Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20080611

Dossier : A-439-07

Référence : 2008 CAF 201

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Intimé

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), les 2 et 3 juin 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 juin 2008.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE NOËL

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20080611

Dossier : A-439-07

Référence : 2008 CAF 201

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Questions en litige

 

[1]               Nous sommes saisis d’un appel d’un jugement du juge Lemieux de la Cour fédérale (juge) rendu le 10 août 2007 (2007 CF 826).

 

[2]               Ce jugement fait suite à un litige entre le Gouvernement du Québec (Québec) et le Gouvernement du Canada (Canada). Ce litige a été porté devant la Cour fédérale en vertu de l’article 19 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, telle que modifiée. Il s’agit d’une rare utilisation de l’article 19 de cette loi, laquelle fut faite par le Québec à l’invitation du Canada.

 

[3]               Des six questions à la source du différend entre les parties qui furent soumises pour résolution à la Cour fédérale, seulement trois font l’objet du présent appel. Suivant l’accord des parties, ces trois questions ont été ainsi libellées dans une ordonnance du juge Hugessen émise le 5 septembre 2001 dans le dossier T-2176-95 :

 

Est-ce que le ministre des finances du Canada (ministre) a commis une erreur révisable dans ses déterminations suivantes :

 

1 -        Que l’adoption de la Loi modifiant la Loi concernant l’impôt sur la vente en détail et d’autres dispositions législatives d’ordre fiscal, afin de permettre notamment l’application de la TVQ sur la TPS, ne constitue pas un changement apporté à la structure fiscale du Québec au sens de l’article 6(1)b) de la Loi et de l’article 12(1)b)(i) du Règlement pour l’exercice 1991-1992;

 

2 -        Que l’augmentation du taux de la marge bénéficiaire de la SAQ pour l’exercice financier 1991-1992 ne constitue pas une augmentation de la marge de bénéfice sur les biens vendus au public par cet organisme au sens de l’article 6(1)b) de la Loi et de l’article 12(1)b)(viii) du Règlement pour l’exercice 1991-1992; et

 

3 -        Que l’augmentation du taux de la marge bénéficiaire de la Société des loteries et courses du Québec pour l’exercice 1991-1992 ne constitue pas une augmentation de la marge de bénéfice sur les biens vendus au public par cet organisme au sens de l’article 6(1)b) de la Loi et de l’article 12(1)b)(viii) du Règlement pour l’exercice 1991-1991.

 

 

[4]               Se sont aussi posées par la même occasion devant la Cour fédérale, et reprises devant nous, la question de la nature du recours prévu à l’article 19 de la Loi sur les cours fédérales ainsi que celle des procédures applicables à ce recours. Encore là, la formulation de ces questions se retrouve dans l’ordonnance du juge Hugessen. Elles prennent la forme suivante :

 

Quel est le critère de contrôle applicable à l’examen judiciaire de la décision du ministre des Finances du Canada de refuser la demande du Québec pour un paiement de stabilisation à l’égard de l’année 1991-1992 (ci-après la « Demande de paiement de stabilisation », présentée en vertu de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d’enseignement post-secondaire et de santé (L.R.C. 1985, ch. F-8 telle que modifiée et en vigueur durant l’exercice financier 1991-1992) (ci-après la « Loi »), ainsi que du Règlement de 1987 sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces (DORS/87-240 tel que modifié et en vigueur durant l’exercice financier 1991-1992) adopté en vertu de cette Loi (ci-après le « Règlement »)?

 

 

[5]               L’appelante soumet à l’égard de ces questions, que les parties ont qualifié de questions préliminaires, que le juge s’est mépris quant à la nature de ce recours, la détermination de la norme de contrôle applicable et l’admissibilité de la preuve lors de l’exercice de ce recours.

 

Les faits à la source du litige entre les parties et la procédure intentée par le Québec

 

[6]               En se fondant sur l’article 19 de la Loi sur les cours fédérales, le Québec a intenté, le 17 octobre 1995, une action déclaratoire contre sa Majesté la Reine du Chef du Canada. Il y contestait la décision du ministre de lui refuser la demande d’un paiement de stabilisation de ses revenus pour l’exercice financier 1991-1992. La demande du Québec fut faite le 28 septembre 1993 et la décision du ministre rendue le 29 novembre 1994. Nous sommes en juin 2008 et le litige n’est toujours pas résolu tant au niveau des principes qu’à celui même du calcul des montants des paiements de stabilisation auxquels le Québec prétend avoir droit : voir au dossier d’appel, volume III, à la page 427, la lettre du ministre Martin.

 

[7]               Dans sa déclaration amendée, le Québec allègue d’une manière générale que le ministre a traité les éléments de la demande du Québec d’une manière non-conforme aux dispositions de la Loi et du Règlement. Plus spécifiquement, le ministre aurait mal interprété l’alinéa 6(1)b) de la Loi et les sous-alinéas 12(1)b)(i) et (viii) du Règlement. Ces dispositions se lisent :

 

 

Loi

 

 

6. (1) Sous réserve des paragraphes (8) à (10), le paiement de stabilisation qui peut être fait à une province pour un exercice est l’excédent, déterminé par le ministre :

 

 

a) du revenu sujet à stabilisation de la province pour l’exercice précédent

 

 

sur

 

b) le revenu sujet à stabilisation de la province pour l’exercice, corrigé de la manière prescrite de façon à compenser toute variation, déterminée par le Ministre, du revenu sujet à stabilisation de la province pour l’exercice résultant de changements faits par la province dans les taux ou la structure soit des impôts provinciaux soit des autres mécanismes de prélèvement du revenu de la province qui correspond aux alinéas a) à cc) et ee) de la définition de « source de revenu » au paragraphe 4(2) à l’exception des revenus reçus du gouvernement du Canada conformément à la Loi sur le transfert de l’impôt sur le revenu des entreprises d’utilité publique par rapport aux taux ou à la structure applicable à l’exercice précédent.

6. (1) Subject to subsections (8) to (10), the fiscal stabilization payment that may be paid to a province for a fiscal year is the amount, if any, as determined by the Minister, by which

 

(a) the revenue subject to stabilization of the province for the immediately preceding fiscal year

 

exceeds

 

(b) the revenue subject to stabilization of the province for the fiscal year, adjusted in prescribed manner to offset the amount, as determined by the Minister, of any change in the revenue subject to stabilization of the province for the fiscal year resulting from changes made by the province in the rates or in the structures of provincial taxes or other modes of raising the revenue of the province referred to in paragraphs (a) to (cc) and (ee) of the definition “revenue source” in subsection 4(2), other than revenues received from the Government of Canada pursuant to the Public Utilities Income Tax Transfer Act, from the rates or the structures in effect in the immediately preceding fiscal year.

 

Règlement

 

12. (1) Pour corriger le revenu soumis à stabilisation d'une province pour une année financière conformément à l'alinéa 6(1)b) de la Loi, le Ministre doit :

 

[…]

 

b) d'autre part, soustraire du montant, par ailleurs établi du revenu soumis à stabilisation de la province pour l'année financière, le montant de l'augmentation des revenus au cours de l'année financière qui résulte de changements faits par la province dans les taux ou la structure, soit des impôts provinciaux soit des autres mécanismes de prélèvement de la province, notamment les changements suivants :

 

(i) l'introduction d'un impôt, d'une taxe, d'un droit, d'une prime ou d'une redevance au cours de l'année financière ou au cours de l'année financière précédente,

 

[…]

 

(viii) les augmentations, en moyenne pour une année, de la marge de bénéfice sur les biens ou les services vendus au public par la province ou ses organismes,

12. (1) In adjusting the revenue subject to stabilization of a province for a fiscal year pursuant to paragraph 6(1)(b) of the Act, the Minister shall:

 

 

(b) subtract from the revenue subject to stabilization of the province for the fiscal year as otherwise determined the amount of the increase in revenues in the fiscal year that results from changes either in the rates or in the structures of provincial taxes or other modes of raising revenue, including the following changes:

 

(i) the introduction of a new tax, fee, levy, premium or royalty during the fiscal year or during the immediately preceding fiscal year,

 

 

 

 

(viii) increases, averaged over a year, in the mark-up on goods or services that are sold to the public by the province or its agencies,

 

 

[8]               En termes moins techniques, le Québec reproche au Canada de ne pas reconnaître, d’une part, les changements qu’il a apportés à la structure de ses impôts, notamment la taxe de vente du Québec (TVQ), par suite de l’introduction par le Canada de la nouvelle taxe sur les produits et services (TPS). D’autre part, de nier les augmentations de la marge bénéficiaire de la Société des alcools du Québec (SAQ) et de la Société des loteries et courses du Québec (Loto-Québec) sur les biens ou les services rendus au public par le Québec.

 

La décision du juge de la Cour fédérale

 

[9]               Sur les trois points de désaccord entre les parties qui sont devant nous dans le présent appel, le juge a fait droit aux prétentions du Québec. Il s’est ainsi exprimé :

 

JUGEMENT

 

Le Québec a droit aux déclarations suivantes :

 

1.  QUE la modification législative effectuée par le Québec par l’adoption de la Loi modifiant la Loi concernant l’impôt sur la vente en détail et d’autres dispositions législatives d’ordre fiscal, L.Q., 1990, c. 60, aux fins de permettre l’application de la TVQ sur la TPS, constitue un changement apporté par le Québec à sa structure fiscale au sens de l’article 6(1)b) de la Loi sur les arrangements fiscaux et de l’article 12(1)b) (i) du Règlement de 1987, dont le ministre des Finances du Canada doit tenir compte dans son calcul de la demande de paiement de stabilisation du gouvernement du Québec pour l’exercice 1991-1992;

 

2.  QUE l’augmentation de la marge bénéficiaire de la Société des alcools du Québec (SAQ) pour l’exercice 1991-1992, constitue une augmentation de la marge de bénéfice sur les biens vendus au public par cet organisme au sens de l’article 6(1)b) de la Loi sur les arrangements fiscaux et de l’article 12(1)b) (viii) du Règlement de 1987, dont le ministre des Finances du Canada doit tenir compte dans son calcul de la demande de paiement de stabilisation du gouvernement du Québec pour l’exercice 1991-1992;

 

[…]

 

4.  QUE l’augmentation de la marge bénéficiaire Loto-Québec pour l’exercice 1991-1992, constitue une augmentation de la marge de bénéfice sur les biens vendus au public par cet organisme au sens de l’article 6(1)b) de la Loi sur les arrangements fiscaux et de l’article 12(1)b) (viii) du Règlement de 1987, dont le ministre des Finances du Canada doit tenir compte dans son calcul de la demande de paiement de stabilisation du gouvernement du Québec pour l’exercice 1991-1992;

 

 

[10]           Quant à la question préliminaire touchant à la compétence de la Cour fédérale et à la nature du recours sous l’article 19 de la Loi sur les cours fédérales, le juge a procédé à une revue historique de cet article. Aux paragraphes 90 à 93 des motifs de sa décision, il a conclu que cet article n’est pas simplement attributif de compétence à la Cour fédérale. Il s’est dit d’avis qu’il confère à la Cour fédérale le mandat de trancher le fond du litige et non simplement de se limiter à une révision judiciaire du type de celle que l’on retrouve à l’article 18 de la même loi. Conséquemment, dit-il, la résolution du litige se fait « en appliquant des principes juridiques aux faits établis par la preuve lors du procès » : ibidem, au paragraphe 90. Il a donc accepté toute nouvelle preuve produite par l’une ou l’autre des parties pourvu qu’elle existait avant la décision du ministre : ibidem, au paragraphe 93.

 

Analyse de la décision du juge

 

a)         La nature du recours sous l’article 19 de la Loi sur les cours fédérales et les procédures applicables

 

[11]           À juste titre, les parties ont fait remarquer que la loi est muette quant à la nature du recours de l’article 19 et à la procédure applicable à la résolution du litige entre elles. L’appelante a prétendu que le recours était de la nature d’un contrôle judiciaire et qu’il était régi par les règles applicables au contrôle judiciaire, notamment celles relatives à la norme de contrôle des décisions administratives et à la déférence due au décideur administratif. Je m’empresse de faire remarquer, et je me limite à cela, que l’article 19 ne met pas en cause un litige d’ordre administratif entre le gouvernement et un administré. Il implique plutôt un litige (« controversy » en anglais) entre deux entités étatiques d’une même Couronne indivisible.

 

 

[12]           L’intimé soumet que le recours est sui generis et qu’il s’apparente à un arbitrage ou à un renvoi.

 

[13]           Quoiqu’une part importante des plaidoiries des parties ait été consacrée à cette question de la nature du recours, je ne crois pas, dans le contexte du présent appel, qu’il soit utile, et encore moins nécessaire, de nous livrer à une généralisation sur le sujet, sauf à dire ceci. La procédure applicable sous l’article 19 est tributaire et fonction de la véritable nature du litige qui existe entre les parties.

 

[14]           Dans le cas présent, les parties sont convenues d’identifier, de définir et de préciser le litige autour et à partir de questions de droit qu’elles ont soumises à la Cour fédérale. Elles ne lui demandaient pas de statuer sur le montant auquel le Québec aurait droit. Tout ce que la Cour fédérale avait à faire, c’était de répondre aux questions. C’est ce qu’elle a fait, mais non sans digresser sur la nature même du recours de l’article 19. Ce n’était pas nécessaire dans les circonstances. Il en est résulté une polarisation des positions des parties sur cette question ainsi qu’un inutile débat antagoniste, comme nous le verrons ci-après, sur l’admissibilité de preuves nouvelles, dont les pièces P-12 et P-20 relatives à l’augmentation de la marge bénéficiaire de la SAQ et de Loto-Québec.

 

 

 

b)         Le juge a-t-il eu raison de conclure que le ministre s’est trompé en droit sur les trois questions qui font l’objet du présent appel?

 

 

[15]           La Loi, qui permet des paiements de stabilisation à une province dont le revenu est sujet à stabilisation, vise à compenser cette dernière pour une baisse de ses revenus admissibles résultant de causes autres que son propre fait ou une action volontaire de sa part.

 

[16]           Comme le mentionne le juge, il n’y a pas de désaccord entre les parties sur les principes de base du programme de stabilisation du revenu. Je reproduis, avec leur numérotation, cinq (5) des dix (10) principes que l’on retrouve au paragraphe 94 des motifs de la décision du juge :

 

1.   Le Programme de stabilisation a pour but d’indemniser les provinces qui subissent une baisse de revenus d’une année à l’autre, à cause de raisons hors de leur contrôle;

 

2.   Une province aura droit à une compensation si le fédéral pose un geste qui fait chuter les revenus sujets à stabilisation d’une province;

 

[…]

 

6.   Une province peut avoir droit à un paiement de stabilisation même si ses revenus réels corrigés, pour l’année de la demande, ont augmenté durant l’année puisqu’une province peut avoir augmenté ses impôts ou la hausse de ses revenus est seulement due au fait que, si elle n’avait pas augmenté ses impôts, elle aurait subi une chute de ses revenus;

 

[…]

 

9.   Le fédéral paye pour une chute des revenus de la province sujets à stabilisation à cause de l’activité économique ou à cause d’un facteur hors du contrôle de la province;

 

10.  Les corrections prévues à l’article 12 du Règlement visent à assurer qu’une province qui a été efficace en augmentant ses revenus par un geste quelconque, par rapport à ce qu’ils auraient été sans que le geste soit posé, ne soit pénalisée pour avoir été efficace, à condition que ce geste soit un geste fiscal.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

[17]           La taxe de vente fédérale (TVF) était une taxe indirecte, incluse dans le prix d’achat d’un bien. Son pourcentage variait selon les produits. Elle a été abolie par le Parlement canadien et remplacée par une taxe directe, la TPS, qui est venue s’ajouter au prix de vente des biens. Si le Québec n’avait pas modifié sa Loi concernant l’impôt sur la vente en détail, L.R.Q., c. I-1, il aurait subi une perte de revenus par suite de la disparition de la TVF et de la réduction du prix d’achat des biens qui en résultait.

 

[18]           Or, pour éviter une telle baisse de revenus découlant des faits et gestes du Canada, donc hors du contrôle de la province au sens du programme de stabilisation du revenu, le Québec se devait d’apporter une modification à la « structure des composantes d’impôts » pour dorénavant y assujettir les nouvelles sommes ajoutées par la TPS au prix des biens vendus. C’est ce qu’il a fait en modifiant sa Loi concernant l’impôt sur la vente en détail pour capturer la nouvelle taxe fédérale.

 

[19]           Avec respect, je crois que le juge a eu raison de conclure au paragraphe 127 des motifs de sa décision que cette modification représente un changement dans la structure d’un de ses modes de prélèvement des impôts, soit la taxe de vente en détail. En outre, la procureure du Canada n’a pas expliqué en quoi le droit du Québec à un paiement de stabilisation échappait aux principes d’indemnisation, notamment le deuxième, le sixième, le septième et le dixième ci-auparavant énoncés.

 

[20]           J’en arrive maintenant aux deux autres questions en litige. Elles soulèvent la même problématique et, de ce fait, feront l’objet d’un traitement unique.

 

[21]           Comme l’indique le juge, le Canada était d’avis que la preuve apportée par le Québec ne démontrait pas d’augmentation de la marge de bénéfice, mais qu’elle démontrait simplement une variation ou augmentation dans le taux de la marge de bénéfice : voir les paragraphes 140 et 162 des motifs de sa décision.

 

[22]           Selon la position prise par le principal représentant du Canada, M. Hodgson, l’augmentation de la marge bénéficiaire ne pouvait pas s’exprimer en pourcentage. Elle devait s’exprimer en dollars et démontrer une augmentation des prix des produits vendus. De là les demandes formulées par celui-ci aux représentants du Québec que, par exemple, la SAQ lui fournisse des exemples de bouteilles de vin typiques vendues où le prix reflèterait une augmentation de la marge bénéficiaire sur ces produits : voir au volume 6, aux pages 995 et 998 le témoignage de M. Hodgson à son interrogatoire préalable.

 

[23]           Il faut se rappeler que, selon la question soumise au juge, il s’agissait pour lui de déterminer si l’augmentation du taux de la marge bénéficiaire constituait ou non une augmentation de la marge de bénéfice sur les biens vendus au sens de l’alinéa 6b) de la Loi et du sous-alinéa 12(1)b)(viii) du Règlement.

 

[24]           Or, en cours d’audience au mérite, est venu d’un autre représentant du Canada un aveu, tout aussi inattendu qu’inespéré, que l’augmentation de la marge bénéficiaire pouvait effectivement s’exprimer en pourcentage. Cette admission mettait un terme au débat en ce qui a trait aux questions 2 et 4 que l’on retrouve au jugement de la Cour fédérale reproduit au paragraphe 9 des présents motifs. Comme le souligne le juge au paragraphe 149 de ses motifs, elle avait un impact important sur les deux questions en litige.

 

[25]           Elle avait aussi un impact au niveau de la preuve. D’une part, le juge n’avait plus à trancher le débat amorcé entre les experts sur la question. D’autre part, elle rendait inutile tout le débat sur l’admissibilité en preuve des preuves nouvelles constituées des pièces P-12 et P-20 car les pièces P-9, P-2 et P-18 déjà fournies au Canada par le Québec établissaient sans équivoque une augmentation de la marge bénéficiaire de la SAQ et de Loto Québec pour les exercices financiers 1990-1991 et 1991-1992 : voir la pièce P-9 au volume 4 du dossier d’appel, pages 576 et 577 et, pour Loto-Québec, les pièces P-2 et P-18, respectivement aux volumes 3, pages 336 et suivantes, et 5, aux pages 776 et suivantes.

 

[26]           Il est vrai, comme le prétend l’appelante, qu’il est possible que la variation du taux de marge de bénéfice global, comme par exemple celle de la SAQ, puisse être la résultante d’un changement d’habitudes des consommateurs, auquel cas il n’y aurait pas ouverture à des paiements de stabilisation. Mais il est, à mon sens, inconcevable que toute l’augmentation du taux de la marge soit imputable à ce seul fait et justifie un refus total de paiement. Il est en preuve que les discussions entre le Canada et les provinces, incluant le Québec, ont porté entre autres choses sur la nécessité pour les sociétés d’état d’augmenter leur marge bénéficiaire dans le contexte de l’avènement de la TPS afin d’éviter une baisse de revenus. Il n’est pas déraisonnable de croire que c’est ce que le Québec a fait, comme d’ailleurs d’autres provinces.

[27]           Je suis convaincu qu’il s’avère possible de ventiler la demande du Québec fondée sur l’augmentation du taux de la marge bénéficiaire global pour en arriver à un calcul du montant des revenus sujets à des paiements de stabilisation. Il appartient au demandeur de justifier sa demande et ses calculs en conformité avec la Loi et le Règlement. En ce domaine comme dans bien d’autres, il n’y a pas de certitude absolue et il est évident qu’une preuve de justification hors de tout doute raisonnable n’est pas requise. Mais la bonne foi de part et d’autre et la raison sont de mise.

 

Conclusion

 

[28]           De l’aveu même des parties qui ont comparu devant nous, la demande de paiements de stabilisation du Québec a débouché sur un dialogue de sourds. Le recours entrepris sous l’article 19 de la Loi sur les cours fédérales ne fait que régler certaines questions de droit. Il ne dispose pas du litige. Les parties doivent maintenant retourner à la table de discussions pour une évaluation de la demande du Québec.

 

[29]           Pour les motifs exprimés, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

« Je suis d’accord

            Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-439-07

 

 

INTITULÉ :                                                   SA MAJESTÉ LA REINE c. LE PROCUREUR

                                                                        GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 2 et 3 juin 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 11 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Chantal Chatelain

Me Delbie Desharnais

 

POUR L’APPELANTE

 

Me Réal Forest

Me Dominique Gibbens

Me Stéphanie Lavallée

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS, S.E.N.C.R.L.

 

POUR L’APPELANTE

 

FASKEN MARTINEAU DuMOULIN

S.E.N.C.R.L., s.r.l.

POUR L’INTIMÉ

 

 

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