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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20080502

Dossier : A‑37‑08

Référence : 2008 CAF 171

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS,

LE CONSEIL CANADIEN DES ÉGLISES,

AMNISTIE INTERNATIONALE

et M. UNTEL

intimés

 

 

 

Requête jugée sur dossier, sans comparution des parties

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 2 mai 2008

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                                         LE JUGE EVANS

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20080502

Dossier : A‑37‑08

Référence : 2008 CAF 171

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS,

LE CONSEIL CANADIEN DES ÉGLISES,

AMNISTIE INTERNATIONALE

et M. UNTEL

intimés

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

[1]               Je suis saisi d'une requête présentée par écrit pour le compte de Sa Majesté la Reine, l'appelante, tendant à obtenir l'autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve dans un appel interjeté contre une décision de la Cour fédérale (Conseil canadien pour les réfugiés et al. c. Sa Majesté la Reine, 2007 CF 1262), qui doit être entendu par notre Cour au cours du présent mois. Les intimés contestent cette requête.

 

[2]               Par la décision qui fait l’objet du présent appel, le juge Phelan a accueilli une demande de contrôle judiciaire formée par le Conseil canadien pour les réfugiés et d'autres parties, et déclaré invalides les articles 159.1 à 159.7 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, ainsi que l'Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis d'Amérique.

 

[3]               Sur le fondement de la preuve produite devant lui, le juge Phelan a conclu que le gouverneur en conseil avait agi de manière déraisonnable en désignant les États-Unis comme tiers pays sûr, dont les politiques et les usages seraient conformes à l'article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l'article 3 de la Convention contre la torture. En conséquence, il a statué que l'Entente sur les tiers pays sûrs et les dispositions attaquées du Règlement ne respectent pas la législation habilitante – plus précisément l'article 102 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) –, enfreignent les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et ne sont pas légitimées par application de l'article premier de celle‑ci.

 

[4]               Un des aspects de la politique et des usages américains en matière de protection des réfugiés qu'a examinés le juge Phelan est l'exclusion de cette protection frappant les personnes impliquées dans le terrorisme, y compris celles qui ont apporté un « soutien matériel » à des activités ou à des organisations terroristes. Cependant, le droit américain permet une dérogation à cette exclusion. Le juge Phelan a conclu que les dispositions en cause étaient de portée excessive et pouvaient entraîner le refoulement de réfugiés en contravention de l'article 33 de la Convention sur les réfugiés, y compris de ceux qui auraient fourni sous la contrainte un « soutien matériel » à un groupe terroriste. Il fonde entre autres sur cette conclusion sa décision selon laquelle le gouverneur en conseil a agi de manière déraisonnable en considérant la politique et les usages américains comme conformes à la Convention sur les réfugiés.

 

[5]               Les nouveaux éléments de preuve que l'appelante veut produire sont contenus dans un troisième affidavit supplémentaire (étayé de quatre pièces), fait par M. David A. Martin, expert en droit américain de l'immigration et des réfugiés. Cet affidavit décrit l'évolution du droit américain concernant l'exclusion pour cause de terrorisme et la dérogation y afférente après février 2007, c'est‑à‑dire le moment où le juge Phelan a entendu la demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               Les nouveaux éléments de preuve comprennent des avis publiés au Federal Register en mars 2007 qui appliquent la dérogation à certains groupes nommément désignés, des avis publiés en mars et en mai 2007 exposant la marche à suivre pour déterminer, au cas par cas, l'applicabilité de la dérogation aux personnes ayant fourni sous la contrainte un « soutien matériel » à des groupes ou à des activités terroristes, le texte des modifications législatives relatives à l'usage de la dérogation et un récapitulatif de l'évolution des dispositions pertinentes.

 

[7]               Ces éléments de preuve visent à répondre à la conclusion du juge Phelan (formulée au paragraphe 186) selon laquelle il n'y avait « pas suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir conclure qu'en principe ou en pratique, les renonciations atténuent les dispositions exceptionnellement sévères des lois américaines ». Le juge Phelan a été avisé à l'audience que le département américain de la Sécurité intérieure était en train d'élaborer une politique touchant l'application de la dérogation aux demandes d'asile. On peut donc dire qu'en un sens l'affidavit de M. Martin ne fait que « mettre à jour » la preuve dont le juge des demandes était saisi.

 

[8]               Les nouveaux éléments de preuve sont admissibles, sous le régime de l'article 351 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, « dans des circonstances particulières ». C'est là une exception à la règle générale selon laquelle la fonction d'une cour d'appel est d'établir si la décision du tribunal inférieur est erronée ou non sur le fondement du dossier dont il était saisi. Pour répondre à la question de savoir si la condition des « circonstances particulières » est remplie, la Cour doit se demander si les nouveaux éléments de preuve auraient pu être découverts moyennant une diligence raisonnable avant la fin de l'instruction, s'ils sont crédibles et s'ils sont pour ainsi dire déterminants dans l'appel. Les éléments de preuve qui ne satisfont pas à ces trois critères peuvent néanmoins être admis « dans l'intérêt de la justice ». Voir le paragraphe 4 de l'arrêt Humanist Association of Toronto c. Canada, 2002 CAF 322.

 

La diligence raisonnable

[9]               Comme les éléments de preuve que contient l'affidavit de M. Martin concernent des événements postérieurs à la demande de contrôle judiciaire, ils n'auraient pu être « découverts » à temps pour être produits devant le juge de première instance.

 

[10]           Il convient cependant de se demander si l'affidavit en question aurait pu raisonnablement être porté plus tôt à l'attention de notre Cour : l'exposé des motifs du juge Phelan date du 29 novembre 2007, l'avis de la présente requête a été déposé le 11 avril 2008, et l'audience de l'appel est prévue pour le 21 mai 2008. Comme on l'a vu plus haut, les avis du Federal Register joints à l'affidavit en pièces A et B ont été publiés il y a plus d'un an. Les modifications législatives (pièce C) remontent à décembre 2007, et le tableau récapitulatif, établi par Human Rights First, de l'évolution des dispositions relatives à l'exclusion pour cause de terrorisme (pièce D) est daté du 29 janvier 2008.

 

[11]           Il me paraît que ces éléments de preuve, en particulier les avis publiés au Federal Register, auraient pu raisonnablement être produits avant avril 2008, soit à un peu plus d'un mois seulement de la date prévue pour l'audience de l'appel.

 

La crédibilité

[12]           L'affidavit et ses pièces paraissent crédibles, au sens où ils établissent la preuve de la politique et des modifications législatives qu'ils concernent. Cependant, comme il est expliqué plus loin, cette preuve est incomplète.

 

Caractère pour l'appel

[13]           Bien que l'appelante soutienne dans l'exposé des faits et du droit déposé au soutien de son appel que le juge Phelan n'était pas fondé à effectuer l'examen factuel qu'il a entrepris, elle semble avoir introduit la présente requête à l'appui de la prétention que, en tout état de cause, la conformité à l'article 33 de la Convention sur les réfugiés a en fait été démontrée. On ne m'a pas convaincu que l'affidavit et les pièces y jointes soient « pour ainsi dire déterminant[s] » pour ce qui concerne cet aspect de l'appel. Premièrement, l'exclusion pour cause de terrorisme et les dispositions dérogatoires à cette exclusion ne formaient qu'un des quatre facteurs sur le fondement desquels le juge Phelan a déclaré déraisonnable la conclusion du gouverneur en conseil comme quoi les États-Unis respectaient l'article 33 de la Convention sur les réfugiés. Le juge Phelan a aussi statué qu'il était déraisonnable de la part du gouverneur en conseil d'avoir conclu que les États-Unis respectaient l'article 3 de la Convention contre la torture, et que le gouverneur en conseil n'avait pas assuré le suivi de l'examen de l'Entente et de la situation des demandeurs d'asile aux États-Unis, contrairement aux prescriptions du paragraphe 102(3) de la LIPR.

 

[14]           Je me rends bien compte que le juge Phelan a noté que les questions en litige, y compris celle de l'exclusion pour cause de terrorisme, mettaient en cause le caractère raisonnable de la conclusion du gouverneur en conseil « individuellement et, ce qui est encore plus important, collectivement » [non souligné dans l'original]. Cependant, il a aussi déclaré le Règlement invalide pour des motifs sans rapport avec ladite exclusion, à savoir la conclusion déraisonnable du gouverneur en conseil selon laquelle les États-Unis respectaient l'article 3 de la Convention contre la torture et le fait que le gouverneur en conseil n'avait pas assuré le suivi prescrit par le paragraphe 102(3) de la LIPR.

 

[15]           Les intimés font également valoir que les modifications de la politique ou de la législation ne forment qu'un aspect du problème, étant donné que le paragraphe 102(2) de la LIPR prévoit aussi l'obligation de tenir compte, en vue de la désignation des pays, de leurs usages en matière de protection des réfugiés. Or M. Martin n'examine pas les effets concrets des modifications qu'il décrit.

 

[16]           Étant donné les considérations qui précèdent, je ne suis pas convaincu que les nouveaux éléments de preuve soient « pour ainsi dire déterminant[s] dans l'appel ».

 

L'intérêt de la justice

[17]           Les intimés soutiennent qu'il ne serait pas équitable d'admettre l'affidavit en question et ses pièces sans leur permettre aussi de produire des éléments de preuve sur la mesure dans laquelle ont été mises en œuvre les modifications de la législation et des politiques touchant la dérogation à la règle d'exclusion pour cause de terrorisme, de contre-interroger M. Martin et de produire de nouveaux éléments de preuve sur d'autres aspects pertinents de l'évolution du système américain de protection des réfugiés. En faisant droit à une telle demande, notre Cour risquerait de se voir amener à remplir indûment une fonction d'établissement des faits. De plus, l'admission des nouveaux éléments de preuve pourrait bien entraîner le report de l'audience de l'appel.

 

[18]           Il ne serait pas dans l'intérêt de la justice de compliquer encore un dossier déjà complexe, ni non plus de retarder la décision de cette importante question, étant donné en particulier qu'a été prononcé un sursis à l'exécution de l'ordonnance du juge Phelan en attendant la décision de l'appel.

 

[19]           Pour tous ces motifs, la requête sera rejetée.

« John M. Evans »

j.c.a.

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A‑37‑08

 

INTITULÉ :                                                   SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                                        LE CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS, LE CONSEIL CANADIEN DES ÉGLISES, AMNISTIE INTERNATIONALE ET M. UNTEL

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 2 MAI 2008

 

PRÉTENTIONS ÉCRITES :

 

David Lucas

Greg G. George

Matina Karvellas

 

POUR L'APPELANTE

 

Barbara Jackman

Andrew Brouwer

Leigh Salsberg

POUR LES INTIMÉS CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS, CONSEIL CANADIEN DES ÉGLISES ET M. UNTEL

 

Lorne Waldman

POUR L'INTIMÉE AMNISTIE INTERNATIONALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L'APPELANTE

 

Jackman & Associates

Toronto

POUR LES INTIMÉS CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS, CONSEIL CANADIEN DES ÉGLISES ET M. UNTEL

 

Waldman & Associates

Toronto

POUR L'INTIMÉE AMNISTIE INTERNATIONALE

 

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