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Date : 20070412

Dossier : A-292-06

Référence : 2007 CAF 147

 

CORAM :      le juge LÉTOURNEAU

                        le juge EVANS

                        le juge PELLETIER

 

entre :

le ministre de la justice

appelant

(intimé dans l’appel incident)

et

SHELDON BLANK

intimé

(appelant dans l’appel incident)

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 26 février 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 avril 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     le juge PELLETIER

y ont souscrit :                                                                            le juge LÉTOURNEAU

le juge EVANS

 

 

 


Date : 20070412

Dossier : A-292-06

Référence : 2007 CAF 147

 

CORAM :      le juge LÉTOURNEAU

                        le juge EVANS

                        le juge PELLETIER

 

entre :

le ministre de la justice

appelant

(intimé dans l’appel incident)

et

SHELDON BLANK

intimé

(appelant dans l’appel incident)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

le juge PELLETIER

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté contre la décision du juge O'Keefe répertoriée sous Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CF 841, [2006] A.C.F. n° 1110. Cette cause a été entendue en même temps que Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2005 CF 1551, [2005] A.C.F. n° 1927, une autre cause à laquelle M. Blank est partie et dans laquelle beaucoup des mêmes questions ont été soulevées. En ce moment, M. Blank a tant de causes en instance qu’une simple référence à l’intitulé de la cause ne donne aucun renseignement utile. Dans le reste des présents motifs, je ferai référence aux diverses causes de M. Blank au moyen du numéro de série de la référence neutre. Ainsi, le renvoi à la cause tranchée par le juge O'Keefe sera Blank 841, tandis que le renvoi à la cause qui a été entendue en même temps sera Blank 1551.

 

[2]               Tant Blank 841 que Blank 1551 traitaient de l’interaction entre les articles 23 et 25 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi). L’article 23 est une exemption discrétionnaire à la communication des dossiers pour lesquels une demande relative au secret professionnel des avocats est présentée, tandis que l’article 25 pose l’obligation de la communication de parties de documents qui ne sont pas visées par l’exemption et qui peuvent être prélevées des dossiers pour lesquels une exemption s’applique. En gros, la question est de savoir quelle latitude la Cour a pour prélever et donc communiquer des parties de documents pour lesquels le secret professionnel est invoqué relativement à des avis juridiques. Les questions soulevées portaient particulièrement sur la ligne de mention « objet » pour les documents qui contiennent une ligne spéciale « objet » et d’autres renseignements généraux de nature descriptive.

 

[3]               L’arrêt de la Cour en appel de Blank 1551 est répertorié sous Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 87, [2007] A.C.F. n° 306 (Blank 87). Dans cet arrêt, le juge Evans a examiné les principes en cause et conclu que les titres qui révèlent l’objet sur lequel l’avis juridique a été demandé ne devaient pas être prélevés et communiqués au demandeur. En même temps, la Cour a décidé que les renseignements qui constituent une partie des renseignements protégés ne pouvaient pas être communiqués sous la rubrique des renseignements généraux de nature descriptive, lorsque ces renseignements font en fait partie des renseignements protégés. En cela, la Cour a rejeté l’idée que ces renseignements protégés pouvaient être communiqués si leur communication semble sans danger. J’ajouterais que les tribunaux ne devraient pas se contraindre à faire des prélèvements chirurgicaux de phrases qui, bien que de nature générale, font néanmoins partie des renseignements protégés.

 

[4]               La tâche du juge O'Keefe consistait à appliquer un critère juridique à un ensemble de faits. Le choix du critère à appliquer est une question de droit pour laquelle la décision correcte est la norme de contrôle applicable. Si le juge choisit le mauvais critère, la Cour doit appliquer le bon critère : voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8, et Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 43.

 

[5]               Dans la présente affaire, le juge O'Keefe a appliqué le critère permettant le prélèvement que son collègue le juge Mosley a énoncé dans Blank 1551. Dans Blank 87, décision rendue en appel de la décision Blank 1551, la Cour a énoncé un critère différent qui a mené à un résultat différent. Il s’ensuit que le juge O'Keefe a appliqué le mauvais critère et que l’intervention de la Cour est justifiée.

 

[6]               Les principes applicables ayant été énoncés dans Blank 87, il ne me reste donc simplement qu’à les appliquer aux documents en question dans Blank 841. Par conséquent, j’ai examiné les documents pour lesquels le prélèvement d’une partie a été ordonné. En ce qui concerne la mention de l’objet, le juge a fait remarquer que les mêmes mots avaient été communiqués dans certains cas et pas dans d’autres. Il a adopté une politique d’uniformité et ordonné la communication des mentions de l’objet qui n’avaient pas été communiquées. Je suppose qu’il a présumé que l’on avait renoncé à invoquer le secret professionnel qui pouvait se rattacher à la mention de l’objet dans les cas où cette mention de l’objet avait été communiquée. Il s’agit d’un argument sur la renonciation applicable à une catégorie et, comme nous le verrons, qui a été rejeté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 35 (Babcock).

 

[7]               La raison pour laquelle l’avis juridique est demandé est protégée par le secret professionnel. Si un titre de document révèle le sujet de l’avis juridique, ce titre ne doit pas être prélevé. Un titre qui fait mention d’une question juridique particulière ou d’une disposition légale précise et qui révèle l’objet de l’avis demandé ne doit pas être prélevé du reste du document. Par conséquent, je supprimerais de l’annexe A des motifs du juge, les pages suivantes : 7, 10, 13, 14, 98, 121, 124, 135, 155, 156 et 158.

 

[8]               Pour les motifs exposés ci‑dessus, je supprimerais également de l’annexe A les documents dont la communication d’une partie a été ordonnée et qui, bien que de nature générale, sont néanmoins protégés par le secret professionnel. Par conséquent, je supprimerais les pages suivantes de l’annexe A : 26, 142, 144, 146 et 147.

 

[9]               En définitive, aucun des documents qui apparaissent à l’annexe A ne peuvent faire l’objet de prélèvements et communiqués. L’appel du ministre devrait être accueilli avec dépens.

 

[10]           M. Blank a interjeté un appel incident relativement à de nombreuses questions dont la plupart peuvent être réglées sommairement.

 

[11]           M. Blank soutient que les documents en cause ici ne tombent pas sous l’exemption en faveur des « avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre » (alinéa 21(1)a) de la Loi) en raison de l’application de l’alinéa 21(2)a) de la Loi qui est ainsi libellé :

 

21.(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux documents contenant :

 

21.(2) Subsection (1) does not apply in respect of a record that contains

 

a) le compte rendu ou l’exposé des motifs d’une décision qui est prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ou rendue dans l’exercice d’une fonction judiciaire ou quasi judiciaire et qui touche les droits de la personne;

(a) an account of, or a statement of reasons for, a decision that is made in the exercise of a discretionary power or an adjudicative function and that affects the rights of a person; or

 

[12]           Un examen des documents confirme que aucun d’eux ne correspond à cette description.

 

[13]           M. Blank soutient également que la renonciation au secret professionnel relativement à un certain objet constitue une renonciation au secret professionnel relativement à tous les documents qui traitent de cet objet; il s’agit de la théorie de la renonciation applicable à l’ensemble d’une catégorie. La cause que M. Blank invoque à l’appui de son appel, à savoir l’arrêt Babcock, ne lui est d’aucun secours :

 

35.  L’article 39 protège les « renseignements » en empêchant leur divulgation.  Il se peut que certains renseignements touchant un sujet particulier aient été divulgués, alors que d’autres touchant le même sujet ne l’ont pas été.  Le libellé du par. 39(1) ne permet pas d’affirmer que la divulgation de certains renseignements empêche d’autres renseignements non divulgués de bénéficier de la protection de l’art. 39.  Si les renseignements connexes ont été divulgués dans d’autres documents, l’art. 39 ne s’applique pas et les documents contenant les renseignements doivent être produits.  Si les renseignements connexes sont inclus dans des documents qui ont à juste titre fait l’objet d’une attestation par application de l’art. 39, le gouvernement n’est pas tenu de les divulguer.

 

[Babcock, au paragraphe 35.]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Même si ce commentaire apparaît dans le contexte d’une analyse de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5, qui est en soi une disposition très particulière, la règle qu’il énonce en ce qui a trait à la renonciation est néanmoins d’application générale.

 

[15]           M. Blank soutient également qu’il a droit à la communication des pièces jointes qui ont été à un moment liées aux documents pour lesquels une exemption de la communication est demandée.

 

[16]           La question a été tranchée contre M. Blank à deux reprises dans le passé. Dans Blank c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 374, [2001] A.C.F. n° 1844, la Cour a rejeté la requête de M. Blank qui visait la production des pièces jointes, sur le fondement qu’il n’y avait aucune preuve que le dossier était incomplet : voir les paragraphes 7 et 8. La Cour a une fois de plus traité de la même question dans Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 287, [2004] A.C.F n° 1455. Au paragraphe 77 de cette décision, le juge Létourneau, qui s’exprimait au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit :

77. Toutefois, j'aimerais répéter que le droit de M. Blank est un droit d'accès aux dossiers tels qu'ils existent entre les mains du responsable d'une institution fédérale. Ce qu'il demande à la Cour et ce qu'il a demandé au juge des requêtes, c'est, en fait, d'affirmer le pouvoir d'ordonner la reconstitution de ces documents. En l'absence d'une preuve que cela permettrait à la Cour d'avoir des motifs raisonnables de croire que l'intégrité des documents a été altérée, le pouvoir de révision de la Cour est limité à ceux qui ont été produits en l'espèce. La Cour n'a été saisie d'aucune preuve d'altération des documents et le juge des requêtes a eu raison de limiter sa révision aux documents dont il était saisi.

 

[17]           M. Blank soumet maintenant cette question pour la troisième fois. La preuve qu’il avance de la falsification est l’augmentation du nombre des documents dont le ministre prend acte qu’ils sont pertinents quant à la demande d’accès. Au début, il y aurait eu 120 documents pertinents. Puis après, il y en aurait eu 156 et puis 159. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse là d’une preuve de falsification. Une augmentation du nombre de documents dans le dossier n’est pas compatible avec la théorie selon laquelle le dossier a été falsifié par la suppression de certains documents (par exemple les pièces jointes).

 

[18]           M. Blank soumet un autre motif d’appel basé sur l’inconduite. Il allègue que le secret professionnel des avocats ne protège pas les communications faites dans le but de commettre un crime ou de faire disparaître les preuves d’un crime : voir Canada c. Solosky, [1980] 1 R.C.S. 821. M. Blank a tenté de convaincre la Cour que le secret professionnel invoqué par le ministre vise à protéger des communications qui révèleraient des actes aboutissant à des poursuites abusives et au parjure. Il a invité la Cour à lire les documents pour lesquels le secret professionnel est invoqué et à ordonner leur communication s’ils confirment ses allégations.

 

[19]           J’ai fait ce que M. Blank a demandé et j’ai lu les documents en cause. J’ai conclu que rien dans ces documents ne permettrait de conclure qu’ils contiennent des communications ayant servi à la perpétration d’un acte criminel ou des communications ayant eu pour but de faire disparaître la preuve d’un tel acte. Ce motif d’appel est également rejeté.

 

[20]           Le dernier argument de M. Blank porte sur l’équité procédurale. Lorsque le ministre a soumis les documents en cause à la Cour à titre de pièces jointes à l’affidavit de Kerri Clark, il a également inclus comme pièces à cet affidavit un certain nombre de documents pour lesquels il a demandé que la communication n’en soit pas faite à M. Blank (les pièces confidentielles). Le fondement de la mise en preuve des pièces confidentielles, c’est d’aider le juge à évaluer la demande du ministre quant à l’application du secret professionnel aux documents en cause, tandis que le fondement du refus de communiquer les pièces confidentielles, c’est soit qu’elles sont des documents protégés comme tels, soit qu’elles pourraient communiquer le contenu des documents en cause.

 

[21]           M. Blank reconnaît qu’il n’a pas le droit de voir les documents en cause, mais il déclare que le fait pour le juge O'Keefe de n’avoir pas ordonné la communication des pièces confidentielles a entraîné la violation de son droit à une procédure équitable. La Cour a décidé que le juge qui statue sur la requête en autorisation de déposer l’affidavit confidentiel du gouvernement devrait trancher toute contestation quant aux pièces confidentielles relatives à cet affidavit (autre que celle qui contient les documents en cause) : voir  Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2005 CAF 405, [2005] A.C.F. n° 2040 (Blank 405), au paragraphe 21. Il est révélateur que Blank 405 fût un appel de la décision qui avait permis le dépôt de l’affidavit confidentiel.

 

[22]           Dans la présente affaire, M. Blank n’a pas interjeté appel de la décision par laquelle le dépôt de l’affidavit confidentiel a été octroyé. En fait, il ressort d’un examen du dossier que M. Blank n’a peut‑être pas soulevé la question des pièces confidentielles au moment de la requête en autorisation de dépôt de l’affidavit confidentiel. L’avocat de la Couronne a commencé ses observations en réponse à cette question en faisant savoir à la Cour :

[traduction] M. Rupar : Bien, vous noterez pour commencer ‑ Bien premièrement, il s’agit d’un nouvel argument avec lequel je dois composer, selon lequel M. Blank n’est pas ‑ a décidé de soumettre maintenant au lieu de traiter de cela correctement dans ses observations écrites, mais […].

 

[23]           Par conséquent, M. Blank ne peut pas soumettre la question des pièces confidentielles à cette étape-ci. La question aurait dû être soulevée lors de la requête en autorisation du dépôt de l’affidavit confidentiel et en cas de décision défavorable, un appel aurait dû être interjeté. M. Blank a omis de soumettre la question des pièces confidentielles au moment opportun et le juge O'Keefe était en droit de refuser de traiter de la question quant au fond lors de l’audition de la demande de M. Blank présentée en vertu de l’article 41 de la Loi. Ce motif d’appel est également rejeté.

 

[24]           En définitive, je rejetterais l’appel incident avec dépens.

 

« J.D. Denis Pelletier »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M.

 


COUR d’appel FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOssier :                                                    A-292-06

 

INTITULÉ :                                                   le ministre de la justice

                                                                        c.

                                                                        SHELDON BLANK

 

lieu de l’audience :                             Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 26 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        le juge PELLETIER

 

y ont souscrit :                                     le juge LÉTOURNEAU

                                                                        le juge EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 12 avril 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Sheldon Blank

pour l’appelant

 

Christopher Rupar

pour l’intimé

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour l’intimé

 

 

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