Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20070919

Dossier : A-501-05

Référence : 2007 CAF 293

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

JACK (JOHN) A. BOLEN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 11 septembre 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE NADON

                                                                                                                     LE JUGE PELLETIER

 

 


Date : 20070919

Dossier : A-501-05

Référence : 2007 CAF 293

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

JACK (JOHN) A. BOLEN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel visant la décision de la Cour canadienne de l’impôt de refuser la déduction des frais juridiques demandée par l’appelant dans le calcul de son revenu pour ses années d’imposition 1999, 2000 et 2001, au motif que ces frais ont été engagés pour récupérer des immobilisations.

 

[2]               Les frais en question ont été engagés par l’appelant pour récupérer des concessions minières qui étaient retenues de manière irrégulière. Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant au motif que les frais juridiques pouvaient être déduits, mais uniquement à un taux annuel de 7 p. 100 applicable aux dépenses en capital admissibles. Le juge de la Cour de l’impôt a confirmé les nouvelles cotisations.

 

LES FAITS PERTINENTS

[3]               M. Bolen, un géologue, est titulaire d’un permis de prospecteur délivré en vertu de la Loi sur les mines, L.R.O. 1990, ch. M.14. Il gagne sa vie en tant que prospecteur titulaire d’un permis en jalonnant des concessions minières et en les louant (ce que le juge de la Cour de l’impôt et la Cour en l’espèce appellent de manière imprécise les « droits miniers »), ainsi qu’en les vendant à des compagnies minières pour de l’argent comptant et une autre contrepartie, souvent des actions de la compagnie acheteuse.

 

[4]               M. Bolen a transféré certains de ces droits miniers à Wallbridge Mining Company LTG et à Minescape Exploration Inc. (collectivement Wallbridge/Minescape), en échange de redevances et d’actions. Wallbridge/Minescape a ensuite manqué à ses obligations envers M. Bolen et ce dernier a intenté une poursuite pour récupérer les droits miniers.

 

[5]               L’appelant a engagé, pour cette poursuite, des frais juridiques de 19 458 $, de 25 599 $ et de 45 231 $ pour les années d’imposition 1999, 2000 et 2001 respectivement.

 

[6]               L’action a finalement été réglée et l’appelant a récupéré ses droits miniers en contrepartie de la remise des actions qu’il avait obtenues en échange. M. Bolen a ensuite transféré ses droits miniers à une autre compagnie minière.

[7]               Dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition en cause, l’appelant a déduit le plein montant des frais juridiques engagés relativement à sa poursuite contre Wallbridge/Minescape.

 

[8]               Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant au motif que les dépenses réclamées étaient des dépenses en capital admissibles au sens du paragraphe 14(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi). Les dépenses en capital admissibles sont des dépenses en capital qui peuvent exceptionnellement être déduites dans le calcul du revenu à un taux maximal de 7 p. 100 par année (alinéa 20(1)b) de la Loi).

 

[9]               En appel, le juge de la Cour de l’impôt a confirmé les nouvelles cotisations établies par le ministre. M. Bolen interjette maintenant appel de cette décision à la Cour d’appel fédérale.

 

LA DÉCISION DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

[10]           Le juge de la Cour de l’impôt a reconnu que les activités commerciales de M. Bolen consistaient à jalonner des concessions minières (ce qu’il a appelé, comme il a été mentionné précédemment, des droits miniers) et à les transférer ensuite à des compagnies minières en échange de redevances et d’actions. Il a aussi conclu que les frais juridiques avaient été engagés pour récupérer ces concessions. Il a cependant déclaré qu’il avait obtenu une immobilisation par suite de la poursuite.

 

[11]           Le juge de la Cour de l’impôt a cité plusieurs passages de Farmers Mutual Petroleums Ltd. c. Canada, [1968] R.C.S. 59 (Farmers), et de Sunshine Mining Co. c. Canada, [1975] C.F. 415 (Sunshine), pour étayer sa conclusion. S’appuyant sur ces jugements, il a déclaré que les droits miniers que l’appelant cherchait à récupérer étaient des biens durables et, en conséquence, des immobilisations.

 

[12]           Le juge de la Cour de l’impôt a déclaré également que les frais juridiques étaient des dépenses en capital déductibles au taux de 7 p. 100 autorisé par le ministre.

 

LES PRÉTENDUES ERREURS CONTENUES DANS LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT APPEL

[13]           Au soutien de son appel, l’appelant prétend que les concessions et les baux qu’il a transférés à Wallbridge/Minescape étaient des « biens miniers » au sens du paragraphe 35(2) de la Loi. Selon le paragraphe 35(1), les biens miniers qui sont échangés contre des actions sont considérés comme faisant partie du revenu. Il s’ensuit, selon l’appelant, que les frais juridiques sont déductibles dans le calcul du revenu.

 

[14]           L’appelant prétend que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en omettant de tenir compte de l’article 35 de la Loi.

 

LA DÉCISION

[15]           L’appel doit être accueilli. Les jugements sur lesquels le juge de la Cour de l’impôt a appuyé sa conclusion concernaient des droits miniers détenus non pas à titre d’actifs commerciaux, mais pour une longue période (motifs, aux paragraphes 20 à 27). Il ne fait aucun doute que, dans ce cas, les droits miniers peuvent être considérés comme des biens durables et comme des immobilisations.

 

[16]           En l’espèce cependant, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que les activités commerciales de l’appelant consistaient à jalonner des concessions minières, à les développer et à les vendre à des compagnies minières (motifs, au paragraphe 15). De plus, il a reconnu que les frais juridiques avaient été engagés pour récupérer les concessions que l’appelant avait vendues à des fins commerciales (motifs, au paragraphe 12).

 

[17]           Ces conclusions, qui ne sont pas contestées en appel, sont incompatibles avec la conclusion à laquelle est parvenu le juge de la Cour de l’impôt et mènent inévitablement à la conclusion que les frais juridiques ont été engagés pour gagner un revenu.

 

[18]           Quoique instructif, l’article 35 de la Loi ne permet pas de trancher la question dont le juge de la Cour de l’impôt était saisi. Les dispositions suivantes du paragraphe 35(1) sont pertinentes en l’espèce :

35. (1) Si une action du capital-actions d’une société est :

a) soit reçue par un particulier, au cours d’une année d’imposition, en contrepartie d’un bien minier dont il a disposé en faveur de cette société ou d’un droit sur ce bien minier, acquis du fait de son activité de prospecteur, qu’il a exercée seul ou avec d’autres;

[…]

c) malgré les autres dispositions de la présente loi, aucune somme relative à la réception de l’action n’est incluse :

(i) dans le calcul du revenu pour l’année de ce particulier ou de cette personne, selon le cas, sous réserve de l’alinéa d),

[…]

d) dans le cas d’un particulier ou d’une société de personnes (à l’exclusion d’une société de personnes dont chaque associé est une société canadienne imposable), une somme relative à la réception de l’action et correspondant au moindre de la juste valeur marchande de l’action au moment de son acquisition et de la juste valeur marchande de l’action au moment de sa disposition ou de son échange doit être incluse dans le calcul du revenu du particulier ou de la société de personnes, selon le cas, pour l’année où soit il est disposé de l’action, soit celle-ci est échangée;

e) malgré la sous-section c, aucune somme relative à la disposition du bien minier ou du droit sur celui-ci n’est incluse dans le calcul du coût de l’action pour le particulier, la personne ou la société de personnes, selon le cas;

[…]

35. (1) Where a share of the capital stock of a corporation

 

(a) is received in a taxation year by an individual as consideration for the disposition by the individual to the corporation of a mining property or interest therein acquired by the individual as a result of the individual’s efforts as a prospector, either alone or with others, or

 

 

 

 

(c) notwithstanding any other provision of this Act, no amount in respect of the receipt of the share shall be included

 

(i) in computing the income for the year of the individual or person, as the case may be, except as provided in paragraph 35(1)(d),

 

 

(d) in the case of an individual or partnership (other than a partnership each member of which is a taxable Canadian corporation), an amount in respect of the receipt of the share equal to the lesser of its fair market value at the time of acquisition and its fair market value at the time of disposition or exchange of the share shall be included in computing the income of the individual or partnership, as the case may be, for the year in which the share is disposed of or exchanged,

 

 

 

 

 

 

 

(e) notwithstanding subdivision c, in computing the cost to the individual, person or partnership, as the case may be, of the share, no amount shall be included in respect of the disposition of the mining property or the interest therein, as the case may be,

[Non souligné dans l’original.]

[19]           L’expression « bien minier » est définie de la manière suivante :

35. (2) « bien minier »

a) Droit, permis ou privilège afférent à des travaux de prospection, d’exploration, de forage ou d’extraction relatifs aux minéraux d’une ressource minérale au Canada;

b) bien immeuble au Canada (sauf un bien amortissable) dont la valeur dépend principalement de sa teneur en ressources minérales.

 

35. (2) “mining property” means

 

(a)    a right, licence or privilege to prospect, explore, drill or mine for minerals in a mineral resource in Canada, or

 

(b)  real property in Canada (other than        depreciable property) the principal        value of which depends on its        mineral resource content.

[Non souligné dans l’original.]

 

[20]           L’article 35 décrit le traitement fiscal des droits miniers (définis comme des « biens miniers ») du type de ceux détenus par des personnes qui, comme l’appelant, mènent des activités commerciales qui consistent à jalonner des terres afin d’y découvrir des minéraux, à créer des concessions minières et à les échanger à des compagnies minières contre des actions. Dans les faits, cet article permet de reporter l’impôt à payer par suite de l’échange jusqu’à ce qu’il y ait disposition ou nouvel échange des actions. Au moment de la disposition, le prospecteur doit inclure dans son revenu une somme correspondant au moindre de la juste valeur marchande des actions au moment de l’échange ou au moment de leur disposition (ou de leur nouvel échange).

 

[21]           L’avocate du ministre a attiré notre attention sur les Notes techniques publiées par le ministère des Finances au moment de la modification de l’article 35 et de son adoption dans sa forme actuelle en 1985. Les Notes expliquent à la fois l’objet et l’application de la modification de 1985 dans les termes suivants :

L’article 35 de la loi expose des règles particulières qui s’appliquent lorsqu’un prospecteur ou un commanditaire en prospection reçoit des actions du capital‑actions d’une corporation en échange d’une participation dans un bien minier. En vertu des dispositions actuelles [c’est-à-dire suivant le libellé de l’article 35 avant la modification de 1985], le contribuable est réputé avoir disposé de sa participation dans le bien minier à un produit nul et avoir acquis les actions à un coût nul. Par conséquent, lorsque les actions de la corporation sont vendues, le produit sera considéré comme un gain en capital. La valeur du bien minier sera effectivement imposée comme gain en capital au lieu d’être imposée aux pleins taux qui s’appliqueraient habituellement au revenu d’entreprise ou d’emploi des prospecteurs ou commanditaires en prospection.

 

Les amendements apportés au paragraphe 35(1) de la loi découlent de la nouvelle exemption à vie pour gains en capital. Ils prévoient que l’échange d’une participation dans un bien minier pour des actions du capital‑actions d’une corporation par un prospecteur ou commanditaire en prospection n’entraînera pas un gain en capital qui donne droit à la nouvelle exemption à vie pour gains en capital. Par contre, l’imposition de la moitié du gain sera maintenue. En vertu des nouvelles règles, une somme correspondant au moindre de la juste valeur marchande des actions à la date d’acquisition ou du produit reçu à la vente des actions sera comprise dans le revenu à la date de la vente. Selon le nouvel alinéa 110(1)(d.2), la moitié de la somme incluse dans le revenu peut être déduite, de sorte que soit maintenue l’imposition actuelle de la moitié du revenu d’une entreprise ou d’un emploi d’un prospecteur ou d’un commanditaire en prospection. En outre, le prix de base rajusté des actions correspondra à la somme incluse dans le revenu. Ainsi, toute augmentation de la valeur des actions après leur acquisition par le contribuable sera considérée comme un gain en capital et donnera droit à l’exemption pour gains en capital.

 

[22]           En pratique, la modification de 1985 fait en sorte, en ce qui nous concerne, qu’une somme égale au moindre de la valeur des actions au moment de l’échange ou au moment de leur disposition (ou de leur nouvel échange) doit être incluse dans le revenu lorsque des biens miniers sont échangés contre des actions. Fait important, l’échange de biens miniers ne peut entraîner une perte en capital, mais il peut donner lieu à un gain en capital, toutefois seulement à l’égard d’une augmentation de la valeur des actions qui survient après l’échange des biens miniers.

 

[23]           Ce traitement fiscal particulier semble exclure les biens miniers de la définition d’« immobilisations » contenue dans la Loi : « […] biens […] dont la disposition [donne lieu à] […] un gain ou une perte en capital » (alinéa b) de la définition, à l’article 54).

 

[24]           L’avocate du ministre prétendait que la modification de 1985 visait seulement à supprimer l’exemption pour gains à capital à vie pour les gains tirés de la disposition de biens miniers et qu’un traitement semblable à celui réservé aux gains en capital était en fait maintenu par la déduction de 50 p. 100 dans le calcul du revenu imposable, qui était prévue à l’alinéa 110(1)d.2). Elle semble laisser entendre ainsi que les biens miniers devraient continuer à être considérés comme des immobilisations, malgré ce que prévoit actuellement l’article 35.

 

[25]           Je conviens que la modification de 1985 avait pour but de supprimer l’exemption des gains en capital à vie pour les biens miniers, tout en préservant un traitement semblable à celui réservé aux gains en capital au moyen de la déduction prévue à l’alinéa 110(1)d.2). On ne peut cependant faire abstraction de la façon dont cela s’est fait. Suivant la modification de 1985, un bien minier n’est plus traité comme une immobilisation et sa disposition donne lieu à un revenu.

 

[26]           Cela dit, même si l’article 35 était en partie en vigueur à l’époque en cause en l’espèce (alinéa 35(1)a)), la partie pertinente (alinéa 35(1)d)) ne s’appliquait pas parce que l’appelant n’avait pas disposé des actions reçues de Wallbridge/Minescape ou ne les avait pas échangées de nouveau. En fait, la poursuite ayant pour but de récupérer les biens miniers, la partie pertinente de l’article 35 ne s’appliquerait jamais si l’appelant avait gain de cause, ce qui s’est produit. Il s’ensuit que le débat devant le juge de la Cour de l’impôt ne pouvait pas être réglé par le traitement réservé aux biens miniers par l’article 35.

 

[27]           En fait, il incombait au juge de la Cour de l’impôt d’examiner la preuve et d’établir le caractère fiscal des droits miniers de l’appelant en prenant en considération la façon dont ce dernier les avait traités. C’est ce que le juge de la Cour de l’impôt a fait. Comme je l’ai mentionné précédemment, il a conclu que ces droits étaient détenus à des fins commerciales, une conclusion de laquelle découle nécessairement le droit de l’appelant aux déductions réclamées.

 

[28]           Pour les motifs énoncés, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la Cour de l’impôt et, compte tenu du jugement qui aurait dû être rendu, je renverrais les nouvelles cotisations au ministre afin qu’il en établisse de nouvelles en tenant compte du fait que les frais juridiques engagés par l’appelant pour récupérer ses droits miniers sont déductibles dans le calcul de son revenu. M. Bolen a droit aux dépens de l’appel.

 

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

      M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

      J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             A-501-05

 

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT EN DATE DU 18 AOÛT 2005, DOSSIER : 2004-2399 (IT)I)

 

INTITULÉ :                                                           JACK (JOHN) A. BOLEN

                                                                                c.

                                                                                SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 11 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                             LE JUGE NADON

                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 19 SEPTEMBRE 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Clare Allan Brunetta

       POUR L’APPELANT

 

Tracey Telford

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)

       POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Clare Allan Brunetta

Avocate et notaire

Fort Frances (Ontario)

 

       POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

       POUR L’INTIMÉE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.