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Date : 20070511

Dossier : A-344-06

Référence : 2007 CAF 184

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

DAVID R. JOLIVET

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL

intimés

 

 

 

Audience tenue par vidéoconférence à Vancouver et Agassiz (Colombie-Britannique),

le 2 mai 2007

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRITS :                                                                          LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                              LE JUGE EVANS

 


 

Date : 20070511

Dossier : A-344-06

Référence : 2007 CAF 184

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

DAVID R. JOLIVET

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE SHARLOW

[1]               L’appelant, David Jolivet, est actuellement détenu dans un pénitencier fédéral par suite de son transfert des États-Unis au Canada en vertu de la Loi sur le transfèrement des délinquants, L.R.C. 1985, ch. T‑15. Il a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Service correctionnel du Canada (le SCC), par laquelle celui-ci avait fixé la date de sa libération d’office. Sa demande a été rejetée (2006 CF 811). M. Jolivet interjette appel de cette décision.

[2]               Les dispositions pertinentes de la Loi sur le transfèrement des délinquants se lisent comme suit :

4. Lorsqu'un délinquant canadien est transféré au Canada, sa déclaration de culpabilité et sa sentence, le cas échéant, par un tribunal de l'État étranger d'où il est transféré sont présumées être celles qu'un tribunal canadien compétent lui aurait imposées pour une infraction criminelle.

4. Where a Canadian offender is transferred to Canada, his finding of guilt and sentence, if any, by a court of the foreign state from which he is transferred is deemed to be a finding of guilt and a sentence imposed by a court of competent jurisdiction in Canada for a criminal offence.

[…]

. . .

11. Il est tenu compte pour le délinquant canadien transféré au Canada, au jour du transfèrement, du temps véritablement passé en détention et des remises de peine que lui a accordées l'État étranger dont un tribunal l'a condamné.

11. A Canadian offender transferred to Canada shall, at the date of the transfer, be credited with any time toward completion of a sentence imposed by a court of a foreign state that, at that date, had actually been spent in confinement in the foreign state or that was credited, by the foreign state, towards completion of the sentence.

11.1 (1) Si le délinquant canadien transféré au Canada est détenu dans un pénitencier, la date de sa libération d'office est celle à laquelle il a purgé la partie de la peine qu'il lui reste à purger conformément à l'article 11, moins :

11.1 (1) Where a Canadian offender transferred to Canada is detained in a penitentiary, the offender is entitled to be released on statutory release on the day on which the offender has served the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion of the sentence with which the offender was credited in accordance with section 11 :

 

a) d'une part, toute réduction de peine que lui a accordée l'État étranger,

(a) any credits, given by the foreign state, towards release before the expiration of the sentence; and

b) d'autre part, le tiers de la partie de la peine qu'il lui reste à purger, une fois déduite toute réduction de peine visée à l'alinéa a).

(b) one third of the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion referred to in paragraph (a).

[…]

. . .

12. Sous réserve des articles 11 et 11.1, le délinquant canadien transféré au Canada est assujetti à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition […] comme s'il avait été condamné au Canada et si la peine lui y avait été infligée.

12. Subject to sections 11 and 11.1, a Canadian offender transferred to Canada is subject to the Corrections and Conditional Release Act . . . as if the offender had been convicted and the sentence imposed by a court in Canada.

 

[3]               Le 23 juillet 2003, M. Jolivet a été transféré au Canada. Juste avant son transfert, il purgeait une peine d’emprisonnement de durée indéterminée en Utah après avoir été condamné, le 16 avril 1985, à plusieurs infractions graves, notamment pour enlèvement avec circonstances aggravantes, agression sexuelle, viol et vol qualifié. Ces peines ont été imposées en vertu des lois de l’Utah.

[4]               Le 5 décembre 1994, M. Jolivet a été reconnu coupable aux États-Unis d’un autre chef d’accusation, soit celui de tentative d’évasion en Utah. Il s’agissait d’une infraction fédérale pour laquelle M. Jolivet a été condamné à une peine d’emprisonnement de 41 mois à purger consécutivement à la peine d'État.

[5]               Le 5 janvier 1995, M. Jolivet a été déclaré coupable de deux autres chefs d’accusation, soit ceux d'intimidation et de représailles envers un fonctionnaire fédéral et d'envoi de lettres de menaces, qui sont aussi des infractions fédérales. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 36 mois à purger consécutivement à ses autres peines.

[6]               Lorsque M. Jolivet a été arrêté pour la première fois en Utah, en décembre 1984, il était en liberté illégale puisqu’il s’était évadé, le 11 novembre 1984, d’un pénitencier canadien. Aux fins du présent appel, il n’y a aucune question soulevée quant aux infractions canadiennes et à l’évasion de 1984.

[7]               M. Jolivet a présenté une demande de transfèrement au Canada en vertu de la Loi sur le transfèrement des délinquants. Il a alors été avisé que sa peine fédérale de durée indéterminée serait considérée comme une peine d’emprisonnement à perpétuité, ce qui signifie que l’on lui fixerait non pas une date de libération d’office, mais plutôt une date d’admissibilité à la libération conditionnelle. De surcroît, puisque le Canada ne reconnaît pas les peines qui sont concurrentes à une peine d’emprisonnement à perpétuité, les peines fédérales de M. Jolivet ne seraient pas pertinentes quant à la détermination de la date d’admissibilité à la libération conditionnelle. Sur ce fondement, M. Jolivet aurait été admissible à une libération conditionnelle totale immédiatement à la suite de son transfert, et la Commission nationale des libérations conditionnelles aurait déterminé si elle devait lui accorder cette libération.

[8]               Après que M. Jolivet eut été transféré au Canada le 23 juillet 2003, sa peine fédérale a été commuée en peine de durée déterminée de 25 ans, expirant le 12 février 2009. Le dossier n’indique pas pourquoi ce changement a été effectué, mais il est clair que les lois de l’Utah permettent à la Commission de la réhabilitation (Board of Pardons) de l'Utah de procéder ainsi.

[9]               Une fois qu’il eut été avisé de la commutation de la peine fédérale de M. Jolivet, le SCC a été obligé de fixer une date de libération d’office. Dans la détermination de cette date, le SCC a considéré la peine de M. Jolivet comme commençant à courir à la date de son transfert au Canada, et a aussi conclu que les peines fédérales devaient être purgées consécutivement à la peine commuée pour la condamnation de l’État du Utah. Après une réduction de la peine pour le temps passé en détention aux États-Unis et pour le [traduction] « temps passé en détention préventive » en Utah, la date de libération d’office de M. Jolivet a été fixée au 20 avril 2011.

[10]           M. Jolivet allègue que la date de sa libération d’office devrait être plus tôt que le 20 avril 2011. Premièrement, il allègue que pour fixer la date de sa libération d’office, sa peine devrait être considérée comme commençant à courir à la date de son incarcération en Utah et non pas à la date de son transfert au Canada. Le juge de la Cour fédérale n’a pas accepté cet argument. À mon avis, il avait raison de le rejeter. Cet argument ne peut pas être accepté vu la conclusion de la présente Cour dans l’arrêt Charron c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 442.

[11]           Deuxièmement, M. Jolivet allègue que les peines imposées à la suite de sa déclaration de culpabilité relativement à des infractions fédérales auraient dû être considérées comme concurrentes à la peine d’État commuée, plutôt que consécutives. Le juge de la Cour fédérale a rejeté cet argument du fait que le SCC était lié par les mandats de dépôt. À cet égard, je suis d’accord avec le juge de la Cour fédérale.

[12]           M. Jolivet cite une lettre datée du 27 mars 2001, rédigée par le juge Greene de la cour de district des États-Unis, qui semble avoir été le juge qui a imposé une des peines fédérales. Dans cette lettre, le juge Greene indique :

 

                    [traduction]

Je réitère et je maintiens la position énoncée dans la transcription du prononcé de la peine selon laquelle je recommande que dès le commencement de votre peine fédérale imposée par la présente Cour, vous soyez placé sous la garde des autorités canadiennes pour faciliter votre extradition, et que votre peine fédérale soit purgée concurremment à toute peine infligée par une cour canadienne compétente.

 

[13]           M. Jolivet allègue que cette lettre indique qu’une fois la peine d’État du Utah commuée en peine déterminée, ses peines fédérales auraient dû être purgées concurremment plutôt que consécutivement. Je n’interprète pas les remarques du juge Greene de cette façon. À mon avis, le juge Greene prévoyait une procédure d’extradition du Utah au Canada, éventuellement suivie d’une audience tenue par une cour canadienne relativement à un nouveau chef d’accusation. Il n’est pas indiqué au dossier si des mesures d’extradition ont même été envisagées par les autorités canadiennes.

[14]           De toute façon, même si le juge Greene voulait laisser entendre que les peines fédérales imposées à M. Jolivet devaient être considérées comme concurrentes plutôt que consécutives, il n’y a aucune preuve établissant qu’une telle modification a été apportée au dossier de la condamnation et à la peine. À mon avis, le SCC était lié par les conditions des mandats de dépôt qui indiquaient que les peines fédérales seraient purgées consécutivement à la peine d’État du Utah. Aucun État ni aucune autorité fédérale aux États-Unis n’a pris de mesure pour que les peines consécutives deviennent des peines concurrentes. Bien que ce qui précède n’ait eu aucune incidence concrète tant et aussi longtemps que la peine d’État du Utah était considérée comme une peine d’emprisonnement à perpétuité au Canada, cette façon de faire a eu une incidence concrète dès que la peine d’État du Utah a été commuée en peine déterminée.

[15]           M. Jolivet allègue aussi que le transfert était invalide sans son consentement, et qu’il n’y aurait pas consenti s’il avait su à l’avance la façon dont la date de sa libération d’office serait fixée dans l’éventualité où sa peine d’État du Utah était commuée de peine indéterminée en peine déterminée. Il est malheureux que M. Jolivet n’ait pas été au courant de ce changement, mais il est aussi sans aucun doute vrai que le consentement qu’il a donné était fondé sur des renseignements qui étaient exacts à l’époque. Il n’y a aucune preuve établissant que les autorités canadiennes savaient que la peine d’État du Utah serait modifiée à la suite du transfert.

[16]           M. Jolivet a également plaidé oralement que la date fixée par le SCC pour sa libération d’office le prive d’environ 300 jours de réduction de peine fédérale pour le temps passé en détention auxquels il aurait eu droit s’il n’avait pas été transféré. Le dossier ne révèle aucun renseignement, quel qu’il soit, au sujet de cette question qui n’a d’ailleurs pas été soulevée devant le juge de la Cour fédérale. M. Jolivet indique que la question n’a pas été soulevée auparavant, car il en a seulement pris connaissance récemment. Comme il n’existe aucun fondement me permettant de déterminer le bien-fondé de cette question, je ne suis pas en mesure de conclure qu’elle justifie l’annulation de la décision faisant l’objet de l’appel.

[17]           Pendant son argumentation, l’avocat de la Couronne a reconnu qu’il y avait peut-être une erreur dans la détermination de la date de libération d’office. Cette erreur figure à l’avant-dernière ligne de la première page du calcul de la peine préparé par Gilles Broué le 14 juillet 2005 (Pièce G à l’affidavit de Gilles Broué déclaré sous serment le 26 août 2005).

[18]           Ce document indique que la peine de M. Jolivet compte 10 915 jours (29 années, 10 mois, 17 jours), tenant compte de la peine commuée en Utah et des deux peines fédérales consécutives. On devrait donc compter 10 915 jours du 16 avril 1985 (le commencement de la détention de M. Jolivet en Utah) au 4 mars 2015 (le dernier jour de sa détention, après avoir tenu compte du [traduction] « temps passé en détention préventive » en Utah). Cependant, à l’avant-dernière ligne de la page susmentionnée, on indique que les 10 915 jours représentent le nombre de jours compris entre le 16 avril 1985 et le 12 juillet 2015 (« 12/07/2015 »). Selon mes calculs, il y a en fait 10 915 jours entre le 16 avril 1985 et le 4 mars 2015. Je conclus que la date « 12/07/2015 » inscrite à l’avant-dernière ligne est une erreur typographique qui ne fausse pas l’exactitude de la détermination de la date de libération d’office de M. Jolivet.

[19]           Je rejetterais le présent appel avec dépens.

« K. Sharlow »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

           

Gilles Létourneau, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

           

John M. Evans, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                A-344-06

INTITULÉ :                                                               DAVID R. JOLIVET

                                                                                    c.

                                                                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                                                                                    et LE COMMISSAIRE DU SERVICE

                                                                                    CORRECTIONNEL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 2 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRITS :                                               LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                    LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 11 MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

David R. Jolivet                                                            POUR SON PROPRE COMPTE

 

Susanne Pereira                                                            POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

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