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Date : 20071205

Dossiers :  A-69-07

A-71-07

 

Référence : 2007 CAF 392

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LA MI'KMAQ CONFEDERACY OF PRINCE EDWARD ISLAND

appelants

et

JAMIE GALLANT, STEPHANIE STANGER

et SHELLEY LEWIS

intimées

 

 

 

 

Audience tenue à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), le 5 décembre 2007.

Jugement rendu à l’audience à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), le 5 décembre 2007.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                  LA JUGE DESJARDINS


Date : 20071205

Dossiers :  A-69-07

A-71-07

 

Référence : 2007 CAF 392

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LA MI'KMAQ CONFEDERACY OF PRINCE EDWARD ISLAND

appelants

et

JAMIE GALLANT, STEPHANIE STANGER

et SHELLEY LEWIS

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), le 5 décembre 2007)

 

LA JUGE DESJARDINS

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision d’un juge des requêtes de la Cour fédérale (Gallant c. Canada (Procureur général), 2007 C.F. 1), qui a conclu que la décision, prise le 1er avril 2005 par Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC ou le ministère), de conclure une entente sur le développement des ressources humaines autochtones (EDRHA ou l’entente) à l’Île-du-Prince-Édouard constituait une violation injustifiée des droits à l’égalité que la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) confère aux intimées du fait de leur statut d’Autochtones hors réserve de cette province. Le juge des requêtes a conclu qu’il était discriminatoire au sens de l’article 15 de la Charte que l’unique entente conclue avec l’organisation représentative des Autochtones hors réserve de l’Île-du-Prince-Édouard (la Mi’kmaq Confederacy) accordait l’avantage d’exercer un « contrôle communautaire » sur l’entente aux Autochtones vivant dans une réserve, mais pas aux Autochtones vivant hors réserve. Le juge des requêtes a conclu que la discrimination n’était pas justifiée au sens de l’article premier de la Charte.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, nous concluons qu’il était prématuré pour le juge des requêtes de tirer en l’espèce une conclusion de discrimination fondée sur l’article 15, car il n’y avait aucune preuve que les intimées avaient subi les désavantages qu’ils alléguaient. En outre, il a mal interprété l’allégation formulée par les intimées dans leur demande de contrôle judiciaire et, de ce fait, il a appliqué incorrectement la jurisprudence à laquelle il s’est reporté, soit la décision Misquadis (Misquadis et al. c. Procureur général du Canada, [2003] 2 C.F 350, [Misquadis], qui porte également le nom de Première nation algonquine d’Ardoch c. Canada (Procureur général)).

 

[3]               Les faits et les motifs de jugement du juge des requêtes figurent dans la décision publiée (Gallant c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1). Il suffit de dire, pour les fins qui nous occupent, que, le 1er avril 1999, le ministère a annoncé un programme (Stratégie) destiné à accroître les possibilités d’emploi des Autochtones. La phase I du programme a duré du 1er avril 1999 au 31 mars 2005. Le ministère a conclu des ententes avec des organisations autochtones du Canada tout entier.

 

[4]               Trois de ces ententes ont été conclues avec des organisations autochtones de

l’Île-du-Prince-Édouard au cours de la phase I : la Première nation Abegweit, la Première nation de Lennox Island et le Native Council of PEI (Native Council) . La Première nation d’Abegweit et la Première nation de Lennox Island sont les deux seules « bandes » indiennes de l’Île-du-Prince-Édouard, au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5. Le Native Council est une organisation à but non lucratif qui assure la défense des Autochtones vivant hors réserve à l’Île-du-Prince-Édouard.

 

[5]               La phase II du programme a débuté le 1er avril 2005. Le ministère a décidé qu’il ne devait y avoir qu’une seule entente pour l’Île-du-Prince-Édouard. Cette décision était dictée par des questions d’économies d’échelle ainsi que les difficultés qu’avait eues auparavant le Native Council à répondre aux exigences de l’EDRHA (motifs de jugement du juge des requêtes, paragraphe 73). Après maintes consultations, le ministère a suggéré que le Native Council et la Mi’kmaq Confederacy, formée des chefs et des conseils des deux bandes indiennes, soumettent leurs propres propositions. Le Native Council a refusé de le faire, disant qu’il n’était pas mandaté pour représenter les Autochtones vivant dans une réserve. Le 1er avril 2005, ou aux environs de cette date, le ministère a signé une entente avec la Mi’kmaq Confederacy, faisant de cette dernière le seul titulaire de programme à l’Île-du-Prince-Édouard. C’est cette décision qui a été soumise au contrôle du juge des requêtes.

 

[6]               Dans leur demande de contrôle judiciaire, les intimées sollicitaient les redressements suivants :

[traduction]

 

a)   « une ordonnance annulant la décision de RHDCC; et

 

b)      une déclaration portant que les EDRHA doivent assurer la distribution juste et équitable des fonds destinés aux programmes de ressources humaines à tous les Autochtones de l’Île-du-Prince-Édouard, y compris les Autochtones non inscrits et ceux qui vivent hors réserve; ou

 

c)      subsidiairement, une ordonnance obligeant RHDCC à conclure une autre EDRHA, sinon plusieurs, pour assurer la distribution juste et équitable des fonds destinés aux programmes de ressources humaines à tous les Autochtones de

l’Île-du-Prince-Édouard, y compris les Autochtones non inscrits et ceux qui vivent hors réserve; ou

 

d)      subsidiairement encore, une ordonnance obligeant RHDCC à modifier les clauses de l’EDRHA avec la MCPEI pour assurer la distribution juste et équitable des fonds destinés aux programmes de ressources humaines à tous les Autochtones de l’Île-du-Prince-Édouard, y compris les Autochtones non inscrits et ceux qui vivent hors réserve. »

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[7]               Les intimées n’ont toutefois présenté aucune preuve permettant d’établir que les fonds prévus par l’EDRHA et sous la responsabilité de la Mi’kmaq Confederacy n’ont pas été distribués de manière juste et équitable à l’Île-du-Prince-Édouard aux Autochtones, y compris ceux vivant hors réserve. La procédure de contrôle judiciaire a été engagée avant que l’EDRHA conclue avec la Mi’kmaq Confederacy soit pleinement en vigueur.

 

[8]               Les intimées sollicitent donc un redressement pour un différend qui n’existe pas. Il est possible que ce dernier n’existe jamais car l’entente rend tous les Autochtones de

l’Île-du-Prince-Édouard admissibles au programme, et des comités consultatifs ont été établis pour qu’il y ait des rapports entre les bénéficiaires, la titulaire de l’ERDHA et le ministère. L’allégation des intimées fondée sur la Charte était prématurée. Le juge des requêtes a commis une erreur manifeste et dominante en faisant abstraction de cette absence de preuve.

 

[9]               Cela dit, le « contrôle communautaire » qui, selon le juge des requêtes, est un avantage dont les intimées étaient privées est en fait créé par la Loi sur les Indiens par application du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 et 31 Vict., ch. 3, réimprimée dans L.R.C. 1985, App. II, no 5, et par suite des relations historiques entre la Couronne et les Indiens. Ce contrôle n’a aucun rapport avec l’allégation des intimées concernant une [traduction] « distribution juste et équitable des fonds ».

 

[10]           Fait digne de mention, le juge des requêtes n’a eu aucune difficulté à conclure que la décision d’attribuer l’unique EDRHA à la Mi’kmaq Confederacy n’avait pas eu pour effet d’empêcher les Autochtones vivant hors réserve d’avoir accès à des fonds prévus par l’entente (voir les motifs de jugement du juge des requêtes, au paragraphe 48). Il a toutefois exprimé l’avis que ce n’était pas la thèse avancée par les intimées. « Comme dans Misquadis », écrit-il, au paragraphe 48 de ses motifs, « les demanderesses allèguent être victimes de discrimination du fait que les deux groupes sont traités différemment, puisque la décision contestée donne à la population vivant dans des réserves la possibilité d’exercer un [traduction] « contrôle communautaire » sur la titulaire de l’EDRHA, ainsi que les moyens d’assurer la reddition de comptes quant à la réalisation de la Stratégie, parce qu’elle a le droit d’élire ses conseils et ses chefs, lesquels contrôlent la titulaire de l’EDRHA ».

 

[11]           Par ailleurs, au paragraphe 63 de ses motifs, le juge des requêtes a mal interprété la demande qui lui était soumise lorsqu’il a déclaré ce qui suit :

Comme l’allégation est fondée sur le contrôle communautaire de la titulaire de l’EDRHA et non sur l’accès aux fonds prévus par cette entente, les besoins des demanderesses dont la Cour doit tenir compte à cette étape-ci s’entendent du besoin de la communauté hors réserve d’exercer un [traduction] « contrôle communautaire » sur la titulaire de l’EDRHA. Les demanderesses n’ont produit aucune preuve particulière démontrant qu’il s’agit effectivement d’un besoin de la communauté hors-réserve. Elles invoquent toutefois Misquadis […].

[Non souligné dans l’original.]

 

L’affaire dont le juge était saisi avait bel et bien trait à « l’accès aux fonds prévus par l’[EDRHA] » et non à un « contrôle communautaire ».

 

[12]           Nous concluons que le juge des requêtes a commis une erreur en fondant sa décision sur le fait que l’on avait établi devant lui les faits dont on a conclu à l’existence dans la décision Misquadis (Collins c. Canada, [2002] CAF 82, juge Sharlow, paragraphe 34). Non seulement le dossier n’établit-il pas l’existence de ces faits, mais la preuve mène à la conclusion opposée. Les besoins des intimées et les preuves qu’elles ont produites, dans la mesure où l’on peut dire qu’il y a eu production de preuves convaincantes, n’étaient pas axés sur le « contrôle communautaire » mais sur la « distribution juste et équitable des fonds ». Ce faisant, le juge des requêtes a commis une erreur de droit et il convient d’annuler sa décision.

 

[13]           L’appel sera accueilli avec dépens en faveur des appelants, et l’ordonnance datée du 3 janvier 2007 du juge des requêtes sera annulée.

 

 

 

« Alice Desjardins »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIERS :                                                             A-69-07

                                                                                   A-71-07

 

INTITULÉ :                                                             LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU

                                                                                  CANADA et LA MI'KMAQ

                                                                                  CONFEDERACY OF PRINCE EDWARD

                                                                                  ISLAND

                                                                                  c.

                                                                                  JAMIE GALLANT, STEPHANIE

                                                                                 STANGER et  SHELLEY LEWIS                                        

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                    CHARLOTTETOWN

                                                                                 (ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 5 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LA JUGE DESJARDINS

                                                                                  LE JUGE NOËL

                                                                                  LA JUGE TRUDEL

 

MOTIFS PRONONCÉS À L’AUDIENCE :       LA JUGE DESJARDINS

 

COMPARUTIONS :

Jonathan Tarlton

Susan Taylor

POUR L’APPELANT, LE
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Donald MacKenzie

POUR L’APPELANTE, LA
MI’KMAQ CONFEDERACY OF PEI

 

D. Bruce Clarke et Brian K. Awad

POUR LES INTIMÉES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’APPELANT, LE

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Conseiller juridique/Gouvernment de bande

Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)

 

POUR L’APPELANTE, LA

MI’KMAQ CONFEDERACY OF PEI

 

Burchell Hayman Parish

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LES INTIMÉES

 

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