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Date : 20080505

Dossier : A-337-07

Référence : 2008 CAF 159

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

YOLANDE HALLÉE

défenderesse

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 9 avril 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 mai 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                     LE JUGE BLAIS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                                  LE JUGE NOËL


Date : 20080505

Dossier : A-337-07

Référence : 2008 CAF 159

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

YOLANDE HALLÉE

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE BLAIS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision CUB 68404 rendue le 31 mai 2007 par le juge‑arbitre. Ce dernier a rejeté l’appel de la Commission de l’assurance-emploi (la Commission) considérant que la défenderesse n’avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).

 

[2]               Rappelons brièvement la séquence des événements pertinents au dossier :

-         L’employeur a congédié la défenderesse suite à la troisième erreur commise dans la distribution de médicaments suivant sa politique établie.

 

-         Dans sa décision du 5 décembre 2006, le conseil arbitral (le Conseil) a accueilli l’appel de la défenderesse considérant qu’il n’était pas convaincu de la mauvaise conduite de la prestataire et en tenant compte des conditions de travail et de l’état de stress et de fatigue de la défenderesse. Le Conseil disait comprendre « qu’une erreur ait pu se produire, sans en conclure à de l’inconduite ».

 

-         Quant au fait qu’il s’agissait bel et bien d’une troisième erreur consécutive, le Conseil accueille l’argument de la défenderesse à l’effet que les deux premières erreurs n’avaient pas à être prises en compte puisque survenues plus d’un an auparavant.

 

-         Le 31 mai 2007, le juge‑arbitre a rejeté l’appel de la Commission à l’encontre de la décision du Conseil en concluant que ce dernier n’avait pas commis d’erreur justifiant l’intervention du juge, puisque les conditions de travail et l’état de stress et de fatigue de la prestataire pouvait amener le Conseil à conclure qu’il n’y avait pas là une inconduite au sens de la Loi et que l’erreur ne revêtait pas un caractère délibéré.

 

[3]               Dispositions législatives applicables

Exclusion : inconduite ou départ sans justification

30. (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

 a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

Appel à un juge-arbitre

 

115.  (1) Toute décision d’un conseil arbitral peut, de plein droit, être portée en appel devant un juge-arbitre par la Commission, le prestataire, son employeur, l’association dont le prestataire ou l’employeur est membre et les autres personnes qui font l’objet de la décision.

 

 

 

 

 

 

 

Moyens d’appel

(2) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

a) le conseil arbitral n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

 

b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

 

c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

 

 

117. Le juge-arbitre peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur un appel; il peut rejeter l’appel, rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre, renvoyer l’affaire au conseil arbitral pour nouvelle audition et nouvelle décision conformément aux directives qu’il juge indiquées, confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision du conseil arbitral.

 

Disqualification — misconduct or leaving without just cause

30. (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

 

Appeal to umpire

 

115.  (1) An appeal as of right to an umpire from a decision of a board of referees may be brought by

 

(a) the Commission;

 

(b) a claimant or other person who is the subject of a decision of the Commission;

 

(c) the employer of the claimant; or

 

(d) an association of which the claimant or employer is a member.

 

Grounds of appeal

(2) The only grounds of appeal are that

 

(a) the board of referees failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

 

(b) the board of referees erred in law in making its decision or order, whether or not the error appears on the face of the record; or

 

 

(c) the board of referees based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

 

 

 

117. An umpire may decide any question of law or fact that is necessary for the disposition of an appeal and may

(a) dismiss the appeal;

(b) give the decision that the board of referees should have given;

(c) refer the matter back to the board of referees for re-hearing or re-determination in accordance with such directions as the umpire considers appropriate; or

(d) confirm, rescind or vary the decision of the board of referees in whole or in part.

 

ANALYSE

[4]               Il ressort clairement de la décision du Conseil que ce dernier a choisi de ne pas tenir compte des deux erreurs commises antérieurement par la défenderesse, sous prétexte que la convention collective prévoyait de les exclure.

 

[5]               L’existence de trois erreurs consécutives a été démontrée à toutes les étapes du dossier, tant dans les documents soumis en preuve que de l’aveu même de la défenderesse.

 

[6]               L’argument à l’effet que cette partie importante de la preuve puisse être exclue suivant des dispositions de la convention collective, ne tient pas la route, puisque le Conseil avait le devoir d’examiner toute la preuve soumise et le fait d’exclure les deux erreurs antérieures constitue une erreur de droit.

 

[7]               Par ailleurs, le fait d’avoir donné le mauvais médicament à une résidante malgré le fait que celle-ci lui ait mentionné que ce n’était pas le médicament habituel, que la défenderesse s’était aperçue de son propre aveu que ce n’était pas le médicament habituel et n’a pas vérifié l’information sur la dosette, que la résidante a dû être conduite à l’hôpital et qu’il s’agissait de la troisième fois que la défenderesse faisait une erreur de cette importance, démontre de façon non équivoque que la défenderesse a démontré une insouciance ou une négligence telle qu’il frôle le caractère délibéré.

 

[8]               Le Conseil a la compétence et est beaucoup mieux en mesure d’apprécier la preuve quant aux faits du dossier. Encore faut-il que toute la preuve soit prise en compte à la lumière de la Loi et de la jurisprudence bien établie quant à ce que constitue une inconduite.

 

[9]               Les conditions d’application de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi qui traite l’inconduite ont été l’objet de nombreuses décisions de notre Cour. L’arrêt Canada (Procureure générale) c. Brissette, [1994] 1 C.F. 684, précise :

Il est vrai comme le prétend le procureur de l’intimé et pour reprendre les termes de l’arrêt Tucker (précité) que, pour qu’un geste puisse constituer de l’inconduite au sens de l’article 28 de la Loi, il faut que l’acte reproché ait un caractère volontaire ou délibéré ou résulte d’une insouciance ou d’une négligence telle qu’il frôle le caractère délibéré. […]

 

[…]

 

L’intimé risquait de perdre son permis de conduire et en conséquence son emploi en conduisant après avoir consommé une quantité d’alcool excédentaire à la norme permise : il a provoqué consciemment et délibérément la réalisation du risque.

 

[…]

 

…le fait qu’un geste puisse constituer une inconduite sous le paragraphe 28(1) ne veut pas dire cependant qu’il en résulte nécessairement une exclusion du droit aux prestations d’assurance-chômage. Il faut tout d’abord une relation causale entre l’inconduite et le congédiement. […]

 

[…]

 

Il faut également, en plus de la relation causale, que l’inconduite soit commise par l’employé alors qu’il était à l’emploi de l’employeur et qu’elle constitue un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail (Canada (Procureure générale) c. Nolet, C.A.F., A-517-91, 19 mars 1992).

 

[10]           Dans la décision Bellefleur c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 13, [2008] A.C.F. no 42, le juge Létourneau précise au paragraphe 3 :

Un conseil arbitral doit justifier les conclusions auxquelles il en arrive. Lorsqu’il est confronté à des éléments de preuve contradictoires, il ne peut les ignorer. Il doit les considérer. S’il décide qu’il y a lieu de les écarter ou de ne leur attribuer que peu de poids ou pas de poids du tout, il doit en expliquer les raisons, au risque, en cas de défaut de le faire, de voir sa décision entachée d’une erreur de droit ou taxée d’arbitraire.

 

[11]           Le Conseil a ignoré une preuve de caractère fondamental; celui des deux manquements antérieurs reliés à la distribution de médicaments. S’il avait tenu compte de ces deux erreurs antérieures, comme il devait le faire, il ne pouvait arriver qu’à une seule conclusion, à savoir que la prestataire avait été congédiée suite à une inconduite de sa part. La politique de la maison est claire. D’où l’erreur de droit. Voir à cet effet Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R. (1986), 5 W.W.R. 450, paragraphe 26.

 

[12]           Le juge-arbitre, de son côté, a erré en rejetant l’appel de la Commission et en refusant d’intervenir pour casser la décision du Conseil qui a rendu une décision sans tenir compte de tous les éléments portés à sa connaissance selon l’article 115 de la Loi.

 

[13]           Suivant l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, s’il s’agit d’une erreur de droit ou de juridiction, la norme applicable est celle de la décision correcte.

 

[14]           Comme le Conseil, et par la suite le juge-arbitre ont tous les deux rendu des décisions sans tenir compte de tous les éléments portés à leur connaissance selon l’article 115 de la Loi, il s’ensuit que le juge‑arbitre n’a pas rendu une décision correcte et que la Cour se doit d’intervenir.

 

[15]           J’accueillerais la demande de contrôle judiciaire avec dépens, j’annulerais la décision attaquée et je retournerais l’affaire au juge‑arbitre en chef ou au juge‑arbitre qu’il désignera pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que la défenderesse a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

 

 

 

 

 

                                                                                                                « Pierre Blais »

j.c.a.

 

 

 

 

« Je souscris à ces motifs. »

            « Alice Desjardins, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord. »

            « Marc Noël, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-337-07

 

APPEL D’UNE DÉCISION DU JUGE ARBITRE DATÉE DU 31 MAI 2007, NO DU DOSSIER CUB 68404

 

INTITULÉ :                                                                           Le Procureur général du Canada et Yolande Hallée

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 9 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE BLAIS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                LE JUGE NOËL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 5 mai 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pauline Leroux

POUR LE DEMANDEUR

 

Marilyne Duquette

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Pepin et Roy

Service juridique de la CSN

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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