudice irréparable?

 

  • Le refus de l’intimée de fournir un engagement illimité en ce qui concerne les dommages-intérêts et le fait que l’injonction ait effectivement permis à l’intimée d’obtenir la réparation finale réclamée sont-ils des facteurs pertinents en ce qui concerne le critère de la prépondérance des inconvénients?

 

  • Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en permettant à l’intimée de fournir un engagement limité au sujet des dommages-intérêts après avoir expressément conclu qu’il n’y avait aucune raison spéciale de dégager l’intimée de l’obligation de s’engager à déposer un engagement relatif au versement de dommages‑intérêts?

 

 

[36]           Dans son appel incident, l’intimée soulève la question suivante : le juge de première instance a-t-il commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire en dispensant les Musqueam de l’obligation de s’engager à respecter toute ordonnance portant sur les dommages‑intérêts causés par le prononcé ou la prorogation de l’injonction?

 

Norme de contrôle

[37]           La décision de prononcer une injonction est une décision discrétionnaire. Les décisions discrétionnaires ne sont pas complètement à l’abri du contrôle judiciaire et la juridiction d’appel peut et doit intervenir si elle constate que le juge de première instance s’est mépris sur les règles de droit applicables ou s’il a commis une erreur flagrante dans son appréciation des faits (Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371, paragraphe 42; voir aussi l’arrêt Bellegarde c. Canada (Procureur général) 2004 CAF 34, paragraphe 4).

 

Analyse

Introduction

[38]           Ainsi que je l’ai déjà expliqué, le critère applicable en matière d’injonctions interlocutoires comporte trois volets :

·        Y a-t-il une question sérieuse à juger dans l’instance principale?

·        Le requérant subira-t-il un préjudice irréparable dont il ne pourrait être indemnisé par des dommages-intérêts si l’injonction interlocutoire lui était refusée?

·         Compte tenu de l’intérêt public, quelle est la prépondérance des inconvénients entre les parties?

Il incombe aux Musqueam de démontrer qu’ils satisfont à chacun des éléments de ce critère (Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), (1998), 234 N.R. 96, [1998] A.C.F. no 1690 (QL) (C.A.), au paragraphe 4).

 

[39]           À mon avis, le présent appel tourne autour de la question du préjudice irréparable. Je vais donc traiter cette question en premier. Je vais ensuite aborder brièvement les autres points litigieux soulevés dans le présent appel.

 

Préjudice irréparable

[40]           Voici le texte intégral de l’analyse que le juge de première instance a faite de cette question, aux paragraphes 27, 28 et 29 de sa décision :

La clôture imminente de la vente des immeubles de Vancouver causera‑t‑elle à la demanderesse un préjudice irréparable qui ne peut être compensé par des dommages‑intérêts? La Cour doit tenir compte non pas de l’ampleur du préjudice, mais de la [traduction] « nature du préjudice » qui serait causé. Bien que de l’argent puisse toujours être versé à titre d’indemnité, le simple fait que le versement d’une indemnité puisse être ordonné ne règle pas la question. La Cour doit tenir compte de la véritable nature de ce qui peut être perdu. Le fait que les immeubles de Vancouver sont situés à l’intérieur du territoire décrit dans la déclaration de titre ancestral faite par la Nation de Musqueam en juin 1976 ne semble pas être contesté. Des négociations en vue de la conclusion d’un traité ont été entreprises par la demanderesse avec le Canada et la Colombie‑Britannique. Ces négociations se poursuivent, quoique de manière manifestement sporadique, depuis le début de 1994. Il ressort ce qui suit de l’affidavit déposé pour le compte de la demanderesse en l’espèce :

 

[traduction] 

[…]

5. La Bande de Musqueam compte actuellement environ 1 200 membres, dont approximativement 55 p. 100 vivent dans des réserves. Le territoire dont dispose la Bande en vertu du système de réserves est très petit, et nous manquons sérieusement de terres. La Bande de Musqueam a les plus petites réserves par rapport à sa population de toutes les bandes de la Colombie‑Britannique. Environ 200 membres de la Bande attendent un logement. Un grand nombre de membres adultes de la Bande sont sans emploi actuellement, et le taux de chômage élevé est un problème chronique pour nos membres.

 

6. Les immeubles situés au 401, rue Burrard et au 757, rue Hastings Ouest [les immeubles de Vancouver] qui sont en cause dans la présente demande se trouvent à l’intérieur du territoire traditionnel de la Bande de Musqueam.

 

Ainsi, les questions qui préoccupent la demanderesse pourraient bien ne pas faire l’objet seulement d’un règlement monétaire. Un territoire plus grand est capital pour la demanderesse, et, comme je l’ai mentionné précédemment, les immeubles de Vancouver font partie d’un inventaire limité de terres demeurées entre les mains du gouvernement du Canada à l’intérieur du territoire revendiqué par la demanderesse.

 

À la lumière du bref résumé de considérations qui précède, je suis convaincu que la demanderesse subira un préjudice irréparable qui ne peut être compensé par des dommages‑intérêts si les immeubles de Vancouver sont aliénés par le gouvernement du Canada sans qu’il n’y ait de consultations exhaustives et utiles menées de bonne foi et, peut‑être, sans qu’il n’y ait d’accommodement, contrairement à ce que commande l’honneur de la Couronne.

 

 

 

[41]           Le juge de première instance semble avoir fondé sa conclusion quant à l’existence d’un préjudice irréparable sur l’hypothèse que, dans le cadre du processus de négociations, les seules terres auxquelles les Musqueam pouvaient prétendre étaient celles qui appartenaient au gouvernement fédéral. Il s’agit là d’une erreur de fait manifeste et dominante.

 

[42]           Par ailleurs, nulle part dans ses motifs le juge de première instance n’a examiné la nature des immeubles ni en quoi ils revêtaient une importance particulière pour les Musqueam. Cette omission constitue une erreur de droit.

 

[43]           Enfin, le juge de première instance n’a pas précisé en quoi une condamnation à des dommages-intérêts ne permettrait pas d’indemniser les Musqueam en cas d’aliénation des immeubles. Il s’agit là aussi d’une erreur de droit.

 

[44]           Je ne suis d’ailleurs pas convaincu que le juge de première instance ou les intimées aient démontré qu’il y aurait un préjudice irréparable. Si l’on interprète leurs arguments aussi largement que possible, il y a trois raisons éventuelles permettant de conclure à un préjudice irréparable :

·        Le besoin d’un « territoire plus grand »;

·        La perte de la possibilité pour les immeubles de faire l’objet de négociations en vue d’un traité;

·        La perte de la possibilité pour les Musqueam d’être consultés et que l’on tienne compte de leurs besoins.

 

Premier préjudice irréparable : territoire plus grand

[45]           Le besoin d’un « territoire plus grand » ne constitue pas en soi une raison permettant de conclure à un préjudice irréparable.

 

[46]           Les Musqueam n’ont présenté aucun élément de preuve pour démontrer que les immeubles ont un intérêt spécial ou qu’ils revêtent une importance unique à leurs yeux. Ils affirment simplement qu’ils ont besoin de plus de terres pour le logement.

 

[47]           Ainsi que je l’ai déjà expliqué, les immeubles sont des propriétés urbaines entièrement aménagées qui sont surtout adaptées à une vocation commerciale. Les Musqueam n’ont donné aucune indication au sujet de leurs éventuels projets quant aux immeubles. On ne peut guère prétendre que les deux acres sur lesquels se trouvent les grandes tours à bureaux répondraient aux besoins des Musqueam en matière de logement.

 

[48]           Il est évident que les Musqueam pourraient recevoir une indemnité monétaire équivalente à la valeur des immeubles et acheter des terrains vacants d’une superficie bien supérieure à deux acres pour s’y loger. Ils pourraient donc être indemnisés suffisamment s’ils obtenaient des dommages-intérêts et il n’y a aucun préjudice irréparable.

 

[49]           Dans ce contexte, les propos qu’a tenus le juge Rothstein (alors juge à la Cour d’appel fédérale) dans l’arrêt Bande indienne de Soowahlie c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 387 (Soowahlie) sont éclairants. L’affaire Soowahlie portait sur une demande présentée contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada (le Canada) en vue d’obtenir une injonction interlocutoire interdisant au Canada de céder à la Société immobilière du Canada une superficie de 62 hectares d’une ancienne base des Forces armées canadiennes située à Chilliwack, en Colombie-Britannique. La bande alléguait que la terre était située dans une réserve ou qu’elle faisait l’objet d’un titre ancestral et que, dans le passé, cette terre était un lieu de rencontre et une voie de passage, que la chasse et des rassemblements avaient lieu sur cette terre et que la pêche était pratiquée à proximité. La bande soutenait qu’elle possédait donc des liens historiques avec ces terres et que, si celles-ci étaient aliénées, ces liens seraient perdus. Le juge Rothstein a conclu que l’application des principes de l’expropriation moyennant versement d’une indemnité serait suffisante pour indemniser, le cas échéant, la bande. Il a fait remarquer, au paragraphe 7 :

Les appelants n'ont démontré l'existence d'aucune circonstance particulière relativement aux terres. Ils disent qu'ils ont besoin des terres pour subvenir à leurs besoins. Le lien historique invoqué par les appelants n'est pas lié à l'utilisation prévue des terres et aucun élément de preuve n'explique pourquoi ils ont besoin précisément de ces terres compte tenu de leur utilisation prévue. Les appelants n'ont pas démontré qu'ils subiraient un préjudice irréparable. Il est suffisant de conclure que si, comme les appelants le prétendent, la cession des terres constitue une violation d'obligation fiduciaire de l'intimé, la Cour sera en mesure d'ordonner le versement de dommages-intérêts ou toute autre réparation qui pourrait être appropriée à la lumière de la preuve présentée. [Non souligné dans l’original.]

 

Deuxième préjudice irréparable : Possibilité pour les immeubles de faire l’objet de négociations en vue d’un traité

 

[50]           Cet argument en faveur de l’injonction peut être écarté aisément sans statuer sur l’argument de l’appelant suivant lequel on ne peut tenir compte en l’espèce des répercussions sur le processus de négociation des traités. L’avocat des Musqueam a admis, lors des débats, que si les terres étaient vendues, les Musqueam pourraient quand même en revendiquer la valeur au cours des négociations en vue d’un traité ou dans le cadre de revendications séparées. Il est utile à ce moment-ci de souligner qu’à la différence de ses homologues provinciaux, le gouvernement fédéral ne limite pas la portée des négociations aux seules terres de la Couronne : les terres visées par les traités peuvent comprendre des terres en propriété absolue acquises par des groupes autochtones ou en leur nom dans le cadre d’une vente de gré à gré.

 

[51]           De plus, si les Musqueam devaient établir à l’avenir qu’ils possèdent un droit exécutoire dans l’un ou l’autre des immeubles, le contrat de vente reconnaît à la Couronne la faculté de redevenir propriétaire des immeubles en vue d’en transférer le titre aux Musqueam. L’opération de vente et de relocation accordait à la Couronne un droit de préemption pour le cas où l’acheteur souhaiterait vendre les immeubles durant les 25 ans du bail de la Couronne. De plus, la Couronne aurait la faculté de se voir rétrocéder les immeubles de Larco à la fin du bail. Dans l’intervalle, la Couronne aurait conservé le droit d’utiliser les immeubles en vertu de son bail, y compris le droit de les sous-louer, accordant ainsi aux Musqueam le droit d’utiliser les immeubles si ce droit était établi. Ainsi, si un droit au titre était établi avant l’expiration de la période de 25 ans, tout délai qu’accuserait la fourniture de ce titre ne causerait aucun préjudice aux Musqueam.

Troisième préjudice irréparable : perte de la possibilité pour les Musqueam d’être consultés et que l’on tienne compte de leurs besoins

 

[52]           En l’espèce, la perte de la possibilité pour les Musqueam d’être consultés et que l’on tienne compte de leurs besoins est insuffisante pour constituer un préjudice irréparable. Je suis d’accord avec l’appelant pour dire qui si une allégation de consultations insuffisantes constituait toujours un préjudice irréparable, on conférerait un droit de veto sur le transfert, par le gouvernement, de tout titre de propriété sur les immeubles situés dans le secteur revendiqué par un groupe autochtone en tant que territoire traditionnel, ce qui contredirait carrément les propos tenus par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation haïda, au paragraphe 48 : « Ce processus ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des terres en cause en attendant que la revendication soit établie de façon définitive ». Il faut pousser l’analyse un peu plus loin dans chaque cas pour décider si le défaut de consulter cause ou non un préjudice irréparable.

 

[53]           Il est utile à ce moment-ci de revenir en arrière pour examiner brièvement les règles de droit régissant l’obligation de consulter. L’obligation de consultation, qui repose sur l’honneur de la Couronne, prend naissance « lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci : (Nation haïda, au paragraphe 35, non souligné dans l’original; voir également l’arrêt Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), [2004] 3 R.C.S. 550, 2004 CSC 74 (Taku River)). Autrement dit, l’obligation de consulter prend naissance lorsqu’il y a lieu de craindre que les activités de la Couronne portent atteinte à des droits ancestraux avant qu’on puisse établir ces droits. L’obligation de consulter contribue à empêcher que, lorsque les Autochtones parviendront finalement à établir le bien-fondé de leur revendication, ils trouvent leurs terres changées et leurs ressources épuisées (Nation haïda, au paragraphe 33). Les faits de l’espèce ne permettent toutefois pas de penser que l’aliénation des immeubles en question porterait atteinte à des droits qui n’ont pas encore été établis.

 

[54]           Dans l’affaire Garden City, le juge de première instance a conclu que les Musqueam ne pourraient pas être indemnisés par voie de dommages-intérêts pour la perte de leur droit d’être consultés. Le juge a explicité sa pensée aux paragraphes 44, 46 et 48 :

La nature du préjudice subi en cas de transfert de la propriété Garden City c'est la perte du droit à ce qu'on négocie et compose au sujet de ce terrain. Une fois le terrain transféré, il y a perte de ce droit dans les faits.

[…]

La situation ressemble à celle où il faut procéder à une étude sur l'environnement avant de délivrer un permis, ou donner un avis approprié avant de prendre une décision. Les principes et recours applicables sont ceux de droit public. La nature de la question, plutôt que d'être pécuniaire, est alors liée à la compétence.

[…]

Si on veut que le droit de la bande ait un sens, on ne peut permettre qu'il soit perdu en présumant que « l'envoi d'un chèque par le gouvernement » suffira dans tous les cas. Il serait trop tentant pour l'Administration de pouvoir, simplement en versant une indemnité de substitution, laisser de côté ce type de conditions à l'exercice en bonne et due forme de ses pouvoirs.

 

 

[55]           Si, dans le jugement Garden City, le juge voulait dire que le simple fait de revendiquer le droit d’être consulté suffisait dans tous les cas à établir l’existence d’un préjudice irréparable, je ne suis pas de son avis. Je crois que la décision s’explique par le fait que, dans l’affaire Garden City, les terres revendiquées s’étendaient sur 136 acres et que le juge avait conclu que les Musqueam prétendaient non seulement disposer d'un droit sur le terrain, mais que celui-ci revêtait pour eux une importance unique (Garden City, au paragraphe 16).

 

[56]           Dans le cas qui nous occupe, les immeubles sont des tours à bureaux situées en plein coeur de Vancouver sur une superficie de deux acres. Une fois qu’ils auront été vendus à Larco, leur affectation ne changera pas. La situation diffère de celle de l’affaire Garden City, dans laquelle la nature des propriétés était susceptible de changer par suite de l’opération, et dans laquelle les Musqueam avaient soumis des éléments de preuve tendant à démontrer qu’au-delà du droit de propriété revendiqué, les terres revendiquées revêtaient à leurs yeux une importance unique.

 

[57]           L’obligation de consulter se situe le long d’un continuum : sa nature dépend de la solidité de la revendication, de l’ampleur du droit ancestral revendiqué et du risque d’atteinte. Ainsi que la juge en chef McLachlin l’a expliqué dans l’arrêt Nation haïda, aux paragraphes 43 et 44 :

[…] je vais maintenant examiner le type d’obligations qui peuvent découler de différentes situations. À cet égard, l’utilisation de la notion de continuum peut se révéler utile, non pas pour créer des compartiments juridiques étanches, mais plutôt pour préciser ce que le principe de l’honneur de la Couronne est susceptible d’exiger dans des circonstances particulières. À une extrémité du continuum se trouvent les cas où la revendication de titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible. Dans ces cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. La [traduction] « “consultation”, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres » : T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People » (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, p. 61.

 

À l’autre extrémité du continuum on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable. Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise  à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision. Cette liste n’est pas exhaustive et ne doit pas nécessairement être suivie dans chaque cas. Dans les affaires complexes ou difficiles, le gouvernement peut décider de recourir à un mécanisme de règlement des différends comme la médiation ou un régime administratif mettant en scène des décideurs impartiaux.

 

[58]           Sans formuler d’observations au sujet de la teneur du droit des Musqueam d’être consultés et de le leur éventuel droit à ce que l’on tienne compte de leurs besoins ─ puisque le fond du litige ne sera examiné qu’une fois tranchée la requête en injonction dont nous sommes présentement saisis ─, il est utile, à titre illustratif, de comparer les faits de la présente espèce avec ceux des décisions de principe en matière d’obligation de consulter. Dans l’arrêt Nation haïda, la décision de délivrer des permis de coupe autorisant l’abattage d’arbres sur les îles Haïda Gwaii était susceptible de priver la Nation haïda de forêts qui revêtaient une importance cruciale pour son économie et sa culture. Ainsi que la juge en chef McLachlin l’explique au paragraphe 7 : « Les enjeux sont énormes […] Il faut des générations aux forêts pour parvenir à maturité […] et les vieilles forêts sont irremplaçables. » Dans l’affaire Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2005] 3 R.C.S. 388, 2005 CSC 69, la construction d’une route traversant une réserve avait des incidences sur un nombre important de trappeurs et de chasseurs. Dans l’affaire Taku River, la route devant être construite sur le territoire de la Première nation Tlingit de Taku River passait par un secteur critique pour l’économie de la bande indienne et pouvait avoir une incidence sur sa capacité de continuer d’exercer ses droits ancestraux de chasse, de pêche, de cueillette et d’utilisation des terres pour d’autres activités traditionnelles. Dans le cas qui nous occupe, nul ne prétend que l’aliénation des immeubles en cause porterait atteinte à un droit ancestral ou même serait susceptible de causer une telle atteinte. Si aucun préjudice n’est allégué dans le cadre de l’analyse de droits absolus, comment la perte du droit d’être consulté au sujet de ce droit pourrait-elle constituer un préjudice irréparable? Qui plus est, si la perte des immeubles peut être indemnisée de façon suffisante par voie de dommages-intérêts (voir, plus haut, la rubrique « Premier préjudice irréparable : territoire plus grand »), la perte du droit d’être consulté au sujet de l’aliénation des immeubles peut, elle aussi, donner lieu à une indemnisation suffisante sous forme de dommages-intérêts dans le cas qui nous occupe.

 

[59]           On a soutenu que le fait de refuser de prononcer une injonction créerait un précédent en ce sens que la Couronne pourrait toujours prétendre qu’il n’y a aucun préjudice irréparable puisque des dommages-intérêts pourraient toujours constituer une réparation adéquate. Je ne suis pas de cet avis. Chaque cas est un cas d’espèce. Lorsqu’une bande autochtone présente des éléments de preuve tendant à démontrer qu’elle possède des besoins uniques et des liens spéciaux avec la terre revendiquée, ou encore que la nature de celle-ci risque d’être changée, le résultat pourrait fort bien être différent.

 

[60]           Vu ma conclusion au sujet du préjudice irréparable, je suis d’avis que l’appel doit être accueilli et que l’injonction doit être annulée. Il n’est donc pas nécessaire, à strictement parler, d’examiner les autres questions. Je tiens toutefois à formuler quelques observations au sujet des autres questions en litige dans le présent appel.

Prépondérance des inconvénients et engagement

[61]           Rien ne justifiait le juge de première instance d’obliger l’intimée  à fournir un engagement limité. Il aurait mieux convenu, eu égard aux faits de l’espèce, de lui ordonner de fournir un engagement illimité, comme c’est habituellement le cas. Qui plus est, l’obligation de fournir un engagement limité était un facteur dont le juge aurait dû tenir compte pour vérifier l’application du volet « prépondérance des inconvénients » du critère de l’arrêt RJR-Macdonald.

 

[62]           Ainsi que je l’ai déjà précisé, le paragraphe 373(2) des Règles dispose :

(2) Sauf ordonnance contraire du juge, la partie qui présente une requête pour l’obtention d’une injonction interlocutoire s’engage à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages-intérêts découlant de la délivrance ou de la prolongation de l’injonction.

(2) Unless a judge orders otherwise, a party bringing a motion for an interlocutory injunction shall undertake to abide by any order concerning damages caused by the granting or extension of the injunction.

 

Il me semble que la mesure par défaut prévue par cette disposition consiste pour la Cour à n’accepter un engagement limité que si on lui soumet certains éléments de preuve démontrant l’existence de circonstances impérieuses justifiant d’ordonner un engagement limité, voire aucun engagement. Dans le cas qui nous occupe, les Musqueam n’ont déposé aucun élément de preuve et à plus forte raison, aucun élément de preuve sur leur capacité de payer. Le juge de première instance ne disposait donc d’aucun élément de preuve lui permettant d’ordonner la fourniture d’un engagement limité.

 

[63]           D’ailleurs, le juge de première instance a fait observer qu’il n’y avait « aucune raison spéciale, selon la Cour, de dégager [les Musqueam] de l’obligation de s’engager à déposer un engagement relatif au versement de dommages‑intérêts » (au paragraphe 37). Pourquoi, alors, a-t-il ordonné aux Musqueam de ne fournir qu’un engagement limité? Le juge de première instance a probablement fondé sa décision sur l’argument de l’avocat suivant lequel les Musqueam n’avaient pas les moyens de fournir un engagement illimité. L’avocat des Musqueam a fait valoir le même argument devant notre Cour. Les Musqueam n’ont jamais tenté de déposer des éléments de preuve démontrant qu’ils n’avaient pas les moyens de fournir un engagement illimité. Comme ils étaient les seules personnes en mesure d’expliquer leur situation financière, j’estime que le juge de première instance aurait dû tirer une conclusion défavorable au sujet de leur défaut de lui soumettre quelque élément de preuve que ce soit à ce sujet. Certes, rien ne permettait de penser qu’un engagement de deux millions de dollars serait suffisant pour indemniser l’appelant de toute perte qu’il pourrait subir s’il s’avérait que l’injonction ne devait pas être accordée.

 

[64]           Pour examiner la « prépondérance des inconvénients », le juge de première instance a mis en balance l’intérêt public à ce que l’appelant conclue l’opération projetée avec l’intérêt public concernant la préservation de l’honneur de la Couronne, lequel serait atteint en empêchant la conclusion de l’opération jusqu’à ce que le tribunal saisi de la demande de contrôle judiciaire ait examiné le dossier de l’appelant au sujet des consultations. Selon le juge de première instance, l’intérêt public concernant la préservation de l’honneur de la Couronne l’emportait sur tout intérêt pouvant militer en faveur de la conclusion de l’opération projetée.

 

[65]           Un peu comme dans le cas du critère du préjudice irréparable, cette conception étroite du critère de la prépondérance des inconvénients rend inévitable le prononcé d’une injonction interdisant l’aliénation des terres chaque fois que le groupe autochtone qui participe aux négociations en vue de la signature d’un traité allègue que la Couronne ne l’a pas suffisamment consulté ou qu’elle n’a pas tenu suffisamment compte de ses besoins.

 

[66]           Dans le cas qui nous occupe, l’engagement fourni était insuffisant. Par suite de l’injonction, il est possible que l’appelant ait perdu 33 millions de dollars dans une opération qui devait avoir lieu dans un délai déterminé. Dans les décisions antérieures, on a tenu compte de l’absence d’engagement pour décider de l’opportunité d’accorder l’injonction réclamée (Soowahlie, précité, au paragraphe 13) et Siska Indian Band c. British Columbia (Minister of Forests), (1998), 62 B.C.L.R. (3d) 133, [1998] B.C.J. No. 1661 (QL) (C.S.C.-B.) au paragraphe 29). Le même raisonnement devrait à mon avis aussi s’appliquer en ce qui concerne la suffisance d’un engagement limité.

 

[67]           Comme l’engagement limité n’est pas suffisant, la prépondérance des inconvénients favorise l’appelant.

 

[68]           Le juge de première instance a commis une erreur de droit, en plus de commettre une erreur de fait manifeste et dominante en ne tenant pas compte des incidences d’un engagement limité pour apprécier la prépondérance des inconvénients avant de prononcer l’injonction. Le juge de première instance a également commis une erreur de droit et une erreur de fait manifeste et dominante en n’ordonnant pas la fourniture d’un engagement illimité à défaut de preuves permettant de penser qu’un engagement limité était justifié.

[69]           Mes conclusions sur la question de la prépondérance des inconvénients et sur les engagements m’amènent à conclure qu’il y a lieu de faire droit à l’appel.

 

Question sérieuse

[70]           Conformément à l’arrêt American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd. [1975] A.C. 396, la Cour suprême du Canada a, dans l’arrêt RJR-MacDonald, confirmé que le premier volet du critère applicable en matière d’injonctions interlocutoires était simplement celui de l’existence d’une question sérieuse à juger. Ce critère préliminaire a été qualifié de peu exigeant : il suffit que le juge soit convaincu que la demande n’est ni futile ni vexatoire, car « [i]l n'est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l'affaire » (RJR-MacDonald, au paragraphe 50).

 

[71]           Cependant, si la requête en injonction a pour effet d'imposer à une partie un tel préjudice qu'il n'existe plus d'avantage possible à tirer d'un procès, le juge doit procéder à un examen plus approfondi du fond de l'affaire (paragraphe 51 de l’arrêt RJR-MacDonald). D’ailleurs, l’appelant, les Musqueam et le juge de première instance étaient tous d’accord pour dire que, comme la réparation réclamée était en partie semblable à celle qui était sollicitée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire principale, le critère minimal à respecter pour pouvoir conclure à l’existence d’une « question sérieuse » commande un examen plus approfondi que normalement du fond de l’affaire. 

 

[72]           En fin de compte, le juge de première instance a cependant conclu ce qui suit, au paragraphe 26 :

 

[…] je suis convaincu que ces passages et les extraits tirés d’autres décisions ont établi amplement que la question de l’obligation de consulter de bonne foi et, peut‑être, d’accommoder est une question sérieuse qui se pose au regard de la preuve dont la Cour disposait en l’espèce. Je suis convaincu également qu’il suffit, aux fins de la présente demande d’injonction et compte tenu du degré d’examen exigé en l’espèce relativement à l’élément du critère à trois volets concernant la « question sérieuse », que la question ait été soulevée en l’espèce et qu’elle soit objectivement défendable.

 

                                                                           [Non souligné dans l’original.]

 

 

[73]           Le fait que le juge de première instance parle du critère de la question « objectivement défendable » nous amène à nous demander s’il a bien compris le critère qu’il fallait appliquer, ce qui est d’autant plus inquiétant lorsqu’on considère que le juge de première instance a lui-même affirmé, avec l’assentiment de l’appelant et des Musqueam, qu’en raison de la nature de la réparation demandée, il fallait appliquer une norme prévoyant un examen plus approfondi (motifs du juge de première instance, au paragraphe 23). Le juge de première instance a également fait observer, au paragraphe 26 :

 

La question de savoir si la nature des immeubles de Vancouver, notamment leur superficie au sol relativement petite et leur location au cœur du centre des affaires du centre‑ville de Vancouver, permet de faire une distinction entre la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente et la demande équivalente qui était en cause dans l’affaire Garden City, dont il a été question précédemment, sera tranchée, si besoin est, à une autre occasion.

 

 

Il me semble que, compte tenu des différences importantes qui existent entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Garden City, et du fait que le juge s’est fondé sur la décision Garden City, il ne convenait peut-être pas de laisser le soin de trancher « à une autre occasion » la question de la distinction à faire entre la présente espèce et l’affaire Garden City. Il s’ensuit que notre Cour aurait à examiner les faits pour déterminer s’il y a une question sérieuse à juger.

 

[74]           Compte tenu des motifs que j’ai déjà exposés et dans lesquels j’ai conclu qu’il y avait lieu de faire droit au présent appel, il n’est pas nécessaire de s’attarder davantage sur cette question.

 

 

 

Dispositif

[75]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens, d’annuler la décision du juge de première instance et de rejeter la requête en injonction interlocutoire.

 

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 

« Je souscris à ces motifs.

La juge Alice Desjardins »

 

« Je souscris à ces motifs.

Le juge John M. Evans »

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-454-07

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 28 SEPTEMBRE 2007 PAR LE JUGE GIBSON DANS LE DOSSIER T-1691-07

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX c. BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM ET NATION SQUAMISH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SEXTON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE DESJARDINS

                                                                        LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 13 JUIN 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Donnaree Nygard

Mme Morphy

 

POUR L’APPELANT

 

Rhys Davies, c.r.

Sara Ciarrocchi

 

POUR L’INTIMÉE

La Bande indienne de Musqueam

Gregory J. McDade, c.r.

Maegen M. Giltrow

POUR L’INTIMÉE

La Bande indienne de Squamish

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Davis srl

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’INTIMÉE

La Bande indienne de Musqueam

Ratcliff & Company srl

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTIMÉE

La Bande indienne de Squamish

 

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