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Date : 20070306

Dossiers : A-520-06

A-532-06

A-565-06

Référence : 2007 CAF 93

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

 

 

A-520-06

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

 

et

 

 

CANADIAN NORTH INC., SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

et BRADLEY AIR SERVICES LIMITED

 (faisant affaires sous la raison sociale de FIRST AIR)

défenderesses

 

 

 

A-532-06

ET ENTRE :

 

BRADLEY AIR SERVICES LIMITED

(faisant affaires sous la raison sociale de FIRST AIR)

demanderesse

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, CANADIAN NORTH INC.,

et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

défendeurs


 

 

A-565-06

ET ENTRE :

 

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

demanderesse

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, BRADLEY AIR SERVICES LIMITED

(faisant affaires sous la raison sociale de FIRST AIR) et  CANADIAN NORTH INC.

 

défendeurs

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 février 2007

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 6 mars 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                        LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                            LE JUGE MALONE

 


 

 

Date : 20070306

Dossiers : A-520-06

A-532-06

A-565-06

 

Référence : 2007 CAF 93

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

 

A-520-06

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

 

et

 

 

CANADIAN NORTH INC., SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

et BRADLEY AIR SERVICES LIMITED

 (faisant affaires sous la raison sociale de FIRST AIR)

défenderesses

 

 

 

A-532-06

ET ENTRE :

 

BRADLEY AIR SERVICES LIMITED

(faisant affaires sous la raison sociale de FIRST AIR)

demanderesse

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, CANADIAN NORTH INC.,

et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

défendeurs


A-565-06

ET ENTRE :

 

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

demanderesse

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, BRADLEY AIR SERVICES LIMITED

(faisant affaires sous la raison sociale de FIRST AIR) et  CANADIAN NORTH INC.

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire en date du 9 novembre 2006 (dossier no PR-2006-026) par laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) a rejeté la requête présentée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) en vue d’obtenir une ordonnance rejetant, pour défaut de compétence, une plainte portant sur un marché public formulée par Canadian North Inc. La plainte portait sur un contrat conclu entre la Société canadienne des postes et Bradley Air Services Limited (également connue sous le nom de First Air) pour le transport du courrier dans certaines collectivités nordiques (le contrat de First Air).

[2]               Le contrat a été accordé à First Air en novembre 2005 en réponse à une demande de proposition (la DP) publiée par Postes Canada en mai 2005. Aux termes de son contrat, First Air est tenue de fournir à Postes Canada certains services de transport du courrier, y compris le transport du courrier ordinaire et de marchandises dans le cadre du Programme Aliments-poste d’AINC. Le contrat de First Air a une durée de plus de cinq ans.

[3]               Le Programme Aliments-poste existe depuis la fin des années soixante. Il vise à améliorer la qualité de l’alimentation et la santé des populations nordiques isolées. Pour atteindre cet objectif, AINC verse des fonds à Postes Canada pour couvrir une partie des coûts associés au transport aérien d’aliments nutritifs périssables et d’autres produits essentiels vers les collectivités nordiques isolées qui ne sont pas accessibles toute l’année par transport de surface. Le montant de cette subvention est calculé conformément à l’entente intervenue entre AINC et Postes Canada (l’entente sur les aliments-poste), qui établit notamment de façon très détaillée la nature des marchandises visées par le Programme et l’identité des collectivités qui peuvent recevoir des aliments-poste. Elle précise également la méthode de calcul des coûts totaux directs assumés par Postes Canada pour expédier par la poste les marchandises admissibles aux collectivités visées. Le montant de la subvention que AINC verse à Postes Canada aux termes de l’entente sur les aliments-poste correspond au montant des coûts directs stipulés diminués du tarif postal payé par les expéditeurs en vertu des tarifs postaux spéciaux fixés dans l’entente sur les aliments-poste.

[4]               L’entente sur les aliments-poste qui était antérieure au contrat de First Air a été conclue en 1996 pour une durée indéterminée. L’une ou l’autre partie peut résilier l’entente en question sur préavis de six mois.

[5]               La réponse à la question de savoir si le TCCE a compétence pour instruire la plainte de Canadian North dépend de la question de savoir si le contrat de First Air répond à la définition de l’expression « contrat spécifique » que l’on trouve à l’article 30.1 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 47, qui dispose :

« contrat spécifique » Contrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale — ou pourrait l’être — , et qui soit est précisé par règlement, soit fait partie d’une catégorie réglementaire.

 

"designated contract" means a contract for the supply of goods or services that has been or is proposed to be awarded by a government institution and that is designated or of a class of contracts designated by the regulations;

[6]               L’article 3 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602 (le Règlement) fournit quelques éclaircissements. En voici les dispositions pertinentes :

3. (1) Pour l’application de la définition de «contrat spécifique» à l’article 30.1 de la Loi, est un contrat spécifique tout contrat relatif à un marché de fournitures ou services ou de toute combinaison de ceux-ci, accordé par une institution fédérale — ou qui pourrait l’être — et visé, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie, à l’article 1001 de l’ALÉNA, à l’article 502 de l’Accord sur le commerce intérieur ou à l’article premier de l’Accord sur les marchés publics.

3. (1) For the purposes of the definition “designed contract” in section 30.1 of the Act, any contract or class of contract concerning a procurement of goods or services or any combination of goods or services, as described in Article 1001 of ALENA, in Article 502 of the Agreement on Internal Trade or in Article I of the Agreement on Government Procurement, by a government institution, is a designated contract.

 

 

 

 

 

(2) Pour l’application de la définition de « institution fédérale » à l’article 30.1 de la Loi, sont désignés institutions fédérales. 

(2) For the purposes of the definition "government institution" in section 30.1 of the Act, the following are designated as government institutions :

 

 

 

 

a) les entités publiques fédérales énumérées dans la liste du Canada de l’annexe 1001.1a-1 de l’ALÉNA, à l’annexe 502.1A de l’Accord sur le commerce intérieur sous l’intertitre « CANADA » ou à l’annexe 1 de l’Accord sur les marchés publics sous l’intertitre « CANADA » […]

(a) the federal government entities set out in the Schedule of Canada in Annex 1001.1a-1 of ALENA, under the heading “CANADA” in Annex 502.1A of the Agreement on Internal Trade or under the heading “CANADA” in Annex 1 of the Agreement on Government Procurement […]

 

 

[7]               Pour pouvoir être considéré comme un « contrat spécifique », le contrat de First Air doit remplir deux conditions. La première condition a trait à la nature des fournitures ou des services visés par le contrat (paragraphe 3(1) du Règlement). La seconde condition se rapporte à l’identité de l’entité qui offre ces fournitures ou ces services (paragraphe 3(2) du Règlement).

[8]               La première condition est respectée si le contrat est relatif à un marché de fournitures ou de services visés par l’Accord de libre-échange nord-américain (l’ALENA), l’Accord sur les marchés publics (l’AMP) ou l’Accord sur le commerce intérieur (l’ACI). Le TCCE a estimé que les services de transport aérien faisant l’objet du contrat de First Air n’étaient pas visés par l’ALENA ou par l’AMP, mais qu’ils étaient visés par l’ACI. Cette conclusion n’est pas contestée.

[9]               La seconde condition est respectée si celui qui fournit les services est une « institution fédérale » au sens de la loi. Il est acquis aux débats qu’AINC répond à cette définition pour l’application de l’ACI, mais que Postes Canada n’y répond pas. Le TCCE n’a donc pas compétence pour examiner la plainte de Canadian North si c’est Postes Canada qui a fourni les services visés par le contrat de First Air.

[10]           Il n’y a et il ne peut y avoir aucun doute que Postes Canada a effectivement fourni les services en question. Le TCCE a toutefois conclu qu’elle avait néanmoins la compétence requise pour statuer sur la plainte de Canadian North en raison de la participation d’AINC dans la procédure de passation du marché. Cette décision est contestée par First Air, Postes Canada et le Procureur général du Canada.

[11]           Pour en arriver à la conclusion qu’il était compétent pour statuer sur la plainte de Canadian North, le TCCE s’est posé la question suivante (paragraphe 27 de ses motifs) :

27. Les parties s’entendent sur le fait que, techniquement, la relation entre AINC et Postes Canada n’est pas celle de mandant et mandataire. Toutefois, la question en l’espèce est celle de savoir si le Tribunal doit juger que le contrôle exercé par AINC sur le marché suffisait pour qu’AINC, et non pas Postes Canada, soit réputé avoir accordé le contrat.

 

[12]           En d’autres termes, le TCCE a estimé qu’AINC exerçait un tel contrôle sur la procédure de passation des marchés publics pour qu’on puisse considérer que c’était AINC, et non Postes Canada, qui avait fournit les services au sens de l’ACI. Le TCCE en est arrivé à cette conclusion malgré le fait qu’il avait conclu que : (1) Postes Canada avait diffusé la DP, s’était occupée de toutes les étapes de l’invitation à soumissionner, avait reçu et évalué les soumissions et avait adjugé le contrat à First Air; (2) Postes Canada est l’une des deux seules parties au contrat (l’autre étant First Air); (3) Postes Canada avait, pendant toute la durée de la procédure de passation des marchés publics, agi pour son propre compte et non comme mandataire d’AINC.

[13]           Les faits sur lesquels le TCCE s’est fondé pour apprécier ce qu’il a appelé le contrôle exercé par AINC sur la procédure de passation des marchés publics sont exposés aux paragraphes 34 à 41 de ses motifs. Il n’est pas nécessaire de relater en détail ces éléments de preuve. Qu’il suffise de dire que AINC a examiné la DP à l’avance, l’a examiné en détail et a largement contribué à son élaboration. AINC a joué ce rôle en raison des stipulations expresses de l’entente sur les aliments‑poste, qui ont peut-être été modifiées à certains égards pour que la DP et l’entente sur les aliments-poste s’accordent l’une avec l’autre. Autrement dit, AINC a participé à l’élaboration des paramètres de la DP, mais elle l’a fait d’une manière qui était conforme à la mission que lui confie le programme Aliments-poste et à son obligation contractuelle d’assumer une partie des coûts engagés par Postes Canada aux termes de l’entente sur les aliments-poste. AINC n’a pas participé à la réception, à l’examen ou à l’évaluation des offres, au choix de l’adjudicataire ou à l’attribution du  marché.

[14]           À l’audience, une grande partie du débat a porté sur la norme de contrôle appropriée. Je ne me propose pas de trancher cette question, parce qu’à mon avis, la décision contestée ne saurait être confirmée et ce, même en appliquant la norme de contrôle appelant le degré le plus élevé de retenue judiciaire.

[15]           Dans ses motifs, le TCCE a affirmé qu’il avait compétence pour trancher les litiges en matière de marchés publics et ce, en vue de faire appliquer les règles concernant les marchés énoncées dans l’ALÉNA, l’ACI et l’AMP. Le TCCE a expliqué que, comme l’intention générale des règles énoncées dans ces accords commerciaux était de promouvoir la libéralisation du commerce en veillant à ce que les procédures de passation des marchés soient appliquées d’une manière non discriminatoire et transparente, il fallait donner une interprétation extensive des circonstances pertinentes aux marchés visés par les accords commerciaux. Je suis d’accord pour dire que le TCCE devrait interpréter les textes qui la régissent en fonction de leurs objectifs, mais je ne crois pas qu’on doive pour autant donner aux dispositions législatives applicables un sens qu’elles n’ont pas.

[16]           La fourniture, par Postes Canada, de services de transport aérien, déborde le cadre de l’ACI. Compte tenu du fait que Postes Canada n’a pas fourni les services de First Air en tant que mandataire d’AINC, la seule conclusion de droit et de fait possible est que seule Postes Canada a fourni les services de First Air en l’espèce. Il n’existe aucune disposition législative ou principe de droit qui justifierait de considérer AINC comme la partie qui a fournit les services et ce, malgré le rôle non négligeable qu’AINC a joué en ce qui concerne l’élaboration de la DP, malgré le fait qu’une partie importante des frais directs entraînés par les services fournis, dans la mesure où ils relèvent du programme Aliments-poste, ont été assumés par AINC et malgré le fait qu’AINC a peut-être choisi de gérer le programme Aliments-poste en s’occupant elle-même de la passation du marché sans recourir aux services de Postes Canada.

[17]           Dans ses motifs, le TCCE affirme qu’une entité publique visée par les règles sur les marchés énoncées dans l’ACI ne doit pas pouvoir éviter l’application desdites règles en demandant à une autre entité publique non visée par ces règles de la représenter pour passer un marché. Je suis du même avis. Si AINC avait engagé Postes Canada comme mandataire pour s’occuper à sa place de la passation du marché relatif aux services de transport aérien, le marché aurait alors, en fait et en droit, été passé par AINC, et non par Postes Canada, et le TCCE aurait eu compétence pour instruire la plainte de Canadian North. Ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce. À cet égard, la présente espèce se distingue nettement de l’affaire Canada (Procureur général) c. Symtron Systems Inc. (C.A.), [1999] 2 C.F. 514, dans laquelle la Cour a conclu que le marché avait été passé par Construction de Défense Canada en tant que mandataire du ministère de la Défense nationale.

[18]           Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir les présentes demandes de contrôle judiciaire avec dépens, d’annuler la décision du 9 novembre 2006 du TCCE et de renvoyer la requête d’AINC au TCCE en enjoignant à ce dernier de faire droit à la requête et de rejeter la plainte de Canadian North pour défaut de compétence.

 

                                                                                                                  « K. Sharlow »

Juge

 

 

« Je suis du même avis. »

            Le juge en chef Richard

 

« Je suis du même avis. »

            Le juge B. Malone

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A-520-06

INTITULÉ :                                                   PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRES c.

                                                                        CANADA NORTH INC. ET AUTRES

 

DOSSIER :                                                    A-532-06

INTITULÉ :                                                   BRADLEY AIR SERVICES LIMITED c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRES

 

DOSSIER :                                                    A-565-06

INTITULÉ :                                                   SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 26 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                        LE JUGE MALONE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 MARS 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Alexander Gay

Karima Karmali

POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

Gerry H. Stobo

Jack Hughes

POUR BRADLEY AIR SERVICES LIMITED

 

Nicholas McHaffie

Justine Whitehead

Joanna Kouris

 

Gordon Cameron

Ryan Flewelling

 

POUR LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

 

POUR CANADIAN NORTH INC.

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Ontario

 

Borden Ladner Gervais LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Stikeman Elliot LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

POUR BRADLEY AIR SERVICES LIMITED

 

 

POUR LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

 

POUR CANADIAN NORTH INC.

 

 

 

 

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