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Date : 20070223

Dossier : A-76-06

Référence : 2007 CAF 83

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

RATIOPHARM, DIVISION DE RATIOPHARM INC.

appelante

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ, ABBOTT LABORATORIES

et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

intimés

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 13 février 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 février 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

LE JUGE MALONE

 


 

Date : 20070223

Dossier : A-76-06

Référence : 2007 CAF 83

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

RATIOPHARM, DIVISION DE RATIOPHARM INC.

appelante

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ, ABBOTT LABORATORIES

et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel à l’encontre du jugement du juge Campbell de la Cour fédérale (2006 CF 69) accueillant la demande d’Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited (collectivement Abbott ou les intimées) fondée sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (Règlement sur les AC), qui vise l’obtention d’une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm (l’appelante) avant l’expiration du brevet canadien n° 2,393,614 (le brevet 614).

[2]               L’ordonnance d’interdiction a été prononcée à l’égard de la clarithromycine, ingrédient médicinal actif des comprimés de Biaxin d’Abbott. L’appelante cherche à faire annuler l’ordonnance en alléguant, notamment, que le juge Campbell a mal interprété le brevet 614 et que, de toute façon, il a commis une erreur en ne concluant pas à l’invalidité du brevet au motif de l’évidence.

 

LES FAITS PERTINENTS

[3]               Le brevet 614 est un brevet de formulation intitulé [traduction] « Compositions antibactériennes de clarithromycine et processus de préparation connexes ». L’invention alléguée qui est divulguée dans le brevet 614 est une composition abrégée de clarithromycine réalisée par le retrait de constituants (c.-à-d. les excipients) de la composition non abrégée.

 

[4]               L’excipient est un ingrédient non médicinal inerte qui est ajouté à une formulation pharmaceutique pour donner à celle-ci les propriétés souhaitées. Les excipients sont notamment les diluants, les liants, les lubrifiants, les délitants, les agents de glissement et les colorants.

 

[5]               La composition non abrégée de clarithromycine disponible sur le marché est commercialisée par Abbott sous la dénomination Biaxin. Cette formulation non abrégée est décrite en ces termes dans le brevet 614 :

[traduction] La composition non abrégée de clarithromycine actuellement vendue dans le commerce comprend essentiellement les constituants suivants : clarithromycine, dioxyde de silicium colloïdal, jaune D & C n10, croscarmellose sodique extragranulaire, cellulose microcristalline extragranulaire (AvicelMD PH‑102), croscarmellose sodique intragranulaire, cellulose microcristalline intragranulaire (AvicelMD PH‑101), poudre de stéarate de magnésium, povidone, amidon prégélatinisé, alcool absolu, acide stéarique, talc et eau.

[6]               La revendication 1 du brevet 614 (également désignée la « composition abrégée ») est la seule revendication contestée. Elle prévoit :

 

[traduction] Une composition antibactérienne abrégée comprenant essentiellement de la clarithromycine, de l’eau, un excipient intragranulaire et un excipient extragranulaire, l’excipient intragranulaire consistant essentiellement en povidone, en croscarmellose sodique et en cellulose microcristalline, et l’excipient extragranulaire consistant essentiellement en croscarmellose sodique, cellulose microcristalline, dioxyde de silicium colloïdal et une poudre impalpable de stéarate de magnésium.

 

[7]               Dans l’interprétation de la revendication 1, le juge Campbell a particulièrement mis l’accent sur la revendication dépendante 3 :

[traduction] La composition de la revendication 1, qui est essentiellement dépourvue d’éthanol [… ]

 

[8]               Ratiopharm cherche à obtenir un avis de conformité pour des formulations de comprimés de 250 mg et de 500 mg de clarithromycine administrée par voie orale. Dans sa présentation abrégée de drogue nouvelle, Ratiopharm a fait référence aux comprimés de Biaxin d’Abbott à l’égard desquels le brevet 614 avait été inscrit au registre des brevets tenu en vertu du Règlement sur les AC.

 

[9]               Le 9 janvier 2004, Ratiopharm a déposé un avis d’allégation en vertu de l’article 5 du Règlement sur les AC à l’égard du brevet 614. Dans son avis d’allégation, Ratiopharm a allégué :

[traduction] La revendication 1 prévoit un excipient extragranulaire consistant essentiellement en povidone, croscarmellose sodique et cellulose microcristalline. Le terme « consistant » est utilisé pour préciser les éléments constituants de la combinaison revendiquée à l’exclusion de tous les autres éléments, et en particulier à l’exclusion de tous les éléments présents dans la soi-disant composition « non abrégée » décrite à la page 2, lignes 17 à 22 du brevet 614, qui ne sont pas inclus dans la composition revendiquée. L’excipient intragranulaire du produit de clarithromycine de Ratiopharm contient également de l’amidon prégélatinisé qui ne figure pas parmi les ingrédients revendiqués et, par conséquent, ne consiste pas essentiellement dans les ingrédients revendiqués.

[10]           En réponse à l’avis d’allégation,  Abbott a présenté une demande en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement sur les AC en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm à l’égard de ses formulations de comprimés avant l’expiration du brevet 614.

 

[11]           Ratiopharm a ultérieurement fait valoir la position selon laquelle la revendication 1 pouvait recevoir une autre interprétation. Plus précisément, Ratiopharm a soutenu que l’expression [traduction] « consistant essentiellement en » pouvait s’interpréter comme incluant les ingrédients précisés ainsi que d’autres ingrédients qui n’ont pas d’effet important sur les caractéristiques du produit.

 

[12]           Enfin, Ratiopharm a allégué devant le juge Campbell que, sans égard à l’interprétation donnée à la revendication 1, la composition abrégée d’Abbott était invalide pour cause d’évidence et que, par conséquent, les formulations de comprimés que Ratiopharm envisageait ne pouvaient constituer une contrefaçon.

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[13]           Au début de ses motifs, le juge Campbell a énuméré trois questions de fond à trancher : l’interprétation, la contrefaçon et la validité. S’agissant de la première, le juge Campbell a conclu que les revendications du brevet doivent recevoir une interprétation téléologique et doivent être lues du point de vue de la personne versée dans l’art à laquelle le brevet s’adresse (paragraphes 39 et 40 des motifs).

[14]           Appliquant cette approche, il a accepté l’argument d’Abbott portant que l’expression [traduction] « consistant essentiellement en » de la revendication 1 ne pouvait être interprétée comme signifiant « consistant seulement dans » (paragraphes 50 à 79 des motifs). Il a déclaré au paragraphe 56 :

Compte tenu de la définition de « composition abrégée », j’estime que l’on peut donner un sens clair aux mots contenus dans la revendication 1, tel que le soutient Abbott. C’est-à-dire que, si l’on prend en considération tous les ingrédients de la composition non abrégée, la composition abrégée doit inclure tous les ingrédients énumérés dans la revendication 1 et au moins un de ceux qui demeurent dans la liste des choix possibles ne doit pas être inclus. Si l’on exclut la couleur, il y a treize ingrédients dans la composition non abrégée. Ainsi, après avoir inclus les neuf ingrédients énumérés dans la revendication 1, les éléments de la composition non abrégée qui restent sont : (1) l’amidon prégélatinisé, (2) l’alcool absolu (éthanol), (3) l’acide stéarique et (4) le talc.

 

[15]           Le juge Campbell a finalement conclu que le produit de Ratiopharm contrefait le brevet 614 étant donné que Ratiopharm a concédé que sa formulation entrerait dans le champ de la revendication 1 si l’interprétation d’Abbott était jugée correcte (paragraphe 83 des motifs).

 

[16]           Le juge Campbell a expliqué par la suite qu’il n’examinerait pas la seconde interprétation de Ratiopharm au motif qu’elle ne figurait pas dans l’avis d’allégation (paragraphe 80 des motifs).

 

[17]           S’agissant de l’allégation d’invalidité sur le fondement de l’évidence, le juge Campbell a conclu que le brevet 614 était inventif et constituait une amélioration par rapport à l’état de la technique (paragraphes 84 à 94 des motifs).

 

[18]           Il a ensuite prononcé l’ordonnance d’interdiction demandée par les intimées, comme je l’ai exposé au paragraphe 1 ci-dessus.

[19]           Telle est la décision qui fait l’objet du présent appel.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]           Les questions en litige, telles que les définit l’appelante, sont les suivantes :

[traduction]

a.     Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en interprétant la revendication 1 du brevet 614 comme signifiant que la composition abrégée doit inclure tous les ingrédients énumérés dans la revendication 1, puisqu’un ingrédient au moins de la composition non abrégée est absent?

 

b.     Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en appliquant incorrectement le critère de l’évidence, notamment :

 

i.      en posant qu’il fallait établir que des personnes versées dans l’art sauraient, d’après l’état antérieur de la technique, à quel endroit placer les excipients dans une formulation abrégée pour obtenir la bioéquivalence de celle-ci et de la formulation non abrégée de Biaxin?

 

ii.     en exigeant que le formulateur compétent en arrive nécessairement au brevet 614?

 

iii.    en exigeant que le critère de l’évidence exclue les essais de routine?

 

iv.    en concluant que les essais nécessaires pour parvenir à l’invention du brevet 614 n’étaient pas des essais de routine, mais étaient plutôt des « investigations intensives »?

 

c.         Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en concluant qu’il incombait à Ratiopharm d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que le brevet 614 était invalide?

 

L’ANALYSE

[21]           À l’appui de son allégation que le juge Campbell a mal interprété la revendication 1, Ratiopharm fait valoir que le juge a commis trois erreurs identifiables. D’abord, Ratiopharm allègue que le juge Campbell a commis une erreur de droit en refusant de prendre en considération la seconde interprétation qu’elle a présentée. Deuxièmement, Ratiopharm soutient que le juge Campbell a commis une erreur manifeste et déterminante dans son appréciation de l’importance de la couleur dans la composition non abrégée. Enfin, Ratiopharm fait valoir que le juge Campbell a fait défaut d’exercer ses fonctions judiciaires en accordant un crédit injustifié aux opinions des experts d’Abbott. Selon Ratiopharm, ces erreurs sont de nature telle que la Cour doit effectuer une analyse de novo de la revendication 1.

 

[22]           S’agissant de la première erreur qui est alléguée, Ratiopharm affirme dans son avis d’allégation que la composition visée dans la revendication 1 se limite exclusivement aux ingrédients énumérés dans la revendication. Selon sa seconde argumentation ultérieure, l’expression [traduction] « consistant essentiellement en » est suffisamment large pour inclure d’autres ingrédients qui n’ont pas d’effet important sur les caractéristiques de la prétendue invention.

 

[23]           Ratiopharm a soutenu devant le juge Campbell que si la seconde interprétation ne se trouvait pas dans son avis d’allégation, Abbott en avait été suffisamment informée et n’avait produit aucun élément de preuve établissant qu’elle avait été induite en erreur. Toutefois, le dossier indique que Ratiopharm a avancé pour la première fois la seconde interprétation dans le témoignage en réponse de ses experts, soit après le dépôt des témoignages d’experts d’Abbott. L’expert d’Abbott (M. Amidon) déclare dans son affidavit en réponse que la seconde interprétation est nouvelle et ne figure pas dans l’avis d’allégation.

 

[24]           À mon avis, le juge Campbell a eu raison de ne pas tenir compte de la seconde interprétation présentée par Ratiopharm, qui n’était conforme ni à l’avis d’allégation de Ratiopharm, ni à l’article 5 du Règlement sur les AC. Il me semble surtout que les faits à l’appui de la seconde interprétation vont au-delà de ceux qui sont exposés dans l’avis d’allégation. On présume, contrairement à l’allégation initiale, que la revendication 1 vise plus que les éléments constituants expressément mentionnés. Dans la décision AB Hassle c. Apotex Inc., 2002 CFPI 93, au paragraphe 63, la Cour fédérale a déclaré :

[63] L’avis d'allégation doit énoncer tous les faits que le fabricant de médicaments génériques entend invoquer dans d’éventuelles procédures en interdiction ultérieure et il ne peut reposer sur des faits qui n’ont pas été articulés dans l’avis d’allégation. L’avis d’allégation doit viser toutes les revendications du brevet dans lesquelles est décrit l’essentiel de l'invention, à défaut de quoi l’avis d’allégation sera irrégulier et ne sera pas conforme à l’article 5 du Règlement (voir l’arrêt Genpharm Inc. c. Ministre de la Santé et Procter and Gamble Pharmaceuticals Canada Inc., 2002 F.C.A. 290 (C.A.F.), le juge Rothstein, aux paragraphes 22 à 25 :

[22]     Toutefois, les avis d’allégation et l’énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels ils se fondent doivent fournir tous les faits que le fabricant de génériques entend invoquer dans d’éventuelles procédures en interdiction. Il ne peut invoquer d’autres faits que ceux décrits dans son énoncé détaillé. Voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2002), 12 C.P.R. (4th) 447, paragraphe 19, le juge Stone.

[23]     L’exigence, au sous-alinéa 5(1)b)(iv), que le fabricant de génériques inclue « une allégation portant [...] qu’aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites » implique nécessairement que l’énoncé détaillé doit renfermer le droit et les faits sur lesquels se fonde l’allégation portant qu’aucune des revendications du brevet ne sera contrefaite.

[24]     Je ne dis pas qu’il est nécessaire que le fabricant de génériques considère chacune des revendications dépendantes du brevet si la ou les revendications de base qui décrivent l’invention sont considérées dans l’énoncé détaillé. Toutefois, le fabricant de génériques ne peut passer sous silence les revendications qui décrivent l’invention fondamentale. S’il le fait, il ne fournira pas les faits démontrant qu’« aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne serait contrefaite », et son avis d’allégation sera entaché d’un vice et ne sera pas conforme à l’article 5.

[…]

 

[25]           Plus récemment, dans l’arrêt AB Hassle c. Apotex Inc., [2006] A.C.F. n° 203; 2006 CAF 51, la Cour a réitéré (au paragraphe 4) que l’avis d’allégation (joint à l’énoncé détaillé) est le document qui circonscrit les questions à trancher dans une procédure d’interdiction subséquente et que la seconde personne ne peut pas, en réponse à la demande d’interdiction présentée par la première personne, présenter une preuve et une argumentation visant une question qui déborde le cadre de l’avis d’allégation.

 

[26]           Par une autre voie d’approche, l’appelante fait valoir que la Cour a le droit d’adopter une interprétation d’une revendication qui diffère de celle qui est préconisée par les parties (paragraphe 34 du mémoire de l’appelante; arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 61) et que, dans cette mesure, aucune interprétation ne peut être déclarée non pertinente.

 

[27]           C’est le cas, évidemment, si le dossier est en mesure d’étayer la nouvelle interprétation. Mais le juge Campbell note en l’espèce que la seconde interprétation est fondée sur des opinions contradictoires formulées par les propres experts de Ratiopharm au sujet de l’expression [traduction] « consistant essentiellement en » (paragraphe 78 des motifs). Il fait allusion à l’affidavit de M. Miller, qui déclare que la seconde interprétation est [traduction] « celle que le formulateur compétent n’adopterait vraisemblablement pas » et [traduction] « serait contraire à l’intuition du formulateur » (affidavit Miller, dossier d’appel, vol. X, onglet M, pages 2007 et 2008). Compte tenu du dossier, le juge Campbell était raisonnablement justifié de ne pas examiner plus longtemps la seconde interprétation (paragraphe 80 des motifs).

 

[28]           La deuxième erreur concerne la couleur de la composition non abrégée. S’appuyant sur le témoignage de l’un des experts produits par Abbott (M. Byrn), le juge Campbell a conclu que la couleur de la formulation non abrégée n’est pas pertinente dans la formulation d’une composition abrégée. M. Byrn a admis en contre-interrogatoire que la teinture était au cœur de la composition non abrégée et non un ingrédient d’une pellicule enrobante.

 

[29]           Toutefois, M. Byrn n’a pas été interrogé pour savoir si cet aveu influait sur son opinion au sujet de l’interprétation de la revendication 1. Par conséquent, le juge Campbell était libre de déduire qu’il n’en avait pas.

 

[30]           À l’audience, les avocats de Ratiopharm en appel ont soutenu que le juge Campbell avait commis une troisième erreur, manifeste et déterminante, dans son interprétation d’extraits spécifiques du témoignage de M. Amidon au cours du contre-interrogatoire, en faisant allusion à des ingrédients inhérents à la composition abrégée (paragraphe 64 des motifs). Le contenu du témoignage de M. Amidon au cours de son contre-interrogatoire a fait l’objet d’un long débat devant le juge Campbell. Après examen de ces éléments de preuve, le juge Campbell a rejeté l’argument de Ratiopharm selon lequel l’opinion de M. Amidon visait des ingrédients qui avaient un effet sur la composition abrégée. Reconnaissant que la preuve donnait matière à interprétation, j’estime qu’il n’a pas été établi que le témoignage de M. Amidon n’appuie pas la conclusion du juge Campbell.

 

[31]           Au-delà de ces trois erreurs spécifiques, l’appelante soutient que le juge Campbell [traduction] « a fait défaut d’exercer ses fonctions judiciaires » en adoptant les conclusions non fondées exposées par les experts d’Abbott au sujet de l’interprétation correcte de la revendication 1. Il est vrai que le juge Campbell a adopté dans son ensemble l’interprétation proposée par les experts d’Abbott. Mais on ne peut dire qu’il a commis ainsi une erreur justifiant le contrôle. L’interprétation proposée par Abbott de la revendication 1 (l’expression [traduction] « consistant essentiellement en » ne peut être interprétée avec le sens de [traduction] « consistant seulement en ») est compatible avec la revendication 3, qui prévoit que la revendication 1 peut s’interpréter comme incluant l’éthanol, même si cette substance ne figure pas parmi les ingrédients énumérés dans la revendication 1. Au contraire, selon l’interprétation que propose Ratiopharm dans son avis d’allégation, la composition visée à la revendication 1 se limite aux ingrédients qui y sont mentionnés [traduction] « à l’exclusion de tous les autres éléments et en particulier à l’exclusion de tous les éléments présents dans la soi-disant composition “non abrégée” », dont l’éthanol.

 

[32]           Faisant référence à l’arrêt du lord Jacob Ultra-frame (U.K.) Ltd. c. Eurocell Building Plastics Limited, [2005] EWCA (Civ) 761 au paragraphe 41 (C.A.), Ratiopharm a soutenu que la revendication 3 ne pouvait être interprétée comme permettant l’ajout de l’éthanol en vertu de la revendication 1. Les avocats ont fait valoir que, selon une analyse téléologique, les revendications 1 et 3 devraient être interprétées comme redondantes.

 

[33]           Il est certain que des revendications peuvent être répétées et que cela arrive à l’occasion. Cependant, on doit poser comme hypothèse de départ la différenciation des revendications et ce n’est qu’au terme d’une analyse téléologique qui établit effectivement le double emploi des revendications que cette interprétation peut être retenue. En l’espèce, la revendication 1 est une revendication indépendante qui, sauf indication contraire, doit recevoir une interprétation compatible avec la revendication 3 qui en dépend (voir la décision Halford et al. c. Seed Hawk Inc. et al., 31 C.P.R. (4th) 434 du juge Pelletier (tel était alors son titre), aux paragraphes 92 à 98). C’est l’interprétation qu’a donnée le juge Campbell de la revendication 1. Je n’y vois donc aucune erreur.

 

[34]           De plus, l’interprétation que donne Abbott de la revendication 1 est compatible avec la « variante privilégiée » exposée dans la divulgation du brevet 614, soit la variante dans laquelle l’alcool absolu, l’acide stéarique et le talc sont omis de la formulation non abrégée alors que l’amidon prégélatinisé est inclus (dossier d’appel, vol. II, page 84). Comme le font valoir les intimés, cette interprétation est compatible avec l’interprétation que suggère Abbott, qui fait place à l’amidon, mais est incompatible avec les interprétations que propose Ratiopharm, dont aucune ne permet l’ajout de l’amidon.

 

[35]           J’estime qu’il n’a pas été établi que le juge Campbell a commis une erreur en concluant que la personne versée dans l’art interpréterait la revendication 1 du brevet 614 comme signifiant que la composition abrégée doit contenir tous les ingrédients énumérés dans la composition non abrégée, sauf au moins un.

 

[36]           Passant maintenant à la question de l’évidence, le critère applicable a été exposé dans l’arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294 :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

[37]           En l’espèce, le juge des requêtes, après avoir cité l’extrait qui précède, a accepté l’observation d’Abbott (au paragraphe 94 des motifs) :

 

[traduction] Le brevet 614 est un brevet de perfectionnement et est inventif parce qu’il révèle, pour la première fois, les excipients précis qui sont nécessaires pour fabriquer la composition non abrégée et les emplacements de ces excipients, et il révèle également les excipients qui peuvent être enlevés et conservés à cette fin. Comme M. Amidon l’a souligné, une composition abrégée de clarithromycine est particulièrement audacieuse, étant donné que la clarithromycine est un composé de classe IV qui est pour ainsi dire insoluble et peu perméable, dont le goût n'est pas palpable et qui constitue une grande molécule complexe comportant de nombreux groupes fonctionnels susceptibles de poser des problèmes de dégradation. C'est là un résultat nettement supérieur à l’« étincelle d'esprit inventif » nécessaire pour appuyer la validité d’un brevet.

 

[38]           Ratiopharm conteste l’argument selon lequel le brevet 614 comporte une étincelle d’esprit inventif. Elle soutient que le juge Campbell a finalement conclu au caractère inventif du brevet en présumant de manière erronée que le critère de l’évidence exclut les essais de routine. Elle renvoie au paragraphe 99 des motifs.

 

[39]           À mon avis, l’observation du juge Campbell au paragraphe 99, soit que « l’expérimentation n'est pas permise, compte tenu de la série de décisions uniformes que la Cour fédérale a rendues à ce sujet », a été formulée au sujet de l’examen après coup (voir la décision Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Inc. c. Canada (2004), 32 C.P.R. (4th) 224 (C.F. 1re inst.) à la page 36, confirmée par C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.) aux paragraphes 43 à 47). Le juge Campbell n’a pas conclu que le critère de l’évidence n’autorise pas les essais de routine (qui confirment les qualités prévisibles de composés connus). La conclusion expresse à laquelle il est arrivé est que les essais qui seraient nécessaires en l’espèce ne seraient pas du type des essais « de routine », mais seraient plutôt du type des « investigations intensives » (paragraphe 101 des motifs).

 

[40]           L’appelante soutient ensuite que la conclusion du juge Campbell sur la nécessité d’investigations intensives est fondée sur une présomption erronée, à savoir que la revendication 1 exigeait la bioéquivalence de la formulation abrégée et de la formulation non abrégée. À ce sujet, les avocats de l’appelante font référence au paragraphe 90 des motifs, où le juge Campbell semble présumer que la bioéquivalence est nécessaire.

 

[41]           Toutefois, quand on considère les motifs qui la fondent, la conclusion du juge Campbell sur la nécessité d’investigations intensives pour arriver à la formulation brevetée n’est pas entachée par ce qui semble être une mauvaise interprétation. Elle est fondée sur les affirmations de M. Miller (qui ne donnait pas cette mauvaise interprétation) selon lesquelles il fallait mener une évaluation approfondie de la formulation non abrégée (paragraphes 96 et 97 des motifs) et [traduction] « qu’avant de sélectionner les constituants qui pourraient être enlevés et d’effectuer des expériences, une personne versée dans l’art [ne] saurait [pas] combien d’excipients, le cas échéant, pourraient être enlevés, en quelles quantités et selon quelles combinaisons » (paragraphe 98 des motifs).

[42]           L’avocat de Ratiopharm a soutenu pour la première fois à l’audience que l’appréciation que faisait le juge Campbell du témoignage de M. Miller était entachée d’une erreur manifeste. J’ai examiné le témoignage de M. Miller, en particulier son témoignage en contre-interrogatoire. À mon avis, le témoignage de M. Miller autorisait la conclusion à laquelle est arrivé le juge Campbell.

 

[43]           Enfin, Ratiopharm fait valoir que le juge Campbell a eu tort d’attribuer à Ratiopharm le fardeau d’établir, selon la prépondérance de la preuve, l’invalidité du brevet 614 (Pfizer Canada Inc. c. Canada, 2006 CF 220, aux paragraphes 10 et 11). Pour répondre brièvement, la décision dans l’instance n’a pas été rendue en fonction du fardeau de la preuve. Les deux parties ont produit des éléments de preuve volumineux et le juge Campbell a tranché en faveur d’Abbott selon la prépondérance de la preuve (voir l’arrêt Bayer c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (2000), 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.) au paragraphe 9).

 

[44]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« Marc Noël »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

         M. Nadon, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

         B. Malone, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                               A-76-06

 

APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE

DATÉ DU 24 JANVIER 2006, NO T-428-04

 

 

INTITULÉ :                                                              Ratiopharm, division de Ratiopharm Inc.

c.

Le ministre de la Santé, Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                       Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                      Le 13 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                   LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                LE JUGE NADON

                                                                                   LE JUGE MALONE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                              Le 23 février 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Glen A. Bloom

David W. Aitken

POUR L’APPELANTE

 

Aucune comparution

 

 

Steven G. Mason

Andrew J. Reddon

David Tait

 

POUR L’INTIMÉ

(Le ministre de la Santé)

 

POUR L’INTIMÉE

(Abbott Laboratories)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sim, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

(Le ministre de la Santé)

McCarthy Tétrault                                                       POUR L’INTIMÉE

Toronto (Ontario)                                                        (Abbott Laboratories)

 

 

 

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