ENTRE :
et
WARNER-LAMBERT COMPANY, LLC et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
Jugée sur dossier, sans comparution des parties.
Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 15 avril 2008.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE SEXTON
Dossier : A-458-07
Référence : 2008 CAF 138
Présent : LE JUGE SEXTON
ENTRE :
RANBAXY LABORATORIES LIMITED
appelante
et
PFIZER CANADA INC.,
WARNER-LAMBERT COMPANY, LLC et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
intimés
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
[1] Dans le cadre d’une instance relative à un avis de conformité, la Cour fédérale a prononcé le 11 septembre 2007 une ordonnance d’interdiction en faveur de Pfizer Canada Inc. et Warner‑Lambert Company, LLC (Pfizer et al.) à l’encontre de Ranbaxy à l’égard du brevet no 2,220,018 (le brevet 018), et elle a rejeté une demande d’ordonnance d’interdiction à l’égard du brevet no 2,220,455 (le brevet 455) : Pfizer Canada Inc c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 898. Les deux brevets étaient liés au médicament anti-cholestérol LIPITOR. L’instance résulte de la demande qu’a soumise Ranbaxy au ministre de la Santé en vue de faire approuver la vente de son médicament, le Ran-Atorvastatin, au Canada.
[2] Ranbaxy a interjeté appel de l’ordonnance visant le brevet 018 et Pfizer a interjeté appel incident de l’ordonnance visant le brevet 455.
[3] L’appel a été produit le 9 octobre 2007, et certains mémoires des faits et du droit ont été signifiés et déposés. Le dernier doit être déposé le 29 avril 2008, une demande écrite d’audience devant être déposée vingt jours plus tard.
[4] Apotex Inc. (Apotex) demande la permission d’intervenir dans l’appel. Apotex a déposé sa requête en intervention le 13 mars 2008, en dépit du fait qu’elle a pris connaissance de la décision en cause en novembre 2007.
[5] L’un des fondements de l’allégation d’absence de contrefaçon de Ranbaxy était que les intermédiaires censés contrefaire le brevet 018 (et utilisés dans la fabrication du LIPITOR) étaient employés en Inde, et non au Canada. Donc, selon cet argument, Ranbaxy ne pouvait contrefaire le brevet 018. Le juge Snider a rejeté l’argument, en s’appuyant sur l’extrait suivant de la décision de la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni Saccharin Corp. Ltd. c. Anglo-Continental Chemical Works, Ltd (1900), 17 R.P.C. 307 (Ch.), au par. 319 :
[traduction] Si le procédé breveté est la dernière étape du procédé de fabrication de l'article vendu, l'importation et la vente de ce produit constitueraient clairement une contrefaçon, selon moi. Y aurait‑il pour autant absence de contrefaçon, si le produit fabriqué et vendu grâce à l'utilisation du procédé breveté est également soumis à d'autres procédés? À mon avis, la réponse est non. En vendant la saccharine produite au moyen du procédé breveté, l'importateur prive le titulaire du brevet d'une partie des profits et avantages globaux de l'invention, et se trouve à exploiter indirectement l'invention.
[6] Apotex s’oppose vigoureusement à cet aspect de la décision de la juge Snider. Plus spécifiquement, elle prétend que la doctrine Saccharin ne devrait pas recevoir application au Canada. Toutefois, Apotex craint que sa prétention ne soit pas défendue par Ranbaxy et souligne que « [traduction] … Ranbaxy a un point de vue très étroit au sujet de l’appel : elle croit que la seule erreur du juge Snider était qu’un brevet puisse revendiquer ce qui pourrait être qualifié d’intermédiaire chimique ».
[7] Apotex a été poursuivie pour contrefaçon de brevet par Eli Lilly relativement à un brevet qui n’est pas lié à celui qui fait l’objet du présent litige et au sujet duquel un procès de 95 jours doit débuter le 21 avril 2008. Apotex avance que la décision qui sera rendue dans le présent appel aura une incidence sur l’une des questions en litige à son procès. Plus spécifiquement, elle allègue :
[traduction] Si la Cour rejette simplement l’énoncé de droit de la juge Snider à propos de la portée extraterritoriale des droits conférés par un brevet, le rejet de la totalité de la demande contre Apotex sera une certitude. Si la Cour s’éloigne des motifs du juge Snider et qu’elle fait preuve de courtoise judiciaire, l’évaluation de la responsabilité d’Apotex va changer. Si la Cour ne donne qu’une réponse partielle sur la question de l’extra-territorialité, chose qui va se produire si Apotex n’obtient pas la permission d’intervenir, cela aura comme résultat qu’Apotex sera inévitablement contrainte de porter la décision rendue dans son procès en appel. Elle demandera alors à la Cour de réexaminer la question de la territorialité dans quelques mois en raison d’un dossier factuel erroné ou purement académique. [Souligné dans l’original.]
[8] Ranbaxy n’a pas pris position relativement à l’avis d’intervention d’Apotex, mais croit que la requête devrait être « [traduction] jugée de façon urgente, de façon à ne pas retarder l’appel principal ».
[9] Pfizer et al. s’opposent à la requête. Plus particulièrement, elles avancent que la question de droit soulevée par Apotex n’a pas été soulevée par les parties à l’appel et qu’Apotex, si elle obtenait l’autorisation d’intervenir, chercherait à obtenir de la Cour la réponse à une question de droit qu’aucune partie n’a soulevée. Elles ajoutent que la question n’a pas été soulevée par Ranbaxy dans son avis de conformité, qu’elle n’a pas été abordée dans la décision de première instance et que les parties n’en ont pas traité dans les mémoires qu’elles ont déposés devant notre Cour.
[10] Pfizer et al. allèguent aussi que la participation d’Apotex va perturber et retarder l’appel et que bien qu’elle ait eu connaissance du jugement de première instance depuis plusieurs mois, Apotex a attendu la « veille de son procès » contre Eli Lilly pour présenter sa requête.
[11] Contrairement aux observations présentées par Apotex, il est loin d’être clair que la décision de notre Cour dans l’appel relatif à un avis de conformité entre deux parties non liées à Apotex va résoudre de façon absolue la question qui se pose dans l’action en contrefaçon entre Apotex et Eli Lilly. Comme l’a dit notre Cour à la majorité dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 359 (autorisation d’appel refusée, [2008] C.S.C.R. no 9) :
L’instance relative à un AC n’a jamais été destinée à remplacer une action en contrefaçon : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), à la page 319 (autorisation d’appel à la C.S.C. refusée, [1994] C.S.C.R. 330); Pfizer, précité, au paragraphe 17. De même, une instance relative à un AC ne devrait pas constituer un précédent faisant autorité en ce qui a trait aux aspects controversés et flous du droit des brevets (voir Sanofi‑Aventis, précité, au paragraphe 49). Les instances relatives à un AC sont censées être de nature sommaire et ne pas donner lieu à des décisions faisant autorité. [Non souligné dans l’original]
Je ne souhaite pas que l’on comprenne que je commente la proposition citée par la juge Snider : il serait simplement préférable que la question plus générale soulevée directement par Apotex soit jugée dans le cadre du litige dans lequel elle est présentement engagée avec Eli Lilly.
[12] En fait, si l’on accordait à Apotex le droit d’intervenir, il serait fort possible qu’Eli Lilly formule la même demande. Il serait donc difficile pour la Cour de refuser un tel droit à Eli Lilly si l’on permet à Apotex d’introduire dans l’instance qui nous concerne la principale question en cause dans le litige qui les oppose. Permettre à Apotex et à Eli Lilly d’intervenir compliquerait sans aucun doute l’appel, en plus de le retarder, d’autant plus que les parties à l’appel ne s’entendent pas sur la pertinence de la question soulevée par Apotex.
[13] Notre Cour a souligné encore et encore que les instances relatives à un avis de conformité devraient être de nature sommaire et de courte durée. Il ne convient de permettre les interventions dans ce type d’instance que dans les cas les plus flagrants et seulement quand la situation le justifie clairement. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Voir Eli Lilly c. Novopharm, 2007 CAF 329, dossier A‑274-07.
[14] Pour ces motifs, la demande d’intervention d’Apotex devrait être rejetée avec dépens.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-458-07
INTITULÉ : Ranbaxy Laboratories Limited c. Pfizer Canada Inc., Warner-Lambert Company, LLC et le Ministre de la Santé
REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE SEXTON
DATE DE L’ORDONNANCE : Le 15 avril 2008
OBSERVATIONS ÉCRITES :
|
POUR L’APPELANTE
|
Damien McCotter |
POUR LES INTIMÉES, Pfizer Canada Inc. et Warner-Lambert Company, LLC
|
Harry Radomski David Scrimger Miles Hastie |
POUR L’INTERVENANTE ÉVENTUELLE, Apotex Inc. |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Toronto (Ontario)
|
POUR L’APPELANTE
|
Sous-procureur general du Canada |
POUR L’INTIMÉ, le Ministre de la Santé
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Torys LLP Toronto (Ontario) |
POUR LES INTIMÉES, Pfizer Canada Inc. et Warner-Lambert Company, LLC
|
Goodmans LLP Toronto (Ontario) |
POUR L’INTERVENANTE ÉVENTUELLE, Apotex Inc. |