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Date : 20080523

Dossier : A-474-07

Référence : 2008 CAF 189

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE SEXTON              

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

 

NEIL CLEGG

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 7 mai 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 mai 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                             LE JUGE SEXTON

                                                                                                                                                           

 


Date : 20080523

Dossier : A-474-07

Référence : 2008 CAF 189

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

 

NEIL CLEGG

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

[1]               Le juge de première instance, Michael A. Kelen, a‑t‑il commis une erreur de droit donnant matière à révision en concluant que la décision du comité d’appel de la Commission de la fonction publique (le comité d’appel ou la présidente) visant l’intimé respectait l’équité procédurale? Les parties conviennent qu’il s’agit de la principale question en litige (référence 2007 CF 940).

 

 

Contexte

[2]               Je fais mien l’exposé des faits pertinents que le juge Kelen a rédigé :

 

[2]     Au printemps 2005, le défendeur a participé à un concours pour un poste de permutant EX-01 au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada (le MAECI). Dans le cadre de ce concours, les candidats devaient passer l’examen de jugement situationnel uniformisé (l’EJS), préparé expressément pour les concours concernant des postes de permutant EX-01 au MAECI. L’EJS est un test psychométrique élaboré par le Centre de psychologie du personnel (le CPP), qui sert à évaluer le jugement requis pour gérer des problèmes dans des situations professionnelles au niveau EX-01.

 

[3]     Pour ce concours, 370 candidats partout dans le monde ont fait l’EJS. Les instructions indiquaient que les candidats disposaient de deux heures pour faire l’EJS. Celui‑ci consistait en 40 mises en situation et questions. Une fiche d’information distribuée avec l’EJS précisait cependant que les candidats n’auraient que 90 minutes pour faire l’examen. Le MAECI admet qu’il s’agissait d’une erreur de rédaction et que les candidats disposaient de deux heures pour faire l’EJS. Lorsque le défendeur a passé l’EJS le 6 juillet 2005, il a eu 90 minutes pour faire l’examen. Un autre candidat a aussi dû faire l’examen dans ce délai plus court. Tous les autres ont eu deux heures pour passer l’examen.

 

[4]     Lorsqu’il a été découvert que le défendeur n’avait pas eu le même délai que les autres candidats, des fonctionnaires du MAECI en ont informé le CPP et lui ont demandé comment procéder. Sur la recommandation du gestionnaire des Services de consultation du CPP, on a offert au défendeur la possibilité de revoir son examen pendant une période additionnelle de 45 minutes, ce qu’il a accepté.

 

[5]     Le 31 août 2005, le défendeur a revu son EJS pendant la période de 45 minutes qui lui était allouée. Sa note a chuté de 69 à 66 p. 100 après cette révision. Comme il devait obtenir une note de 72 p. 100, sa candidature a été rejetée.

 

[6]     Le 15 août 2006, le défendeur a interjeté appel en vertu de l’article 21 de la LEFP [Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22]. L’appel a été entendu par le comité d’appel le 14 décembre 2006, à Ottawa (Ontario).

 

Décisions antérieures

            a) Comité d’appel

[3]               Le comité d’appel a accueilli l’appel de l’intimé au motif que celui‑ci n’avait pas été évalué en fonction des mêmes normes que les autres candidats. Il a conclu que la mesure corrective qui consistait à lui accorder une période additionnelle de 45 minutes, plusieurs semaines plus tard, avait encore pour effet de mettre l’intimé dans un autre « état d’esprit que les autres qui ont bénéficié de deux heures continues » (au paragraphe 20 des motifs du comité d’appel).

 

[4]               Dans sa décision, le comité d’appel s’est appuyé sur l’arrêt Buttar c. Canada (Procureur général), (2000) 254 N.R. 368 (C.A.F.), [2000] A.C.F. no 437 (C.A.F.) (QL) [Buttar], dans lequel la Cour a déclaré ce qui suit :

24.   […] on ne pouvait équitablement déterminer la validité de la nomination […] sans vérifier si ses compétences avaient été évaluées en fonction des normes auxquelles ont été assujettis les autres candidats qui ont postulé, simultanément, l’avancement au même échelon.

 

            b) Cour fédérale

[5]               À la suite de la décision du comité d’appel, l’appelant (alors demandeur) a demandé le contrôle judiciaire en soulevant trois questions que le juge Kelen a énoncées au paragraphe 11 de ses motifs :

1)  Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur en ne prenant pas en considération et en n’analysant pas des éléments de preuve importants?

2)  Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur en n’admettant pas un témoignage pertinent?

3)    Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur en accueillant l’appel étant donné que le défendeur ne s’est opposé à la période additionnelle de 45 minutes qui lui avait été allouée pour terminer l’examen qu’après avoir appris qu’il avait échoué à celui‑ci?

 

 

[6]               Sans le bénéfice de la décision récente de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], le juge Kelen a d’abord décidé, en ce qui a trait aux normes de contrôle applicables, que les questions mixtes de fait et de droit peuvent être examinées selon la norme de la décision raisonnable simpliciter et que la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale et de justice naturelle. Ce faisant, il a avalisé ce que les parties avaient convenu, à savoir que « la norme qui s'applique à la question de savoir si les conclusions de la présidente sont étayées par la preuve est celle de la décision raisonnable simpliciter » (au paragraphe 14 de ses motifs). 

 

[7]               Le juge Kelen a ensuite entrepris l’examen des questions énoncées précédemment.

 

[8]               Devant le juge de première instance, l’appelant a allégué que le comité d’appel a commis une erreur susceptible de révision en écartant le témoignage non contesté de son expert, M. Forster, qui a présenté la preuve relative à la nature de l’EJS : un test de puissance intellectuelle comparativement à un test de rapidité (affidavit de M. Forster, dossier d’appel, onglet 4, page 32, au paragraphe 11). Un test de puissance intellectuelle est un test où la note est influencée par le choix des réponses plutôt que par le temps alloué pour le faire.

 

[9]               Pour illustrer ce point, l’expert a demandé que la note de l’autre candidat qui avait dû faire l’examen dans ce délai plus court soit produite. Selon l’appelant, le comité d’appel a commis une deuxième erreur en refusant d’acquiescer à cette demande en vertu de l’article 26 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (2000), DORS/2000-80 (le Règlement).

 

[10]           En ce qui concerne la première question, le juge Kelen a affirmé ce qui suit :

19. […] après avoir lu la transcription partielle de l’audience (il n’existe qu’une transcription partielle à cause d’une erreur administrative) et la décision du comité d’appel, je suis convaincu que ce dernier a pris en compte et a analysé […] le contenu de l’avis de M. Forster et l’a rejeté.

 

 

[11]           Quant à la deuxième question, le juge Kelen a rapidement discuté de l’article 26 du Règlement, puis il a donné raison au comité d’appel en s’appuyant sur le fait que la preuve en question n’avait pas été communiquée précédemment à l’intimé et en ajoutant que le « demandeur aurait pu demander un ajournement de l’audience afin de communiquer ces éléments de preuve conformément à la loi, mais il ne l’a pas fait » (au paragraphe 23 de ses motifs).

 

[12]           En ce qui concerne la troisième et dernière question, le juge Kelen a rejeté l’argument de l’appelant selon lequel l’intimé aurait dû faire connaître ses inquiétudes avant d’obtenir le résultat de l’examen (aux paragraphes 27 et 28 de ses motifs).

 

[13]           D’où le présent appel.

 

Analyse

[14]           L’appelant soulève les mêmes questions devant la Cour. Avant d’examiner ces questions, il faut déterminer quelles sont les normes de contrôle applicables en s’appuyant sur l’arrêt Dunsmuir, précité.

 

Norme de contrôle

[15]           Puisque la présente affaire intéresse une décision rendue par un juge saisi d’une demande de contrôle judiciaire, les principes énoncés dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen] s’appliquent : le choix de la norme de contrôle appropriée constitue une question de droit et ce choix est susceptible de révision suivant la norme de la décision correcte (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, au paragraphe 43 [Dr Q]). En fin de compte, si la Cour découvre une erreur à ce stade de l’analyse, elle devra nécessairement « corriger cette erreur, appliquer la norme de contrôle appropriée, et évaluer la décision ou renvoyer l’affaire à la lumière de cette correction » (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au paragraphe 19; voir également Dr Q, précité, au paragraphe 43).

 

[16]           Dans Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada a réduit de trois à deux les normes de contrôle possibles en fondant « en une seule les deux normes de raisonnabilité », à savoir la norme de la décision raisonnable et la norme de la décision manifestement déraisonnable (ibid., au paragraphe 45). Pour déterminer laquelle des deux normes restantes sera appropriée dans une situation donnée, la Cour propose un processus en deux étapes :

62.   […]  Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

 

[17]           Cette « analyse de la norme de contrôle » doit toujours être faite en contexte, en appliquant les quatre facteurs bien connus. Par ailleurs, la Cour suprême, à la majorité, a dit qu’il n’était pas nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive lorsque la jurisprudence a déjà établi la norme applicable (ibid., aux paragraphes 54 et 57).

 

[18]           Dans Davies c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 41 [Davies], la Cour s’est penchée sur la question de la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le comité d’appel en vertu de l’article 21 de la LEFP. Elle a établi que la norme de contrôle qui s’applique aux pures questions de droit est celle de la décision correcte et que, dans le cas des questions mixtes de fait et de droit comme celle de savoir si les conclusions du comité d’appel sont corroborées par la preuve, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique (ibid., au paragraphe 23; voir aussi McGregor c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 197, aux paragraphes 13 et 14).

 

[19]           Quant aux questions liées au manquement à l’équité procédurale, il est bien établi en droit que la décision du comité d’appel ne commande aucune déférence judiciaire et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65.

 

[20]           Puisque le juge Kelen n’a commis aucune erreur dans la détermination des normes de contrôle appropriées, la Cour va maintenant se pencher sur les questions soulevées par les parties, étant acquis que les questions de droit tranchées par le juge sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte et que les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à une norme exigeant une erreur manifeste et dominante (Housen, précité, aux paragraphes 8 et 36).

 

Le principe du mérite

[21]           Le principe du mérite, envisagé à l’article 10 de la LEFP (article 30 de la nouvelle loi (L.C. 2003, ch. 22)), constitue en fait le contexte nécessaire à un appel interjeté en vertu de l’article 21 de la LEFP.

 

[22]           L’article 10 de la LEFP est rédigé comme suit :

 

10.(1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l’administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

 

(2)  Pour l'application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

 

 

 

 

[Je souligne]

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

 

(2)  For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

 

[I underline]

 

[23]           Le principe du mérite est au cœur de toutes les nominations dans la fonction publique. Dans Davies, précité, le juge en chef Richard a écrit ce qui suit :

36.        Le « mérite » n’est pas défini dans la LEFP. Par conséquent, c’est aux tribunaux qu’il est revenu d’en préciser le sens. La Cour a jugé que, dans ce contexte, le « mérite » signifie que c’est le meilleur candidat possible qui sera nommé au poste, compte tenu de la nature du service à exécuter : Nanda c. Commission de la fonction publique, [1972] C.F 277, au paragraphe 34 (C.A.).

 

[24]           De plus, dans Buttar, la juge Sharlow a écrit ceci :

5.    L’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique prévoit qu’il peut être interjeté appel des nominations. L’article 21 vise le respect du principe de la sélection fondée sur le mérite : Charest c. Canada (Procureur général), [1973] C.F. 1217 (C.A.F.). Même si ce principe a été énoncé initialement dans le cadre d’un appel interjeté d’une nomination effectuée à la suite d’un concours, il est applicable aux appels prévus à l’article 21.

[…]

24.   […] on ne pouvait équitablement déterminer la validité de la nomination […] sans vérifier si ses compétences avaient été évaluées en fonction des normes auxquelles ont été assujettis les autres candidats qui ont postulé, simultanément, l’avancement au même échelon. Le comité d’appel a commis une erreur en refusant de se pencher sur cette question.

 

 

[25]           Le principe du mérite exige non seulement que des normes uniformes soient fixées, mais aussi qu’elles soient appliquées d’une manière uniforme. Pour déterminer si le principe du mérite a été observé, le comité d’appel doit tenir compte de l’établissement et de l’application de ces normes uniformes. Dans Gayef c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1364, au paragraphe 30, il est souligné :

 

30.   […] l’irrégularité qui se glisse dans un concours n’a pas toujours pour effet de vicier les nominations faites à la suite de ce concours. Elle invalide ces nominations lorsqu’il est vraisemblable que, sans l’irrégularité, le résultat de ce concours aurait pu être différent : Stout c. Canada (Commission de la fonction publique, Direction générale des appels) (1983), 51 N.R. 68 (C.A.F.).

 

 

[26]           Dans le présent appel, il n’est pas nécessaire d’en dire davantage. La Cour va maintenant se pencher sur les questions en litige, en s’assurant d’observer le principe du mérite dans ses réponses.

 

Questions en litige

[27]           Les questions 1 et 2 sont interreliées, car elles se rapportent toutes les deux au témoignage de M. Forster sur la nature de l’EJS et au résultat obtenu par un autre candidat ayant réussi l’examen même s’il se trouvait dans une situation semblable à celle de l’intimé.

 

[28]           Il me semble que la deuxième question concernant l’admissibilité de la preuve devrait être étudiée avant d’examiner les éléments pris en considération par le comité d’appel et son analyse de la preuve. Par souci de commodité, je vais toutefois respecter l’ordre d’apparition des questions dans le jugement contesté.

 

 

 

Question 1 : Le comité d’appel a‑t‑il écarté des éléments de preuve?

[29]           L’appelant allègue que le comité d’appel a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont il disposait, en ajoutant que le juge a commis une erreur en rejetant ce motif de révision (lequel est prévu à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7).

 

[30]           Dans ses motifs, la présidente expose les faits et la position des parties. Sans tirer de conclusions particulières quant à la crédibilité des faits contestés, elle procède ensuite à l’analyse des observations présentées par les parties en déclarant d’abord qu’elle a « considéré l’ensemble de la preuve et des arguments des parties même s’ils ne sont pas reproduits intégralement » (au paragraphe 13 des motifs du comité d’appel). La preuve comprend bien entendu le témoignage de M. Forster.

 

[31]           La présidente poursuit en disant ceci :

16.   […] en l’espèce, il a été clairement établi dans la preuve présentée que l’appelant n’a pas été évalué en fonction des mêmes normes que les autres candidats.

[…]

19.   L’appelant a été en mesure de faire l’EJS, mais il a dû se dépêcher pour répondre aux 40 mises en situation et a disposé de moins de temps que les autres candidats. Comme mesure corrective, le ministère lui a accordé 45 minutes supplémentaires pour revoir son examen et ses réponses. La preuve indique qu’à la fin de la première séance, il l’avait déjà terminé. Dans les 45 minutes additionnelles, 15 minutes étaient prévues pour qu’il se remette l’examen en mémoire et 30 minutes pour qu’il examine les réponses données à la première séance. Tous les autres candidats ont fait l’examen en une séance. À l’exception d’un autre candidat, aucun n’a été soumis à ces conditions lorsqu’il a fait l’examen.

[…]

20.   Je ne vois pas comment le fait de condenser un examen de deux heures en une heure et demie permet un résultat identique à celui des autres candidats. Je ne vois également pas comment l’ajout d’une période de 45 minutes, deux mois après le fait, met un candidat dans le même état d’esprit que les autres qui ont bénéficié de deux heures continues. La preuve démontre que l’appelant a fait l’examen original le 6 juillet 2005 et que les 45 minutes additionnelles lui ont été accordées le 31 août 2005. Essentiellement, l’appelant a dû répondre aux questions à la hâte, sachant qu’il disposait d’une heure et demie pour faire l’examen.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[32]           Le témoignage et la preuve de M. Forster constituaient des éléments cruciaux pour l’appelant car ils [traduction] « soutenaient son seul argument, à savoir que le temps n’était pas un facteur qui influait sur les résultats des candidats en raison de la nature de l’EJS » (au paragraphe 41 du mémoire des faits et du droit de l’appelant).

 

[33]           M. Forster est psychologue principal au Centre de psychologie du personnel (le CPP) de la Commission de la fonction publique du Canada. Le CPP a pour mission de mettre au point des instruments d’évaluation comme l’EJS.

 

[34]           Les motifs de la décision du comité d’appel ne font état expressément ni de M. Forster, ni de son opinion en tant qu’expert. L’appelant infère de cette omission que le comité d’appel a tiré ses conclusions sans tenir compte de ces éléments. Au paragraphe 44 de son mémoire des faits et du droit, il cite la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada, [1998] A.C.F. no 1425 (C.F.) (QL) [Cepeda-Gutierrez], à l’appui de son argument.

 

[35]           Plus précisément, l’appelant invoque le paragraphe 17 dans lequel le juge Evans (alors juge à la Cour fédérale) souligne que « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait ».

 

[36]           Cette décision portait sur une demande visant à faire infirmer la décision par laquelle la section du statut de réfugié avait refusé la revendication du statut de réfugié du demandeur, M. Cepeda‑Gutierrez. La preuve dont il n’avait pas été fait état dans cette décision se rapportait aux répercussions psychologiques négatives dont pourrait souffrir le demandeur s’il était renvoyé au Mexique. Cette preuve était à ce point importante pour la cause du demandeur que la Cour fédérale a inféré de l’omission de la section du statut de réfugié d’en faire état dans ses motifs que la « conclusion de fait a[vait] été tirée sans tenir compte de cet élément » (ibid., au paragraphe 27).

 

[37]           Dans la présente affaire, il aurait été souhaitable que le comité d’appel fournisse des motifs plus élaborés et détaillés. Par ailleurs, les motifs doivent être considérés dans leur ensemble avant de conclure que des éléments de preuve cruciaux ont été écartés.

 

[38]           Tel qu’il a été affirmé également dans Cepeda-Gutierrez, les « motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal […] et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait » (ibid., au paragraphe 16). Il se peut bien que, dans certains cas, une déclaration générale selon laquelle le comité a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffira pour « assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, qu[’il] a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait » (ibid., au paragraphe 16).

 

[39]           Il en va particulièrement ainsi dans la présente affaire où M. Forster était le seul témoin expert et où il existe une corrélation évidente entre le point central de son témoignage et les motifs du comité d’appel.

 

[40]           À la lecture de la transcription partielle et de l’affidavit de M. Forster, le juge saisi de la demande pouvait raisonnablement inférer que la présidente avait examiné la preuve de l’appelant mais qu’elle n’y souscrivait pas, comme elle était en droit de le faire.

 

[41]           Comment aurait‑elle pu autrement ne pas voir « comment le fait de condenser un examen de deux heures en une heure et demie permet un résultat identique à celui des autres candidats » (au paragraphe 20 des motifs du comité d’appel)? Cette déclaration vise directement l’argument principal de l’appelant voulant que l’EJS ne soit pas un test de vitesse et que l’irrégularité n’ait pas influencé les résultats du concours.

 

[42]           Le comité d’appel a conclu que « l’appelant a dû faire le même examen que les autres candidats dans un délai plus court » (ibid., au paragraphe 17 des motifs du comité d’appel) et que «[i]l a dû faire l’EJS  deux fois, une fois le 6 juillet, alors qu’il a dû le faire dans un délai condensé, et une autre le 31 août, environ deux mois plus tard, alors qu’on lui a accordé encore moins de temps pour parcourir l’examen (30 minutes) » (ibid., au paragraphe 21 des motifs du comité d’appel).

 

[43]           Le comité d’appel a conclu que l’arrangement accordé à l’intimé s’écartait du principe du mérite, rejetant ainsi la théorie de M. Forster. Il était loisible au comité d’appel de tirer cette conclusion qui fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[44]           L’opinion de l’expert sera appréciée par le tribunal mais celui‑ci n’est pas lié par cette opinion (voir Tradition Fine Foods Ltd. c. Oshawa Group Ltd., 2005 CAF 342, au paragraphe 14, demande d’autorisation d’appel refusée, [2005] C.S.C.R. no 547 (QL); voir également Scherico Ltd. c. P.V.U. Inc., [1989] A.C.F. no 454 (C.A.F.) (QL)). C’est à bon droit que le juge Kelen a conclu que le comité d’appel n’avait pas écarté des éléments de preuve pour parvenir à sa décision.

 

Question 2 : L’exclusion d’un témoignage pertinent

[45]           M. Forster a tenté en vain de présenter en preuve la note de l’autre candidat qui s’était vu accorder du temps additionnel pour terminer l’examen.

 

[46]           La raison justifiant le refus du document correspondant est contestée.

 

[47]           L’appelant soutient que la présidente n’avait pas raison d’invoquer l’article 26 du Règlement pour écarter cette preuve (au paragraphe 35 du factum de l’appelant et affidavit de M. Forster, dossier d’appel, onglet 4, page 34). L’intimé réplique que cette conclusion n’est pas soutenue par la transcription partielle (au paragraphe 32 du mémoire des faits et du droit de l’intimé).

 

[48]           Le juge de première instance était d’accord avec l’intimé pour dire que la présidente avait eu raison de ne pas admettre ces éléments de preuve parce qu’ils « n’avaient pas été communiqués précédemment au défendeur » (au paragraphe 23 de ses motifs). Par conséquent, l’appelant allègue que le juge de première instance a commis une erreur en fondant l’exclusion du témoignage de M. Forster sur un [traduction] « nouveau motif », parce que le dossier ne renferme aucune preuve d’une divulgation tardive.

 

[49]           En l’absence d’une transcription complète, il est évidemment impossible de vérifier les allégations des parties. La transcription partielle versée au dossier reproduit les observations préliminaires des parties devant la présidente et non leurs allégations fondées sur la preuve.

 

[50]           Quand la demande de présentation de la preuve a‑t‑elle été faite? Quels étaient le contexte et la nature de la discussion entre la présidente, M. Forster et les représentants des parties? Il est impossible d’obtenir des réponses à ces questions.

 

[51]           Les seules conclusions qui peuvent être tirées avec certitude de la preuve concernant l’autre candidat non reçu sont les suivantes :

a)      La note n’a pas été admise en preuve devant le comité d’appel.

b)      La note était celle d’un candidat non reçu, c’est‑à‑dire un candidat qui a été jugé qualifié mais dont le nom ne figurait pas sur la liste d’admissibilité (dossier d’appel, onglet 4(B), page 236, aux lignes 14 et 15).

c)      Même si elles étaient compatibles avec les autres arguments présentés à l’audience relativement à la nature de l’EJS, les observations que M. Forster avait l’intention de présenter concernant l’examen n’étaient pas, selon lui, déterminantes en soi (affidavit de M. Forster, dossier d’appel, onglet 4, page 33).

 

[52]           Les deux dernières conclusions, à n’en pas douter, remettent en question la valeur probante du résultat obtenu à l’examen. Le fait qu’un autre candidat ait obtenu la note de passage dès la première séance de l’examen et amélioré sa note à la seconde est, à mon sens, sans importance lorsque l’on tente de démontrer que l’intimé a été évalué de manière juste, c’est‑à‑dire à partir des mêmes normes que celles qui ont été appliquées aux autres candidats. Par conséquent, l’exclusion de la preuve n’aurait pas pu influencer l’issue de l’affaire.

 

[53]           M. Forster déclare que son objectif ultime était de démontrer que [Traduction] l’« irrégularité dans l’administration de l’EJS n’avait aucune incidence sur l’issue du processus de dotation » (ibid., au paragraphe 13).

 

[54]           Je ne vois pas comment cette démonstration aurait pu aider le comité d’appel à évaluer l’admissibilité de l’appelant à partir de normes uniformes d’examen et de normes de solution (Evans c. Canada (Comité d’appel de la Commission de la fonction publique), [1983] 1 R.C.S. 582, p. 593).

 

[55]           Cela étant dit, à mon avis, il n’est pas nécessaire de décider, d’après les positions des parties, quelle est l’interprétation appropriée du paragraphe 26(1) du Règlement, lequel est rédigé comme suit :

26.  (1) L'appelant a accès sur demande à l'information, notamment tout document, le concernant ou concernant le candidat reçu et qui est susceptible d'être communiquée au comité d'appel

 

[Je souligne.]

26.  (1) An appellant shall be provided access, on request, to any information, or any document that contains information, that pertains to the appellant or to the successful candidate and that may be presented before the appeal board.

[I underline]

 

La question de savoir si cette disposition prévoit un mécanisme de communication de l’information ou des documents pertinents concernant l’appelant ou le candidat reçu ou s’il prévoit également un mécanisme de communication de l’information ou des documents pertinents concernant le candidat non reçu, comme l’appelant l’affirme au paragraphe 36 de son mémoire des faits et du droit, devrait être tranchée dans le cadre d’une autre affaire où il sera nécessaire de répondre à cette question, avec une transcription appropriée de l’audience et de la décision de l’instance inférieure.

 

[56]           Par conséquent, je rejetterais le second motif d’appel parce qu’il n’est pas suffisant pour infirmer le jugement de première instance et modifier l’issue du présent appel.

 

Question 3 – Le principe de la renonciation

[57]           Finalement, l’appelant soutient que le juge de première instance [traduction] « a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que l’intimé dépose une plainte concernant les conditions relatives à l’examen » (au paragraphe 53 du mémoire des faits et du droit de l’appelant). L’appelant cite notamment la décision Cyr c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 1916 (C.F.) (QL) [Cyr].

 

[58]           Le juge Kelen a à juste titre distingué l’affaire Cyr de la présente affaire parce que [traduction] « les facteurs qui créaient des problèmes pour les candidats [dans Cyr] étaient des causes externes qui étaient indépendantes du contrôle réel du jury de sélection ou que celui‑ci ne pouvait pas connaître » (au paragraphe 26 de ses motifs, citant le défendeur). De plus, le juge Kelen a conclu que « [i]l serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’il conteste le processus d’examen avant de savoir que sa candidature a été rejetée » (au paragraphe 27 de ses motifs).

 

 

[59]           En fait, Cyr, précité, reflète la doctrine du principe de la renonciation comme le laisse entendre l’appelant. Par ailleurs, je cite les propos de Donald Brown et du juge Evans dans Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles) (Toronto, Canvasback Publishing, 2007), au paragraphe 3:6000 :

[traduction] Toutefois, la réparation ne sera pas refusée en raison de la renonciation, à moins que la partie qui s’oppose à la demande n’établisse que le demandeur avait été parfaitement informé des faits et que la renonciation était véritablement volontaire.

[Non souligné dans l’original.]

 

[60]           Le comité d’appel a déclaré ce qui suit sur cette question (au paragraphe 23) :

La preuve indique clairement que l’appelant a posé sa candidature au concours en vue d’avoir la chance d’être promu. Pour consolider cette chance, il devait passer par chacune des étapes de l’évaluation et les réussir. Si l’appelant avait refusé la solution des 45 minutes, la preuve laisse croire que sa participation au processus de sélection aurait pris fin à cette étape, car aucune autre solution envisagée par le ministère en vue de corriger l’erreur administrative qu’il avait commise n’était acceptable à ses yeux.

[Non souligné dans l’original.]

 

[61]           L’appelant ne conteste pas cette conclusion. Je lis, dans cet extrait, une conclusion implicite que l’intimé devait accepter la solution du ministère s’il voulait conserver la chance d’être promu. Par conséquent, je crois que la renonciation ne peut pas être considérée comme volontaire.

 

CONCLUSION

[62]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Alice Desjardins, j.c.a »

« Je suis d’accord.

            J. Edgar Sexton, j.c.a »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-474-07

 

INTITULÉ :                                                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        c.

                                                                        NEIL CLEGG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 7 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE DESJARDINS

                                                                        LE JUGE SEXTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alexander Kaufman

POUR L’APPELANT

 

James Shields

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Shields & Hunt

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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