Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20080228

Dossier : A-215-07

Référence : 2008 CAF 75

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

MICHEL GAUTHIER

Appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Intimé

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 12 février 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 février 2008.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20080228

Dossier : A-215-07

Référence : 2008 CAF 75

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

MICHEL GAUTHIER

Appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

La question en litige

 

[1]               La Sous-ministre adjointe du ministère des Ressources humaines et développement des compétences Canada (ministère) était-elle justifiée de conclure que l’appelant, par ses activités de conseiller municipal de la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, se retrouvait dans une situation apparente de conflit d’intérêts, compte tenu des fonctions d’enquêteur qu’il occupe en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et ses règlements?

 

[2]               Le juge Shore de la Cour fédérale du Canada (juge), appelé à se prononcer sur la question, a conclu par l’affirmative : voir Gauthier c. Procureur général du Canada, 2007 CF 304. En conséquence, il a rejeté avec dépens la demande de contrôle judiciaire que lui soumettait l’intimé. C’est de cette décision dont nous sommes saisis par voie d’appel.

 

[3]               Comme d’habitude, à cette problématique s’est ajoutée l’épineuse question de la norme de contrôle qui a été et demeure dans ce litige source de difficulté et de confusion.

 

[4]               Je m’empresse d’ajouter que l’intégrité de l’appelant, M. Gauthier, n’est aucunement mise en doute dans ces procédures. La question en est une d’apparence de conflit d’intérêts et non une d’un actuel conflit.

 

Les faits

 

[5]               Pour des raisons qui deviendront évidentes par la suite et qui sont liées aux prétentions de l’appelant ainsi qu’au remède qu’il sollicite, il n’est pas nécessaire de relater en détail les faits à l’origine du litige.

 

[6]               L’appelant est à l’emploi de la Fonction publique du Canada à titre d’enquêteur en matière d’assurance-emploi. Ses enquêtes ont pour but de déceler fraude ou abus dans l’administration de la loi et des règlements qui régissent la participation au régime d’assurance et l’octroi des bénéfices qui en découlent. Elles peuvent « déboucher sur des amendes, des sanctions financières ou encore l’établissement de trop-payés » : voir au dossier d’appel, à la page 98, le paragraphe 3 de l’affidavit de la Sous-ministre adjointe du ministère.

 

[7]               Entre autres choses, le travail de l’appelant en cette qualité implique des contacts auprès du public, une concertation d’efforts avec les services de police locaux, des recommandations de poursuites judiciaires et le dépôt de dénonciations : ibidem, au paragraphe 4.

 

[8]               En tant que fonctionnaire, l’appelant est soumis au Code de valeurs et d’éthique de la Fonction publique (Code). Le Code est la résultante d’une politique du Conseil du Trésor consacrée dans une directive mise en vigueur en vertu des paragraphes 7(1) et 11.1(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, c. F-11. Il est entré en vigueur le 1 septembre 2003, remplaçant alors le Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique. Jusqu’à cette date, l’appelant était régi par l’ancien code.

 

[9]               Entre 1982 et avril 2005, l’appelant exerce ses fonctions d’enquêteur au Bureau de Saint-Jean-sur-Richelieu. La zone desservie par le Bureau comprend plusieurs villes, dont la ville d’Iberville.

 

[10]           En 1999, il s’intéresse à la politique municipale. En novembre de cette année, il est élu au conseil municipal de la ville d’Iberville. Se pose alors pour lui une possibilité de conflit d’intérêts au sens du Code. L’appelant en est conscient. Il soumet à la Sous-ministre adjointe de l’époque, comme l’exige le code, un rapport confidentiel sur ses fonctions en tant que représentant élu.

 

[11]           Dans une lettre du 2 novembre 1999 qui lui est adressée, l’appelant se voit confirmé dans sa prétention qu’il n’est pas en situation de conflit d’intérêts. Toutefois, on l’incite à la vigilance et à la prudence afin d’éviter tout conflit d’intérêts, même apparent : voir au dossier d’appel, à la page 67, la lettre de Mme Danielle Vincent, la Sous-ministre adjointe de l’époque.

 

[12]           L’appelant est rémunéré comme conseiller municipal, soit environ 21 400 $ par année. Une allocation non imposable de 10 700 $ s’ajoute à sa rémunération. Il s’est impliqué dans un certain nombre de comités, soit ceux sur les loisirs, le transport en commun, la sécurité publique et l’urbanisme.

 

[13]           La ville de Saint-Jean-sur-Richelieu n’échappe pas à la vague de fusions qui a déferlé sur le monde municipal. En 2001, le nom de Saint-Jean-sur-Richelieu demeure, mais le territoire de l’ancienne ville s’est agrandi par l’ajout des villes d’Iberville, Saint-Luc, L’Acadie et Saint-Athanase.

 

[14]           L’année suivante, à l’élection du 3 novembre, l’appelant est élu conseiller municipal pour le District 2 de la nouvelle ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Ce district correspond à l’ancienne ville d’Iberville dont il était un conseiller municipal avant la fusion.

 

[15]           À nouveau, l’appelant a voulu s’assurer qu’il se conformait au Code. Une rencontre avec le directeur du Bureau de Brossard eût lieu. Il fut jugé par ce dernier qu’il n’était pas nécessaire pour l’appelant de produire un nouveau rapport confidentiel conformément au Code puisque les circonstances qui prévalaient auparavant étaient demeurées essentiellement les mêmes : ibidem, à la page 33, voir le paragraphe 14 de l’affidavit de l’appelant.

 

[16]           Les élections municipales survenant en 2005, l’appelant produit en septembre 2004 un nouveau rapport confidentiel à son employeur. Par ce truchement, il l’informe de son intention de solliciter un autre mandat comme conseiller municipal.

 

[17]           Par lettre du 23 février 2005, la Sous-ministre adjointe de la région du Québec lui indique qu’après avoir révisé les faits, elle estime que ses activités comme conseiller municipal à la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu « constituent une situation apparente de conflit d’intérêts » : ibidem, voir à la page 76 la lettre de la Sous-ministre adjointe. Je reviendrai plus loin sur cette lettre.

 

[18]           L’appelant conteste par grief la décision de la Sous-ministre adjointe. Afin de régler le grief, de concert avec son représentant syndical, il soumet à l’employeur deux alternatives pour remédier au conflit d’intérêts.

 

[19]           Premièrement, il propose que les vingt-cinq (25) à trente (30) dossiers, émanant de son District no. 2 d’Iberville et susceptibles de poser problème, soient traités par un autre collègue du Bureau. En échange, il assumerait la responsabilité d’un nombre équivalant de dossiers de ce collègue.

 

[20]           Deuxièmement, si la première n’est pas acceptée, il demande d’échanger l’ensemble de ses dossiers avec le Bureau de Brossard. À partir de Saint-Jean-sur-Richelieu, il irait travailler à Brossard. À l’inverse, un collègue de Brossard viendrait travailler à Saint-Jean-sur-Richelieu. Évidemment, cette proposition de l’appelant impliquait pour lui des frais de déplacement vers le territoire avoisinant. Sa proposition était conditionnelle à ce que ces frais soient défrayés par son employeur. En passant, je trouve étonnant, pour ne pas dire plus, que l’appelant qui, selon la décision sous attaque, s’est créé un conflit d’intérêts apparent en décidant d’occuper un second emploi rémunéré puisse exiger que les coûts pour mettre un terme à ce conflit d’intérêts soient assumés par son premier employeur (victime du conflit, et ce qui dans ce cas-ci veut dire l’ensemble des contribuables), afin que l’appelant puisse continuer à occuper son second emploi rémunéré qui est à la source du conflit. Après tout, la responsabilité incombe au fonctionnaire en vertu du Code « d’éviter toute forme de conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel » et, il va de soi, de prendre les mesures pour y mettre un terme : voir au dossier d’appel, à la page 124, sous l’item Mesures pour éviter les situations de conflit d’intérêts, l’énumération des responsabilités d’un fonctionnaire.

 

[21]           Les deux propositions de l’appelant ont été rejetées par son employeur.

 

[22]           Le 21 avril 2005, l’appelant demande une affectation temporaire sur le territoire de Brossard jusqu’à la date du scrutin prévue pour le 6 novembre 2005. Cette demande est refusée. L’appelant se voit alors offrir par son employeur le choix de l’une des trois options suivantes, tel qu’il appert du courriel de M. Yvan Desroches envoyé le 21 avril 2005 à l’appelant :

 

1.     Cesser vos activités politiques sur le territoire;

 

2.     Quitter votre emploi de façon temporaire ou définitivement; et

 

3.     Présenter par écrit une demande de mutation.

 

[23]           Une demande de mutation temporaire à Brossard fut faite par l’appelant et accordée. En ce moment, il demeure toujours à Saint-Jean-sur-Richelieu, mais il exerce ses fonctions d’enquêteur sur le territoire de Brossard.

 

[24]           La décision de la Sous-ministre adjointe a été maintenue au dernier palier de grief. C’est cette dernière décision qui a fait l’objet du contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. De là l’appel devant nous.

 

Analyse des prétentions de l’appelant et de la décision sous appel

 

[25]           Le procureur de l’appelant soumet que notre intervention est requise dans ce dossier parce que le juge a commis une erreur de droit en appliquant à la décision qu’il révisait la mauvaise norme de contrôle.

 

[26]           De plus, il y aurait lieu d’intervenir, dit-il, parce que le juge a avalisé en définitive la décision de la Sous-ministre adjointe alors qu’elle était entachée de deux erreurs de fait et d’une erreur de droit qui la viciaient irrémédiablement. J’aborde maintenant ces questions en débutant par celle de la norme de contrôle.

 

a)         La norme de contrôle applicable

 

[27]           Le juge a appliqué à la décision qu’il révisait la norme du manifestement déraisonnable alors que notre Cour, avant l’audition en Cour fédérale, avait rendu sa décision dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Assh, 2006 CAF 358.

 

[28]           À l’audience devant nous, les parties nous ont informés que l’arrêt Assh avait été porté à la connaissance du juge et débattu devant lui. Elles n’ont pu expliquer comment il en était arrivé à cette norme que notre Cour n’a définitivement pas retenue. Aucune mention n’est faite par le juge de l’arrêt Assh dans ses motifs.

 

[29]           L’affaire Assh mettait en cause une question de conflit d’intérêts en vertu du Code. Ce conflit résultait d’un legs de 5 000 $, fait par une bénéficiaire d’une pension, à M. Assh qui l’avait aidée à obtenir cette pension. M. Assh est un avocat-conseil spécialisé en matière de pensions. Il est à l’emploi du Bureau des avocats-conseils des pensions au ministère des Affaires des anciens combattants. Son rôle consistait à aider les anciens combattants et leurs conjoints survivants dans leurs démarches pour obtenir une pension. Le juge Hughes, aussi de la Cour fédérale du Canada, qui avait décidé l’affaire Assh quelque dix-sept (17) mois avant que le juge ne rende sa décision dans l’affaire qui nous occupe, avait conclu qu’il y avait lieu d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter puisqu’il s’agissait d’une question mixte de fait et de droit résultant de l’application du Code aux faits de l’espèce : voir Assh c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1411, au paragraphe 32.

 

[30]           En appel, le juge Evans de notre Cour s’est livré à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme applicable. Il a examiné l’impact de l’existence d’une clause privative qu’il a qualifié d’assez faible, la nature des questions en litige, l’expertise relative du décideur et de la Cour, ainsi que l’objet du Code.

 

[31]           En définitive, il a conclu au paragraphe 50 de ses motifs, entériné sur ce point par le juge Nadon qui était dissident sur le mérite, que la norme de contrôle applicable à l’interprétation du Code et à son application aux faits en litige devant lui était la norme de la décision correcte. Quoique certains facteurs pris en compte dans l’analyse pragmatique et fonctionnelle suggéraient une certaine déférence à l’égard du décideur, il a estimé pour deux motifs que la norme de la décision correcte est celle qui devait prévaloir.

 

[32]           Premièrement, le Code était en fait incorporé au contrat d’emploi de M. Assh. Et, comme c’est le cas dans notre affaire, la décision n’était pas prise par un décideur indépendant.

 

[33]           Deuxièmement, le critère d’analyse d’une situation de conflit d’intérêts apparent est un critère qui s’apparente en common law au concept qui s’applique en matière de crainte raisonnable de partialité. Il s’agit d’un critère avec lequel les tribunaux sont familiers.

 

[34]           Je reproduis les paragraphes 50 à 53 de sa décision :

 

     (v)     Conclusion

 

[50]      Au regard des considérations pragmatiques et fonctionnelles que nous avons analysées ci-dessus, je suis d’avis que la décision correcte est la norme de contrôle appropriée à l’égard de la décision rendue au dernier palier de la procédure de grief concernant l’interprétation des articles pertinents du Code et l’application de la disposition concernant l’éventuel abus d’influence.

 

[51]      Pour tirer cette conclusion, j’ai attaché une importance particulière à deux facteurs. Tout d’abord, et c’est le facteur le plus important, le Code est en fait incorporé au contrat d’emploi de M. Assh et les décideurs administratifs responsables de son interprétation et de son application ne sont pas indépendants de l’employeur. À mon avis, il n’était pas dans l’intention du législateur d’accorder à l’employeur le pouvoir de décider unilatéralement si, en acceptant un legs, un employé viole son contrat, sous réserve uniquement du contrôle judiciaire d’une décision déraisonnable.

 

[52]      Il est vrai que les contraventions au Code peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires de la part de l’employeur, que des mesures disciplinaires encore plus rigoureuses peuvent en fin de compte être déférées à l’arbitre aux termes des alinéas 92(1)b) ou c) de la LRTFP, et que les décisions des arbitres sur ces questions peuvent normalement faire l’objet d’un recours en contrôle judiciaire si elles sont manifestement déraisonnables. Toutefois, cela n’est pas vrai de toutes les mesures disciplinaires. Qui plus est, à mon avis, les fonctionnaires fédéraux doivent être en mesure de saisir un décideur indépendant quant à l’étendue de leurs obligations contractuelles sans avoir d’abord à s’exposer à des mesures disciplinaires parce qu’ils sont allés à l’encontre de la décision d’un comité de griefs.

 

[53]      Deuxièmement, le critère pertinent quant à l’existence d’un conflit d’intérêts apparent est assez semblable aux concepts consacrés par la common law : la crainte raisonnable de partialité concernant les décideurs soumis à l’obligation d’agir équitablement, et le strict principe selon lequel les fiduciaires ne peuvent normalement pas conserver les avantages obtenus dans des circonstances où il y a un conflit potentiel entre leurs intérêts personnels et leurs obligations légales à titre de fiduciaires.

 

    [Je souligne]

 

[35]           Le procureur de l’appelant a plaidé dans son mémoire écrit que la norme applicable en l’espèce était celle du raisonnable simpliciter. À l’audience, il a ajouté qu’il s’en remettait à la norme de la décision correcte si c’était ce que cette Cour avait décidé dans l’affaire Assh.

 

[36]           La procureure de l’intimé insiste pour dire que la norme qu’il y a lieu de retenir est celle du raisonnable simpliciter parce que le litige repose sur des faits qui relèvent de l’expertise du décideur et parce qu’il requiert une application du Code aux faits établis, ce qui implique une question mixte de fait et de droit.

 

[37]           Avec respect, cette prétention qui avait été retenue en Cour fédérale dans l’affaire Assh a été écartée en appel pour les raisons que j’ai déjà exprimées. De même, je ne crois pas que la procureure de l’intimé ait réussi à soustraire le cas présent de l’application de la norme retenue dans l’affaire Assh.

 

[38]           Ceci dit, je crois que la décision doit être infirmée pour les erreurs de fait suivantes qui ont été commises dans l’analyse de la situation de l’appelant.

 

b)         Une première erreur factuelle

 

[39]           Le procureur de l’appelant a raison lorsqu’il soutient que la Sous-ministre adjointe s’est méprise sur l’étendue du territoire couvert par le Bureau de Saint-Jean-sur-Richelieu avant la fusion. En 1999, les services offerts par ce Bureau couvraient déjà et la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, et la ville d’Iberville dont l’appelant était l’un des conseillers municipaux. À cet égard, la fusion n’a rien changé quant au territoire desservi par le Bureau. Quant à l’appelant, il enquêtait sur le territoire de l’une ou de l’autre municipalité depuis 1982.

 

[40]           Les deux paragraphes suivants de la lettre de la Sous-ministre adjointe à l’appelant illustrent bien cette erreur factuelle. On les retrouve à la page 76 du dossier. Ils se lisent :

 

Je comprends que vous aviez produit, à l’automne 1999, un rapport confidentiel faisant état de vos fonctions de conseiller municipal pour la ville d’Iberville et qu’il vous a été mentionné que cela ne constituait pas une situation de conflit d’intérêts. La situation était alors différente étant donné que vous n’aviez pas la responsabilité d’effectuer des enquêtes sur le territoire de cette municipalité.

 

Ayant maintenant à exercer vos fonctions d’enquêteur sur un territoire comprenant la ville de St-Jean-sur-Richelieu, vous êtes maintenant placé dans une situation où vos activités personnelles et professionnelles pourraient être sources de conflits ou sembler l’être aux yeux du public et votre objectivité dans l’exercice de vos fonctions pourrait être mise en doute.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

[41]           Malgré que cette erreur ait été soulignée à la Sous-ministre adjointe en février 2005 par l’appelant, celle-ci l’a réitérée dans son affidavit qu’elle a produit en mars 2006 au soutien de sa décision : voir au dossier d’appel, à la page 135, le message de l’appelant à la Sous-ministre adjointe et, à la page 98, aux paragraphes 7, 8 et 9 de l’affidavit de cette dernière, la répétition de l’erreur.

 

 

 

c)         Une deuxième erreur factuelle

 

[42]           Comme il apparaît au paragraphe 19 de l’affidavit de la Sous-ministre adjointe, dossier d’appel, à la page 100, celle-ci a cru que le district électoral de l’appelant incluait le centre-ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Or, ce n’est aucunement le cas puisqu’il s’agit du District 2, constitué du territoire de l’ancienne ville d’Iberville et de Saint-Athanase, alors que le centre-ville de Saint-Jean-sur-Richelieu se trouve dans les districts 1, 5, 6, 9, 10 et 11 : voir le paragraphe 5 de l’affidavit de l’appelant, à la page 185 du dossier d’appel.

 

[43]           Cette erreur est à la source de celle qui a entouré l’analyse de la proposition qu’a faite l’appelant d’échanger quelque trente dossiers du District 2 Iberville avec un autre collègue du Bureau. La Sous-ministre adjointe conclut, en rapport avec la proposition de l’appelant, que celle-ci résulterait en une charge de travail impossible à assumer pour un seul enquêteur. Au paragraphe 19 de son affidavit, elle affirme :

 

Deux enquêteurs couvrent le territoire de la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Le district électoral de M. Gauthier comporte la ville-centre de Saint-Jean-sur-Richelieu. La plus grande partie de la population de cette ville se retrouve dans la ville-centre. Le fait de permettre à M. Gauthier de ne pas traiter des dossiers de son district électoral aurait donc pour conséquence d’imposer la charge des dossiers de la ville-centre à un seul enquêteur, ce qui n’est pas possible;

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

Cette erreur dénote aussi une incompréhension de la proposition de l’appelant.

 

d)         Une erreur de droit non fondée

 

[44]           Le procureur de l’appelant soumet que la liberté d’expression de son client, protégée par l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne (Charte), entre ici en jeu. L’obligation de loyauté qu’imposent le statut de fonctionnaire et le Code ont pour effet de restreindre la liberté d’expression de l’appelant dans l’exercice de sa fonction de conseiller municipal.

 

[45]           L’appelant ne remet pas en cause la validité ou la légitimité constitutionnelle du Code. Il accepte le critère énoncé par notre Cour dans l’arrêt Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41, à la page 57, pour apprécier l’existence d’une situation de conflit d’intérêts :

 

Est-ce qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le fonctionnaire, consciemment ou non, sera influencé par des considérations d’intérêt personnel dans l’exercice de ses fonctions officielles?

 

 

Son attaque au plan constitutionnel vise plutôt l’application qui fut faite de ce Code par la Sous-ministre adjointe. Tel qu’appliqué par cette dernière, le Code restreindrait indûment la liberté d’expression de l’appelant et ainsi enfreindrait l’article 2b) de la Charte.

 

[46]           En outre, il soumet que la Sous-ministre adjointe n’a aucunement considéré l’impact de la Charte lorsqu’elle a procédé à l’analyse de la situation de l’appelant. Il en veut pour preuve le fait que, dans aucune de ses correspondances adressées à l’appelant, la Sous-ministre adjointe n’a fait référence à la Charte ou aux obligations du gouvernement fédéral en vertu de la Charte, particulièrement en matière d’atteinte minimale.

 

[47]           Enfin, il soumet que les trois options retenues et offertes par l’employeur ne rencontrent pas les exigences de l’atteinte minimale. Celles qu’il a proposées y satisfaisaient et auraient dû être acceptées par son employeur. Je disposerai en premier lieu de ce dernier point.

 

[48]           Nous sommes en appel d’une décision de la Cour fédérale rendue en matière de contrôle judiciaire. Pas plus que cette dernière n’avons-nous le pouvoir de décider la question de fond, c’est-à-dire choisir celle des solutions qui est la plus appropriée dans les circonstances. Le contrôle judiciaire en est un de la légalité et non de l’opportunité de la décision. Toutefois, bien au fait de cette limite, le procureur de l’appelant demande que l’affaire soit retournée au Sous-ministre adjoint au dernier palier de grief pour qu’elle soit décidée à nouveau. Comme on pourra le voir plus loin, c’est la solution que je propose.

 

[49]           Il est vrai que la correspondance de la Sous-ministre adjointe est muette sur la question de la Charte. Mais si la lettre de la Charte n’y est pas, l’esprit de celle-ci s’y trouve de même que dans le Code. Je crois qu’implicite dans les options proposées par l’employeur, indépendamment de la question de savoir si elles sont les plus appropriées, se retrouve la volonté de l’employeur de concilier l’exercice des deux fonctions qu’occupe l’appelant, tout en respectant d’une part les droits de l’appelant et, d’autre part, l’intérêt public dans une fonction publique intègre, impartiale et efficace. Ce sont des objectifs que poursuit le Code.

 

[50]           Le Code reconnaît d’ailleurs le droit d’un fonctionnaire d’occuper un emploi à l’extérieur de la fonction publique.

 

[51]           Les extraits suivants du Code, que les autorités gouvernementales ont charge d’appliquer et de faire respecter, témoignent de l’obligation que ces dernières ont de trouver une solution de compromis lorsqu’une situation de conflit d’intérêts surgit ou est appréhendée :

 

Objectifs du Code

 

Le présent Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique met de l’avant les valeurs et l’éthique de la fonction publique pour guider et supporter les fonctionnaires dans toutes leurs activités professionnelles. Le Code servira à conserver et à accroître la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, tout en renforçant le respect et la reconnaissance du rôle que celle-ci est appelée à jouer au sein de la démocratie canadienne.

 

[…]

 

Les ministres ont la responsabilité de maintenir la confiance du public à l’égard de l’intégrité de la gestion et des activités au sein de leur ministère. Ils ont aussi l’obligation de garder la fonction publique impartiale et non partisane et de maintenir sa capacité de fournir des conseils professionnels de façon franche et directe.

 

 

Valeurs de la fonction publique

 

Valeurs liées à l’éthique : Agir en tout temps de manière à conserver la confiance du public

 

Les fonctionnaires doivent exercer leurs fonctions officielles et organiser leurs affaires personnelles de façon à préserver et à accroître la confiance du public à l’égard de l’intégrité, de l’objectivité et de l’impartialité du gouvernement.

 

[…]

 

S’il y a d’éventuels conflits entre l’intérêt personnel du fonctionnaire et ses fonctions et responsabilités officielles, l’intérêt public doit primer dans le règlement desdits conflits.

 

 

 

Responsabilités, autorités et obligations de rendre compte

 

Administrateurs généraux

 

[…]

 

d.         Déterminer les mesures d’observation appropriées, décrites aux chapitres 2 et 3, afin d’éviter les conflits d’intérêts. Autant que possible, les administrateurs généraux rechercheront l’accord du fonctionnaire.

 

 

Méthodes d’observation

 

[…] Afin de déterminer la mesure à prendre, l’administrateur général tentera d’atteindre un consensus avec le fonctionnaire visé.

 

Activités ou emplois extérieurs

 

Les fonctionnaires peuvent occuper un emploi ou participer à des activités à l’extérieur de la fonction publique, à la condition que cet emploi ou ces activités ne risquent pas d’entraîner un conflit d’intérêts ou de compromettre la neutralité de la fonction publique de quelque manière que ce soit.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

[52]           En somme, je ne crois pas qu’il y ait eu omission de la part de l’employeur de considérer ses obligations en vertu de la Charte. Ce dernier était conscient de ses obligations en vertu du Code, dont l’une est la recherche d’une atteinte minimale aux droits d’un fonctionnaire par le biais d’une solution qui soit fait consensus, soit obtient son assentiment.

 

[53]           En outre, je ne saurais présumer ou raisonnablement conclure qu’avec la jurisprudence qui s’est développée autour de l’application du Code, l’employeur ignore qu’il existe un conflit de valeurs entre, d’une part, le droit à la liberté d’expression garanti par la Charte et le devoir de loyauté envers lui que le Code impose au fonctionnaire, ainsi que son obligation de réconcilier ces valeurs.

 

[54]           Pour ces raisons, je ne crois pas qu’il y a lieu de maintenir l’allégation qu’il a eu omission de considérer les droits de l’appelant en vertu de la Charte et qu’une erreur de droit en a résulté.

 

Conclusion

 

[55]           Je crois que les erreurs de fait commises par la Sous-ministre adjointe dans son analyse de l’existence d’une situation de conflit d’intérêts apparent sont sérieuses et influentes. Elles se situent au cœur même de la question qu’elle avait à décider. Elles ont aussi eu un impact sur l’analyse ainsi que le choix des options pour remédier à ce qu’elle a perçu comme un conflit apparent.

 

[56]           Peut-être que, malgré ces erreurs factuelles, la décision de la Sous-ministre adjointe quant à l’existence du conflit d’intérêts apparent et quant aux solutions proposées était la bonne. Ou peut-être la décision était-elle la bonne quant au conflit apparent, mais erronée quant au choix des solutions à cause de ces erreurs. Ou peut-être la décision à ces deux niveaux n’était pas celle qu’elle aurait prise si elle ne s’était pas méprise sur les faits. Il ne nous appartient pas de le décider. Mais une chose m’apparaît indéniable dans le cas présent : l’appelant a droit à une décision juste et équitable, prise au terme d’une analyse fondée sur des assisses factuelles exemptes d’erreurs aussi importantes que celles commises.

 

[57]           Le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire de l’appelant aurait dû intervenir pour remédier à l’inéquité du processus décisionnel engendrée par ces erreurs.

 

[58]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens et j’annulerais la décision de la Cour fédérale rendue le 30 mars 2007. Procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais avec dépens la demande de contrôle judiciaire de l’appelant, j’annulerais la décision du Sous-ministre adjoint au dernier palier de grief rendue le 22 novembre 2005 et je lui retournerais l’affaire pour qu’il la décide à nouveau en tenant compte des présents motifs et en apportant les correctifs requis aux erreurs de fait qui entachaient la décision de la Sous-ministre adjointe.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« J’y souscris

            Alice Desjardins, j.c.a. »

 

« J’y souscris

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-215-07

 

 

INTITULÉ :                                                   MICHEL GAUTHIER c. PROCUREUR

                                                                        GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 février 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE DESJARDINS

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 28 février 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me James Cameron

POUR L’APPELANT

 

Me Jennifer Champagne

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l. Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.