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Date : 20080131

Dossier : A‑2‑07

 

Référence : 2008 CAF 37

 

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

DAVID NISKER

intimé

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 9 janvier 2008

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                        LE JUGE NADON

 


Date : 20080131

Dossier : A-2-07

Référence : 2008 CAF 37

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

DAVID NISKER

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Questions

 

[1]               L’appelante demande l’annulation de la décision rendue par la juge Lamarre Proulx de la Cour canadienne de l’impôt (la juge) le 4 décembre 2006 (2006 CCI 651). La juge a statué que l’intimé David Nisker avait le droit de déduire du calcul de son revenu le paiement effectué pour le règlement d’une action en responsabilité délictuelle intentée contre lui alors que les événements qui ont engagé sa responsabilité se sont produits dans le cadre des activités de la société.

 

[2]               L’appelante soulève les trois motifs d’appel suivants au paragraphe 39 de son mémoire des faits et du droit :

 

a)         La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les dépenses ont été engagées pour protéger l’entreprise de l’intimé?

 

b)         La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les activités de l’intimé en tant que « dirigeant » d’une personne morale constituaient des activités commerciales?

 

c)         La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le voile de la personnalité juridique de 157699 Canada Inc. avait été levé, ce qui donnait le droit à l’intimé de demander une déduction « comme si l’activité avait été exercée par le contribuable lui‑même »?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’estime qu’il faut répondre par l’affirmative à chacune de ces questions.

 

Les faits

 

[4]               Un exposé conjoint des faits a servi de base à l’instruction de l’affaire devant la Cour canadienne de l’impôt. Cet énoncé des faits est reproduit au paragraphe 3 des motifs du jugement de la juge. Je donnerai un résumé des faits utiles au présent appel, mais, par souci d’exhaustivité et pour donner une idée du stratagème imaginé par l’intimé et d’autres investisseurs qui a donné lieu à la responsabilité civile de l’intimé et de la société 157699 Canada Inc., dont il était un dirigeant et administrateur, je reproduis ici cet exposé conjoint des faits : 

           

[3]      Les faits ne sont pas réellement contestés. Au début de l’audience, un exposé conjoint des faits a été déposé devant la Cour. Il est rédigé comme suit :

 

[traduction]

 

1.         L’appelant travaille dans le domaine de l’immobilier depuis cinquante ans. Il a été promoteur immobilier et il a possédé et géré des propriétés, la plupart du temps avec d’autres personnes. Par le passé, il a notamment construit des résidences et des immeubles d’appartements et de bureaux et il a aussi été propriétaire d’hôtels, de résidences hôtelières et de centres commerciaux.

 

2.         En ce qui a trait aux années d’imposition 2000 et 2001, ses affaires ont généré un revenu de location d’environ douze millions de dollars (12 000 000 $) par année.

 

3.         Les investissements, les projets de développement et les entreprises mis en œuvre par l’appelant l’ont généralement été avec le concours d’autres personnes.

 

4.         Le 12 mai 2003, une nouvelle cotisation établie à l’égard des années d’imposition 2000 et 2001 refusait à l’appelant les déductions demandées à la suite du paiement d’un montant de 350 000 $ en règlement d'une procédure judiciaire.

 

5.         Le 29 mai 2003, l’appelant a déposé un avis d’opposition visant les nouvelles cotisations établies à l'égard de ces deux années d'imposition.

 

6.         Le 19 avril 2004, l’Agence du revenu du Canada (ci‑après l’ARC) a confirmé les nouvelles cotisations datées du 12 mai 2003, à l’égard des années d’imposition 2000 et 2001, en invoquant les motifs suivants :

 

Dans le cas de l’exercice se terminant le 31 décembre 2000, le montant du prêt de 350 000 $ n’a pas été versé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Par conséquent, ce montant ne peut être déduit du revenu conformément à l’alinéa 18(1)a). Il ne peut être qualifié de perte déductible au titre d’un placement d’entreprise aux termes des alinéas 39(1)c), 50(1)a) et 111(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu et du sous‑alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu, toute perte en capital résultante est réputée nulle.

 

7.         Le 27 novembre 1987, La Corporation Trisud Inc. (ci‑après Trisud) a vendu ses droits à 152817 Canada Inc., par bail emphytéotique, pour une somme de 8 000 000 $ payable en deux versements.

 

8.         En vertu de l’entente, un montant de 2 000 000 $ devenait dû et exigible au sixième anniversaire de la signature, avec les intérêts.

 

9.         Dans le marché conclu le 27 novembre 1987, 152817 Canada Inc. agissait comme fiduciaire pour le compte de 149788 Canada Inc.

 

10.        Le 1er décembre 1987, 149788 Canada Inc. a vendu ses droits découlant du bail emphytéotique à Saviva Holdings Ltd., 157699 Canada Inc., 146236 Canada Inc. et 144945 Canada Inc.

 

11.        Le même jour, par une entente de prête‑nom conclue à l’insu de Trisud, 152817 Canada Inc. reconnaissait agir comme fiduciaire pour les nouveaux propriétaires, soit Saviva Holdings Ltd., 157699 Canada Inc., 146236 Canada Inc. et 144945 Canada Inc.

 

12.        Depuis 1997, l’appelant était un dirigeant et un administrateur de 157699 Canada Inc.

 

13.        La fille de l’appelant était le seul actionnaire de 157699 Canada Inc. de 1987 jusqu’en 1990, année où l’épouse de l'appelant en est également devenue actionnaire.

 

14.        Au cours de la transaction du 1er décembre 1987, 157699 Canada Inc., à l’insu de Trisud, a agi comme prête‑nom pour le compte de 81008 Canada Inc. qui a acquis une part indivise de 10 p. 100 dans le bail emphytéotique.

 

15.        Jusqu’au 1er juin 1992, l’appelant détenait 163 000 actions privilégiées de catégorie C de 81008 Canada Inc., dont il n’était plus actionnaire par la suite.

 

16.        Le 14 janvier 1988, la Banque Nationale du Canada a accordé à 152817 Canada Inc. un prêt de 5 350 000 $ garanti en partie par des cautionnements personnels.

 

17.        L’appelant s’est porté garant personnellement de 10 p. 100 des montants dus à la Banque Nationale du Canada.

 

18.        En 1993, 152817 Canada Inc. a manqué à ses engagements et la Banque Nationale du Canada a réalisé sa sûreté en exerçant les droits rattachés au bail emphytéotique.

 

19.        Le 20 décembre 1993, Trisud a présenté une demande en bonne et due forme visant le remboursement du solde du prix de vente.

 

20.        Le 29 mars 1994, Trisud a déposé à la Cour supérieure un bref d’assignation et une déclaration, à l’endroit de 152817 Canada Inc. et de David Stein, portant le numéro de dossier 500‑05‑003691‑944.

 

21.        Le 9 décembre 1996, Trisud déposait un bref d’assignation et une déclaration modifiés dans lesquels elle ajoutait Saviva Holdings Ltd., 157699 Canada Inc. et 144945 Canada Inc. comme parties défenderesses dans le dossier numéro 500‑05‑003691-944.

 

22.        Le 10 décembre 1999, la Cour supérieure du Québec a statué sur le dossier numéro 500-05-003691-944 et condamné 152817 Canada Inc., Saviva Holdings Ltd., 157699 Canada Inc. et 144945 Canada Inc. solidairement à payer à Trisud la somme de 2 570 024 $, plus les intérêts et les dépens. Dans le même jugement, David Stein a été condamné solidairement avec les autres parties défenderesses à payer la somme de 500 000 $ avec les intérêts et les dépens.

 

23.        Le 7 janvier 2000, 157699 Canada Inc., Saviva Holdings Ltd. et 144945 Canada Inc. ont inscrit le jugement en appel sous le numéro de dossier 500‑09‑009116‑005.

 

24.        Le 28 janvier 2000, Trisud a intenté une action à la Cour supérieure, portant le numéro de dossier 500-05-003691-944, contre Sam Greenberg ainsi que contre l’appelant et contre Pinchos Freund, Saviva Holdings Ltd., 2853523 Canada Inc. et 2630-1374 Quebec Inc., en vue de faire établir la responsabilité solidaire de ces parties défenderesses avec celles désignées au dossier numéro 500‑05‑003691‑944 (appel numéro 500‑09‑009116‑005).

 

25.        Le 30 novembre 2000, Trisud, Sam Greenberg, l’appelant, Saviva Holdings Inc., 2853523 Canada Inc., 2630-1374 Quebec Inc. et 157699 Canada Inc. ont signé une entente de règlement visant les dossiers 500-05-003691-944 (appel numéro 500-09-009116-005) et 500‑05-055612-004.

 

26.        En vertu de cette transaction, 157699 Canada Inc. et Saviva Holdings Ltd. se sont engagées solidairement à payer à Trisud la somme de 700 000 $ pour le règlement définitif du dossier 500-05-003691-944 (appel numéro 500‑09‑009116-005) en contrepartie de laquelle Trisud acceptait que 157699 Canada Inc. et Saviva Holdings Ltd. soient subrogées, jusqu’à concurrence de 50 p. 100 chacune, dans ses droits contre 152817 Canada Inc., David Stein, 144945 Canada Inc. et Pinchos Freund.

 

27.        Dans cette transaction, l’appelant et Sam Greenberg se sont engagés solidairement avec Saviva Holdings Ltd. et 157699 Canada Inc. à payer à Trisud la somme de 700 000 $.

 

28.        En vertu de la transaction, l’appelant a payé un montant de 350 000 $.

 

29.        En contrepartie du paiement de 700 000 $ fait à Trisud, une déclaration de règlement à l’égard du dossier 500‑05‑009116‑005 a été signée.

 

30.        En contrepartie de ce paiement, Trisud a abandonné son action dans le dossier 500-05-055612-004, sans dépens ni autre recours contre toutes les parties défenderesses, y compris l’appelant.

 

 

 

 

[5]               La figure ci‑dessous illustre les diverses opérations en question.

 

                                                          TRISUD

 


                                                                     Vente de bail emphytéotique à

                                                                     (27 nov. 1987)

                                                            152817      Prête-nom 

                                                                                                pour         149788

 

                                                Entente de

prête-nom                    Vente de bail emphytéotique à

                                          (1er déc.1987)                                   (1er déc. 1987)

                « Nouveaux            Saviva             157699                       146236                       144945

    propriétaires » :    

 

 Prête-nom

                                                                      pour

                                                                         81008

 

 

 

[6]               En résumé, les événements relatifs au présent appel se sont déroulés comme suit.

 

[7]               Un bail emphytéotique visant un centre commercial a été acquis le 27 novembre 1987. Le prix de vente devait être payé par versements échelonnés. L’acheteur initial était 152817 Canada Inc. (la société 152817), société créée pour l’acquisition du bail et contrôlée par M. Stein, homme d’affaires d’expérience dans le secteur immobilier n’ayant pas de lien avec l’intimé : voir les motifs du jugement du juge Dalphond dans La Corporation Trisud Inc. c. 152817 Canada Inc., David Stein, Saviva Holdings Ltd., 157699 Canada Inc. et 144945 Canada Inc. (Cour supérieure de Montréal, no de greffe 500‑05‑003691‑944, 10 décembre 1999, dossier d’appel, volume 1, page 115). À l’insu de la Corporation Trisud Inc. (Trisud), la société 152817 représentait 149788 Canada Inc. à titre de fiduciaire à l’égard de la vente : voir le mémoire des faits et du droit de l’appelante, par. 8).

 

[8]               Dans une transaction ultérieure datée du 1er décembre 1987, toujours à l’insu du vendeur initial, la société 149788 a vendu ses droits découlant du bail emphytéotique à 157699 Canada Inc. (la société 157699), société dont l’intimé était un dirigeant et administrateur, et à d’autres investisseurs sans lien avec ce dernier (Saviva Holdings Ltd., 146236 Canada Inc. et 144945 Canada Inc., ci‑après les « nouveaux propriétaires »). Là encore, à l’insu de Trisud, la société 152817 a servi de prête‑nom pour les nouveaux propriétaires. L’acte de vente a été soigneusement rédigé pour garantir aux nouveaux propriétaires l’accès au revenu et à l’amortissement fiscal liés à la propriété sans qu’ils soient tenus d’assumer la responsabilité du solde du prix de vente. Quant à la société 152817, elle s’est retrouvée sans biens, sans revenu et sans avantages fiscaux, mais toujours seule responsable de la dette envers Trisud. Par conséquent, le solde du prix de vente dû à Trisud n’a jamais été payé : voir les motifs du jugement du juge Dalphond, précité, page 121.

 

[9]               En décembre 1999, le juge Dalphond de la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement dans lequel il a conclu que la société 152817 avait manqué à ses obligations contractuelles et que les nouveaux propriétaires ont commis un délit qui engage leur responsabilité. Ils ont été condamnés à payer conjointement et solidairement à Trisud la somme de 2 570 024 dollars plus intérêts. À la suite de cette décision, une action a été intentée par Trisud contre les débiteurs principaux et têtes dirigeantes des nouveaux propriétaires à titre personnel, dont l’intimé. Cela a finalement donné lieu à un règlement à l’amiable. L’intimé a versé la moitié des 700 000 dollars convenus par les parties.

 

[10]           Le rôle et la participation de l’intimé peuvent être résumés comme suit : il était, depuis le 14 janvier 1997, un dirigeant et administrateur de la société 157699, l’un des nouveaux propriétaires du bail emphytéotique. Sa fille a été l’unique actionnaire de cette société jusqu’en 1990, année où l’épouse de l’intimé en est également devenue actionnaire. Dans la transaction datée du 1er décembre 1987, la société 157699 a agi comme prête‑nom pour le compte de 81008 Canada Inc. (la société 81008). Par cette transaction, la société 81008 a acquis une part de 10 % dans le bail emphytéotique. La société 81008 était une société dont l’intimé a en tout temps été un dirigeant et administrateur non rémunéré : voir la réponse modifiée à l’avis d’appel, dossier d’appel, page 40, par. 14d. Il en a également été actionnaire jusqu’en juin 1992. Les actionnaires ordinaires de la société 81008 ont, à tous les moments pertinents, été l’épouse, la fille et le fils de l’intimé. L’intimé s’est également porté personnellement garant de 10 % du prêt consenti par la Banque nationale du Canada à la société 152817. En 1993, en raison d’un manquement à ses engagements, la Banque a repris possession de la propriété et des droits rattachés au bail emphytéotique.

 

La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les dépenses ont été engagées pour protéger l’entreprise de l’intimé?

 

[11]           Au paragraphe 31 de ses motifs, la juge a conclu que l’intimé a opté pour un règlement par crainte de « perdre ses propres immeubles locatifs ainsi que sa réputation de dirigeant de société ». En toute déférence, j’estime que cette conclusion est en partie non étayée par la preuve et en partie en contradiction avec celle‑ci.

 

[12]           Au moment de l’audition de l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt, l’intimé souffrait de maladies, ce qui l’a empêché de témoigner. Il est vrai que sa fille, Joyce Nisker, a déclaré que son père avait réglé l’affaire à l’amiable parce qu’il craignait d’avoir à payer une somme plus importante et de voir sa réputation ternie : voir le dossier d’appel, volume 2, pages 305 et 308.

 

[13]           Il est légitime qu’une partie essaye de limiter le montant des dommages‑intérêts qu’elle pourrait avoir à verser personnellement. Cela dit, rien au dossier  n’indique que l’intimé aurait eu à vendre des actifs productifs de revenus pour assumer sa responsabilité à l’égard de l’acte fautif qu’il a commis. En fait, son avocat a témoigné que, lorsque l’intimé a évalué le risque d’avoir à payer un montant plus élevé, il a estimé qu’il disposait des fonds nécessaires pour payer une somme supérieure. Aux pages 261 et 262 de la transcription (dossier d’appel, volume 2), le témoin déclare ce qui suit :

 

Alors lors de cette rencontre avec lui seul, il se posait encore la question, est-ce que vraiment il aurait dû faire la transaction personnellement, s’impliquer personnellement et est-ce qu’il n’aurait pas été mieux d’aller plus avant dans le dossier. Alors, évidemment je lui ai rappelé que la transaction était conclue, on en avait discuté beaucoup, mais je lui ai rappelé tous les motifs et le risque sérieux qu’il avait, si on perdait l’appel, d’être condamné personnellement à plusieurs millions de dollars, et lui ai rappelé qui si ça arrivait, de ce que je connaissais de la situation, lui et Sam Greenberg devraient débourser ces montants-là. Et je me souviens de lui avoir dit : « Écoutez, je ne connais pas votre situation financière personnelle mais je prends pour acquis que vous pourriez payer le montant, donc c’est encore plus sérieux comme risque ». Il a dit oui, ça si j’étais condamné, je pourrais le payer. Et je lui ai dit : « Le risque est encore plus grand. Si vous me disiez que vous n’avez pas les fonds, bien, le risque serait théorique ».

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Quant à la crainte de l’intimé de voir sa réputation ternie, je suis d’accord avec l’avocat de l’appelante pour dire que c’était déjà chose faite au moment où la Cour supérieure du Québec a rendu son jugement. Le juge Dalphond, qui siège maintenant à la Cour d’appel du Québec, a conclu que ce n’était pas par hasard que les nouveaux propriétaires ne pouvaient être tenus responsables du solde du prix de vente. C’était le but recherché, et les documents avaient été rédigés de telle sorte que la responsabilité incomberait à la société 152817, qui avait été dépouillée de tous ses avoirs et était devenue une coquille vide. À l’exception de l’acte de vente initial entre Trisud et la société 152817, les documents ayant trait à la vente ultérieure n’ont pas été enregistrés pour éviter les droits de mutation. Par ailleurs, Trisud n’a pas été informée de l’existence de ces documents : voir les motifs de jugement : dossier d’appel, volume 1, page 121.

 

[15]           À la page 12 de ses motifs (ibidem, p. 125), le juge Dalphond écrit ce qui suit :

 

[traduction] De plus, la preuve a démontré que MM. Stein, Greenberg, Nisker et Freund ont délibérément fait rédiger l’acte de cession de manière à ce que leurs sociétés ne soient pas tenues responsables envers Trisud du solde du prix de vente.

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[16]           La Cour supérieure a conclu que la société 152817 n’a pas respecté, au su des nouveaux propriétaires et de l’intimé, l’acte de vente et a manqué à ses obligations découlant de cet acte. Quant aux nouveaux propriétaires, y compris la société de l’intimé, la Cour supérieure a statué qu’ils avaient commis un acte fautif et malhonnête pour lequel ils devaient être tenus responsables (ibidem, p. 125 et 126; voir aussi la décision du juge Pigeon Trudel c. Clairol Inc. of Canada, [1975] 2 R.C.S. 236, p. 241 à 243, citée par le juge Dalphond à la page 13 de ses motifs, où le juge Pigeon a reconnu qu’« il y a faute contre l’honnêteté de s’associer sciemment à la violation d’un contrat ».

 

[17]           J’estime que le premier motif d’appel de l’appelante est bien fondé.

 

La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les activités de l’intimé en tant que « dirigeant » d’une personne morale constituaient des activités commerciales?

 

[18]           L’intimé tirait son revenu des immeubles locatifs, qui soit appartenaient à des sociétés dont il était copropriétaire soit lui appartenaient personnellement par l’intermédiaire de son épouse, et de leur gestion (voir le dossier d’appel, volume 2, p. 288 et 289, 293, 313 et 330 à 334). Il agissait également comme dirigeant et administrateur non rémunéré des sociétés 157699 et 81008. Quant aux autres sociétés, dans lesquelles il avait investi avec d’autres personnes, très peu d’éléments de preuve, sinon aucun, n’ont attesté du rôle de l’intimé à leur égard. Cependant, s’appuyant sur la décision Mitchell c. The United States, 408 F. 2d 435, rendue en 1969 par la United States Court of Claims, la juge a estimé que les activités de l’intimé comme dirigeant étaient des activités commerciales.

 

[19]           Avec égards, Mitchell ne s’applique tout simplement pas en l’espèce. Il existe une certaine analogie entre Mitchell et la présente affaire, mais il y a aussi des différences factuelles et juridiques considérables qui distinguent les deux causes.

 

[20]           M. Mitchell était poursuivi par une société en 1958 parce qu’il avait présenté frauduleusement les faits ayant trait aux responsabilités de la société en matière d’impôt fédéral sur le revenu et de taxes d’accise et en matière de garanties sur le produit. Il était le président‑directeur général et le principal actionnaire de la société en question. En février 1960, le litige a été réglé pour un million de dollars, duquel M. Mitchell devait payer 678 000 dollars.

 

[21]           M. Mitchell a par la suite intenté une poursuite pour récupérer l’impôt qui aurait été illégalement calculé parce que l’Internal Revenue Department refusait qu’il déduise les dépenses juridiques et comptables (135 340 $) qu’il avait dû engager pour se défendre dans l’action intentée contre lui par la société. Il avait déduit ses dépenses en vertu de l’alinéa 162a) du Internal Revenue Code de 1954. Il prétentait que la poursuite intentée contre lui [traduction] « constituait une atteinte à son intégrité et avait compromis ses activités comme dirigeant de la société » : voir le dossier de la cause, p. 1. L’alinéa 162a) permettait de déduire les dépenses ordinaires et nécessaires engagées au cours de l’exercice pour mener à bien des activités commerciales (non souligné dans l’original).

 

[22]           Les éléments de preuve montraient que, outre sa collaboration avec la société qui le poursuivait, M. Mitchell était dirigeant de nombreuses sociétés non liées et d’actionnaires au cours des années 1950 et 1960 dont il recevait des sommes importantes (par exemple, 64 000 dollars de quatre sociétés entre 1947 et 1955 : voir les pages 3 et 4 de la décision).

 

[23]           Dans une décision majoritaire, la Cour a conclu que la principale fonction de M. Mitchell avait toujours été d’être dirigeant de diverses sociétés commerciales. Ses investissements et sa gestion de projets et travaux d’aménagement immobiliers étaient secondaires. De l’avis de la Cour, sa fonction de dirigeant de société constituait une activité commerciale au sens de l’alinéa 162a).

 

[24]           En l’espèce, contrairement à la situation de M. Mitchell, l’intimé ne vendait pas ses services comme dirigeant de société. En fait, il n’était pas rémunéré comme dirigeant des sociétés 157699 et 81008, et il ne tirait donc pas de revenus de cette activité comme l’exige l’article 3 de la Loi : voir Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645, par. 49, 50 et 53 à 55. Comme nous l’avons vu, ses sources de revenus provenaient de ses immeubles locatifs et de leur gestion. Ils n’avaient rien à voir avec ses fonctions de dirigeant et d’administrateur des sociétés 81008 et 157699 (il n’est d’ailleurs devenu dirigeant et administrateur de cette dernière société qu’en 1997). En outre, selon les éléments de preuve fournis à la Cour de l’impôt, ses fonctions de dirigeant et d’administrateur semblaient se limiter aux sociétés liées à sa famille.

 

[25]           L’appelante invoque également le paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), pour contester la décision de la juge. Cette disposition exclut de la définition d’« entreprise » une charge ou un emploi. Par ailleurs, la définition de « charge » inclut le poste d’administrateur de société. La disposition se lit comme suit :

 

« entreprise » Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l’application de l’alinéa 18(2)c), de l’article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l’alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l’exclusion toutefois d’une charge ou d’un emploi.

 

« charge » Poste qu’occupe un particulier et qui lui donne droit à un traitement ou à une rémunération fixes ou vérifiables, y compris une charge judiciaire, la charge de ministre de la Couronne, la charge de membre du Sénat ou de la Chambre des communes du Canada, de membre d’une assemblée législative ou de membre d’un conseil législatif ou exécutif et toute autre charge dont le titulaire est élu au suffrage universel ou bien choisi ou nommé à titre représentatif, et comprend aussi le poste d’administrateur de société; «fonctionnaire » ou «cadre » s’entend de la personne qui détient une charge de ce genre, y compris un conseiller municipal et un commissaire d’école.

“business” includes a profession, calling, trade, manufacture or undertaking of any kind whatever and, except for the purposes of paragraph 18(2)(c), section 54.2, subsection 95(1) and paragraph 110.6(16)(f), an adventure or concern in the nature but does not include an office or employment.

 

 

 

“office” means the position of an individual entitling the individual to a fixed or ascertainable stipend or remuneration and includes a judicial office, the office of a minister of the Crown, the office of a member of the Senate or House of Commons of Canada, a member of a legislative assembly or a member of a legislative or executive council and any other office, the incumbent of which is elected by popular vote or is elected or appointed in a representative capacity and also includes the position of a corporation director, and “officer” means a person holding such an office.

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

Autrement dit, l’appelante estime que le revenu gagné à titre de dirigeant est un revenu tiré d’une charge ou d’un emploi et non pas d’une entreprise. Compte tenu des faits de l’espèce, je suis certainement d’accord avec cette affirmation.

 

[26]           L’avocat de l’intimé fait toutefois valoir que la définition d’entreprise ne s’applique pas en l’espèce parce que l’intimé n’était pas rémunéré lorsqu’il agissait comme dirigeant et administrateur. Il s’appuie sur la décision de la Cour canadienne de l’impôt St‑Georges c. R., 2006 D.T.C. 2969, où le juge a conclu, au paragraphe 22, que la définition de « charge » comporte la condition impérative que le dirigeant de société ait droit à un traitement ou à une rémunération fixe ou vérifiable. Selon lui, la décision de la Cour de l’impôt a été confirmée par notre Cour dans St‑Georges c. Canada, 2006 CAF 207.

 

[27]           Il est vrai que notre Cour a confirmé la décision de la Cour canadienne de l’impôt, mais pas à l’égard du point soulevé par l’avocat de l’intimé. M. St‑Georges était un comptable agréé et un syndic en matière de faillites. Il exerçait ses activités sous le nom de Société St‑Georges Hébert & Compagnie, dont il était propriétaire et qu’il utilisait pour comptabiliser et déclarer ses revenus. Il avait accepté d’agir comme administrateur d’une société cliente de son bureau de comptable. Notre Cour a estimé que les services comptables fournis à la société en question par M. St‑Georges ont été rendus par l’entremise de son bureau de comptable et n’ont pas été rendus à titre personnel.

 

[28]           Vu ma conclusion que l’intimé n’a pas tiré de revenus de sa fonction de dirigeant ou d’administrateur, il n’est pas nécessaire de décider si le paragraphe 248(1) de la Loi exige qu’un dirigeant de société soit rémunéré pour remplir les critères de la définition. Quoi qu’il en soit, cela signifie que la somme que l’intimé a versée en l’espèce à titre de dommages‑intérêts en raison de sa responsabilité délictuelle ne constitue pas une dépense d’entreprise au sens de la Loi, qu’il ait été ou non rémunéré à titre de dirigeant de société.

 

La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le voile de la personnalité juridique de 157699 Canada Inc. avait été levé, ce qui donnait le droit à l’intimé de demander une déduction « comme si l’activité avait été exercée par le contribuable lui‑même »?

 

 

[29]           L’appelante conteste vigoureusement la conclusion de la juge concernant la levée du voile de la personnalité juridique et la conséquence qu’elle en a tirée. L’essence de l’analyse de la juge se trouve aux paragraphes 41 et 42 de ses motifs, rédigés comme suit :

[41]      En d’autres termes, lorsque, dans une affaire donnée, le voile corporatif est levé dans une décision judiciaire et que la responsabilité distincte d’une société est de ce fait écartée de manière à inclure la personne physique qui en est le cerveau et à conclure ainsi à la responsabilité délictuelle de la personne physique et de la personne morale, cela sous‑entend que, eu égard à cette affaire en particulier, l’activité en question a été exercée par les deux. Si la société avait le droit de déduire la dépense engagée en vue d’exercer des activités commerciales, il s’ensuit que, de la même manière, la personne qui a payé les dommages‑intérêts délictuels a droit à une déduction au titre d'une dépense engagée en vue d’exercer des activités commerciales.

 

[42]      Il n’a pas été contesté que la société aurait eu droit à la déduction du montant, en vertu des articles 3 et 9 de la Loi (65302 British Columbia Ltd., précité, et McNeill, précité). Je suis donc d’avis que l’appelant, qui s’exposait au risque de se voir tenu responsable conjointement avec la société dont il était dirigeant et qui a décidé de régler l’affaire et de payer le montant personnellement, a droit, à l’instar de la personne morale, de demander la déduction comme si l’activité avait été exercée par le contribuable lui‑même.

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[30]           Après analyse de la décision du juge Dalphond de la Cour supérieure du Québec dans la poursuite contre les nouveaux propriétaires et la société 152817, la juge a conclu que le juge de la Cour supérieure avait levé le voile de la personnalité juridique pour conclure à la responsabilité délictuelle de l’intimé : voir le paragraphe 39 de ses motifs.

 

[31]           L’avocat de l’intimé a reconnu dans son mémoire des faits et du droit qu’il n’est pas certain que le juge Dalphond avait l’intention de lever le voile de la personnalité juridique et qu’il s’agissait de l’effet de son jugement : voir les paragraphes 32 et 33 du mémoire des faits et du droit de l’intimé. Il a également concédé, en ce qui a trait à la décision de la juge, que son [traduction] « analyse relative à l’idée de lever ou d’écarter le voile de la personnalité juridique n’est pas particulièrement utile » : voir le paragraphe 36 du mémoire des faits et du droit de l’intimé.

 

[32]           Enfin, l’avocat de l’intimé a admis que le libellé de la deuxième phrase du paragraphe 42, reproduit ci‑dessus, des motifs de la juge est trop général. Il a cependant fait valoir que l’essence de ce qui était exprimé s’appliquait à son client et lui permettait « de demander la déduction comme si l’activité avait été exercée par le contribuable lui‑même ».

 

[33]           J’estime que la juge a tiré une conclusion erronée quant à l’effet de la décision rendue par le juge Dalphond de la Cour supérieure du Québec. Ce que le juge Dalphond a dit et conclu est simplement que l’intimé était au courant de toutes les transactions ayant fait suite à l’acte de vente initial pour éviter d’assumer la responsabilité du paiement du solde du prix de vente, du contenu de l’acte de vente et des obligations de la société 152817 qui en découlaient, et que cette connaissance pouvait être attribuée à sa société, à savoir la société 157699. Les deux paragraphes qui suivent expriment l’essentiel de ce que le juge a dit sur la question :

 

[traduction]

 

Quant à MM. Nisker et Freund, ils étaient présents lorsque l’acte de vente a été signé, ils ont discuté de l’affaire avec MM. Stein et Greenberg et ils ont signé les documents ultérieurs où ils reconnaissaient l’existence de l’acte de vente et son enregistrement. Messieurs Stein et Greenberg ont déclaré qu’ils ne voulaient pas être tenus responsables du paiement du solde du prix de vente. La Cour peut en conclure qu’ils étaient au courant du contenu de cet acte et des obligations qui en découlaient pour la société 152817 (art. 2848 C.C.Q.). Cette connaissance peut également être attribuée à leurs sociétés respectives.

 

De plus, la preuve a démontré que MM. Stein, Greenberg, Nisker et Freund ont délibérément rédigé l’acte de cession de manière à ce que leurs sociétés ne soient pas tenues responsables envers Trisud du paiement du solde du prix de vente.

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[34]           En fait, la théorie de la levée du voile de la personnalité juridique ne s’applique pas en l’espèce. Certaines décisions à cet égard ont parfois été ambiguës, probablement parce qu’il s’agissait de situations où une personne était à la fois dirigeant et actionnaire, mais il semble maintenant que la levée du voile de la personnalité juridique concerne les actionnaires, pas les dirigeants. L’intimé était dirigeant et administrateur de la société 1577699, qui a été jugée responsable à titre de nouveau propriétaire.

 

[35]           Cela est vrai en vertu du Code civil du Québec, L.Q. (1991), ch. 64, comme ce l’était en vertu de l’ancien Code, à savoir le Code civil du Bas‑Canada. Cet aspect a été analysé par l’auteur réputé Paul Martel dans son ouvrage fondamental Business Corporations in Canada (Thomson Carswell, Toronto, 2007, p. 1 à 66). L’article 1457 du Code civil du Québec est la source de la responsabilité extracontractuelle des dirigeants d’entreprises. Aux pages 1 à 66, l’auteur écrit ce qui suit :

 

[traduction]

 

Il faudrait ajouter à cette liste l’article 1457 du Code civil du Québec, qui est la seule véritable source possible de la responsabilité civile des dirigeants d’entreprise et qui n’exige pas la levée du voile de la personnalité juridique. Cette « levée » concerne en fait les actionnaires et non pas les administrateurs comme tels.

 

(…)

 

Tout au contraire, un administrateur qui participe à la faute est conjointement et solidairement responsable en vertu de l’article 1526 : il ne peut pas invoquer son mandat pour s’y soustraire. Il n’est ni nécessaire ni même utile de recourir à la levée du voile de la personnalité juridique pour engager la  responsabilité personnelle de l’administrateur pour une faute extracontractuelle commise par lui ou par sa société et à laquelle il a contribué. C’était vrai avant 1994, et le législateur n’a pas voulu changer cette situation lorsqu’il a adopté l’article 317.

 

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

Cette analyse a été entérinée par la Cour d’appel du Québec dans Brasserie Labatt Ltée c. Lanoue, [1999] J.Q. n1108, J.E. 99‑457.

 

[36]           L’intimé a décidé de faire des affaires par l’entremise de sociétés de gestion pour répartir les risques et diminuer celui d’être tenu personnellement responsable du paiement de grosses sommes d’argent : voir le témoignage de sa fille, Mme Joyce Nisker (dossier d’appel, volume 2, p. 307). Par la suite, comme l’a conclu la Cour supérieure du Québec, l’intimé a franchi les limites et commis un acte fautif pour lequel il a été tenu personnellement responsable.

 

[37]           Dans Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co., [1987] 1 R.C.S. 2, la Cour suprême du Canada réitère (page 11) le principe selon lequel la levée du voile de la personnalité juridique a lieu dans l’intérêt de tiers qui subiraient un préjudice en raison de personnes qui ont choisi de profiter des avantages qu’offre la constitution en société. Le juge Wilson a écrit ce qui suit au nom de la Cour unanime :

 

Il y a un argument convaincant selon lequel [traduction] « quiconque choisit de profiter des avantages qu'offre la constitution en société doit aussi en supporter les inconvénients, de sorte que, si jamais on doit faire abstraction de la personnalité morale, ce ne doit être que dans l'intérêt de tiers à qui, sans cela, ce choix porterait préjudice ».

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[38]           En l’espèce, la juge a levé le voile de la personnalité juridique dans l’intérêt de l’auteur de la faute pour lui permettre de bénéficier d’un avantage fiscal au détriment de l’ensemble des contribuables canadiens. L’intimé s’est constitué en société pour en tirer avantage; je ne vois donc pas comment ni pourquoi, sur les plans factuel et juridique, les activités de la société 157699 devraient brusquement devenir celles de l’intimé à titre personnel pour que, comme l’a conclu la juge, il puisse prétendre que « l’activité avait été exercée par le contribuable lui‑même » et déduire les dommages‑intérêts découlant de sa responsabilité délictuelle personnelle comme dirigeant de société.

 

[39]           Selon l’avocat de l’intimé, la conclusion à laquelle est parvenue la juge peut être étayée par les principes du mandat. Je ne suis pas de cet avis. Comme l’indique l’auteur Paul Martel dans les extraits susmentionnés, un administrateur de société qui participe à un acte fautif ne peut pas trouver refuge derrière la notion de mandat pour échapper à sa responsabilité personnelle.

 

[40]           Je dois ajouter ici qu’en vertu de l’article 321 du Code civil du Québec, l’administrateur est considéré comme mandataire de la personne morale. Par contre, selon le paragraphe 248(1) de la Loi, l’« employé » comprend le cadre ou fonctionnaire et « fonctionnaire » ou « cadre » comprend la personne qui détient une « charge », laquelle inclut le poste d’administrateur de société. On voit mal au regard de la Loi comment les activités d’une société peuvent devenir celles de l’un des dirigeants ou administrateurs qui est employé de cette société.

 

[41]           Quoi qu’il en soit, pour en revenir à la notion de mandat, un mandataire représente un mandant. Les activités du mandant restent les siennes. Ce n’est rien de moins qu’une fiction que d’affirmer que les activités commerciales du mandant peuvent devenir celles du mandataire pour que celui‑ci puisse déduire des dépenses engagées personnellement « comme si l’activité avait été exercée par le contribuable lui‑même ». La Loi repose sur des fictions juridiques prenant la forme de présomptions. En voilà cependant une que je n’ai pas trouvée dans la Loi et au sujet de laquelle l’intimé n’a pu proposer de fondement légal.

 

 

[42]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt et, pour rendre le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais l’appel interjeté par l’intimé devant la Cour canadienne de l’impôt avec dépens.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Robert Décary, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Marc Nadon, j.c.a. »

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑2‑07

 

 

INTITULÉ :                                                   SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                                        DAVID NISKER

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 9 JANVIER 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE DÉCARY

                                                                        LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 31 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Benoît Mandeville

POUR L’APPELANTE

 

Me Aaron Rodgers

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Spiegel Sohmer Inc.

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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