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Date : 20070608

Dossier : A-261-06

Référence : 2007 CAF 223

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON               

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE (CANADA)

 

appelant

et

TENASKA MARKETING CANADA,

une division de TMV Corp.

 

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 3 mai 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE NADON           

                                                                                                                     LE JUGE PELLETIER

 

 


 

Date : 20070608

Dossier : A-261-06

Référence : 2007 CAF 223

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE (CANADA)

 

appelant

et

TENASKA MARKETING CANADA,

une division de TMV Corp.

 

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]               La présente affaire de TPS porte sur le parcours du gaz naturel, qui traverse le continent dans des pipelines, à partir de l’Ouest du Canada pour aller jusqu’aux États-Unis et revenir ensuite dans l’Est du Canada. En l’espèce, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) a décidé que Tenaska Marketing Canada (Tenaska) devait payer la TPS à l’égard des expéditions de gaz naturel au moment où elles entrent de nouveau au Canada.

 

[2]               La question à trancher est celle de savoir si l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise et l’article 23 de la Loi sur les douanes sont applicables aux faits de l’espèce, de sorte qu’il n’y a pas en l’espèce « importation » de gaz naturel aux fins de la TPS.

 

[3]               Tenaska a demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’Agence. Les parties conviennent que ce recours était approprié, puisque ni la Loi sur les douanes, ni la Loi sur la taxe d’accise ne prévoient un appel dans ce genre de situation. L’avocat du ministre a reconnu que la législation contenait une lacune qu’il y aurait lieu de corriger.

 

[4]               Le 10 mai 2006, le juge O’Keefe a fait droit à la demande de contrôle judiciaire (2006 CF 583). Il a conclu au paragraphe 35 que « l’article 144.01 s’applique au gaz naturel, même s’il est mélangé au reste du gaz naturel » qui se trouve dans le pipeline. Ayant estimé que « l’agent aurait dû appliquer l’article 144.01 aux faits de la présente affaire en vue de déterminer si le gaz naturel en question satisfaisait aux exigences de la disposition », il a renvoyé l’affaire à un agent différent pour nouvelle décision.

 

[5]               Le ministre a déposé un avis d’appel. Tenaska a déposé un avis d’appel incident.

 

[6]               Le ministre allègue que la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a décidé qu’il y avait lieu d’annuler la décision de l’Agence parce que la décision en question ne faisait aucunement référence à l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise ni à l’article 23 de la Loi sur les douanes. Selon le ministre, le rôle du juge consistait à déterminer lui‑même, en appliquant les dispositions législatives pertinentes, si la décision d’établir les cotisations était juridiquement correcte compte tenu du dossier factuel soumis à l’Agence. Sur le fond, le ministre estime que l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise n’avait pas pour effet d’exonérer de la TPS le gaz naturel importé par Tenaska étant donné que le dossier factuel dont disposait l’Agence n’a pas établi :

a) que le gaz importé des États-Unis provenait en fait à l’origine du Canada,

 

b) que le gaz naturel importé a été transporté via les États-Unis seulement aux fins de sa livraison d’un endroit au Canada à un autre endroit au Canada.

 

Le ministre soutient également que l’article 23 de la Loi sur les douanes n’est pas applicable étant donné qu’aucun règlement n’a été pris à l’égard du transport par pipeline.

 

[7]               Dans son appel incident, Tenaska demande que soit modifiée l’ordonnance de la Cour fédérale : au lieu de renvoyer la cotisation à un autre agent pour nouvelle décision, le juge aurait dû annuler la cotisation au motif que l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise et l’article 23 de la Loi sur les douanes ont pour effet d’exempter le gaz naturel de la TPS.

 

Le contexte

[8]               Le contexte de l’affaire a été exposé de façon détaillée par le juge O’Keefe aux paragraphes 3 à 9 de ses motifs :

[3] Tenaska Marketing Canada, une division de Tenaska Marketing Ventures Corp., qui est une société du Nebraska (la demanderesse), s’occupe de commerce de gaz naturel au Canada. La demanderesse achète du gaz naturel dans l’Ouest du Canada et le transporte ensuite jusque chez ses clients, dans l’Est du Canada, au moyen du pipeline des Grands Lacs, qui s’étend de la frontière entre le Manitoba et le Minnesota, en passant par le Minnesota, le Wisconsin et le Michigan, avant d’entrer de nouveau au Canada à Sault Ste. Marie ou à St. Clair (Ontario).

 

[4] Au mois de juillet 2003, l’organisme qui est maintenant l’ASFC (autrefois l’Agence des douanes et du revenu du Canada), une agence relevant du portefeuille du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le défendeur), a entamé une vérification de l’observation par la demanderesse de la législation douanière concernant les importations de gaz naturel que celle‑ci avait effectuées au cours de l’année civile 2002. Pendant la vérification, la demanderesse a soumis plusieurs documents concernant 24 importations de gaz naturel. Parmi les documents qui ont été déposés, il y avait une copie d’un contrat, signé le 15 janvier 1996, entre la demanderesse et une société affiliée américaine (le contrat d’achat‑vente). Le contrat d’achat‑vente visait à transférer le titre afférent au gaz naturel à la société affiliée américaine lorsque le gaz passait la frontière aux États‑Unis. Le titre était de nouveau transféré à la demanderesse lorsque le gaz naturel était réimporté au Canada, en Ontario. La demanderesse a affirmé qu’il s’agissait simplement de [traduction] « transferts de convenance » effectués en vue de se conformer aux lignes directrices de la Federal Energy Regulatory Commission (la FERC) aux États-Unis.

 

[5] En ce qui concerne 12 des 24 importations de gaz naturel, la demanderesse a déclaré que le gaz naturel avait pour origine les États‑Unis et elle a reconnu qu’il était assujetti à la TPS lorsqu’il était importé. Quant aux 12 autres importations de gaz (que la demanderesse a appelées le gaz en transit), la demanderesse a déclaré que le gaz naturel avait pour origine le Canada, qu’il devait être classé sous le numéro tarifaire 9813.00.00.92 (marchandises originaires du Canada, exportées et retournées) et qu’il devait donc être exempté de la TPS.

 

[6] Le 27 janvier 2005, l’ASFC a envoyé deux RDR conformément à l’alinéa 59(1)a) de la Loi sur les douanes en vue de corriger les erreurs commises dans le classement tarifaire qui avaient été décelées au cours de la vérification. Les RDR établissaient à l’égard de la demanderesse une cotisation de 2 693 622 $ au titre de la TPS et de 555 234 $ au titre des intérêts prescrits (collectivement appelés la cotisation) pour le motif que la demanderesse aurait dû payer la TPS sur ses importations du gaz en transit en 2002 lorsque le gaz naturel a été réimporté au Canada.

 

[7] Les motifs de cette cotisation sont énoncés dans les lettres et rapports préparés par Mark Kapiczowski, agent de vérification de l’observation à l’ASFC. Dans le rapport de vérification final daté du 21 janvier 2005, M. Kapiczowski fait savoir qu’étant donné que le gaz en transit est entré dans le pipeline des Grands Lacs, où s’il s’est combiné ou s’est mêlé au gaz de provenance américaine, il doit être classé sous le numéro tarifaire 2711.21.00.00 (gaz naturel) et il est assujetti à la TPS au moment de son importation.

 

[8] M. Kapiczowski a également fait remarquer que même s’il était possible de s’assurer que le gaz en transit avait pour origine le Canada, il y avait eu transfert de propriété à la frontière du Manitoba et que le gaz était fourni à l’étranger au moyen d’une vente. Par conséquent, la TPS était payable au moment de la réimportation.

 

[9] La demanderesse a payé la cotisation et a depuis lors recouvré l’élément TPS de la cotisation en demandant un crédit de taxe sur les intrants, mais elle n’a pas recouvré l’élément intérêts. La demanderesse a présenté cette demande de contrôle judiciaire en vue de contester la cotisation. Selon la demanderesse, la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur les douanes ne prévoient pas d’autres mécanismes d’appel. Le défendeur n’a pas contesté la possibilité de demander le contrôle judiciaire dans ce cas‑ci.

 

[9]               Pour transporter son gaz naturel canadien de l’Ouest à l’Est du Canada, Tenaska a décidé de le transporter de la façon la plus économique, c’est‑à‑dire en utilisant le pipeline TCPL-GLGC, dont la partie canadienne appartient à TransCanada Pipeline Limited (TCPL) et la partie américaine, à la Great Lakes Gas Transmission Company (GLGC). Le pipeline a son point de départ en Alberta, traverse la Saskatchewan et le Manitoba et, ensuite, les États du Minnesota, du Wisconsin et du Michigan avant de pénétrer de nouveau au Canada, en Ontario. Les endroits où sont connectés le TCML et le GLPL sont situés, dans l’Ouest, à Emerson, au Manitoba, et dans l’Est, à Sault Ste. Marie ou à St. Clair, en Ontario.

 

[10]           Pour s’assurer qu’on ne considère pas qu’elle a expédié du gaz naturel aux États-Unis ou a exercé autrement des activités commerciales aux États-Unis, Tenaska a vendu le gaz à sa filiale américaine au moment où celui‑ci a traversé la frontière et l’a racheté de sa filiale lorsqu’il est entré de nouveau au Canada.

 

[11]           En raison des propriétés physiques uniques du gaz naturel, le transport de ce gaz en gros volume ne peut se faire qu’en débit continu. Lorsqu’il est livré dans un pipeline pour être transporté, le gaz se mélange à d’autre gaz naturel. Il est impossible d’identifier séparément les molécules individuelles ou de les suivre avec précision. C’est la raison pour laquelle le gaz naturel est vendu et acheté sur une base « qualité et quantité » et traité comme un produit fongible, dont la propriété s’acquiert sur une base qualité et quantité. Par conséquent, au dernier point de livraison, l’acheteur reçoit le même volume et la même qualité générale de gaz naturel (moins éventuellement le combustible consommé pour le transport), qui a la même puissance calorifique réelle que le gaz naturel qui a été livré au point situé en amont. Les contrats de transport par pipeline prévoient généralement que le gaz naturel livré au pipeline sera mélangé à d’autre gaz naturel et exigent que les livraisons effectuées au pipeline et par le pipeline respectent des normes de qualité précises.

 

[12]           Compte tenu des propriétés fondamentales du gaz naturel (c.-à-d. c’est un bien fongible, qui se mélange avec le contenu du pipeline à la livraison, et qui ne peut donc pas être identifié une fois livré), toutes les expéditions de gaz naturel canadien effectuées par Tenaska par le pipeline TCPL/GLGC se sont mélangées à du gaz naturel comparable et ont perdu leur identité distincte une fois livrées dans ce pipeline. De plus, lorsque le gaz naturel canadien est expédié via les États‑Unis, il se mélange probablement également avec du gaz naturel produit aux États-Unis, qui est livré au GLPL à différents points situés aux États-Unis.

 

[13]           Les avocats des deux parties ont déclaré à la Cour qu’à leur connaissance, les seules conséquences fiscales canadiennes en litige dans les circonstances de la présente affaire concernaient uniquement la TPS.

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

 

 

Loi sur la taxe d’accise

 

123. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à l’article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

[… ]

 

« produit transporté en continu » L’électricité, le pétrole brut, le gaz naturel ou tout bien meuble corporel, qui est transportable au moyen d’un fil, d’un pipeline ou d’une autre canalisation.

[… ]

144.01 Pour l’application de la présente partie, sauf les articles 4, 15.3 et 15.4 de la partie V de l’annexe VI, est réputé n’être ni exporté ni importé au cours de son transport ou nouveau transport au moyen d’un fil, d’un pipeline ou d’une autre canalisation le produit transporté en continu qui, selon le cas :

a) passe par l’étranger au cours de sa livraison par ce moyen d’un endroit au Canada à un autre endroit au Canada et seulement aux fins de cette livraison;

b) passe par le Canada au cours de sa livraison par ce moyen d’un endroit à l’étranger à un autre endroit à l’étranger et seulement aux fins de cette livraison;

c) passe d’un endroit au Canada à un endroit à l’étranger où il est stocké ou pris à titre d’excédent pendant une période jusqu’à ce qu’il soit transporté de nouveau par ce moyen, en une quantité équivalente et dans le même état, jusqu’à un endroit au Canada, sauf dans la mesure où il est consommé ou modifié d’une façon nécessaire ou accessoire à son transport;

d) passe d’un endroit à l’étranger à un endroit au Canada où il est stocké ou pris à titre d’excédent pendant une période jusqu’à ce qu’il soit transporté de nouveau par ce moyen, en une quantité équivalente et dans le même état, jusqu’à un endroit à l’étranger, sauf dans la mesure où il est consommé ou modifié d’une façon nécessaire ou accessoire à son transport.

2000, ch. 30, art. 21.

 

Loi sur les douanes

 

23. Le transport de marchandises effectué, aux conditions et sous les cautions ou autres garanties réglementaires, d’un point à un autre du Canada en passant par l’extérieur du Canada est assimilé, quant à l’assujettissement aux droits afférents ou à leur exemption, à un transport entièrement effectué à l’intérieur du Canada.

 

 

 

Excise Tax Act

 

123. (1) In section 121, this Part and Schedules V to X,

 

 

"continuous transmission commodity" means electricity, crude oil, natural gas, or any tangible personal property, that is transportable by means of a wire, pipeline or other conduit;

 

144.01 For the purposes of this Part (other than sections 4, 15.3 and 15.4 of Part V of Schedule VI), if a continuous transmission commodity is transported by means of a wire, pipeline or other conduit

(a) outside Canada in the course of, and solely for the purpose of, being delivered by that means from a place in Canada to another place in Canada,

(b) in Canada in the course of, and solely for the purpose of, being delivered by that means from a place outside Canada to another place outside Canada,

(c) from a place in Canada to a place outside Canada where it is stored or taken up as surplus for a period until further transported by that means to a place in Canada in the same measure and state except to the extent of any consumption or alteration necessary or incidental to its transportation, or

(d) from a place outside Canada to a place in Canada where it is stored or taken up as surplus for a period until further transported by that means to a place outside Canada in the same measure and state except to the extent of any consumption or alteration necessary or incidental to its transportation,

 

the commodity is deemed not to be exported or imported in the course of that transportation or further transportation.

 

2000, c. 30, s. 21.

 

 

 

 

Customs Act

 

23. Goods that are transported from one place in Canada to another place in Canada over territory or waters outside Canada in accordance with such terms and conditions and subject to such bonds or other security as may be prescribed shall be treated, with respect to their liability to or exemption from duties, as if they had been transported entirely within Canada.

 

 

Document d’information et notes explicatives pertinents

[14]           Avant l’adoption de l’alinéa 144.01a) de la Loi sur la taxe d’accise, le ministre des Finances de l’époque, M. Paul Martin, a émis le 7 août 1998 un communiqué qui contenait un document d’information, dont le juge O’Keefe a cité certains passages dans ses motifs :

Document d’information

Pétrole, gaz et électricité

 

Les propositions qui suivent ont pour objet de simplifier l’observation du régime de la taxe sur les produits et services ou de la taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) et de maintenir la capacité concurrentielle du secteur de l’énergie du Canada. Elles consistent notamment :

 

§    à simplifier les exigences de preuve documentaire des exportations;

§    à détaxer le gaz naturel et les services de transport vers l’étranger, dans le cas où le gaz est traité avant l’exportation;

§    à détaxer l’entreposage du gaz naturel avant l’exportation;

§    à supprimer la taxe sur certains échanges effectués dans les installations de traitement complémentaire;

§    à détaxer les échanges et mouvements transfrontaliers de pétrole et de gaz transporté par pipeline et d’électricité transportée par ligne à haute tension;

§    à supprimer la taxe sur certains échanges de biens et de services prévus par des accords d’amodiation.

 

Exigences de preuve documentaire des exportations

 

[…]

 

Pour qu’une fourniture de produits soit considérée comme une fourniture détaxée, le fournisseur doit conserver une preuve documentaire satisfaisante de l’exportation des produits. Lorsqu’un fournisseur de pétrole brut, de gaz naturel ou d’électricité traite une vente comme étant détaxée en raison de l’intention déclarée de l’acheteur d’exporter le produit, mais que ce dernier ne lui remet pas une preuve de l’exportation, le fournisseur demeure redevable de la taxe sur la vente. Le caractère fongible du pétrole brut, du gaz naturel, de l’électricité et d’autres produits transportés par pipeline, ligne à haute tension ou autre canalisation peut causer des problèmes aux fournisseurs qui cherchent à se conformer aux exigences de preuve documentaire des exportations, à plus forte raison lorsque l’acheteur acquiert un même produit auprès de plusieurs fournisseurs.

 

Une autre approche est proposée relativement aux exigences de preuve documentaire des exportations de produits transportés en continu. La proposition tient compte à la fois des difficultés des fournisseurs liées à l’observation et des éventuels problèmes de revenus ou d’équité concurrentielle qui pourraient découler de la réaffectation au marché canadien de produits détaxés. Pour l’application de ces mesures, l’expression « produit transporté en continu » s’entend du pétrole brut, du gaz naturel, de l’électricité ou de tout bien meuble corporel qui est transportable au moyen d’un pipeline, d’une ligne à haute tension ou d’une autre canalisation.

 

[…]

 

Fournitures aux non-inscrits

 

[…]

 

Un autre aspect important de cet arrangement a trait au fait que Revenu Canada y reconnaît la nature fongible des produits transportés en continu. En effet, si le gaz est acheté auprès de plusieurs fournisseurs au cours d’une période, il peut être impossible, en raison du caractère homogène du produit, d’identifier la destination d’un achat particulier. Dans ces circonstances, Revenu Canada comparera la quantité de produit achetée qui est visée par le certificat à la quantité effectivement exportée par l’acheteur au cours d’une période.

 

Mouvements transfrontaliers

 

Le produit transporté en continu vendu au Canada pour utilisation ou revente ailleurs au pays peut traverser la frontière entre le Canada et les États‑Unis à plusieurs reprises avant d’arriver à destination, s’il est transporté par pipeline ou ligne à haute tension. Dans le même ordre d’idées, le produit acquis aux États‑Unis qui doit être livré dans une autre partie de ce pays peut passer par le Canada. Le mouvement du produit dépend en effet du tracé du pipeline ou de la ligne.

 

[…]

 

Il est proposé de modifier les dispositions législatives concernant la TPS/TVH de sorte que la taxe ne s’applique pas aux importations dans le cas où les mouvements transfrontaliers de produits transportés en continu dépendent uniquement du tracé du pipeline ou de la ligne à haute tension […]

 

De plus, il est proposé que le produit transporté en continu qui est transporté par ligne à haute tension, pipeline ou autre canalisation d’un endroit au Canada à un point à l’étranger où il est entreposé avant d’être transporté de nouveau au Canada ne soit pas considéré comme ayant été exporté ni importé […]

 

[…]

 

Il est proposé d’appliquer ces mesures au transport d’un produit transporté en continu d’un point d’origine vers une destination, y compris tout transport intermédiaire à destination ou en provenance d’un lieu d’entreposage, dans le cas où le transport à partir du point d’origine commence après la date de publication.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[15]           Dans les notes explicatives publiées en juin 1999 au sujet des modifications proposées à la Loi sur la taxe d’accise, on peut lire les commentaires suivants :

Les produits transportés en continu (à savoir, le pétrole, le gaz naturel ou l’électricité, transporté par pipeline ou ligne à haute tension) peuvent franchir la frontière canadienne à plusieurs reprises avant d’arriver à destination au Canada ou à l’étranger, et ce, uniquement à cause du parcours du pipeline ou de la ligne à haute tension. Dans ce cas, la pratique administrative consiste à fonder le traitement fiscal sur l’origine et la dernière destination du produit et non pas sur les mouvements transfrontaliers du produit en transit. En d’autres termes, la taxe ne s’applique pas si le produit traverse la frontière dans le seul but d’être transporté par pipeline ou ligne à haute tension d’un endroit à l’étranger à un autre endroit à l’étranger ou d’un endroit au Canada à un autre endroit au Canada. L’article 144.01 est ajouté à la Loi en vue de codifier cette pratique administrative.

 

L’article 144.01 fait également en sorte que le produit soit toujours considéré comme étant « en transit » lorsqu’il est stocké ou pris à titre de produit excédentaire jusqu’à son prochain transport. Lorsque le produit est transporté de nouveau, il doit l’être en une quantité équivalente par rapport à ce qui a été transporté initialement et être dans le même état qu’avant le stockage (c’est‑à‑dire, qu’il ne peut avoir été traité ou modifié pendant l’interruption de son transport jusqu’à la destination finale), sauf dans la mesure où le produit est consommé ou transformé dans une mesure nécessaire ou accessoire à son transport. Étant donné qu’il n’est pas possible de conserver matériellement la même unité d’électricité sur une période donnée ou qu’il peut ne pas être praticable de conserver les mêmes molécules de pétrole ou de gaz dans un réservoir, il suffit que le produit transporté de nouveau soit l’équivalent de celui qui est entré dans le pipeline ou la ligne à haute tension au point d’origine.

 

 

[16]           Un Avis des douanes émis par l’Agence le 3 avril 2002 concernant les Procédures pour l’importation de produits transportés en continu (PTC) énonce à son article 4 :

4. La déclaration et la comptabilisation ne sont pas nécessaires pour les produits suivants :

a) les PTC provenant d’une source canadienne et transitant par les États-Unis pour réimportation au Canada;

 

[… ]

4. Reporting and accounting are not required for the following commodities:

(a) CTCs sourced domestically and transported through the United States for reimportation at a destination in Canada;

 

 

 

 

La décision de première instance

 

[17]           Le juge O’Keefe a souligné au paragraphe 28 de ses motifs qu’il n’était pas contesté que le gaz naturel en question est « un produit transporté en continu » au sens du paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise et « que le gaz naturel est un produit fongible, en ce sens qu’une fois qu’il est livré à un pipeline pour être transporté, il se mêle au reste du gaz naturel » et « […] il ne peut pas être distingué du reste du gaz naturel qui est dans le pipeline ».

 

[18]           Il s’est ensuite appuyé sur le document d’information ministériel et sur les notes explicatives pour conclure que l’article 144.01 tenait précisément compte du fait que le gaz ne pourrait pas être distingué du reste du gaz dans un pipeline en raison de sa nature fongible et que cet article s’applique au gaz naturel, même lorsqu’il est mélangé à d’autre gaz naturel.

 

[19]           L’agent de vérification n’ayant pas fait référence à l’article 144.01 dans sa décision, le juge a renvoyé l’affaire à un autre agent pour qu’il décide, en se fondant sur les faits de cette situation particulière, si les conditions prévues par cet article étaient remplies. Il n’a pas fourni d’autres directives quant à l’interprétation de cette disposition ou de l’article 23 de la Loi sur les douanes. On pourrait soutenir que le juge aurait pu aller un peu plus loin et décider lui‑même si les cotisations étaient valides d’après les faits de l’affaire. Il me semble toutefois ressortir de ses motifs qu’en fait, il n’était pas satisfait de la façon dont la vérification avait été effectuée et qu’il a estimé que la solution la plus sûre consistait à demander à un vérificateur, qui saurait quelles sont les informations dont il a besoin pour décider si les conditions prévues par l’article 144.01 ont été remplies, de procéder à une nouvelle vérification.

 

[20]           Il convient de rappeler que la contestation des cotisations établies en vertu de la Loi sur la taxe d’accise ou de la Loi sur les douanes emprunte habituellement les voies d’appel prévues par ces deux lois. En raison d’un oubli du législateur, les cotisations en litige dans le cas présent ne peuvent être contestées que par un contrôle judiciaire. Dans les instances de contrôle judiciaire, la pratique générale consiste à renvoyer l’affaire pour nouvel examen lorsque la Cour estime qu’un facteur pertinent n’a pas été pris en considération. L’erreur qu’a pu commettre le juge est peut‑être de ne pas avoir fourni de directives plus précises à l’agent de vérification.

 

La norme de contrôle

[21]           Le juge O’Keefe a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Il n’est pas contesté que la norme de la décision correcte est celle qui s’applique aux conditions juridiques prévues à l’article 144.01 (voir A & R Dress Co. Inc. c. Le ministre du Revenu national, 2006 CAF 298).

 

[22]           Le ministre soutient, à juste titre, que pour déclencher l’application de l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise, l’importateur doit démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que le gaz naturel a été exporté « d’un endroit au Canada » et a passé par l’étranger pour être livré « à un autre endroit au Canada et seulement aux fins de cette livraison ».

 

Le gaz importé des États-Unis provenait-il en fait initialement du Canada?

[23]           La position du ministre sur cette question n’a pas été clairement exposée. L’avocat a semblé indiquer que l’article 144.01 s’appliquerait uniquement au gaz naturel transporté via les États‑Unis par un pipeline américain scellé, c’est-à-dire un pipeline ne comprenant aucun point de livraison aux États‑Unis. Interrogé au sujet de l’existence de ce genre de pipelines, il n’a pas été en mesure de fournir quelque preuve que ce soit sur ce point et il a dû reconnaître qu’il était très peu probable, même dans le cas où ce genre de pipelines scellés existerait effectivement, que le législateur ait eu l’intention que l’article 144.01 s’applique uniquement à ces situations.

 

[24]           En fin de compte, l’avocat a reconnu que le gaz qui arrivait au Canada n’était pas et ne pouvait être, pour des raisons physiques, le même gaz que celui qui avait été exporté à l’origine. L’avocat a convenu avec la Cour qu’il incombait à l’importateur de démontrer que le volume du gaz au point d’entrée au Canada était identique (ou inférieur) au volume du gaz au point de sortie.

 

[25]           La mesure du volume du gaz est une question de preuve. L’avocat du ministre a soutenu que, dans le cas d’un pipeline américain non scellé comprenant de multiples points de livraison aux États‑Unis, l’importateur devrait être en mesure d’établir l’origine du gaz importé en se référant aux volumes de gaz expédiés et livrés par tous les expéditeurs qui utilisent le pipeline. L’avocat a en fait mentionné que l’Office national de l’énergie oblige tous les importateurs et exportateurs de gaz naturel à fournir des rapports mensuels; à son avis, ces rapports pourraient être transmis aux Douanes pour les aider à décider aux fins de la TPS si le gaz naturel importé est d’origine canadienne.

 

[26]           Il n’appartient pas à la Cour de décider si les importateurs peuvent fournir sous d’autres formes aux agents des douanes les données dont ils ont besoin. La Cour n’est pas non plus disposée à examiner la question de savoir si la preuve produite en l’espèce est suffisante. C’est une opération qui relève des attributions des agents de vérification.

 

Le gaz naturel a-t-il été transporté via les États‑Unis à un autre endroit au Canada, seulement aux fins de cette livraison?

[27]           Le ministre soutient que, dans la présente espèce, le gaz n’a pas été transporté via les États‑Unis « à un autre endroit au Canada […] seulement aux fins de cette livraison » au sens de l’alinéa 144.01a). D’après l’avocat, d’autres fins étaient recherchées. Le gaz a également été transporté via les États‑Unis pour être vendu à une filiale américaine et ensuite être offert en vente par cette filiale à des tiers.

 

[28]           L’expression « seulement aux fins de cette livraison » n’a pas le sens que lui attribue le ministre.

 

[29]           Premièrement, le mot « fins » fait référence à l’objectif recherché et non pas aux moyens utilisés pour l’atteindre. La fin légale énoncée à l’alinéa 144.01a) est la livraison du gaz à un autre endroit au Canada. Bien que la livraison s’effectue par l’intermédiaire d’une société américaine, cela ne modifie pas la fin recherchée, qui demeure la livraison du gaz.

 

[30]           Deuxièmement, les termes « seulement aux fins » de l’alinéa 144.01a) doivent être interprétés dans leur contexte. Le contexte est celui du gaz naturel, un « produit transporté en continu », « au cours de sa livraison ». Ces termes et expressions indiquent que l’opération visée est celle d’un flux continu de gaz qui passe en transit aux États-Unis. La version anglaise a le même sens.

 

[31]           Cette interprétation est renforcée par les alinéas c) et d) qui contiennent des dispositions particulières pour les cas où le gaz est stocké ou pris à titre d’excédent « […] pendant une période jusqu’à ce qu’il soit transporté de nouveau […] ».

 

[32]           Le document d’information et les notes explicatives démontrent que le mot « seulement » (« solely » dans la version anglaise) est utilisé pour exempter le gaz naturel qui est transporté en continu via les États‑Unis par un pipeline qui transite par les États‑Unis.

 

[33]           En fin de compte, le changement de propriété que subit le gaz naturel canadien lorsqu’il traverse en transit les États-Unis et le mélange du gaz américain et du gaz canadien dans la partie américaine du pipeline ne sont pas pertinents pour la question de savoir quelle est la fin recherchée par la livraison du gaz d’un endroit au Canada à un autre endroit au Canada. Ces faits constituent un élément intrinsèque de la réalité économique du transport du gaz naturel par pipeline via les États‑Unis. Les rédacteurs de ces dispositions avaient clairement à l’esprit cette réalité économique, qui se reflète dans les termes utilisés par le législateur.

 

Décision

[34]           Le juge O’Keefe n’a pas commis une erreur susceptible d’être annulée lorsqu’il a renvoyé l’affaire à un agent différent pour nouvelle décision.

 

[35]           L’agent de vérification devrait établir la cotisation en tenant compte des éléments suivants :

a)      la question de savoir si une quantité de gaz donnée est de source canadienne doit être tranchée en se fondant sur la quantité et la qualité du gaz, et non pas sur le parcours physique qu’ont suivi des volumes de gaz particuliers;

 

b)      la vente à un intermédiaire au cours du transport via les États‑Unis ne permet pas de trancher la question de savoir le gaz naturel a été transporté via les États‑Unis seulement aux fins d’une livraison au Canada.

 

[36]           Dans les circonstances, l’agent de vérification devrait avoir toute latitude pour demander des renseignements supplémentaires en vue de déterminer si, compte tenu des faits de l’espèce, l’article 144.01 de la Loi sur la taxe d’accise s’applique.

 

[37]           Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé, il n’est pas nécessaire d’exprimer une opinion sur l’applicabilité de l’article 23 de la Loi sur les douanes.

 

[38]           L’appel et l’appel incident devraient être rejetés. La Cour ne devrait pas rendre d’ordonnance sur les dépens étant donné que les parties ont chacune obtenu partiellement gain de cause en appel.

 

 

« Robert Décary »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

     M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

     J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-261-06

 

APPEL D’UN JUGEMENT OU ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE EN DATE DU 10 MAI 2006, T-361-05 & T-362-05

 

INTITULÉ :                                                   MSPPC

                                                                        c.

                                                                        TENASKA MARKETING CANADA 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 3 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE DÉCARY

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jan Brongers

POUR L’APPPOUR L’APPELANT

 

Robert G. Kreklewetz

Wendy A. Brousseau

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’APPELANT

 

 

Miller Kreklewetz LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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