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Date : 20071003

Dossier : A-409-06

Référence : 2007 CAF 315

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON              

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

 

LEONID IVANOV

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 1er octobre 2007

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 3 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LES JUGES NADON

                                                                                                                                  ET SHARLOW

 

 


Date : 20071003

Dossier : A-409-06

Référence : 2007 CAF 315

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON              

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

 

LEONID IVANOV

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

[1]               Le présent appel porte sur la question de savoir si la Cour fédérale a conclu à bon droit que la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est tenue de prendre en compte tous les facteurs pertinents soulevés dans la preuve du demandeur alors que ce dernier n’a pas mentionné ni fait valoir ces facteurs dans ses observations comme motif pour surseoir à la mesure d’expulsion. Je conclurais que la SAI a une telle obligation et je rejetterais l’appel.

 

[2]               Il s’agit d’un appel de la décision du juge Kelen de la Cour fédérale dans l’affaire Leonid Ivanov c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1055. En première instance, Leonid Ivanov (l’intimé) avait présenté avec succès une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la SAI avait annulé l’ordre de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre lui qu’elle avait rendu en 2001, et rejeté l’appel que l’intimé avait interjeté en application du sous‑alinéa 74(3)b)(i) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2 (l’ancienne Loi), maintenant abrogée. Le juge Kelen a également certifié la question grave de portée générale qui suit :

La Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est‑elle tenue de prendre en compte tous les facteurs pertinents soulevés dans la preuve du demandeur alors que ce dernier n’a pas fait valoir certains de ces facteurs dans ses observations comme motif pour surseoir à la mesure d’expulsion?

 

[3]               Lorsqu’un résident permanent demande un sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion en vertu de l’alinéa 70(1)b) de l’ancienne Loi, la SAI doit décider si, « eu égard aux circonstances particulières de l'espèce », le demandeur ne devrait pas être renvoyé du Canada. Dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, la Cour suprême du Canada a confirmé que les facteurs à prendre en compte sont ceux que l’on désigne parfois sous le nom de « facteurs énoncés dans Ribic », suivant la décision de la SAI dans l’affaire Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 D.S.A.I. no 4 (QL). Les facteurs énoncés dans Ribic sont les suivants :

·        la gravité de l'infraction ou des infractions à l'origine de l'expulsion et la possibilité de réadaptation;

·        les circonstances du manquement aux conditions d'admissibilité, qui est à l'origine de la mesure;

·        la période passée au Canada et le degré d'établissement du demandeur au Canada;

·        la famille qu’il a au pays et les bouleversements que l’expulsion du demandeur occasionnerait pour cette famille;

·        le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité;

·        l'importance des difficultés que causerait au demandeur le retour dans son pays de nationalité (ce facteur est parfois appelé celui des « difficultés à l’étranger »).

Les facteurs énoncés dans Ribic font ressortir les circonstances que la SAI devrait prendre en compte lorsqu’elle entend un appel interjeté en vertu de l’alinéa 70(1)b), mais ces facteurs ne sont pas exhaustifs : arrêt Chieu, précité, au paragraphe 40.

 

[4]               Dans l’arrêt Chieu, la Cour suprême a aussi clairement indiqué que la SAI est autorisée à tenir compte des difficultés possibles à l’étranger en vertu de l’alinéa 70(1)b) de l’ancienne Loi, lorsque, comme en l’espèce, un pays de destination probable a été établi par le résident permanent frappé de renvoi. Étant donné que les motifs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Chieu n’ont été publiés qu’en 2002, à l’audience tenue en 2001, lors de laquelle l’intimé avait initialement obtenu un sursis, la SAI ne s’était pas penchée sur la question des difficultés à l’étranger et, selon l’état de la jurisprudence à cette époque, elle n’était pas tenue de le faire. Cependant, la décision de la SAI qui est visée par le présent appel a été rendue après l’arrêt Chieu.

 

[5]               La Cour doit répondre à la question préliminaire de savoir si les facteurs énoncés dans Ribic s’appliquent à l’annulation d’un sursis en vertu de l’alinéa 74(3)b) de l’ancienne Loi qui ne mentionne nullement l’obligation de rendre une décision « eu égard aux circonstances particulières de l’espèce ». Il me semble que les pratiques établies de la SAI et de la Cour fédérale permettent de répondre affirmativement à cette question. Voir, par exemple, Beaumont c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002) 25 Imm. L.R. (3d) 189 (C.F. 1re inst.), et Burgess c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1302 (C.F. 1re inst.), par le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) aux paragraphes 16 à 19. Je ne vois aucune raison de modifier les pratiques de la SAI et de la Cour fédérale à cet égard.

 

[6]               Je vais maintenant aborder la question certifiée, c’est-à-dire celle de savoir si la SAI est tenue de prendre en compte la preuve relative aux facteurs énoncés dans Ribic que le demandeur n’a pas fait valoir dans ses observations. L’appelant fait référence à deux arrêts de la Cour :  Owusu c. Canada (M.C.I.), [2004] 2 C.F. 635, 2004 CAF 38, et Ranganathan c. Canada (M.C.I.), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.). Ni l’un ni l’autre de ces arrêts n’est pertinent dans le cadre du présent appel.

 

[7]               Dans l’affaire Owusu, le demandeur avait reproché à l'agent d'immigration d'avoir omis de prendre en considération l'argument selon lequel s’il était forcé de retourner au Ghana il n'aurait aucun moyen de subvenir aux besoins pécuniaires de sa famille. Cependant, aucune preuve n'avait été fournie pour appuyer cette assertion. Ainsi, il s'agissait d'une situation opposée à celle dont la Cour est saisie dans la présente affaire : en l'espèce, la preuve existe mais aucun argument n'a été avancé. Dans l'affaire Owusu, un argument de droit avait été mis en avant, mais il n'était étayé par aucune preuve.

[8]               L’appelant fait aussi référence à l’arrêt Ranganathan, précité, à l’appui de sa prétention selon laquelle l’intimé ne pouvait pas considérer les difficultés à l’étranger comme un facteur important si celles-ci n’avaient pas été présentées comme tel à la SAI dans ses allégations. Ainsi, logiquement, la SAI n’aurait pas eu à tenir compte de ce facteur. Cependant, l’arrêt Ranganathan portait sur la possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Colombo dans le cadre d’une revendication de statut de réfugié. La question n’était pas de savoir si la Section du statut de réfugié avait tenu compte d’un facteur en particulier, mais plutôt de savoir si elle avait pris en compte un élément de preuve précis en ce qui concerne la PRI. Plus important encore, il y avait des faits établis qui contredisaient directement la preuve que la Commission avait omis de mentionner dans sa décision.

 

[9]               À mon avis, dès qu’il existe une preuve liée à un facteur énoncé dans Ribic, la SAI doit faire mention de ce facteur dans ses motifs, ce qui n’équivaut pas à l’obligation d’obtenir une preuve, comme l’appelant le soutient. Le fardeau d’établir les raisons pour lesquelles le sursis ne devrait pas être annulé repose sur le résident permanent faisant l’objet d’une mesure d’expulsion.

 

[10]           Si l’on applique ce raisonnement à la présente affaire, la SAI a omis de prendre en compte le facteur relatif aux difficultés à l’étranger. De plus, même si la preuve était mince, certains éléments de preuve ont été présentés relativement à cette question. La preuve pertinente est reproduite ci‑dessous :

[traduction]

CONSEIL :     D’accord.  Bon, je comprends cela. Cependant, je m’intéresse davantage aux conséquences directes. Comprenez-vous?  Je veux savoir ce qu’il adviendra des soins quotidiens que votre mère et votre grand-mère doivent recevoir si on vous expulse?

 

APPELANT :  Elles ne recevront aucun soin. Elles finiront probablement par en mourir, un point c’est tout. Personne ne sera là pour s’occuper d’elles. Pour être parfaitement honnête, vous savez, si vous décidez de m’expulser, faites-le donc – vous savez, je n’ai même plus envie de vivre. Je ne veux pas vraiment y penser.  Vous savez […]

 

CONSEIL :     Pourquoi?

 

APPELANT :  Si je devais être expulsé, à quoi bonje ne connais aucun autre pays. Ce pays est tout pour moi, j’ai vécu ici, j’ai grandi ici, les gens que j’aime se trouvent ici et je connais bien ce pays. Si je devais être expulsé, honnêtement, je crois que je n’aurais même plus envie de vivre.  Il n’y a aucun, aucun – il n’y a aucun autre pays pour moi.

[Non souligné dans l’original.] 

 

 

 

[11]           Le fait de ne pas avoir pris en compte le facteur énoncé dans Ribic relatif aux difficultés à l’étranger constitue une erreur de droit. Par conséquent, la décision de la SAI rendue le 10 novembre 2005 doit être annulée. L’affaire doit être renvoyée à la SAI pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur elle. Je ne vais pas aborder pas les autres motifs d’appel puisque cela n’est pas nécessaire.

 

[12]           Je répondrais par l’affirmative à la question certifiée et rejetterais l’appel.

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., trad.           


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-409-06

 

INTITULÉ :                                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                 

                                                                                                c.

                                                                                                LEONID IVANOV

                                                                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 1ER OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE SEXTON    

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LES JUGES NADON ET

                                                                                                SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 3 OCTOBRE 2007

 

COMPARUTIONS :

 

LORNE McCLENAGHAN

POUR L’APPELANT /

DEMANDEUR

 

RON POULTON

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, C.R.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR L’APPELANT /

DEMANDEUR

 

MAMANN ET ASSOCIÉS

TORONTO (ONTARIO)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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