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Date : 20080104

Dossier : A-519-06

Référence : 2008 CAF 2

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

NORTH SHORE HEALTH REGION

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 novembre 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE LINDEN

                                                                                                                              LE JUGE NADON           

 

 


 

 

Date : 20080104

Dossier : A-519-06

Référence : 2008 CAF 2

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

 

NORTH SHORE HEALTH REGION

appelante

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE SHARLOW

 

[1]               Le présent appel porte sur une cotisation contestée de taxe sur les produits et services établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15. La principale question en litige est celle de savoir si c’est à bon droit que la Cour canadienne de l’impôt a estimé que North Shore Health Region était assujettie au paiement de la taxe sur les produits et services (TPS) sur la juste valeur marchande du Kiwanis Care Centre, un établissement de soins de la santé de North Vancouver, en Colombie-Britannique, à la date où les travaux de construction de cet établissement étaient achevés en grande partie en mai 1998 (2006 CCI 585). Le montant de taxe en litige tourne autour de 1,5 million de dollars.

Économie générale de la loi

[2]               La partie IX de la Loi sur la taxe d'accise est entrée en vigueur en 1991. Elle assujettit à la TPS la plupart des produits et services. La TPS est calculée sous forme de pourcentage de la contrepartie versée. Au cours de la période qui nous intéresse dans le présent appel, le taux de TPS était de 7 %.

 

[3]               En principe, la TPS est payée par l’acquéreur des biens ou des services, mais elle est perçue par le fournisseur, qui la remet à l’Agence du Revenu du Canada. L’acquéreur des produits ou des services qui utilise ceux-ci dans le cadre d’une activité commerciale a droit au remboursement de la TPS qu’il a payée (un « crédit de taxe sur les intrants »). L’acquéreur doit à son tour percevoir et remettre la TPS sur les produits ou services qu’il fournit à ses propres clients. On vise ainsi à imposer la TPS sur la valeur ajoutée à chaque étape de la fourniture des produits et des services jusqu’à ce qu’ils parviennent à l’utilisateur ou au consommateur final, qui supporte le plein fardeau économique de la TPS.

 

[4]               Certaines fournitures bénéficient d’une exonération de TPS. L’expression « fourniture exonérée » est définie comme suit au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise : « fourniture figurant à l’annexe V ». L’annexe V de la Loi sur la taxe d’accise est divisée en huit parties, contenant chacune une liste de « fournitures exonérées ». La partie I de l’annexe V porte sur les immeubles. La partie II de l’annexe V traite des services de soins de santé.

 

[5]               Le fardeau fiscal relié à la TPS sur les produits et services qui entrent dans la production de fournitures exonérées n’est pas supporté par l’utilisateur ou le consommateur final, mais par une personne qui se situe en amont dans la chaîne d’approvisionnement. Il existe plusieurs mécanismes légaux différents pour calculer ce fardeau fiscal et pour déterminer qui doit le supporter.

 

[6]               Dans le cas de locaux d’habitation nouvellement construits, il résulte de l’effet combiné de l’exemption dont bénéficient les loyers résidentiels et la règle sur la fourniture à soi-même prévue par la loi qu’un fardeau fiscal de la TPS est imposé une seule fois sur la valeur du bâtiment au moment où les travaux de construction sont achevés. Dans le cas d’un établissement de santé nouvellement construit par une administration hospitalière ou par un organisme de bienfaisance, il résulte de l’effet combiné de l’exemption dont bénéficient les services de santé en établissement et de la disposition portant remboursement de la TPS que le fardeau fiscal de la TPS imposée sur les coûts de construction du bâtiment est assumé par l’établissement de santé, mais à un taux réduit. Ces deux régimes législatifs sont décrits plus en détail plus loin.

 

Régime législatif applicable aux établissements de santé

[7]               L’expression « établissement de santé » est définie comme suit à l’article 1 de la partie II de l’annexe V.

 « établissement de santé »

a) Tout ou partie d’un établissement où sont donnés des soins hospitaliers, notamment aux personnes souffrant de maladie aiguë ou chronique, ainsi qu’en matière de réadaptation;

b) hôpital ou établissement pour personnes ayant des problèmes de santé mentale;

c) tout ou partie d’un établissement où sont offerts aux résidents dont l’aptitude physique ou mentale sur le plan de l’autonomie ou de l’autocontrôle est limitée :

(i) des soins infirmiers et personnels sous la direction ou la surveillance d’un personnel de soins infirmiers et médicaux compétent ou d’autres soins personnels et de surveillance (sauf les services ménagers propres à la tenue de l’intérieur domestique) selon les besoins des résidents,

(ii) de l’aide pour permettre aux résidents d’accomplir des activités courantes et des activités récréatives et sociales, et d’autres services connexes pour satisfaire à leurs besoins psycho-sociaux,

(iii) les repas et le logement.

 

 

"health care facility" means

(a) a facility, or a part thereof, operated for the purpose of providing medical or hospital care, including acute, rehabilitative or chronic care,

(b) a hospital or institution primarily for individuals with a mental health disability, or

(c) a facility, or a part thereof, operated for the purpose of providing residents of the facility who have limited physical or mental capacity for self-supervision and self-care with

(i) nursing and personal care under the direction or supervision of qualified medical and nursing care staff or other personal and supervisory care (other than domestic services of an ordinary household nature) according to the individual requirements of the residents,

(ii) assistance with the activities of daily living and social, recreational and other related services to meet the psycho-social needs of the residents, and

(iii) meals and accommodation.

 

 

 

[8]               L’administration hospitalière ou l’organisme de bienfaisance qui construit un établissement de santé n’a pas le droit de réclamer de crédits de taxe sur les intrants pour récupérer la TPS qu’elle a payée sur les coûts de construction. L’administration hospitalière ou l’organisme de bienfaisance a plutôt le droit de réclamer le remboursement d’une partie de la TPS payée. Le montant de ce remboursement correspond à 83 % de la TPS si le constructeur est une administration hospitalière, et à 50 % si le constructeur est un organisme de bienfaisance. Le fardeau fiscal de la TPS qui en résulte en ce qui concerne les frais de construction d’un établissement de santé équivaut à environ un pour cent des coûts de construction (17 % de la TPS au taux de 7 %) si c’est une administration hospitalière qui le construit, et à 3,5 % (50 % de la TPS au taux de 7 %)  si c’est un organisme de bienfaisance qui le bâtit. (Les expressions « administration hospitalière » et « organisme de bienfaisance » sont définies au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise. Pour les motifs qui seront exposés plus loin, ces définitions ne sont pas utiles pour trancher le présent appel.)

 

[9]               On trouve à la partie II de l’annexe V une liste des services de santé qui sont considérés comme des « fournitures exonérées ». En vertu de l’article 2 de la partie II, les services de santé fournis par un établissement de santé sont exonérés de la TPS s’ils répondent à la définition des « services de santé en établissement » prévue par la Loi. L’article 2 est ainsi libellé :

2. La fourniture de services de santé en établissement, rendus à un patient ou à un résident d’un établissement de santé, effectuée par l’administrateur de l’établissement, à l’exclusion de la fourniture de services liés à la prestation de services chirurgicaux ou dentaires exécutés à des fins esthétiques plutôt que médicales ou restauratrices.

2. A supply of an institutional health care service made by the operator of a health care facility if the service is rendered to a patient or resident of the facility, but not including a supply of a service related to the provision of a surgical or dental service that is performed for cosmetic purposes and not for medical or reconstructive purposes.

 

[10]           L’expression « services de santé en établissement » est définie comme suit à l’article 1 de la partie II :

« services de santé en établissement » Les services et produits suivants offerts dans un établissement de santé :

a) les services de laboratoire, de radiologie et autres services de diagnostic;

b) lorsqu'elles sont accompagnées de la fourniture d'un service ou d'un bien figurant à l'un des alinéas a) et c) à g), les drogues, substances biologiques ou préparations connexes administrées dans l'établissement et les prothèses médicales ou chirurgicales installées dans l'établissement;

c) l'usage des salles d'opération, des salles d'accouchement et des installations d'anesthésie, ainsi que l'équipement et le matériel nécessaires;

d) l'équipement et le matériel médicaux et chirurgicaux :

(i) utilisés par l'administrateur de l'établissement en vue d'offrir un service figurant aux alinéas a) à c) et e) à g),

(ii) fournis à un patient ou à un résident de l'établissement autrement que par vente;

e) l'usage des installations de radiothérapie, de physiothérapie ou d'ergothérapie;

f) l'hébergement;

g) les repas (sauf ceux servis dans un restaurant, une cafétéria ou un autre établissement semblable où l'on sert des repas);

h) les services rendus par des personnes rémunérées à cette fin par l'administrateur de l'établissement.

 

 

"institutional health care service" means any of the following when provided in a health care facility:

(a) laboratory, radiological or other diagnostic services,

(b) drugs, biologicals or related preparations when administered, or a medical or surgical prosthesis when installed, in the facility in conjunction with the supply of a service included in any of paragraphs (a) and (c) to (g),

 

(c) the use of operating rooms, case rooms or anaesthetic facilities, including necessary equipment or supplies,

(d) medical or surgical equipment or supplies

(i) used by the operator of the facility in providing a service included in any of paragraphs (a) to (c) and (e) to (g), or

(ii) supplied to a patient or resident of the facility otherwise than by way of sale,

(e) the use of radiotherapy, physiotherapy or occupational therapy facilities,

(f) accommodation,

(g) meals (other than meals served in a restaurant, cafeteria or similar eating establishment), and

(h) services rendered by persons who receive remuneration therefor from the operator of the facility […].

 

[11]           Les alinéas f) et g) de la définition de l’expression « services de santé en établissement » tiennent compte du fait que la fourniture de services de santé dans un établissement de santé comporte nécessairement la fourniture de l’hébergement et des repas.

 

Régime législatif applicable aux logements locatifs

[12]           La partie I de l’annexe V de la Loi sur la taxe d’accise porte sur les immeubles. En vertu des alinéas 6a) et 6b) de la partie I de l’annexe V, la plupart des loyers de locaux d’habitation sont exonérés de la TPS.

 

[13]           En règle générale, le fardeau de la TPS sur le coût de construction de logements locatifs est supporté par le propriétaire de l’immeuble locatif plutôt que par le locataire. Ce mécanisme, connu sous le nom de « règle sur la fourniture à soi-même », est prévu au paragraphe 191(3) de la Loi sur la taxe d’accise, dont voici les dispositions pertinentes :

191. (3) Pour l’application de la présente partie, lorsque les conditions suivantes sont réunies :

191. (3) For the purposes of this Part, where

 

a) la construction ou les rénovations majeures d’un immeuble d’habitation à logements multiples sont achevées en grande partie,

(a) the construction or substantial renovation of a multiple unit residential complex is substantially completed,

b) le constructeur, selon le cas :

(b) the builder of the complex

(i) transfère à une personne, qui n’est pas l’acheteur en vertu du contrat de vente visant l’immeuble, la possession d’une habitation de celui-ci aux termes d’un bail, d’une licence ou d’un accord semblable conclu en vue de l’occupation de l’habitation à titre résidentiel, […]

 

(i) gives, to a particular person who is not a purchaser under an agreement of purchase and sale of the complex, possession of any residential unit in the complex under a lease, licence or similar arrangement entered into for the purpose of the occupancy of the unit by an individual as a place of residence, […]

Le constructeur est réputé :

the builder shall be deemed

d) avoir effectué et reçu, par vente, la fourniture taxable de l’immeuble le jour où les travaux sont achevés en grande partie ou, s’il est postérieur, le jour où la possession de l’habitation est transférée à la personne ou l’habitation est occupée par lui;

(d) to have made and received, at the later of the time the construction or substantial renovation is substantially completed and the time possession of the unit is so given to the particular person or the unit is so occupied by the builder, a taxable supply by way of sale of the complex, and

e) avoir payé à titre d’acquéreur et perçu à titre de fournisseur, au dernier en date de ces jours, la taxe relative à la fourniture, calculée sur la juste valeur marchande de l’immeuble ce jour-là.

(e) to have paid as a recipient and to have collected as a supplier, at the later of those times, tax in respect of the supply calculated on the fair market value of the complex at the later of those times.

 

 

 

 

[14]           La règle sur la fourniture à soi-même s’applique au bâtiment qui répond à la définition d’« immeuble d’habitation à logements multiples » que l’on trouve à la partie I de l’annexe V. Voici le texte de cette définition, ainsi que celui des expressions « immeuble d’habitation » et « habitation » :

123. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à l’article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

123. (1) In section 121, this Part and Schedules V to X,

« immeuble d’habitation à logements multiples » Immeuble d’habitation, à l’exclusion d’un immeuble d’habitation en copropriété, qui contient au moins deux habitations.

 

"multiple unit residential complex" means a residential complex that contains more than one residential unit, but does not include a condominium complex.

« immeuble d’habitation »

a) La partie constitutive d’un bâtiment qui comporte au moins une habitation, y compris :

"residential complex" means

(a) that part of a building in which one or more residential units are located, together with

(i) la fraction des parties communes et des dépendances et du fonds contigu au bâtiment qui est raisonnablement nécessaire à l’usage résidentiel du bâtiment,

(ii) la proportion du fonds sous-jacent au bâtiment correspondant au rapport entre cette partie constitutive et l’ensemble du bâtiment […].

(i) that part of any common areas and other appurtenances to the building and the land immediately contiguous to the building that is reasonably necessary for the use and enjoyment of the building as a place of residence for individuals, and

 

(ii) that proportion of the land subjacent to the building that that part of the building is of the whole building […]

 

« habitation »

Maison individuelle, jumelée ou en rangée, unité en copropriété, maison mobile, maison flottante, appartement, chambre d’hôtel, de motel, d’auberge ou de pension, chambre dans une résidence d’étudiants, d’aînés, de personnes handicapées ou d’autres particuliers ou tout gîte semblable, ou toute partie de ceux-ci, qui est, selon le cas :

a) occupée à titre résidentiel ou d’hébergement;

b) fournie par bail, licence ou accord semblable, pour être utilisée à titre résidentiel ou d’hébergement […].

"residential unit" means

 

(a) a detached house, semi-detached house, rowhouse unit, condominium unit, mobile home, floating home or apartment,

 

(b) a suite or room in a hotel, a motel, an inn, a boarding house or a lodging house or in a residence for students, seniors, individuals with a disability or other individuals, or

 

(c) any other similar premises,

or that part thereof that

 

(d) is occupied by an individual as a place of residence or lodging,

 

(e) is supplied by way of lease, licence or similar arrangement for the occupancy thereof as a place of residence or lodging for individuals […]

 

[15]           Pour comprendre l’application de la règle sur la fourniture à soi-même, il est utile de prendre l’exemple d’un immeuble d’habitation locatif nouvellement construit. Il ne fait aucun doute que la règle sur la fourniture à soi-même s’applique à un tel bâtiment.

 

[16]           Le constructeur d’un immeuble d’habitation locatif doit payer la TPS sur les coûts de construction. Le constructeur peut ensuite réclamer un crédit de taxe sur les intrants pour récupérer la TPS qu’il a payée. Toutefois, la règle sur la fourniture à soi-même oblige le constructeur à payer la TPS sur la juste valeur marchande du bâtiment le jour où les travaux sont achevés en grande partie et le jour où la possession de l’appartement est transférée à une personne aux termes d’un bail, d’une licence d’un ou accord semblable, pour l’utiliser à titre résidentiel ou d’hébergement. Il s’ensuit que le fardeau fiscal de la TPS sur l’immeuble d’habitation locatif, qui équivaut à 7 % de la juste valeur marchande du bâtiment dont les travaux de construction sont achevés, est supporté entièrement par le constructeur.

 

Les faits

[17]           Les faits pertinents concernant le Kiwanis Care Centre à la date de l’achèvement des travaux, en mai 1998, ne sont pas contestés. Ils ont été établis soient au moyen d’admissions formelles ou par le témoignage non contredit du seul témoin qui a été entendu, Mme Shannon Trevor-Smith, une employée de la North Shore Health Region ayant beaucoup d’ancienneté. Voici comment je résume les faits en question.

 

[18]           Le Kiwanis Care Centre compte 180 chambres simples et six chambres doubles. Les chambres doubles sont mises à la disposition des personnes qui ont des liens de parenté, mais elles ne sont pas nécessairement offertes uniquement à ces personnes. Les chambres sont disposées en unités regroupées autour de postes de soins infirmiers qui ressemblent à une infirmerie d’hôpital et qui sont utilisées de la même façon.

 

[19]           Les chambres sont équipées de lits d’hôpital et d’un ameublement rudimentaire. Chaque chambre est dotée d’une salle de bain dans laquelle se trouve un lavabo et une toilette et chacune est équipée de barres d’appui spéciales et d’autres dispositifs de sécurité. De l’oxygène est disponible dans les chambres, soit directement à partir d’un dispositif d’approvisionnement central ou dans des bombonnes que l’on peut facilement se procurer partout dans l’établissement. Les photographies versées au dossier montrent que les chambres ressemblent à des chambres d’hôpital. Ainsi, les lits des chambres doubles sont ceinturés de rideaux.

 

[20]           Les occupants des chambres faisant partie de la même unité partagent la même salle de bain. Les salles de bain sont équipées de barres d’appui et d’autres dispositifs de sécurité.

 

[21]           Les premières personnes qui ont été admises au Kiwanis Care Centre à son ouverture, en mai 1998, provenaient de deux autres établissements exploités par North Shore Health Region qui avaient d’abord été des résidences-services et qui étaient devenus des installations offrant des soins de santé au fur et à mesure que les besoins des occupants grandissaient. À l’instar de celles qui ont été admises par la suite, ces premières personnes étaient avancées en âge et elles souffraient d’une ou de plusieurs déficiences physiques ou intellectuelles qui les empêchaient de vivre de façon autonome au sein de la population. Elles avaient besoin de soins personnels et médicaux et de surveillance à des degrés divers, mais pas du degré relativement élevé de soins médicaux habituellement offerts par les hôpitaux de soins de courte durée.

 

[22]           Les occupants du Kiwanis Care Centre sont divisés en trois catégories sur le plan administratif. Ceux du premier groupe sont mobiles mais ils ont besoin d’un peu d’aide pour leurs activités courantes, telles que se nourrir et se laver. Ils sont atteints de diverses déficiences physiques ou intellectuelles mais ils sont stables sur le plan médical. Ceux du deuxième groupe ont une mobilité plus réduite ou ont un problème de santé chronique qui exige la supervision d’un médecin. Certaines des personnes du deuxième groupe souffrent d’une ou de plusieurs maladies psychiatriques ou psychologiques qui exigent une surveillance fréquente. Le troisième groupe, connu sous le nom de groupe des personnes bénéficiant de soins prolongés, est composé de personnes ayant de multiples diagnostics de maladies, y compris de maladies cardiaques ou pulmonaires, et qui ont une mobilité réduite et ont besoin de surveillance 24 heures par jour.

 

[23]           On ne peut obtenir son admission au Kiwanis Care Centre simplement en en faisant la demande. Les candidats font l’objet d’une évaluation assez poussée par un médecin et un travailleur social. L’évaluation vise à s’assurer que le candidat a effectivement besoin des soins offerts par le Kiwanis Care Center. Une fois admis, chaque pensionnaire se voit facturer des frais mensuels calculés en fonction de sa capacité de payer. Ces frais varient de 750 $ à 1 500 $ par mois, et ils sont payables par débit direct du compte bancaire du pensionnaire. Les frais d’exploitation sont subventionnés par le gouvernement provincial.

 

[24]           Une fois admis, le pensionnaire se voit assigner une chambre. On ne sait pas avec certitude à quel degré d’intimité l’occupant d’une chambre en est droit de s’attendre, bien qu’il semble que la seule personne qui soit autorisée à occuper une chambre est celle à qui elle a été attribuée. L’affectation des chambres peut toutefois être modifiée si le personnel estime que les besoins de l’occupant ont changé. Ainsi, le pensionnaire qui avait besoin au départ du degré de soins le plus faible peut être redirigé vers une unité conçue pour les personnes nécessitant des soins plus intensifs. Ces réaffectations sont habituellement faites à l’initiative du personnel. Le dossier ne révèle pas si le consentement de l’intéressé est demandé ou exigé.

 

[25]           Les personnes qui sont admises au Kiwanis Care Centre reçoivent les soins médicaux et les services intensifs adaptés à leur état physique et mental. Leurs repas leur sont préparés et servis. Les soins médicaux dont ils ont besoin sont fournis par un personnel infirmier à temps plein. Les infirmières administrent les médicaments prescrits par le médecin traitant, y compris des médicaments administrés par voie intraveineuse, et elles s’occupent des urgences et des besoins médicaux courants au fur et à mesure des besoins. Des diagrammes qui ressemblent à ceux qui sont utilisés dans les hôpitaux sont tenus pour chaque patient. Au besoin, le Kiwanis Care Centre offrent des soins palliatifs qui sont identiques à ceux qu’offre un hôpital de soins de courte durée.

 

[26]           Le Kiwanis Care Centre ne compte pas de médecin au sein de son personnel. Il n’admet que les candidats qui ont un médecin personnel qui est prêt à les traiter au Kiwanis Care Centre. Un gériatre fait une tournée deux fois par mois, et les patients peuvent consulter au besoin un dentiste, un optométriste ou un podiatre à des tarifs que le Kiwanis Care Centre négocie pour eux.

 

[27]           Le Kiwanis Care Centre a pris plusieurs mesures pour créer le climat le plus familial possible. Les pensionnaires peuvent, une fois admis, garder un fauteuil ou un petit meuble avec l’approbation du personnel, ainsi que des articles personnels tels que des photos, des décorations, des couvertures ou des couvre-lits. Ils peuvent s’abonner à leurs frais au téléphone et à des services de câblodistribution. Ils peuvent exposer des objets personnels dans une étagère en verre située près de la porte de la chambre. Les médicaments sur ordonnance ne sont cependant pas conservés dans les chambres, mais à l’infirmerie.

 

[28]           Les personnes admises au Kiwanis Care Centre ont accès à une bibliothèque, à une salle de réception pour les réunions familiales et autres réunions mondaines et à une confiserie. Il y a aussi un service de réadaptation. Il n’y a pas de pharmacie. Les ordonnances sont exécutées par une pharmacie locale et sont livrées au Kiwanis Care Centre, où une infirmière vérifie les livraisons.

 

[29]           En 2004, environ le quart des premières personnes qui avaient été admises au Kiwanis Care Centre en mai 1998 y vivaient encore. Les autres étaient décédées. On s’attend à ce que la plupart des personnes qui sont admises au Kiwanis Care Centre y finissent leurs jours.

 

[30]           Le Kiwanis Care Centre est régi par les lois de la Colombie-Britannique se rapportant aux soins de santé et non par celles relatives à la location à usage d’habitation. Il est financé et réglementé par le ministère de la Santé. Il est considéré comme un « hôpital » au sens de la Hospital Act R.S.B.C. 1979, ch. 180, mais uniquement pour les fins relatives à certaines formes de financement. Il n’offre pas de soins d’urgence ou de soins de courte durée comme ceux dont on pourrait s’attendre de la part d’un hôpital général habituel.

 

[31]           Alors qu’il analysait une question qui n’est pas pertinente dans le cadre du présent appel, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que le Kiwanis Care Centre n’est pas un « hôpital » au sens courant de ce terme parce que le degré de soins médicaux qui sont offerts n’est pas suffisamment complexe. Sa Majesté s’est fondée sur cette conclusion pour appuyer sa thèse que le Kiwanis Care Centre devrait être d’abord considéré comme un établissement d’hébergement. À mon avis, cet argument est mal fondé. Le Kiwanis Care Centre ressemble à un hôpital et, à de nombreux égards, il fonctionne comme un hôpital. Les services les plus importants qu’il offre, les services qui constituent sa raison d’être, sont les services médicaux fournis par des professionnels de la santé. Il n’y a aucun doute que l’on peut légitimement qualifier le Kiwanis Care Centre d’établissement médical.

 

[32]           Il est également vrai, en un certain sens, que les personnes qui sont admises au Kiwanis Care Centre y vivent. Il est toutefois difficile d’imaginer que quiconque songerait à y habiter si les services médicaux qui y sont offerts n’existaient pas. Et on ne peut obtenir ces services médicaux qu’une fois admis.

 

Chevauchement de définitions

 

[33]           Il est acquis aux débats que le Kiwanis Care Centre répond à la définition que la loi donne de l’expression « établissement de santé » à la partie II de l’annexe V. La thèse de Sa Majesté est que le Kiwanis Care Centre répond aussi à la définition d’« immeuble d’habitation à logements multiples » que l’on trouve à la partie I de l’annexe V, et qu’au moment des faits, la règle sur la fourniture à soi-même s’appliquait également. North Shore Health Region ne prétend pas que les définitions des expressions « établissement de santé » et « immeuble d’habitation à logements multiples » s’excluent l’une l’autre ou qu’il est impossible en droit qu’un établissement réponde à la fois aux deux définitions. Son argumentation est plutôt axée sur certaines conditions dont la loi assortit l’application de la règle sur la fourniture à soi-même.

 

Analyse

[34]           North Shore Health Region soutient que la règle sur la fourniture à soi-même que l’on trouve au paragraphe 191(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne s’applique pas, parce que les conditions prévues au sous-alinéa 191(3)b)(i) ne sont pas réunies. Cet argument est fondé sur trois propositions, que je résume comme suit :

a)                  L’occupant d’une chambre au Kiwanis Care Centre ne l’occupe pas à des fins résidentielles.

b)                  L’accord aux termes duquel une personne occupe une chambre au Kiwanis Care Centre n’est pas un « bail, licence ou accord semblable » au sens du sous‑alinéa 191(3)b)(i).

c)                  La « possession » de la chambre du Kiwanis Care Center n’est pas « transférée » à l’occupant au sens du sous-alinéa 191(3)b)(i).

 

[35]           Cet argument reprend les éléments que l’on trouve au sous-alinéa 191(3)b)(i) de la Loi sur la taxe d’accise. Le paragraphe 191(3) a déjà été cité, mais je tiens à reproduire ici le sous‑alinéa191(3)b)(i) par souci de commodité (passages non soulignés dans l’original) :

b) le constructeur, selon le cas :

(b) the builder of the complex

(i) transfère à une personne, qui n’est pas l’acheteur en vertu du contrat de vente visant l’immeuble, la possession d’une habitation de celui-ci aux termes d’un bail, d’une licence ou d’un accord semblable conclu en vue de l’occupation de l’habitation à titre résidentiel, […]

 

(i) gives, to a particular person who is not a purchaser under an agreement of purchase and sale of the complex, possession of any residential unit in the complex under a lease, licence or similar arrangement entered into for the purpose of the occupancy of the unit by an individual as a place of residence, […]

 

 

[36]           Le juge de la Cour de l’impôt a mentionné le sous-alinéa 191(3)b)(i) mais ne l’a pas analysé. Il a plutôt examiné les définitions légales précitées et, se fondant sur sa compréhension de ces définitions, a conclu que la règle sur la fourniture à soi-même s’appliquait. Son analyse repose notamment sur les éléments suivant de la définition du terme « habitation » (non souligné dans l’original) :

« habitation »

[…] chambre d’hôtel, de motel, d’auberge ou de pension, chambre dans une résidence d’étudiants, d’aînés, de personnes handicapées ou d’autres particuliers ou tout gîte semblable, ou toute partie de ceux-ci, qui est, selon le cas :

a) occupée à titre résidentiel ou d’hébergement;

b) fournie par bail, licence ou accord semblable, pour être utilisée à titre résidentiel ou d’hébergement […].

"residential unit" means […]

(b) a suite or room in a hotel, a motel, an inn, a boarding house or a lodging house or in a residence for students, seniors, individuals with a disability or other individuals, or

(c) any other similar premises,

or that part thereof that

(d) is occupied by an individual as a place of residence or lodging,

(e) is supplied by way of lease, licence or similar arrangement for the occupancy thereof as a place of residence or lodging for individuals […]

 

 

 

[37]           Il explique comme suit son raisonnement aux paragraphes 13 et 14 de ses motifs (renvois omis) :

[traduction]

 

[13] La véritable question à laquelle il faut répondre en ce qui concerne cet aspect de l’appel est en conséquence celle de savoir si [North Shore Health Region] transfère la possession de la chambre aux patients aux termes d’un bail, d’une licence ou d’un accord semblable, pour qu’ils l’utilisent à titre résidentiel ou d’hébergement. Il n’y a pas de bail dans le cas qui nous occupe. Il n’est pas nécessaire de répondre à la question de savoir si les patients ont une licence ou quelque chose de moindre qui leur permet d’occuper leur chambre. Il est évident qu’en employant les mots « bail, licence ou accord semblable, pour être utilisée à titre résidentiel ou d’hébergement […] », le législateur fédéral entendait viser tout mécanisme légitime en vertu duquel une personne pourrait, sur permission, élire domicile dans les locaux en question. Que l’on considère la version anglaise ou la version française de la Loi, il est difficile d’imaginer quelle formulation plus large le législateur aurait pu employer pour décrire une situation dans laquelle une personne est, avec l’accord du propriétaire, autorisée à élire domicile à un endroit déterminé. Si l’entente dont il s’agit en l’espèce n’est pas une licence, elle est certainement un « accord semblable ».

 

[14] Il n’est pas non plus possible de conclure que les chambres du [Kiwanis Care] Centre ne sont pas occupées par les patients à titre résidentiel. Ils vivent, mangent et dorment au [Kiwanis Care] à temps plein; ils partagent certaines installations communes en-dehors des limites de leur chambre; ils y reçoivent leur courrier et, s’ils le désirent, leur journal; ils peuvent y organiser des rencontres familiales. Enfin, il n’y a rien qui permette de penser qu’ils prévoient plus tard aller vivre ailleurs. Conclure que les patients n’habitent pas au  [Kiwanis Care] à titre résidentiel reviendrait à conclure qu’ils n’ont pas de domicile fixe, ce qui est de toute évidence erroné. Certaines parties du bâtiment qui sont occupées par les patients constituent à mon avis des « habitations » au sens de la définition précitée, et le [Kiwanis Care] Centre répond aussi à la définition d’« immeuble d’habitation à logements multiples ». Il s’ensuit que lorsque la seconde des deux conditions a été remplie, c’est-à-dire lorsque les travaux de construction achevés en grande partie et que le premier patient y a été admis, il y a eu une fourniture réputée de l’immeuble par [North Shore Health Region] à [North Shore Health Region] et [North Shore Health Region] a été réputée avoir payé, et avoir perçu, une taxe calculée au taux de 7 % de la juste valeur marchande de l’immeuble.

 

[38]           Comme il axait son raisonnement sur les définitions prévues par la Loi, le juge de la Cour canadienne de l’impôt ne s’est pas expressément demandé si les conditions prévues au sous-alinéa 191(3)b)(i) de la Loi étaient respectées. À mon avis, cette omission a conduit le juge de la Cour de l’impôt à interpréter de façon erronée la règle sur la fourniture à soi-même et à tirer une conclusion erronée au sujet de son applicabilité. Plus précisément, le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en ne tenant pas compte du sens du mot « possession », qui figure au sous-alinéa 191(3)b)(i) mais qui n’apparaît pas dans les définitions tirées de la Loi sur lesquelles son analyse était fondée.

 

[39]           Le sous-alinéa 191(3)b)(i) doit être lu dans son contexte global, en prenant en considération le sens ordinaire et grammatical des mots, ainsi que l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur (voir, par exemple,  AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 2 R.C.S. 560, au paragraphe 26; Canada Trustco Mortgage Co. c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10; Driedger, Elmer A., Construction of Statutes (2e éd., Toronto, Butterworths, 1983) à la page 87). Dans le cas qui nous occupe, l’objet du sous‑alinéa 191(3)b)(i) et l’intention qu’avait le législateur en l’édictant doivent être discernés en se fondant sur le libellé de la loi et sur les extraits pertinents du régime législatif où on les trouve et que nous avons déjà résumés. Il n’existe pas de jurisprudence pour nous guider.

 

[40]           North Shore Health Region soutient que le droit d’occupation conféré à l’occupant d’une chambre au Kiwanis Care Centre n’est pas différent du droit d’occupation attribué au patient dans une chambre d’hôpital, droit qui n’emporte pas « possession » de la chambre. À mon avis, cette comparaison factuelle se tient. On trouve dans l’extrait suivant du témoignage de Mme Trevor-Smith les principaux éléments de preuve cités par North Shore Health Region sur ce point :

[traduction]

Q.  Ainsi, lorsqu’un résident est admis, à partir du moment de son admission jusqu’à celui où il quitte l’établissement, vraisemblablement à son décès, est‑ce qu’il demeure dans la même chambre tout ce temps?

A.  Si nous le pouvons, oui, et dans le cas des patients ayant besoin de soins prolongés, oui dans tous les cas sans exception. Il nous arrive cependant de les faire changer de chambre lorsque leurs besoins changent, lorsque leurs besoins médicaux changent. Nous transférons alors le patient dans le secteur ou le programme le mieux adapté pour répondre à ses besoins en matière de soins.

 

[41]           Si j’ai bien compris ce témoignage, North Shore Health Region, par l’intermédiaire de ses représentants travaillant au Kiwanis Care Centre, a le droit de déplacer une personne d’une chambre à l’autre, et elle exerce ce droit au besoin pour tenir compte des changements dans le degré de soins requis. La question qui se pose alors est celle de savoir si ce mode d’occupation peut être qualifié de « possession » au sens du sous-alinéa 191(3)b)(i) de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[42]           Le mot « possession » n’a pas de sens juridique fixe (Bruce Ziff, Principles of Property Law, 4e éd. (Toronto, Thomson Carswell, 2006), aux pages 117 et 118). Toutefois, lorsqu’il est employé dans un contexte juridique, le terme « possession » se caractérise en règle générale par des notions de maîtrise et d’exclusivité :

[traduction]

1.         Pouvoir de fait exercé sur une chose; maîtrise effective manifestée sur la chose possédée.

2.         Droit en vertu duquel une personne exerce un contrôle sur une chose à l’exclusion de toute autre personne; revendication continue de l’usage exclusif d’un objet matériel.

Black’s Law Dictionary, 8e éd.

[traduction] Le mot « possession » est ambigu et ses acceptions juridiques ne coïncident pas avec le sens qu’on attribue couramment à ce terme […]

Par « possession », on peut entendre la possession légale, c’est-à-dire une possession qui est reconnue par la loi et qui est protégée à ce titre. Les éléments qui caractérisent normalement la possession légale sont l’intention de posséder une chose avec le degré d’occupation ou de contrôle sur la totalité de la chose dont celle-ci est capable en pratique et qui est suffisant, à toutes fins utiles, pour empêcher toute entrave de la part de tiers.

Halsbury’s Laws of England (4e édition)

Réédition, volume 35, page 732

 

[43]           Comme Sa Majesté le signale, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas conclu que la personne qui se voit assigner une chambre au Kiwanis Care Centre bénéficie de l’« occupation privée exclusive » de cette chambre, et qu’elle a en conséquence la « possession » de cette chambre. On voit d’ailleurs difficilement comment le juge aurait pu en arriver à une telle conclusion en se fondant sur un dossier si ténu sur la question des attentes en matière de vie privée au Kiwanis Care Centre. Au lieu de cela, le juge de la Cour de l’impôt a fait fi du mot « possession » au sous‑alinéa 191(3)b)(i) ou il a présumé, sans le dire explicitement, que le seul fait de se voir attribuer une chambre et de l’occuper effectivement suffisait pour établir le degré requis de possession.

 

[44]           À mon avis, dans le contexte du sous-alinéa 191(3)b)(i) de la Loi sur la taxe d’accise, le mot « possession » s’entend du droit de possession qui est équivalent ou analogue au droit de possession dont jouit normalement, par exemple, le locataire d’un appartement résidentiel, ce qui laisserait entrevoir, de manière générale, un droit à l’usage et à la jouissance exclusifs d’un appartement déterminé pour une période de temps défini à titre résidentiel, un droit auquel on ne peut faire échec durant la période prévue sauf en cas de violation, par le locataire, des modalités de son bail. À mon avis, le droit d’occupation de la personne admise au Kiwanis Care Centre diffère sensiblement, sous un aspect essentiel, du droit d’occupation dont jouit normalement le locataire résidentiel.

 

[45]           Suivant la preuve, la personne qui est admise au Kiwanis Care Centre a le droit de se voir assigner une chambre, mais pas une chambre en particulier. De plus, l’affectation des chambres peut être modifiée à son gré par North Shore Health Region. J’accepte que la North Shore Health Region a pour politique de ne procéder à ce changement que lorsque l’état physique ou mental de l’intéressé l’exige. J’accepte aussi que les personnes qui sont admises au Kiwanis Care Centre sont au courant de cette politique et qu’on peut présumer qu’elles l’ont acceptée. Quoi qu’il en soit, seule North Shore Health Region a le droit de déterminer l’affectation et l’usage d’une chambre en particulier et peut exercer ce droit à l’occasion. Si le droit du pensionnaire d’occuper une chambre déterminée relève entièrement du pouvoir discrétionnaire de North Shore Health Region, j’estime que ce pensionnaire n’a pas un droit de « possession » au sens où ce terme est normalement employé dans le contexte de l’occupation d’un lieu résidentiel.

 

[46]           Je conclus que le mode d’occupation de la personne qui est admise au Kiwanis Care Centre ne constitue pas une « possession » au sens du sous-alinéa 191(3)b)(i) de la Loi sur la taxe d’accise. Il s’ensuit que les conditions d’application de la règle sur la fourniture à soi-même n’étaient pas remplies en mai 1998 lorsque les travaux de construction du Kiwanis Care Centre étaient achevés en grande partie et que les premiers pensionnaires y ont été admis.

 

[47]           Je n’ai pas ignoré les parties de la définition du mot « habitation » (précitée) qui visent des locaux résidentiels qui peuvent être fort différents des appartements que l’on retrouve dans un immeuble résidentiel. Par « habitation », on entend notamment une maison individuelle, une maison jumelée ou une maison en rangée, une unité en copropriété, une maison mobile, une maison flottante, un appartement, une chambre d’hôtel, de motel, d’auberge ou de pension, une chambre dans une résidence d’étudiants, d’aînés, de personnes handicapées ou d’autres particuliers ou tout gîte semblable. La liste est longue et elle peut englober de nombreuses formes de logements subventionnés ou à vocation spéciale. Cependant, pour déterminer si la règle sur la fourniture à soi-même s’applique dans un cas particulier, il ne suffit pas de déterminer de quel type de logement il s’agit. Il faut aussi définir les droits d’occupation et, si ces droits n’emportent pas « possession », la règle sur la fourniture à soi-même ne peut s’appliquer.

 

Irrecevabilité

 

[48]           Au cours des travaux de construction du Kiwanis Care Centre (de 1996 à 1998), North Shore Health Region ou son prédécesseur a réclamé périodiquement des crédits de taxe sur les intrants sur la TPS payée sur les frais de construction. Elle a pris cette mesure pace que ses propres conseillers, qui avaient consulté l’administration fiscale, étaient d’avis qu’une fois que les travaux de construction du Kiwanis Care Centre seraient terminés et que le premier client serait admis, la règle sur la fourniture à soi-même s’appliquerait. Des crédits de taxe sur les intrants ont été remboursés à divers moments entre 1996 et 2000. Sa Majesté affirme que, si la règle sur la fourniture à soi-même ne s’applique pas, c’est par erreur que le crédit de taxe sur les intrants réclamé a été remboursé. Sa Majesté peut, dans un délai de prescription de trois ans, établir une cotisation pour récupérer les crédits de taxe sur les intrants remboursés par erreur.

 

[49]           Ainsi que nous l’avons déjà précisé, le Kiwanis Care Centre a ouvert en mai 1998, date où les premiers pensionnaires ont été admis. Toutefois, pour des raisons qui n’ont pas été expliquées, North Shore Health Region n’a pas agi en temps opportun pour produire la déclaration nécessaire pour donner effet à la règle sur la fourniture à soi-même. Elle a produit la déclaration en retard, en août 1999. À l’époque, les conseillers de North Shore Health Region croyaient toujours que la règle sur la fourniture à soi-même s’appliquait et la déclaration a été déposée sur ce fondement.

 

[50]           La déclaration produite tardivement a donné lieu, le 9 juillet 2001, à une cotisation qui donnait effet à la fois à la règle sur la fourniture à soi-même et au remboursement (réclamé à hauteur de 87 % et accordé à 50 %). Le retard qu’accusait l’établissement de la cotisation s’expliquait vraisemblablement par le débat entre l’administration fiscale et North Shore Health Region au sujet du taux exact de remboursement. Au cours de la période de délibérations, Sa Majesté est devenue irrecevable en vertu de la loi à entreprendre quelque démarche que ce soit pour récupérer le crédit de taxe sur les intrants qu’elle avait antérieurement remboursé à North Shore Health Region et qu’elle affirme maintenant lui avoir payé par erreur.

 

[51]           La cotisation du 9 juillet 2001 a fait l’objet d’un avis d’opposition qui a été déposé le 5 octobre 2001 et qui est à l’origine du présent appel. C’est dans cet avis d’opposition que North Shore Health Region a soutenu pour la première fois que la règle sur la fourniture à soi-même ne s’appliquait pas au Kiwanis Care Centre. Sa Majesté affirme que, parce qu’il était à ce moment-là trop tard pour pouvoir récupérer le crédit de taxe sur les intrants que le Kiwanis Care Centre avait réclamé et qui lui avait été accordé au motif que le Kiwanis Care Centre serait assujetti à la règle sur la fourniture à soi-même, North Shore Health Region serait irrecevable à prétendre, dans le présent appel, que la règle sur la fourniture à soi-même ne s’appliquait pas. Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas estimé nécessaire de traiter de cette question parce qu’il avait conclu que la règle sur la fourniture à soi-même s’appliquait.

 

[52]           En principe, Sa Majesté peut invoquer la doctrine de l’irrecevabilité dans le cadre d’un appel  en matière fiscale si le contribuable interjette appel d’une cotisation qui est fondée en tout ou en partie sur une présentation erronée des faits dans une déclaration ou dans une autre communication faite par le contribuable ou en son nom et sur laquelle le fisc s’est fié au détriment de Sa Majesté. L’expiration du délai de prescription prévu par la loi peut constituer un facteur pertinent en ce qui concerne la question du détriment.

 

[53]           En l’espèce, la thèse des parties ne repose pas sur un différend quant aux faits, mais sur un différend quant à une question d’interprétation législative, en l’occurrence le champ d’application du sous-alinéa 191(3)b)(i) de la Loi sur la taxe d’accise. D’ailleurs, dans ses actes de procédure, Sa Majesté n’accuse pas la partie adverse de présentation erronée des faits. Mon examen du dossier ne révèle aucune présentation erronée des faits de la part de North Shore Health Region ou de son prédécesseur, ou de ses conseillers. Je conclus qu’il ne s’agit pas d’un cas dans lequel la doctrine de l’irrecevabilité peut s’appliquer de manière à faire obstacle à l’argument sur lequel North Shore Health Region a fondé le présent appel.

 

Droit à un remboursement

 

[54]           Dans l’instance qui s’est déroulée devant la Cour de l’impôt, on a soulevé la question de savoir si North Shore Health Region répondait à la définition d’« administration hospitalière » au sens de la Loi (ce qui lui donnerait droit au remboursement de 87 % de la TPS payée sur les coûts de construction) ou à la définition d’« organisme de bienfaisance » prévue par la Loi (ce qui lui donnerait droit à un remboursement de 50 % de la TPS payée sur les coûts de construction). La Cour de l’impôt a convenu avec Sa Majesté que North Shore Health Region est un organisme de bienfaisance et non une administration hospitalière. Cette conclusion n’est pas contestée dans le présent appel. J’estime qu’il n’est pas nécessaire d’exprimer une opinion sur ce point.

 

 


Conclusion

[55]           Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler le jugement de la Cour canadienne de l’impôt et de renvoyer l’affaire au ministre pour qu’il la réexamine en conformité avec les présents motifs. Je suis d’avis d’adjuger à North Shore Health Region ses dépens tant devant notre Cour que devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je souscris à ces motifs. »

     A.M. Linden, j.c.a.

 

« Je souscris à ces motifs. »

     M. Nadon, j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 

 

 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-519-06

 

 

INTITULÉ :                                                   NORTH SHORE HEALTH REGION

                                                                        c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 8 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SHARLOW

 

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE LINDEN

                                                                        LE JUGE NADON

                                                                       

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 4 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Warren J.A. Mitchell, Q.C. 

Me Kimberley L.D. Cook

POUR L’APPELANTE

 

 

Me Ron D.F. Wilhelm 

Me Gavin Laird 

Me Selana Sit

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thorsteinssons, s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’APPELANTE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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