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Date : 20070712

Dossier : A‑3‑07

Référence : 2007 CAF 255

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

NISSAN CANADA INC.

appelante

et

BMW CANADA INC. et

BAYERISCHE MOTOREN WERKE AKTIENGESELLSCHAFT

intimées

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 19 juin 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                               LE JUGE EN CHEF RICHARD

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE LINDEN

                                                                                                                  LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20070712

Dossier : A‑3‑07

Référence : 2007 CAF 255

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

NISSAN CANADA INC.

appelante

et

BMW CANADA INC. et

BAYERISCHE MOTOREN WERKE AKTIENGESELLSCHAFT

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE EN CHEF RICHARD

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard du jugement rendu par le juge suppléant MacKay de la Cour fédérale, le 7 mars 2007, quant à des revendications des intimées suivant l’alinéa 7b) et les articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, et modifications (la Loi) (2007 CF 262).

 

LES FAITS PERTINENTS

[2]               L’appelante, Nissan Canada Inc. (Nissan), exploite une entreprise qui vend, distribue et fait la promotion d’automobiles, de pièces et d’accessoires au Canada. Nissan est propriétaire de nombreuses marques de commerce déposées au Canada, notamment l’enregistrement no 612,708 pour la marque M45 et l’enregistrement no 640,144 pour la marque M35, toutes deux pour être employées en liaison avec des véhicules à moteur. Les deux marques sont utilisées pour deux séries de véhicules Infiniti, Infiniti étant la division de véhicules luxueux de Nissan. Nissan utilise les marques non déposées M et M6 pour faire la promotion et l’annonce de ses automobiles, pièces et accessoires.

 

[3]               Les intimées, BMW Canada Inc. et Bayerische Motoren Werke Aktiengesellschaft (BMW), exploitent également une entreprise qui fabrique, vend, distribue et fait la promotion d’automobiles, de pièces et d’accessoires partout dans le monde. BMW Canada Inc. vend, distribue et fait la promotion d’automobiles, de pièces et d’accessoires au Canada et relève de BMW AG. BMW AG est propriétaire des marques de commerce déposées au Canada, notamment l’enregistrement no 544,922 pour la marque M3, l’enregistrement no 561,482 pour la marque M5 et l’enregistrement no 336,985 pour la marque M & Design. Ces marques de commerce sont déposées pour être employées en liaison avec des automobiles et leurs pièces. BMW AG prétend être en outre propriétaire des marques non déposées M et M6. Ces deux marques faisaient l’objet, au moment du procès, de demandes d’enregistrement par BMW.

 

[4]               Le 12 août 2005, BMW a intenté la présente action contre Nissan en alléguant la commercialisation trompeuse des marques de commerce M, M3, M5, M6 et M & Design de BMW, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi, la contrefaçon des marques de commerce M3, M5 et M & Design de BMW en contravention de l’article 20 de la Loi et la dépréciation de l’achalandage des marques de commerce M3, M5 et M & Design de BMW en contravention de l’article 22 de la Loi.

 

[5]               Dans un jugement daté du 7 mars 2007, le juge de première instance a rejeté l’allégation de contrefaçon faite par BMW suivant l’article 20 de la Loi au motif qu’il n’y avait vraisemblablement pas de confusion quant aux sources des marchandises, ou quant aux marchandises elles-mêmes, au sein du groupe pertinent d’acheteurs potentiels. Le juge de première instance a en outre rejeté l’allégation de BMW selon laquelle il y avait une diminution de la valeur de l’achalandage suivant l’article 22 parce qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve appuyant une conclusion selon laquelle Nissan utilisait les marques de BMW ou d’autres marques très similaires d’une manière à vraisemblablement diminuer la valeur de l’achalandage de BMW quant à ces marques de commerce déposées.

 

[6]               Cependant, le juge de première instance a accepté l’allégation de commercialisation trompeuse des intimés suivant l’alinéa 7b). Il a conclu que l’emploi par Nissan des marques M et M6 causait vraisemblablement une confusion entre les sources de ses marchandises et les marchandises de BMW liées aux marques BMW et violait par conséquent les droits de propriété de BMW sur les marques de commerce M, M3, M5, M6 et M & Design.

 

[7]               Parmi les diverses revendications de BMW, l’appel devant la Cour se rapporte seulement à la portion du jugement rendu par le juge de première instance qui accepte l’allégation de commercialisation trompeuse suivant l’alinéa 7b) de la Loi.

 

[8]               En appel, Nissan soutient que la preuve dans la présente affaire n’appuie pas une conclusion voulant qu’elle soit passible de dommages-intérêts en vertu de l’alinéa 7b) de la Loi pour avoir employé la lettre M et la désignation M6 en liaison avec des automobiles et leurs pièces. L’appelante soutient de plus que le juge de première instance a commis une erreur quant au fait et quant au droit en omettant d’appliquer les exigences appropriées décrites à l’alinéa 7b) de la Loi en matière de commercialisation trompeuse.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]               Le présent appel soulève deux questions :

a)                  Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle la lettre M et la désignation M6 sont des marques de commerce non déposées au sens de l’article 2 de la Loi?

b)                  Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en acceptant l’allégation de commercialisation trompeuse suivant l’alinéa 7b) de la Loi?

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI

[10]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur les marques de commerce sont les suivantes :

2 . Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

b) marque de certification;

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

 

[…]

« emploi » ou « usage » À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

2. In this Act,

"trade-mark" means

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

 

(b) a certification mark,

(c) a distinguishing guise, or

(d) a proposed trade-mark;

"use" , in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services;

 

 

Quand une marque de commerce est réputée employée

     4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

When deemed to be used

    4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

[…]

Éléments d’appréciation

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

When mark or name confusing

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

 

 

 

 

What to be considered

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

7. Nul ne peut :

[…]

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

[…]

 

7. No person shall

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[11]           Les normes de contrôle applicables à un appel sont les normes énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. La norme de contrôle quant à une question de droit est la norme de la décision correcte. La norme de l’erreur manifeste et dominante s’applique aux conclusions et aux inférences portant sur des faits. La norme de l’erreur manifeste et dominante s’applique également à des questions mixtes de fait et de droit à moins que le juge de première instance n’ait clairement commis une erreur de principe isolable en déterminant la norme applicable ou en appliquant cette norme, auquel cas l’erreur peut constituer une erreur de droit et la norme applicable serait la décision correcte.

 

[12]           Selon les circonstances de la présente affaire, la conclusion du juge de première instance selon laquelle les marchandises de l’appelante contreviennent à l’alinéa 7b) de la Loi est une question mixte de fait et de droit qui a trait à l’interprétation appropriée des dispositions pertinentes de la Loi, notamment des articles 2, 4, 6 et 7. Il s’agit de questions de droit isolables assujetties à la norme de la décision correcte. La question de savoir si, selon la preuve, il a été satisfait au critère juridique approprié est une question de fait assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante.

 

[13]           M. le juge Bastarache, dans l’arrêt Van de Perre c. Edwards, [2001] 2 R.C.S. 1014, au paragraphe 15, a défini l’erreur manifeste et dominante comme une erreur qui « donne lieu à la conviction rationnelle que le juge de première instance doit avoir oublié, négligé d’examiner ou mal interprété la preuve de telle manière que sa conclusion en a été affectée ». Dans l’arrêt Elders Grain Co. c. Le navire M/V Ralph Misener, [2005] 3 R.C.F. 367, au paragraphe 10, la Cour a déclaré en résumé qu’une erreur manifeste et dominante est « un défaut évident dans les conclusions de fait du juge de première instance qui a une incidence sur l’issue du procès ».

 

L’ANALYSE

[14]           L’alinéa 7b) de la Loi prévoit que nul ne peut appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion, lorsqu’il commence l’activité en cause, avec ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre. Comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2004] 2 R.C.F. 241, à la page 245, 2003 CAF 297, confirmé par [2005] 3 R.C.S. 302, l’alinéa 7b) est l’expression légale correspondant au délit de commercialisation trompeuse existant en common law à une exception près : pour se prévaloir de cet alinéa, un plaignant doit prouver qu’il possède une marque de commerce valide opposable, déposée ou non.

 

[15]           Par conséquent, la première question à trancher dans le présent appel est de savoir si la preuve appuie une conclusion selon laquelle BMW avait, quant aux marques M et M6, des marques de commerce valides et opposables.

 

[16]           L’expression « marque de commerce », selon la définition de l’article 2 de la Loi, exige qu’une marque soit employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres. Ainsi, il faut, pour obtenir des droits quant à des marques de commerce, que la marque de commerce soit « employée » par la personne pour distinguer ses marchandises ou ses services des marchandises ou de services d’autres personnes. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré, « le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable » : arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 5.

 

[17]           Les termes « emploi » ou « usage » sont définis dans la Loi. L’article 2 prévoit qu’ils signifient, à l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services. Il y a en cause les automobiles, les pièces et les accessoires BMW et, ainsi, nous traitons de marchandises, et non de services.

 

[18]           Selon le paragraphe 4(1) de la Loi, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

[19]           Dans l’arrêt Syntex Inc. et al. c. Apotex Inc., [1984] 2 C.F. 1012, à la page 1020, la Cour a expliqué de la manière suivante les exigences du paragraphe 4(1) :

Une marque de commerce est censée avoir été employée si, lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est « apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées ». Ainsi la marque peut être portée à lattention du cessionnaire dune manière directe au moment du transfert, qui est le moment important. De même, pour quune marque soit censée avoir été employée, toute autre forme davis de liaison doit également être donnée à ce moment. Il se peut très bien, par exemple, quune marque de commerce qui figure sur un document inséré dans un emballage contenant les marchandises, même si elle nest pas apposée sur lemballage ou sur les marchandises elles-mêmes, soit visée par la seconde partie du paragraphe 4(1) […].

 

 

[20]           En l’espèce, rien ne démontre que les prétendues marques de commerce M et M6 étaient apposées sur les marchandises mêmes de BMW ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées. Par conséquent, la seule question qui reste à trancher est celle de savoir si la preuve établit que, lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises, les marques M et M6 étaient liées aux marchandises BMW à tel point qu’avis de liaison était donné à la personne à qui la propriété ou possession était transférée.

 

[21]           À l’égard de la marque M, le juge de première instance a conclu, au paragraphe 14, que les automobiles BMW ne portent pas de marque formée par la lettre M toute seule. Il a en outre mentionné que BMW utilise la marque M pour la publicité et pour des articles de promotion. Il a déclaré ce qui suit au paragraphe 36 :

La marque de commerce dans laquelle la lettre M est employée seule ne figure au Canada que dans un nombre limité de publicités de voitures M de BMW, de revues, de brochures, de banderoles publicitaires et à la télévision, puis, parfois, dans des ouvrages, sur des billets ou autres articles et elle est généralement accompagnée par une autre marque de commerce de BMW, c’est-à-dire le cercle BMW ou une autre de ses marques de commerce.

 

 

[22]           Le juge de première instance semble avoir tenu pour acquis que l’emploi restreint par BMW de la marque M était suffisant pour équivaloir à un « emploi » d’une marque de commerce au sens du paragraphe 4(1) sans fournir quelque analyse à cet égard. Je crois que le juge de première instance a ainsi commis une erreur. À mon avis, il n’y avait pas au dossier de preuve concluante qui établissait une liaison lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises.

 

[23]           La preuve établit que la lettre M est utilisée dans de nombreuses marques de commerce de BMW en liaison avec des chiffres, des lettres ou des mots. En plus des marques de commerce déposées M3, M5 et M & Design qui sont la propriété de BMW, le juge de la première instance a mentionné, aux paragraphes 9 à 11, les droits que détient BMW sur d’autres marques qui contiennent la lettre M :

 9      BMW AG est également propriétaire d’autres marques de commerce déposées au Canada qui contiennent la lettre M. Les voici : M SERIES (enregistrement LMC 614701, effectué le 13 juillet 2004) en liaison avec des automobiles et leurs pièces; le dessin M POWER (enregistrement LMC 329972, effectué le 10 juillet 1987) (comportant des barres horizontales bleues, violettes et rouges dans le dessin M POWER) en liaison avec des automobiles et leurs pièces particulièrement des moteurs; M‑THE MOST POWERFUL LETTER IN THE WORLD (enregistrement LMC 664704, daté du 19 mai 2006) et M-THE MOST POWERFUL LETTER (enregistrement LMC 664875, daté du 24 mai 2006), en liaison avec des automobiles et leurs pièces et des services : l’organisation de courses d’automobiles et d’événements de club automobile.

 

 10      En 2005 et 2006, BMW a déposé des demandes d’enregistrement supplémentaires pour les marques de commerce suivantes : M NIGHT (demande no 1,269,440, déposée le 22 août 2005 et modifiée le 6 février 2006) pour des services de vente de détail dans les domaines des automobiles, des motocyclettes et des pièces et accessoires connexes; pour des services de vente au détail dans les domaines des accessoires de mode, des articles « mode de vie », des articles et des vêtements de sport; organisation et tenue de fêtes et de manifestations thématiques portant sur les automobiles; M (demande no 1,271,794 déposée le 13 septembre 2005) en liaison avec des automobiles et pièces automobiles et des services de vente au détail d’automobiles; M ROADSTER et M COUPE (demandes no 1,273,588 et no 1,273,589, déposées le 27 septembre 2005) en liaison avec des automobiles et pièces d’automobiles; M SPORT PACKAGE, M EXECUTIVE PACKAGE et M PERFORMANCE EDITION (demandes no 1,274,093, no 1,274,092 et no 1,274,333 respectivement, déposées le 30 septembre 2005) en liaison avec des automobiles et pièces d’automobiles; et M6 (demande no 1,244,305 déposée le 6 avril 2006 et modifiée le 2 mai 2006) en liaison avec des automobiles et pièces d’automobiles. Toutes les demandes d’enregistrement mentionnées au présent paragraphe, y compris les demandes concernant M6 et la lettre M employée seule qui font l’objet de la présente affaire, ont été déposées par BMW après le début de la présente instance.

 

 11      BMW emploie également la lettre M en liaison avec des pièces et accessoires d’automobiles, y compris 16 différentes « pièces M », p. ex. suspension M, sièges sport M, volant M, roues M, et des ensembles spéciaux connus sous le nom d’Ensemble Sport M, M Performance Edition et le Groupe exécutif M. Chaque ensemble comporte des pièces et des accessoires M destinés à « styliser » des voitures BMW pour qu’elles ressemblent à des voitures M ou pour qu’elles soient aussi performantes que ce type de voitures.

 

[24]           Je partage l’opinion du juge de première instance qui a déclaré, au paragraphe 37, que l’emploi de la marque M en liaison avec des chiffres, des lettres ou des mots n’équivaut pas à l’emploi de la lettre M toute seule comme marque de commerce. Je souscris également à sa conclusion, énoncée au paragraphe 59, selon laquelle l’emploi de la marque M & Design ne peut pas être considéré comme l’emploi par BMW de la marque M.

 

[25]           Selon la preuve, l’emploi de la marque M par BMW se limitait à des annonces publicitaires et à des documents de promotion. Un tel emploi d’une marque n’est pas en soi suffisant pour constituer un « emploi » suivant le paragraphe 4(1) de la Loi. Il faut, pour que l’emploi d’une marque dans des annonces publicitaires et dans des documents de promotion soit suffisamment lié à une marchandise pour constituer un emploi, que les annonces publicitaires et les documents de promotion aient été donnés lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises : voir Clairol International Corp. et al. c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al. (1968), 55 C.P.R. 176, à la page 190 (Cour de l’Échiquier du Canada), et General Mills Canada Ltd. c. Procter & Gamble Inc. (1985), 6 C.P.R. (3d) 551 (C.O.M.C.).

 

[26]           Dans la présente affaire, certains éléments de preuve étaient eux-mêmes problématiques. Par exemple, il était prévu que le guide des produits BMW de 2003, même s’il contenait la marque M, soit utilisé au sein de BMW, c’est-à-dire par les employés préposés aux ventes au détail, et par conséquent n’aurait pas été remis aux acheteurs. Il y avait d’autres types de documents de promotion qui devaient apparemment faire l’objet d’une diffusion générale; cependant, rien ne démontre que les annonces et le matériel de promotion contenant la marque M ont été distribués au Canada, s’ils l’ont en fait été, de façon à ce qu’un avis de liaison ait été donné lors du transfert.

 

[27]           De même, à l’égard de la marque M6, la seule preuve est que la désignation M6 était employée dans un manuel d’entretien (de date inconnue), dans un guide d’utilisation de 1989 et dans un bulletin du technicien de 1988. Une fois de plus, rien n’indiquait combien, le cas échéant, de ces manuels, guides ou bulletins ont été distribués au Canada ni à quel moment, le cas échéant, ils l’ont été et s’ils étaient disponibles au moment du transfert de la propriété ou de la possession.

 

[28]           De façon assez simple, en l’absence de preuve indiquant si les annonces publicitaires ou le matériel de promotion ont été donnés aux acheteurs lors du transfert des marchandises de BMW, il n’y a pas de preuve appuyant une conclusion de l’emploi des marques M et M6 selon la définition de ce terme dans la Loi.

 

[29]           Compte tenu de ce qui précède, et selon le dossier, je conclus qu’il n’existe pas une preuve établissant l’emploi des marques M et M6 sur laquelle le juge de première instance pouvait s’appuyer pour conclure que ces marques sont des marques de commerce non déposées au sens de l’article 2 de la Loi et permettant d’accepter l’allégation de commercialisation trompeuse suivant l’alinéa 7b) de la Loi. Je conclus que le juge de première instance a commis une erreur de droit en menant une analyse suivant l’alinéa 7b) sans d’abord établir l’existence des marques M et M6 à titre de marques de commerce.

 

[30]           De toute façon, un des éléments essentiels à l’égard d’une l’allégation de commercialisation trompeuse suivant l’alinéa 7) n’a pas été établi. Les trois éléments nécessaires dans une action fondée sur une allégation de commercialisation trompeuse sont les suivants : (a) l’existence d’un achalandage; (b) le fait de tromper le public par une présentation erronée; et (c) des dommages réels ou éventuels pour le plaignant : Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, au paragraphe 33.

 

[31]           Dans la présente affaire, le juge de première instance a accepté les trois éléments nécessaires à l’existence d’une allégation de commercialisation trompeuse et il était d’avis qu’il avait été satisfait aux trois éléments. À l’égard de l’existence d’un achalandage, le juge de première instance a renvoyé au témoignage de M. Kenzie et à ceux d’amateurs de voitures BMW et il a conclu ce qui suit au paragraphe 106 :

[…] BMW est connue parmi les journalistes automobiles et les amateurs de voitures de luxe et de haute performance, en particulier parmi les propriétaires de voitures BMW, pour les marchandises qu’elle annonce avec la marque M, y compris son modèle M6. Le fait que ces marques soient ainsi connues par des groupes d’intérêt particuliers dans un marché assez restreint de consommateurs suffit, en l’espèce, pour établir l’achalandage attaché aux deux marques de commerce reconnues par la common law que revendique BMW et qu’elle a employées dans le passé.

 

 

[32]           À l’égard de la deuxième exigence, le juge de première instance a conclu qu’il y avait vraisemblablement une confusion quant aux marques M et M6. Il a déclaré ce qui suit au paragraphe 108 :

Lorsqu’on examine le risque de confusion dans la présente espèce, on constate une grande différence avec les circonstances examinées pour trancher l’allégation de contrefaçon avancée en vertu du paragraphe 20(1), dans le cadre de laquelle les marques M et M6 employées par Nissan n’étaient pas identiques aux marques de commerce déposées de BMW. À mon avis, l’emploi de la lettre M par Nissan en 2005, à titre de marque de commerce, et de la désignation M6, à titre de marque de commerce, lesquelles ressemblent toutes les deux, dans leur présentation, aux mêmes marques de commerce de BMW, employées en liaison avec des marchandises semblables, c’est‑à‑dire des automobiles et des pièces d’automobiles dans un domaine ou industrie essentiellement identique à celui de BMW, a créé un risque de confusion entre la source des marchandises de la défenderesse et celle des marchandises des demanderesses. Qu’elle ait été créée intentionnellement ou non, cette confusion découlait des actes de Nissan.

 

[33]           Quant au troisième élément, c’est-à-dire les dommages, le juge de première instance a accepté l’argument des intimées selon lequel, une fois démontrée l’existence des deux premiers éléments, il y a présomption qu’il y a des dommages. Au paragraphe 109 de sa décision, le juge de première instance a déclaré ce qui suit :

En l’absence d’une preuve des dommages‑intérêts lesquels, conformément à l’ordonnance de disjonction rendue par la Cour avant l’instruction, doivent être réglés une fois présentées les observations des parties, je présume, sous réserve d’autres facteurs, qu’il y aura lieu à des dommages‑intérêts, symboliques ou élevés.

 

 

[34]           Comme l’a mentionné le juge de première instance, l’ordonnance de disjonction datée du 5 octobre 2006 prévoit que les questions de responsabilité doivent être séparées des questions de l’étendue des dommages et de l’état comptable des profits, et que la production de documents et la communication préalable orale sur les questions de l’étendue des dommages et de l’état comptable des profits doivent être reportées jusqu’à ce que soit rendu un jugement sur les questions de responsabilité.

 

[35]           Sans faire de commentaires sur les deux premiers éléments, je conclus que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a tenu pour acquis qu’il y aurait des dommages. Un dommage réel ou éventuel est un élément nécessaire à une conclusion selon laquelle il y a une responsabilité suivant l’alinéa 7b). En l’absence de preuve à cet égard, la Cour ne peut pas conclure à l’existence d’une responsabilité : Tommy Hilfiger Licensing Inc. et al. c. Produits de qualité I.M.D. Inc. et al. (2005), 267 F.T.R. 259, aux paragraphes 137 et 138 (C.F.). Un demandeur doit « [traduction] établir qu’il subit ou, dans une action quia timet, qu’il est susceptible de subir des dommages à cause de la croyance erronée engendrée par la représentation trompeuse du défendeur que la source de ses produits et services est la même que ceux du demandeur » : Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., précité, au paragraphe 32, qui cite Reckitt & Colman Products Ltd. c. Borden Inc., [1990] 1 All E.R. 873 (H.L.), à la page 880. Voir également Pro-C Ltd. c. Computer City, Inc. (2001), 55 O.R. (3d) 577, au paragraphe 24.

 

[36]           Une ordonnance de disjonction ne dégage pas l’appelante de l’obligation de prouver l’existence d’un dommage en tant qu’élément de sa cause d’action. Elle ne fait simplement que reporter la preuve de l’étendue des dommages jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la question de la responsabilité des intimées.

 

[37]           Dans la présente affaire, le juge de première instance ne disposait d’aucun élément de preuve établissant l’existence de dommages et il n’y avait pas de conclusion à cet égard. Le juge de première instance ne pouvait pas présumer qu’il y aurait des dommages. En l’absence d’une telle preuve, la Cour conclut que le juge de première instance a commis une erreur de droit en acceptant l’allégation de commercialisation trompeuse des marques M et M6 suivant l’alinéa 7b) de la Loi.

 

[38]           Par conséquent, l’appel sera accueilli avec dépens.

 

« J. Richard »

Juge en chef

 

« Je souscris aux présents motifs

A.M. Linden, j.c.a. »

 

« Je souscris aux présents motifs

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A‑3‑07

 

APPEL DU JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉ DU 7 MARS 2007 (No T‑1395‑05)

 

INTITULÉ :                                                                           NISSAN CANADA INC.

                                                                                                c.

                                                                                                BMW CANADA INC.

                                                                                                et BAYERISCHE

                                                                                                MOTOREN WERKE AKTIENGESELLSCHAFT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 19 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE EN CHEF RICHARD

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LINDEN

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 12 JUILLET 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carol Hitchman

Warren Sprigings

Christopher Tan

 

POUR L’APPELANTE

 

 

Ronald E. Dimock

Henry Lue

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hitchman & Sprigings

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

 

Dimock Stratton LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

 

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