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Date : 20070918

Dossier : A-193-07

Référence : 2007 CAF 291

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NOËL

 

ENTRE :

TPG TECHNOLOGY CONSULTING LTD.

demanderesse

et

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX et LE GROUPE CGI INC.

défendeurs

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2007

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2007

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LA JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE LINDEN

                                                                                                                                  LE JUGE NOËL


 

Date : 20070918

Dossier : A-193-07

Référence : 2007 CAF 291

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NOËL

                       

 

ENTRE :

TPG TECHNOLOGY CONSULTING LTD.

demanderesse

et

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX et LE GROUPE CGI INC.

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DESJARDINS

[1]               Le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE ou le Tribunal) a rejeté, parce qu’elle était prescrite, une plainte concernant un marché public déposée par la demanderesse (TPG) contre Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC). Le Tribunal a fondé sa décision sur les paragraphes 6(1) et (2) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602 (le Règlement), adopté en vertu de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 47, article 40 (Loi sur le TCCE ou la Loi).

 

[2]               La question en litige consiste à savoir si le Tribunal aurait dû tenir compte de la qualité du fondement factuel exigé pour déclencher l’application des paragraphes 6(1) et (2) du Règlement et à savoir s'il a commis une erreur en ne réglant pas d’abord cette question préliminaire avant de rendre sa décision.

 

[3]               Le 7 juin 2007, la Cour d’appel fédérale a prononcé une ordonnance intérimaire (dossier A-193-07) interdisant à TPSGC d’accorder un contrat d’ingénierie et de services techniques découlant de la demande de soumissions no EN 869-040407/A, Contrat d’ingénierie et de services techniques (le contrat IST en cours), et ce, tant que la demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse n’aura pas été entendue et jugée.

 

LA PLAINTE

[4]               Le 23 mars 2007, TPG a déposé une plainte au TCCE. La plainte avait trait à la soumission faite par TPG quant au contrat en cours ouvert au processus de passation des marchés publics par le défendeur TPSGC. TPG a fait valoir deux motifs dans sa plainte.

 

[5]               TPG a d’abord prétendu que TPSGC n’a pas évalué les soumissions d’une manière équitable, impartiale et conforme aux critères publiés par TPSGC dans sa demande de proposition (DP). Plus particulièrement, TPG a prétendu qu’un processus de validation a été indûment entrepris par TPSGC concernant le contrat IST en cours, et ce, en violation des critères de la DP.

 

[6]               Deuxièmement, TPG a prétendu qu’il existait une crainte raisonnable de partialité et (ou) une apparence de conflit d’intérêts eu égard au processus d’évaluation des soumissions. TPG a prétendu que la crainte de partialité a été suscitée par la nomination d’une personne, qui avait des relations avec TPG et avec la défenderesse, le Groupe CGI (CGI), au poste de directeur général de Produits et Services au sein de la Direction générale des services d'infotechnologie (DGSIT) de TPSGC durant le processus de passations des marchés.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[7]               Le TCCE a rejeté les deux motifs de plainte parce qu’ils ont été déposés après l’expiration du délai prévu à l’article 6 du Règlement. Plus particulièrement, en ce qui a trait au premier motif de plainte, le TCCE a déclaré ce qui suit :

Eu égard au premier motif de plainte de TPG, cette dernière a soutenu dans sa plainte que TPSGC l’avait avisée en novembre 2006 que le contrat allait lui être adjugé. Plus tard au cours du mois, toujours selon la plainte, TPSGC a avisé TPG que les résultats de l’évaluation technique étaient en train d’être validés. Vers le 26 février 2007, TPSGC a avisé TPG que CGI, et non TPG, était le soumissionnaire retenu. Le Tribunal souligne que TPG était au courant du processus de validation en novembre 2006 et qu’elle savait, vers le 26 février 2007, que, après la validation, CGI et non TPG se verrait accorder le contrat. TPG a déposé sa plainte auprès du Tribunal le 23 mars 2007. Le Tribunal est donc d’avis que, en novembre 2006, TPG connaissait ce motif de plainte lorsqu’elle a appris qu’une validation de l’évaluation avait lieu, et savait, au plus tard vers le 26 février 2007, que le processus de validation était terminé. Par conséquent, le Tribunal conclut, en ce qui a trait au premier motif de plainte, que la plainte n’a pas été déposée dans les délais prévus au paragraphe 6(1) du Règlement.

 

 

[8]               En ce qui a trait au deuxième motif de plainte, le TCCE a déclaré ce qui suit :

Eu égard au deuxième motif de plainte de TPG, TPG a fait part le 29 mai 2006 à TPSGC de ses préoccupations au sujet de la situation de M. Jirka Danek et du conflit d’intérêts qu’engendrerait son acceptation d’un poste de direction au sein de la DGSIT. À ce moment là, TPG a demandé à TPSGC de s’abstenir de faire une offre à M. Danek jusqu’à ce que la question puisse être débattue plus en profondeur et qu’un plan pour protéger les intérêts de tous les intervenants puisse être élaboré. TPSGC a diffusé la DP le 30 mai 2006, et la démission de M. Danek d’Avalon Works Corp. et son acceptation d’un poste cadre au sein du gouvernement du Canada ont été annoncées dans un communiqué de presse d’Avalon Works Corp. daté du 2 juin 2006. Également, le 2 juin 2006, le président-directeur général de la DGSIT a avisé TPG qu’elle ne devrait pas craindre qu’il y ait conflits d’intérêts en ce qui concerne M. Danek car celui-ci ne s’occuperait pas d’activités d’acquisition et de passation de marchés. Le Tribunal est d’avis que la réponse de TPSGC constitue un refus de réparation en ce qui concerne l’opposition de TPG à la nomination de M. Danek. TPG n’a pas donné suite jusqu’à ce qu’elle dépose sa plainte auprès du Tribunal le 23 mars 2007. Par conséquent, le Tribunal conclut, en ce qui a trait au deuxième motif de plainte, que la plainte n’a pas été déposée dans les délais prévus au paragraphe 6(2) du Règlement.

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[9]               Les paragraphes 6(1) et (2) du Règlement prévoit ce qui suit :

DÉLAIS DE DÉPÔT DE LA PLAINTE

6. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), le fournisseur potentiel qui dépose une plainte auprès du Tribunal en vertu de l'article 30.11 de la Loi doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l'origine de la plainte.

 

(2) Le fournisseur potentiel qui a présenté à l'institution fédérale concernée une opposition concernant le marché public visé par un contrat spécifique et à qui l'institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s'il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l'origine de l'opposition.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

TIME LIMITS FOR FILING A COMPLAINT

6. (1) Subject to subsections (2) and (3), a potential supplier who files a complaint with the Tribunal in accordance with section 30.11 of the Act shall do so not later than 10 working days after the day on which the basis of the complaint became known or reasonably should have become known to the potential supplier.

 

(2) A potential supplier who has made an objection regarding a procurement relating to a designated contract to the relevant government institution, and is denied relief by that government institution, may file a complaint with the Tribunal within 10 working days after the day on which the potential supplier has actual or constructive knowledge of the denial of relief, if the objection was made within 10 working days after the day on which its basis became known or reasonably should have become known to the potential supplier.

 

[Emphasis added.]

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[10]           Les deux défendeurs allèguent que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le TCCE, en vertu de l’article 6 du Règlement, en rapport avec le dépôt tardif des plaintes est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans ses observations écrites, la demanderesse donne à penser qu’une norme moins exigeante s’applique peut‑être en l’espèce. L’avocat de la demanderesse, au cours des plaidoiries, a reconnu que, selon la jurisprudence de la Cour, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[11]           Selon une jurisprudence constante, la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le TCCE en vertu de l’article 6 du Règlement est celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir par exemple : IBM Canada Ltd. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284; Entreprise Marissa Inc. c. Canada (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2004 CAF 196. Rien en l’espèce ne m’amène à déroger à cette norme.

 

LE PREMIER MOTIF DE PLAINTE

a) LES FAITS

[12]           Les faits ne sont pas contestés et ils sont résumés ci‑dessous.

 

[13]           Le 30 mai 2006, TPSGC a diffusé une demande de proposition (DP) quant à la fourniture de services d’ingénierie et de services techniques (le contrat IST). La demanderesse, le fournisseur actuel de ces services au gouvernement, a déposé une soumission en réponse à cette DP.

 

[14]           Au début de novembre 2006, le deuxième employé non désigné nommément de TPSGC a informé officieusement un employé de la demanderesse (M. Stanley Estabrooks) que TPG se verrait octroyer le contrat. Une semaine ou deux après avoir reçu ce renseignement, un deuxième employé non désigné nommément de TPSGC a également informé M. Estabrooks que TPG avait remporté la DP. Les noms des employés de TPSGC ne sont pas mentionnés dans l’affidavit de M. Estabrooks parce que, sauf indication contraire, les informateurs de M. Estabrooks travaillent toujours pour TPSGC et M. Estabrooks estimait que leurs noms devaient demeurer confidentiels.

 

[15]           À la fin de novembre, une autre personne non désignée nommément a dit à M. Estabrooks que les résultats de l’évaluation technique faisaient l’objet d’une « validation » de la part de TPSGC. Le 22 novembre 2006, M. Maurice Chénier, directeur général de Gestion et Prestation des services à TPSGC, a confirmé au président de la demanderesse, M. Donald Powell, au cours d’une réunion qui ne portait pas sur la DP et le contrat IST, que les résultats de l’évaluation technique faisaient l’objet d’une « validation » (A.D.A. pages 277 et 278, paragraphe 19).

 

[16]           Le ou vers le 26 février 2007, le deuxième employé non désigné nommément qui a parlé à M. Estabrooks en novembre a informé ce dernier que le soumissionnaire retenu n’était plus TPG mais CGI, le deuxième défendeur dans la présente demande.

 

[17]           Le 11 mars 2007, M. Estabrooks est entré en communication avec M. Jim Bezanson, la personne qui, selon ce qu’on avait dit à M. Estabrooks, avait effectué la « validation ». M. Bezanson a depuis quitté TPSGC et n’a pu que confirmer que les résultats de l’évaluation initiale avaient été serrés, qu’il y avait eu de longues discussions, au niveau supérieur, au sujet des résultats, mais il n’a pas confirmé que CGI avait été le soumissionnaire retenu.

 

[18]           Vers le 12 mars 2007, TPG a reçu une autre confirmation que GCI était le soumissionnaire retenu.

 

[19]           Le 19 mars 2007, une autre personne non désignée nommément qui travaille à TPSGC a informé M. Estabrooks que CGI avait reçu un projet de contrat de la part de TPSGC, même si l’adjudication du contrat n’avait pas officiellement été annoncée.

 

[20]           Le 23 mars 2007, TPG a déposé, auprès du TCCE, une plainte concernant un marché public dans laquelle elle a soulevé deux motifs de plainte. Premièrement, comme il a déjà été mentionné, elle prétend que TPSGC a entrepris une « validation » inappropriée des soumissions et que, donc, sa soumission n’a pas été évaluée de manière équitable, impartiale, en conformité avec la méthode et les critères d’évaluation figurant dans la DP. Deuxièmement, elle prétend qu’il existait une crainte raisonnable de partialité ou une apparence de conflit d’intérêts eu égard au processus d’évaluation des soumissions et d’adjudication des contrats (mémoire de la demanderesse, paragraphe 5).

 

[21]           L’annonce officielle du soumissionnaire retenu n’a pas encore été faite.

 

b)  L’ANALYSE

[22]           Les délais prescrits dans le processus de passation des marchés publics ont été décrits de la manière suivante par le juge Décary aux paragraphes 18, 19 et 20 de l’arrêt IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 :

 

 

Respect des délais prescrits en général

[18]  Dans les affaires de marchés publics, le temps représente une condition essentielle. Les délais pour le dépôt d'une plainte sont régis par l'article 6 du Règlement. Le paragraphe 6(1) exige que le fournisseur potentiel dépose sa plainte « dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l'origine de la plainte » (non souligné dans l'original). Le paragraphe 6(2) prévoit la présentation d'oppositions formelles à l'autorité contractante dans les dix jours ouvrables suivant la date où le fournisseur potentiel a pris connaissance, directement ou par déduction, des faits à l'origine de l'opposition. Si une opposition est faite, le délai de dix jours ouvrables prescrit au paragraphe 6(1) est prolongé d'une autre période de dix jours ouvrables à partir de la date à laquelle une réponse écrite est donnée à l'opposition.

 

[19]  Des délais sont également imposés au Tribunal. Ce dernier doit déterminer si les conditions préalables à la tenue d'une enquête sont remplies dans les cinq jours ouvrables suivant le dépôt de la plainte (article 7) et il doit communiquer ses conclusions et ses recommandations dans les 90 jours ou, au plus tard, dans les 135 jours suivant le dépôt de la plainte (article 12).

 

[20]  Par ailleurs, des plaintes peuvent être déposées « concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique » (paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R. (1985), ch. 47 (4e suppl.)). Les fournisseurs potentiels ne doivent donc pas attendre l'attribution d'un contrat avant de déposer toute plainte qu'ils pourraient avoir concernant la procédure. On s'attend à ce qu'ils soient vigilants et qu'ils réagissent dès qu'ils découvrent ou auraient vraisemblablement dû découvrir un vice de procédure. Toute la procédure de passation des marchés publics, telle que l'illustre la méthode des questions et réponses -- laquelle fait en sorte que les fournisseurs potentiels soient sur un pied d'égalité en tout temps quant aux conditions qu'ils ont à respecter --, se veut aussi transparente que rapide. Elle vise à s'assurer du caractère définitif des contrats dans les meilleurs délais possibles.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[23]           L’arrêt IBM a trait à un conflit qui est survenu à la suite de l’interprétation de certaines parties de la DP à la suite de l’application de la méthode des questions et réponses prévue dans la DP. La méthode des questions et réponses permet aux soumissionnaires de poser des questions à TPSGC et de recevoir des réponses concernant la DP. Tous les soumissionnaires ont été explicitement informés quant aux questions (mais non pas quant à l’identité de leur auteur) et quant aux réponses, et ce, grâce à un système informatique. La procédure de passation des marchés publics, telle que l'illustre la méthode des questions et réponses fait en sorte que les fournisseurs potentiels sont sur un pied d'égalité en tout temps quant aux conditions qu'ils ont à respecter

 

[24]           Les fournisseurs potentiels, comme l’a dit le juge Décary « ne doivent donc pas attendre l'attribution d'un contrat avant de déposer toute plainte qu'ils pourraient avoir concernant la procédure. On s'attend à ce qu'ils soient vigilants et qu'ils réagissent dès qu'ils découvrent ou auraient vraisemblablement dû découvrir un vice de procédure ». La procédure de passation des marchés publics a été décrite par le juge Décary comme « se [voulant] aussi transparente que rapide. Elle vise à s'assurer du caractère définitif des contrats dans les meilleurs délais possibles ».

 

[25]           La défenderesse CGI, en renvoyant aux propos du juge Décary au paragraphe 20 de l’arrêt IBM, a souligné que le fournisseur potentiel ne doit pas attendre l’attribution du contrat avant de déposer une plainte concernant la procédure. La procédure doit être rapide afin que son objectif soit atteint.

 

[26]           Il ne fait aucun doute que le processus se veut rapide. Mais il se veut également transparent.

 

[27]           En l’espèce, le Tribunal a été appelé à apprécier des éléments de preuve, de nature exclusivement secondaire, recueillis par la demanderesse grâce à des relations personnelles qu’elle possède à TPSGC. La seule communication qui pourrait être considérée comme ayant été autorisée, bien qu’un plus grand nombre d’éléments de preuve serait exigé sur ce point, est celle qui a été faite par M. Chénier, le directeur général de Gestion et Prestation des services.

 

[28]           Le fondement de la plainte de la demanderesse repose sur des allégations recueillies à partir de révélations que le défendeur Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux a décrites de la façon suivante au paragraphe 8 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

 

Bien que la véracité ou la fausseté des allégations sous‑jacentes de TPG ne soit pas en litige dans la présente instance, si c’était le cas, alors la position du procureur général serait que ces allégations sont une combinaison fallacieuse de spéculation, de rumeur et de canulars.

 

 

 

[29]           Le ministre défendeur prétend que, de l’aveu général, les renseignements déposés par la demanderesse étaient indirects. Toutefois, le Tribunal était toujours obligé d’agir en fonction de cette preuve et de décider, sur le fondement de ce que savait la demanderesse, si la plainte avait été déposée en temps opportun.

 

[30]           Nous ne nous soucions pas de la véracité ou de la fausseté des allégations sous‑jacentes de TPG. Nous nous soucions beaucoup de la transparence du système. Le point de départ d’un délai de prescription, qui est la ligne de délimitation d’une période pendant laquelle on peut exercer ou perdre un droit, ne peut pas s’articuler exclusivement autour de communications non autorisées apparentées à des commérages.

 

[31]           Cela va à l’encontre du principe fondamental du système de l’approvisionnement.

 

[32]           Le système doit être adéquat. Sinon, il ne peut pas fonctionner parce qu’il n’est fondé sur aucun principe et qu’il est contraire à la loi.

 

[33]           Je me reporte aux paragraphes 5 et 6 de l’affidavit de Stanley Estabrooks, un employé de TPG qui a déjà travaillé à TPSGC et qui a écrit  ce qui suit (A.D.A., page 275 et 276) :

[traduction]

5. Pendant les années où j’ai travaillé à TPSGC, j’ai dirigé une équipe d’entrepreneurs et de fonctionnaires qui préparaient une demande de propositions (DP) importante et très complexe et qui évaluaient les propositions faites par les soumissionnaires ce qui menait à l’adjudication d’un contrat de services de plusieurs millions de dollars pour des services de gestion de postes de travail. Je devais voir à que l’évaluation technique soit faite correctement, soit bien documentée et que les résultats soient bien transmis. Je devais également voir à ce que l’équipe d’évaluation ne soit pas indûment influencée par les intervenants du secteur privé ou du secteur public.

 

6. Dans le cadre de mes fonctions à TPSGC, je devais voir à ce que les politiques et les pratiques en matière de marché public soient observées et qu’aucune partialité ou autre traitement de faveur n’influence notre travail. Dans le cadre de l’obligation de voir à ce que les pratiques et les politiques en matière de marché public soient dûment observées, je devais superviser tous les événements, les communications et les actes de mon équipe afin de voir à que la passation des marchés publics se fasse de façon honnête. Par conséquent, je connais très bien les processus d’un marché public adéquat et, en particulier, les processus et les pratiques exigés pour voir à ce qu’aucune pratique inadéquate en matière de marché public ne soit tolérée.

 

 

 

[34]           Les exigences prévues dans la Loi et le Règlement traduisent ce principe.

 

[35]           Le préambule de l’alinéa 1017(1) a) et de l’alinéa f) du chapitre 10 de l’Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] 32 R.T.Can. (entré en vigueur le 1er janvier 1994) (ALÉNA), prévoit que « afin de favoriser des procédures équitables, ouvertes et impartiales en matière de marchés publics », chacune des parties adoptera et maintiendra des procédures de contestation des offres pour les marchés qui répondent à certaines normes. Les parties pertinentes de cette disposition sont les suivantes :

Section C - Contestation des offres

Article 1017 : Contestation des offres

 

1. Afin de favoriser des procédures équitables, ouvertes et impartiales en matière de marchés publics, chacune des Parties adoptera et maintiendra des procédures de contestation des offres pour les marchés visés par le présent chapitre, en conformité avec les points suivants :

 

 

a) chacune des Parties permettra aux fournisseurs de présenter des contestations des offres portant sur tout aspect du processus de passation des marchés, lequel, pour l'application du présent article, débutera au moment où une entité décide des produits ou services à acquérir et se poursuivra jusqu'à l'adjudication du marché;

 

[…]

 

f) une Partie pourra limiter le délai octroyé à un fournisseur pour engager une contestation. Cependant, ce délai ne pourra en aucun cas être inférieur à 10 jours ouvrables à compter de la date à laquelle le motif de la plainte aura été connu ou aurait raisonnablement dû être connu du fournisseur;

 

[…]

Section C - Bid Challenge

Article 1017: Bid Challenge

 

1. In order to promote fair, open and impartial procurement procedures, each Party shall adopt and maintain bid challenge procedures for procurement covered by this Chapter in accordance with the following:

 

 

 

a) each Party shall allow suppliers to submit bid challenges concerning any aspect of the procurement process, which for the purposes of this Article begins after an entity has decided on its procurement requirement and continues through the contract award;

 

 

 

[…]

 

(f) a Party may limit the period within which a supplier may initiate a bid challenge, but in no case shall the period be less than 10 working days from the time when the basis of the complaint became known or reasonably should have become known to the supplier;

 

 

[…]

 

 

 

[36]           L’article 514 du chapitre cinq de l’Accord sur le commerce intérieur, Gaz. C.1995. I.1323 (Accord sur le commerce intérieur), qui s’applique aux plaintes en matière d’adjudication de marchés publics par le gouvernement fédéral, mentionne ce qui suit à l’alinéa 2d) :

Article 514 : Procédures de contestation des offres — gouvernement fédéral

 

[…]

 

2.   Afin de favoriser des procédures équitables, ouvertes et impartiales en matière de marchés publics, le gouvernement fédéral adopte et maintient, à l'égard des marchés publics visés par le présent chapitre des procédures de contestation des offres :

 

[…]

 

d) limitant le délai accordé à un fournisseur pour engager une contestation des offres, délai qui, toutefois, ne peut être inférieur à 10 jours ouvrables à

compter de la date à laquelle le fournisseur a pris connaissance du

fondement de la plainte ou aurait dû raisonnablement en prendre

connaissance;

 

[…]

 

[Non souligné dans l’original.]

Article 514: Bid Protest Procedures - Federal Government

 

[…]

 

2.   In order to promote fair, open and impartial procurement procedures, the Federal Government shall adopt and maintain bid protest procedures for procurement covered by this chapter that:

 

 

[…]

 

(d) limit the period within which a supplier may initiate a bid protest, provided that the period is at least 10 business days from the time when the basis of the complaint became known or reasonably should have become known to the supplier;

 

 

 

 

[…]

 

[Emphasis added.]

 

 

[37]           En vertu de l’alinéa 30.11(2)c) de la Loi, le fournisseur potentiel doit s’acquitter de son fardeau lorsqu’il dépose une plainte. Le paragraphe 30.11 (1) est en partie libellé comme suit :

Dépôt des plaintes

30.11 (1) Tout fournisseur potentiel peut, sous réserve des règlements, déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d'enquêter sur cette plainte.

 

Forme et teneur

 

(2) Pour être conforme, la plainte doit remplir les conditions suivantes :

 

[…]

 

c) exposer de façon claire et détaillée ses motifs et les faits à l'appui;

 

[…]

 

Filing of complaint

30.11 (1) Subject to the regulations, a potential supplier may file a complaint with the Tribunal concerning any aspect of the procurement process that relates to a designated contract and request the Tribunal to conduct an inquiry into the complaint.

 

Contents of complaint

 

(2) A complaint must

 

 

 

[…]

 

(c) contain a clear and detailed statement of the substantive and factual grounds of the complaint;

 

[…]

 

 

 

[38]           L’alinéa 7 (1)c) du Règlement, sous le titre Conditions de l’enquête, mentionne la procédure qui doit être suivie par le Tribunal. Le paragraphe 7 (1) est en partie libellé comme suit :

CONDITIONS DE L'ENQUÊTE

 

7. (1) Dans les cinq jours ouvrables suivant la date du dépôt d'une plainte, le Tribunal détermine si les conditions suivantes sont remplies :

 

 

[…]

 

c) les renseignements fournis par le plaignant et les autres renseignements examinés par le Tribunal relativement à la plainte démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n'a pas été suivie conformément au chapitre 10 de l'ALÉNA, au chapitre cinq de l'Accord sur le commerce intérieur ou à l'Accord sur les marchés publics, selon le cas.

 

[Non souligné dans l’original.]

CONDITIONS FOR INQUIRY

 

7. (1) The Tribunal shall, within five working days after the day on which a complaint is filed, determine whether the following conditions are met in respect of the complaint:

 

[…]

 

(c) the information provided by the complainant, and any other information examined by the Tribunal in respect of the complaint, discloses a reasonable indication that the procurement has not been conducted in accordance with whichever of Chapter Ten of NAFTA, Chapter Five of the Agreement on Internal Trade or the Agreement on Government Procurement applies.

 

[Emphasis added.]

 

 

[39]           Le Tribunal devait se demander dès le départ si le genre de renseignements déposé par la plaignante mentionnaient qu’un système équitable et transparent, dans l’esprit du chapitre dix de l’ALENA ou du chapitre cinq de l’Accord sur le commerce intérieur, se déroulait.

 

[40]           Dans les circonstances de l’espèce, contrairement à l’alinéa 30.11(2)c) de la Loi, le Tribunal ne disposait d’aucun fondement factuel qui lui aurait permis de déterminer le point de départ du délai de prescription. Par conséquent, le Tribunal ne pouvait pas, par exemple, déclarer dans ses motifs que « Vers le 26 février 2007, TPSGC a avisé TPG (non souligné dans l’original) que CGI, et non TPG, était le soumissionnaire retenu », car aucune annonce officielle ne fut faite par TPSGC le ou vers le 26 février 2007.

 

[41]           Le Tribunal devait retourner aux premiers principes du processus de soumission et décider si les allégations étaient le résultat d’un processus transparent. En fin de compte, il ne pouvait que refuser de traiter la plainte au motif qu’elle était prématurée compte tenu qu’il n’y avait eu aucune annonce de la part de TPSGC. L’équité, la transparence et l’impartialité du processus exigeaient qu’il y ait une ligne de communication autorisée si on voulait que le processus soit conforme à l’objet de la Loi (voir par exemple la méthode de Questions et Réponses fournie dans le contrat IST en cours à la partie 1, A.8 de ce document, A.D.A. page 38).

 

[42]           Le Tribunal n’a jamais abordé cette question. Il a agi d’une manière manifestement déraisonnable en ne le faisant pas.

 

 

LE DEUXIÈME MOTIF DE PLAINTE

[43]           Le deuxième motif de plainte soulève une question de conflit d’intérêts.

 

[44]           Avant la demande de soumission pour le contrat IST en cours, la demanderesse était le fournisseur des services IST au sein de la Direction générale des services d'infotechnologie (DGSIT) de TPSGC. Le président de la demanderesse, M. Powell, a appris la nomination possible d’un certain M. Jirka Danek au poste de directeur général de Produits et Services au sein de DGIST. M. Powell était inquiet parce que M. Danek était actionnaire important et président‑directeur général d’Avalon Works, une société sous‑traitante de TPG.

 

[45]           Le 29 mai 2006, avant le lancement de la DP en question, M. Powell a écrit à M. Poole, président‑directeur général de DGIST, et a fait part de ses inquiétudes quant à la nomination possible de M. Danek. Le 2 juin 2006, M. Powell a été informé, au cours d’une réunion avec M. Poole, que TPG n’avait aucune raison de s’inquiéter à propos d’un conflit d’intérêts parce que M. Danek ne s’occuperait pas des activités de marché public et d’attribution de contrats. Néanmoins, le 7 juin 2006, M. Powell a écrit une lettre à Avalon Works l’informant que TPG n’inclurait pas Avalon Works dans aucune soumission pour le nouveau contrat IST, sauf si la question du conflit d’intérêts était réglée. Avalon Works s’est par la suite associée à une autre société afin de participer à la demande de soumission.

 

[46]           En plus de son intérêt financier dans Avalon Works, M. Danek avait également eu des antécédents avec le soumissionnaire manifestement retenu en l’espèce, la défenderesse CGI, et avait conservé ses relations avec CGI jusqu’à aujourd’hui.

 

[47]           Le Tribunal a refusé de faire enquête sur le deuxième motif de plainte de la demanderesse au motif que la réponse de TPSGC du 2 juin 2006 constituait un refus de réparation quant à l’opposition de la demanderesse à la nomination de M. Danek au poste de directeur général des Produits et Services, et, par conséquent, on a jugé que la plainte déposée le 23 mars 2007 pour ce motif avait été déposée après l’expiration du délai de prescription prévu au paragraphe 6(2) du Règlement.

 

[48]           Le Tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en traitant la réponse du 2 juin 2006 de TPSGC comme constituant un refus de réparation au sens du paragraphe 6(2) du Règlement. Comme on l’a déjà vu à l’alinéa 1017(1)a) de l’ALÉNA, le processus de passation des marchés commence lorsque la DP est lancée. M. Powell s’est opposé le 29 mai 2006, soit avant que la DP ne soit lancée. Par conséquent, bien que la déclaration de M. Poole selon laquelle il n’y avait aucune raison de s’inquiéter a été transmise après le lancement de la DP, elle ne constituait pas un refus de réparation d’une opposition faite durant le processus de passation des marchés relativement à un contrat spécifique (paragraphe 6(2) du Règlement). Le Tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en tenant compte de cette opposition dans le cadre de l’article 30.11 de la Loi sur le TCCE.

 

[49]           La question de savoir, malgré cette erreur, si la deuxième plainte est prescrite est  une question liée à la première question et à la qualité des renseignements fournis par la demanderesse dans sa plainte. Elle doit être tranchée de la même manière que le premier motif de plainte car elle est également prématurée dans les circonstances de l’espèce.

 

 

CONCLUSION

[50]           J’accueillerais la présente demande de contrôle judiciaire et annulerais la décision du Tribunal. Aucuns dépens ne devraient être accordés car aucune des parties n’a eu gain de cause.

 

[51]           J’annulerais l’ordonnance intérimaire accordée par le juge Ryer  le 7 juin 2007 car elle est inutile.

 

 

 

« Alice Desjardins »

J.C.A.

 

 

« Je souscris aux présents motifs

     A.M. Linden, j.c.a. »

 

 

« Je souscris aux présents motifs

     Marc Noël, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                       A-193-07

 

INTITULÉ :                                                      TPG Technology Consulting Ltd. c

                                                                           Le Ministre des TPSGC et autres

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 5 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                           LA JUGE Desjardins

 

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE Linden

                                                                           LE JUGE Noël

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 18 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Lunau

Phuong Ngo

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

I.H. Fraser

Robert B. (Robin) Carter

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE TPSGC

 

Simon V. Potter

R. Benjamin Mills

POUR LE DÉFENDEUR,

GROUPE CGI INC.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR,

MINISTRE DE TPSGC

McCarthy Tétrault LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE,

CGI GROUP INC.


Date : 20070918

Dossier : A-193-07

 

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2007

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NOËL       

 

ENTRE :

TPG TECHNOLOGY CONSULTING LTD.

demanderesse

et

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX et LE GROUPE CGI INC.

défendeurs

 

 

 

JUGEMENT

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur est annulée et l’ordonnance intérimaire accordée par le juge Ryer le 7 juin 2007 est annulée.

 

Aucuns dépens ne sont accordés car aucune des parties n’a eu gain de cause.

 

« Alice Desjardins 

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

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