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Date : 20070525

Dossier : A-158-06

Référence : 2007 CAF 200

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE RYER

                       

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

LARRY W. NELSON

intimé

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 7 mai 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE LINDEN

                                                                                                                        LE JUGE RYER

 


 

 

Date : 20070515

Dossier : A-158-06

Référence : 2007 CAF 200

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE RYER

 

                       

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

LARRY W. NELSON

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur l’appel d’une décision en date du 15 mars 2006 (2006 CF 225) par laquelle le juge O’Keefe de la Cour fédérale a fait droit à une demande de contrôle judiciaire d'une décision, en date du 15 novembre 2004, par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal ou le Tribunal des anciens combattants) avait refusé la demande présentée par l’intimé en vue de faire réexaminer la décision par laquelle l'ancien Tribunal d'appel des anciens combattants (le Tribunal d'appel) avait, le 20 avril 1995, refusé de lui accorder les prestations d'invalidité qu'il réclamait en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6 (la Loi sur les pensions ou la Loi). 

Résumé des faits

[2]               Les faits à l’origine de la présente instance ne sont pas contestés. Brièvement, l’intimé a servi au sein de la force régulière de l'armée canadienne du 13 août 1970 au 17 juillet 1978, date à laquelle il a été honorablement rendu à la vie civile. Au cours de son service, l’intimé a travaillé dans l'infanterie pendant plusieurs années et a conduit un véhicule blindé de transport de troupes.

 

[3]               Avant de s'engager dans l'armée, l’intimé a été examiné par un médecin, qui a estimé qu'il ne souffrait d'aucune pathologie du système auditif. Cependant, un audiogramme non daté remontant à peu près à l'époque de sa libération, indiquait que l’intimé souffrait d'une surdité de perception des hautes fréquences à l'oreille gauche. Suivant l’intimé, cette diminution de son acuité auditive est imputable aux bruits excessifs auxquels il a été exposé au cours de son service militaire, alors qu'il exécutait certaines tâches, notamment en manœuvrant des armes légères et des missiles, en conduisant des véhicules de transport de troupe et en travaillant à bord d'aéronefs.

 

[4]               L'ouïe de l’intimé a continué à se détériorer après son retour à la vie civile en 1991 et on a diagnostiqué chez lui une surdité bilatérale de perception neurosensorielle en hautes fréquences modérément grave. L’intimé a par la suite soumis une demande de prestations d'invalidité pour hypoacousie en se fondant sur son diagnostic de 1991. Sa demande a été refusée le 7 juin 1993 par la Commission canadienne des pensions au motif que l'hypoacousie dont il souffrait au moment de sa libération n'était pas suffisamment grave pour être considérée comme une invalidité ainsi qu'il était expliqué dans un rapport du 20 mai 1993 de la Direction générale des services de consultation médicale aux fins des pensions.

 

[5]               L’intimé a fait appel de cette décision devant le comité d'examen, qui l'a débouté de son appel le 28 février 1994. L’intimé a ensuite interjeté appel de cette décision devant le Tribunal d'appel, qui a lui aussi rejeté son appel le 20 avril 1995.

 

[6]               L’intimé a continué à consulter des médecins. Par suite des examens audiométriques qu’il a subis et des avis médicaux qu’il a obtenus au sujet des causes de l'hypoacousie dont il souffrait, l’intimé a, le 31 août 2004, déposé une demande de réexamen de sa demande de pension.

 

[7]               Par lettre datée du 15 novembre 2004, le Tribunal des anciens combattants a refusé la demande de réexamen au motif que les résultats de l’audiogramme de l’intimé ne satisfaisaient pas aux conditions requises pour qu’on puisse conclure à une hypoacousie au sens du chapitre 9 de la Table des invalidités du ministère des Anciens combattants. Le Tribunal des anciens combattants a déclaré ce qui suit, aux pages 2 et 3 de sa décision :

[traduction]

 

Les éléments de preuve présentés sont assez crédibles, mais ils ne répondent pas à la question en litige en l'espèce, en l'occurrence la question de savoir si la diminution de l'acuité auditive dont l’intimé était atteint au moment de sa libération des forces armées avait atteint le degré nécessaire pour être considérée comme une invalidité.

 

Suivant la politique suivie par le ministère des Anciens combattants, lorsque les pertes de décibels constatées lors de la libération ne correspondent pas au seuil minimal reconnu par le ministre comme constituant une invalidité, l’état dont l’intéressé affirme souffrir ne lui ouvre pas droit à pension.

 

Bien que les politiques du Ministère en ce qui concerne le droit à pension ne restreignent normalement pas la compétence du Tribunal des anciens combattants (révision et appel), la situation est différente dans le cas de la politique du ministre sur la diminution de l’acuité auditive. Cette politique est un document écrit qui fait partie de la Table des invalidités du ministère des Anciens combattants et qui a force de loi.

 

[…]

 

Bien qu'il reconnaisse que certaines pertes de décibels ont été constatées au cours du service militaire de l'appelant et bien qu'il reconnaisse que ces pertes de décibels et la perte d'audition dont l'appelant souffre présentement sont en partie attribuables à une exposition considérable au bruit au cours du service militaire en question, le Tribunal doit se conformer aux lignes directrices sur l'admissibilité pour hypoacousie [chapitre 9 de la Table des invalidités] dont voici un extrait :

 

Si l'audiogramme effectué au moment de la libération est négatif, toute perte d'ouïe établie par un audiogramme ultérieur ne peut être imputée à l'exposition au bruit reliée au service et ne donne habituellement pas droit à une pension.

 

 

Le Tribunal a par conséquent refusé la demande de réexamen de l’intimé. 

 

[8]               L’intimé a présenté une demande de contrôle judiciaire du refus du Tribunal de réexaminer sa décision antérieure. Le juge saisi de cette demande a fait droit à celle-ci aux termes d’une ordonnance datée du 15 mars 2006. L’appelant interjette appel de cette décision devant notre Cour.  

 

Dispositions législatives applicables

[9]               Voici les dispositions de la Loi sur les pensions qui nous intéressent en l’espèce.

RÈGLE D’INTERPRÉTATION

Règle d’interprétation

2. Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

CONSTRUCTION

Construction

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

 

DÉFINITIONS ET INTERPRÉTATION

Définitions

3. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 « invalidité » La perte ou l’amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental.

« pension » Pension payable en vertu de la présente loi en raison du décès ou de l’invalidité d’un membre des forces, y compris un paiement définitif visé à l’annexe I.

INTERPRETATION

Definitions

3. (1) In this Act,

"disability" means the loss or lessening of the power to will and to do any normal mental or physical act;

"pension" means a pension payable under this Act on account of the death or disability of a member of the forces, including a final payment referred to in Schedule I;

 

POUVOIRS DU MINISTRE

Ministre

5. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale ou de leurs règlements, le ministre a tout pouvoir de décision en ce qui touche l’attribution, l’augmentation, la diminution, la suspension ou l’annulation de toute pension ou autre paiement prévu par la présente loi ainsi que le recouvrement de tout versement excédentaire.

Pouvoir équivalent

(2) Le gouverneur en conseil peut, par décret, conférer au ministre un pouvoir équivalent au sujet des pensions ou autres paiements autorisés au titre de toute autre loi ou par lui-même.

 

Décisions

(3) Lorsqu’il prend une décision, le ministre  :

a) tire des circonstances portées à sa connaissance et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible au intimé ou au pensionné;

b) accepte tout élément de preuve non contredit que celui-ci lui présente et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

Procédure

(4) Dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, le ministre prend ses décisions sans formalisme et en procédure expéditive.

POWERS OF THE MINISTER

Powers of the Minister

5. (1) Subject to this Act and any other Act of Parliament and to the regulations made under this or any other Act of Parliament, the Minister has full power to decide on all matters and questions relating to the award, increase, decrease, suspension or cancellation of any pension or other payment under this Act and to the recovery of any overpayment that may have been made.

 

Additional duties

(2) The Governor in Council may, by order, confer on the Minister duties like those under subsection (1) in respect of pensions or other payments authorized by any other Act of Parliament or by the Governor in Council.

 

Benefit of doubt

(3) In making a decision under this Act, the Minister shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to the Minister every reasonable inference in favour of the applicant or pensioner;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to the Minister by the applicant or pensioner that the Minister considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or pensioner any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or pensioner has established a case.

Decisions shall be made expeditiously

(4) Decisions of the Minister shall be made as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness permit.

 

PARTIE III

PENSIONS

 

Milice active non permanente ou armée de réserve en temps de paix

21(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix  :

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

PART III

PENSIONS

 

Service in militia or reserve army and in peace time

21(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

( a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

Pensions pour invalidité

 

Montant conforme au degré d’invalidité

35. (1) Sous réserve de l’article 21, le montant des pensions pour invalidité est, sous réserve du paragraphe (3), calculé en fonction de l’estimation du degré d’invalidité résultant de la blessure ou de la maladie ou de leur aggravation, selon le cas, du intimé ou du pensionné.

 

Estimation du degré d’invalidité

(2) Les estimations du degré d’invalidité sont basées sur les instructions du ministre et sur une table des invalidités qu’il établit pour aider quiconque les effectue.

 

Pensions for Disabilities

Pension in accordance with extent of disability

35. (1) Subject to section 21, the amount of pensions for disabilities shall, except as provided in subsection (3), be determined in accordance with the assessment of the extent of the disability resulting from injury or disease or the aggravation thereof, as the case may be, of the applicant or pensioner.

How extent of disability assessed

(2) The assessment of the extent of a disability shall be based on the instructions and a table of disabilities to be made by the Minister for the guidance of persons making those assessments.

 

 

Politiques applicables

[10]           Voici les passages pertinents de la Table des invalidités, chapitre 09, Oreilles et ouïe.

 

Il y a invalidité  :

  1. lorsque le seuil d'audition moyen (SAM)1 est de 25 décibels ou plus, aux fréquences de 500, 1 000, 2 000 et 3 000 hertz, dans l'oreille droite ou l'oreille gauche;

ou

  1. lorsque le requérant ne répond pas aux critères précités, et que la perte d'audition est de 50 décibels ou plus à la fréquence de 4 000 hertz dans les deux oreilles.

 

A disability is established:

  1. when the Pure Tone Average (PTA)1 over the 500, 1000, 2000 and 3000 hertz frequencies is 25 decibels or more for either ear;

or

  1. when the above criteria is not met, and there is a loss of 50 decibels or more at the 4000 hertz frequency in both ears.

 

Demande de pension pour surdité attribuable à l'exposition au bruit aux termes du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions

Lorsque aucun audiogramme n'a été passé au cours du service militaire ou au moment de la libération, il doit être établi médicalement que la surdité est attribuable à l'exposition au bruit. Seul un arbitre du Ministère qui a examiné le résultat d'un examen audiométrique récent et qui a considéré les antécédents médicaux du requérant peut déterminer si tel est le cas. L'arbitre étudiera aussi la preuve médicale au dossier.

La preuve doit démontrer que la perte d'audition est attribuable ou liée directement au service ou qu'elle a été aggravée par l'exposition au bruit pendant le service (p. ex. la preuve doit établir qu'il y a eu une exposition considérable au bruit durant le service militaire et que l'on peut conclure que celle-ci est la cause de l'invalidité actuelle).

Lorsqu'un audiogramme passé au moment de la libération révèle une perte d'audition due au bruit, on peut envisager la pleine pension  :

  1. si, selon la preuve, il y a eu exposition considérable au bruit au cours du service;
  2. si rien ne confirme l'existence de la perte d'audition avant l'enrôlement ou d'un facteur qui en serait la cause (p. ex. un audiogramme démontrant une détérioration après la libération, des avis médicaux selon lesquels l'âge ou l'exposition au bruit en dehors du service sont des facteurs, etc.).

On peut envisager d'accorder une pension partielle lorsque, d'après la preuve, le requérant souffrait déjà de surdité avant de s'enrôler et qu'il existe un ou plusieurs facteurs contributifs (p. ex. un audiogramme démontrant une détérioration après la libération, des avis médicaux selon lesquels l'âge ou l'exposition au bruit en dehors du service sont des facteurs, etc.).

Si l'audiogramme effectué au moment de la libération est négatif, toute perte d'ouïe établie par un audiogramme ultérieur ne peut être imputée à l'exposition au bruit reliée au service et ne donne habituellement pas droit à une pension.

Chaque cas doit être étudié en toute objectivité.

 

Noise- induced hearing loss claims under subsection 21( 2) of the Pension Act :

Where there is no audiogram during service or on release, it should be demonstrated medically that the current loss is, in fact, a noise- induced one. This determination should be made by a departmental adjudicator who has examined the result of a current audiometric test and has been given the factual history of the applicant. The adjudicator will also consider any other medical evidence on file.

 

The evidence should show that the loss arose out of, was directly connected with or was aggravated by service (e. g. significant service- related noise exposure that seems reasonably to be the cause of the current disability).

In cases where there is an audiogram on release and it shows a noise- induced hearing loss, full entitlement may be considered :

  1. if there is evidence of significant service- related noise exposure; and
  2. there is no evidence of pre- enlistment hearing loss or of other contributing factors (e. g. an audiogram showing post- discharge deterioration, medical opinions to the effect that age or non- service noise exposure are factors, etc.).

 

Partial entitlement may be considered if there is evidence of pre- enlistment hearing loss or of other contributing factors (e. g. an audiogram showing post- discharge deterioration, medical opinions to the effect that age or non- service noise exposure are factors, etc.).

If the audiogram on release from service does not meet the requirements for hearing loss disability, any hearing loss demonstrated on subsequent audiograms is not considered due to service- related noise exposure and therefore, pension entitlement is not normally awarded.

In any event, each individual case should be considered on its own merits.

 

 

Analyse

[11]           Dans le cadre du présent appel, le débat tourne autour d’une question de droit et, plus particulièrement, sur l’interprétation du mot « invalidité » que l’on trouve au paragraphe 3(1) de la Loi sur les pensions.

 

[12]           La Loi sur les pensions est la source de droit en ce qui concerne l’attribution de prestations d’invalidité aux membres des forces. L’article 2 prévoit que la Loi s’interprète d’une façon libérale. Il reconnaît l’obligation du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge. Le paragraphe 5(3) précise les règles de preuve qui s’appliquent aux décisions prises par le ministre en vertu de la Loi.        

 

[13]           Le terme « invalidité » se retrouve dans de nombreux articles de la Loi. Le paragraphe 3(1) le définit comme suit : 

« invalidité » La perte ou l’amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental.

 

"disability" means the loss or lessening of the power to will and to do any normal mental or physical act;

[14]           Le paragraphe 21(2) de la Loi prévoit que des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces si l’on peut démontrer que l’invalidité est consécutive ou rattachée directement au service militaire. Une fois que le membre des forces a établi que son invalidité est consécutive à son service militaire, le montant des pensions pour invalidité est calculé en fonction de l’estimation du degré d’invalidité

[15]           Le paragraphe 35(2) de la Loi prévoit que les estimations du degré d’invalidité sont basées sur les instructions du ministre et sur une table des invalidités qu’il établit pour aider quiconque les effectue. La Table des invalidités, chapitre 09 – Oreilles et ouïe, constitue des lignes directrices établies par le ministre des Anciens combattants en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi. La Table des invalidités a pour but d'aider les médecins et les chirurgiens et ce, dans le but de favoriser l'uniformité en matière d'estimation du degré d'invalidité (voir le jugement King c. Canada (Procureur général) (2000), 182 F.T.R. 226, au paragraphe 17 (C.F. 1re inst.) conf. à (2000) 261 N.R. 93 (C.A.F.). 

[16]           Ainsi que le juge de première instance l’a signalé, le Tribunal s'est fondé sur les lignes directrices pour décider si l’intimé répondait à la définition de l’invalidité prévue au paragraphe 3(1) de la Loi. Le Tribunal avait estimé que son interprétation du terme « invalidité » que l’on trouve à ce paragraphe était régie par les lignes directrices sur l’hypoacousie contenues dans la Table des invalidités.    

 

[17]           Le juge de première instance a conclu qu’il y avait une incompatibilité entre la définition du terme « invalidité » au paragraphe 3(1) de la Loi et le chapitre 09 de la Table des invalidités :

À mon avis, il ressort de l'article 3 de la Loi sur les pensions que l’intimé est considéré comme invalide s'il souffre d'une perte ou d'un amoindrissement de sa faculté auditive. Par contre, il n'y a invalidité au sens de l'article 9.01 que si certains degrés de perte d'audition sont établis, ce qui est incompatible avec la définition de l'invalidité prévue par la Loi sur les pensions, qui prévoit que l’intimé est invalide s'il souffre d'une perte ou d'un amoindrissement de sa faculté auditive.

 

Ainsi que je l'ai déjà signalé, les dispositions législatives applicables (en l'occurrence, l'article 3 de la Loi sur les pensions) doivent l'emporter sur tout texte réglementaire ou sur toute politique subordonnée incompatible. Dans le cas qui nous occupe, le ministre des Anciens combattants a établi le chapitre 9 (« Hypoacousie et affections de l'oreille ») de la Table des invalidités en vertu de l'article 35 de la Loi sur les pensions. En conséquence, la définition du mot « invalidité » que l'on trouve à l'article 3 de la Loi sur les pensions est celle qui a préséance.

 

[18]           Le juge de première instance a par conséquent conclu que le Tribunal avait commis une erreur de droit en n’appliquant pas la définition du terme « invalidité » au paragraphe 3(1) de la Loi. Il a déclaré ce qui suit :

Comme le premier tribunal a de toute évidence commis une erreur en ce qui concerne la définition de l'« invalidité », le Tribunal était tenu, aux termes de l'article 111 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), de déterminer s'il devait ou non réexaminer la première décision. Le Tribunal a commis une erreur justifiant le contrôle judiciaire de sa décision en faisant fi de cette erreur de droit pour déterminer s'il devait ou non réexaminer la première décision. Le Tribunal ne contestait pas que l’intimé avait effectivement subi au cours de son service militaire une certaine diminution de son acuité auditive qui était à tout le moins en partie imputable aux bruits excessifs auxquels il avait été exposé au cours de son service militaire. Il est incontestable qu'il est loisible au ministre d'établir et d'utiliser une table pour mesurer la gravité d'une invalidité, mais lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a ou non invalidité, c'est l'article 3 de la Loi sur les pensions qui s'applique.

 

[19]           Le juge de première instance a estimé, à bon droit, que le Tribunal avait commis une erreur de droit en se fondant sur les dispositions de la Table des invalidités pour déterminer si l’intimé souffrait effectivement d’une invalidité au lieu d’appliquer la définition du terme « invalidité » contenue au paragraphe 3(1) de la Loi.

 

[20]           En appel, l’appelant soutient que, si le juge de première instance avait comparé la version française et la version anglaise de la loi, il en serait arrivé à une conclusion différente. L’appelant affirme que [traduction] « la seule interprétation cohérente du terme “invalidité” que permet le rapprochement des deux versions de l’article 3 de la Loi sur les pensions est que “la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental” est la faculté d’entendre normalement ».

 

[21]           Je constate de la définition du mot « invalidité » que l’on trouve au paragraphe 3(1) de la Loi remonte à 1920 et que les avocats ne m’ont signalé aucune affaire où l’on aurait laissé entendre que les deux versions sont incompatibles.

 

[22]           La différence entre la version française et la version anglaise est d’ordre grammatical : dans la version anglaise, le mot « normal » est employé comme adjectif, tandis que, dans la version française, le mot « normalement » est employé comme adverbe. En s’attardant à cette différence grammaticale, l’appelant cherche à créer une contradiction entre les deux versions pour restreindre la portée de la définition du terme « invalidité ». Toutefois, à mon avis, cette divergence entre les deux versions ne change rien, en pratique, à l’interprétation du terme. Ainsi que le juge de première instance l’a déclaré : « l’intimé est considéré comme invalide s'il souffre d'une perte ou d'un amoindrissement de sa faculté auditive » (paragraphe 34).  

 

[23]           Même s’il existe une divergence entre la version française et la version anglaise, une interprétation téléologique de la Loi appuierait la conclusion du juge de première instance. En matière d’interprétation des lois, la démarche à suivre consiste à retenir l’interprétation qui permet de garantir la réalisation de l’objet de la loi selon ses sens, intention et esprit véritables. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 618, la Cour suprême du Canada a déclaré que « [c]'est un principe d'interprétation bien établi au Canada que les textes français et anglais d'une loi sont réputés d'égale valeur […] et que c'est l'interprétation qui favorise l'objet de la loi qui doit l'emporter en cas d'incompatibilité entre les deux textes (voir aussi l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21).

 

[24]           Dans le cas qui nous occupe, l’article 2, qui a été inséré dans la Loi au début des années soixante-dix, exige que les dispositions de cette loi soit interprétées d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire. L’article 5 de la Loi oblige notamment le ministre à prendre ses décisions sans formalisme et en procédure expéditive et à tirer les conclusions les plus favorables possibles au demandeur et à trancher en sa faveur tout doute quant au bien-fondé de la demande, lorsqu’il examine la preuve.

 

[25]           Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur dans son interprétation du terme « invalidité » à l’article 3 de la Loi sur les pensions.

 

[26]           Par conséquent, l’appel sera rejeté avec dépens.

 

« J. Richard »

Juge en chef

 

« Je suis du même avis.

            A.M. Linden, juge »

 

« Je suis du même avis.

            C. Michael Ryer, juge »

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                A-158-06

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE JOHN A. O’KEEFE LE 15 MARS 2006 (2006 CF 225)

 

INTITULÉ :                                                               PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. LARRY W. NELSON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 7 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE EN CHEF RICHARD

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE LINDEN

                                                                                    LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 25 mai 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin Staska

POUR L’APPELANT

 

Dean G. Giles

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Fillmore Riley

Winnipeg (Manitoba)

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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