Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20070212

 

Dossier : A-150-06

 

Référence : 2007 CAF 39

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

et

 

L’HONORABLE PAULINE BROWES, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien,

édifices du Parlement, Ottawa (Ontario)

 

et

 

L’HONORABLE GILLES LOISELLE, ministre des Finances,

édifices du Parlement, Ottawa (Ontario)

 

appelants

et

 

LE CHEF JOHN EAR, agissant en son nom et au nom de

tous les autres membres de la bande indienne de Bearspaw

de la tribu et bande indienne de Stoney, ainsi qu’au nom de la tribu de Stoney

et de tous ses membres

 

et

 

LE CHEF KEN SOLDIER, agissant en son nom et au nom de

tous les autres membres de la bande indienne de Chiniki

de la tribu et bande indienne de Stoney, ainsi qu’au nom de la tribu de Stoney

et de tous ses membres

 

et

 

LE CHEF ERNEST WESLEY, agissant en son nom et au nom de

tous les autres membres de la bande indienne de Wesley

de la tribu et bande indienne de Stoney, ainsi qu’au nom de la tribu de Stoney

et de tous ses membres

et

 

 

LA TRIBU ET BANDE INDIENNE DE STONEY

intimés

 

Audience tenue à Calgary (Alberta) les 22 et 23 janvier 2007

Jugement rendu à (Ottawa) le 12 février 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                                                LE JUGE RYER

 


Date : 20070212

Dossier : A-150-06

Référence : 2007 CAF 39

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et autres

appelants

et

 

LE CHEF JOHN EAR, agissant en son nom et au nom de

tous les autres membres de la bande indienne de Bearspaw

de la tribu et bande indienne de Stoney, ainsi qu’au nom de la tribu de Stoney

et de tous ses membres

 

et

 

LE CHEF KEN SOLDIER, agissant en son nom et au nom de

tous les autres membres de la bande indienne de Chiniki

de la tribu et bande indienne de Stoney, ainsi qu’au nom de la tribu de Stoney

et de tous ses membres

 

et

 

LE CHEF ERNEST WESLEY, agissant en son nom et au nom de

tous les autres membres de la bande indienne de Wesley

de la tribu et bande indienne de Stoney, ainsi qu’au nom de la tribu de Stoney

et de tous ses membres

 

et

 

LA TRIBU ET BANDE INDIENNE DE STONEY

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Il s’agit d’un appel et d’un appel incident d’un jugement de la Cour fédérale rejetant la requête des intimés visant à obtenir un jugement sommaire et accordant aux intimés « [l’]autorisation de présenter une nouvelle demande fondée sur les éléments dont dispose la Cour, ainsi que sur toute autre preuve que les parties jugent appropriée » (2006 CF 435). La Couronne fait appel de la partie du jugement qui accorde aux intimés l’autorisation de présenter une nouvelle demande de jugement sommaire fondée sur toute autre preuve. Les intimés ont formé un appel incident contre le rejet de leur requête en jugement sommaire.

CONTEXTE

[2]               Les intimés sont les chefs et les membres de la bande indienne de Bearspaw, de la bande indienne de Chiniki et de la bande indienne de Wesley de la Première nation de Stoney. Par souci de commodité, j’appellerai les intimés collectivement « la nation de Stoney ».

[3]               Les membres de la nation de Stoney comptent plusieurs réserves dans la province de l’Alberta. Au fil des ans, la nation de Stoney a cédé à la Couronne certains droits pétroliers et gaziers visant des parties de ces réserves afin de faciliter l’exploitation commerciale de ces droits. La Couronne, à titre de titulaire du titre conformément à ces cessions, a conclu des baux avec PanCanadian Petroleum Limited, Chevron Canada Resources Ltd., Pétrolière Impériale Ressources Limitée et Shell Canada Limitée (collectivement appelés les producteurs) en vertu desquels les producteurs ont vendu du gaz naturel extrait des puits qu’ils ont forés sur les terres de réserve cédées.

[4]               Pendant toutes les périodes pertinentes, le droit des producteurs d’extraire le gaz naturel des terres de réserve cédées était assujetti à leur obligation de verser des redevances conformément au paragraphe 4(1) de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, L.R.C. 1985, ch. I-7, qui est rédigé comme suit [Non souligné dans l’original] :

4. (1) Nonobstant les modalités d’une concession, d’un bail, d’un permis, d’une licence ou d’un autre acte d’aliénation, les dispositions d’un règlement sur le pétrole ou sur le gaz ou les modalités d’un accord sur les redevances applicables au pétrole ou au gaz, qu’ils soient ou non survenus avant le 20 décembre 1974, mais sous réserve du paragraphe (2), le pétrole et le gaz tirés des terres indiennes après le 22 avril 1977 sont assujettis au paiement à Sa Majesté du chef du Canada, en fiducie pour les bandes indiennes concernées, des redevances réglementaires.

4. (1) Notwithstanding any term or condition in any grant, lease, permit, licence or other disposition or any provision in any regulation respecting oil or gas or both oil and gas or the terms and conditions of any agreement respecting royalties in relation to oil or gas or both oil and gas, whether granted, issued, made or entered into before or after December 20, 1974, but subject to subsection (2), all oil and gas obtained from Indian lands after April 22, 1977 is subject to the payment to Her Majesty in right of Canada, in trust for the Indian bands concerned, of the royalties prescribed from time to time by the regulations.

 

[5]               Le règlement mentionné dans le paragraphe 4(1) de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes est le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, C.R.C. 1978, ch. 963, (abrogé par le Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, 1995, D.O.R.S./94‑753, entré en vigueur le 1er janvier 1995). Aux fins du présent appel, les dispositions clés du Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes sont le paragraphe 21(1) et le paragraphe 2(2) de l’annexe I, qui sont rédigés comme suit [Non souligné dans l’original] :

 

21. (1) Sauf indication contraire dans un accord spécial visé au paragraphe 5(2) de la Loi, la redevance sur le pétrole et le gaz obtenu d’une zone sous bail ou attribuable à cette zone est celle calculée selon l’annexe 1, telle que modifiée au besoin, et est payable à Sa Majesté du chef du Canada, en fiducie, à l’intention de la bande d’Indiens concernée.

21. (1) Except as otherwise provided in a special agreement under subsection 5(2) of the Act, the royalty on oil and gas obtained from or attributable to a contract area shall be the royalty computed in accordance with Schedule I, as amended from time to time, and shall be paid to Her Majesty in right of Canada in trust for the Indian band concerned.

ANNEXE I

SCHEDULE I

2.  (2) La redevance calculée, imposée et perçue pour le gaz produit dans une zone sous contrat ou attribuable à cette zone comprend la redevance de base de 25 pour cent de la production de gaz dans une zone sous contrat ou attribuable à cette zone et la redevance supplémentaire applicable (sic) déterminée selon le paragraphe (3); toutes les quantités sont calculées à la date et au lieu de la production, sans aucune déduction, sauf pour ce qui figure au paragraphe (4).

2. (2) The royalty to be computed, levied and collected on gas obtained from or attributable to a contract area shall comprise the basic royalty of 25 per cent of the gas obtained from or attributable to the contract area plus the applicable supplementary royalty determined in accordance with subsection (3), all quantities to be calculated at the time and place of production free and clear of any deduction whatsoever except as provided under subsection (4).

 

[6]               En l’espèce, il n’y a pas d’« accord spécial visé au paragraphe 5(2) » de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 21(1) du Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, et le paragraphe 2(4) de l’annexe I ne s’applique pas. En conséquence, les producteurs de tout le gaz naturel extrait des terres de réserve cédées en cause dans la présente affaire doivent payer des redevances à la Couronne en fiducie pour la bande qui a cédé les terres de réserve et les redevances doivent être calculées selon le taux prévu dans le paragraphe 2(2) de l’annexe I.

[7]               Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien est responsable de l’administration de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes et du Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. Certaines responsabilités précises prévues au Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes sont attribuées à un cadre supérieur de ce ministère appelé le directeur des Ressources minérales des Indiens. À mon avis, rien dans la présente affaire ne porte sur la question de savoir si un aspect particulier de l’administration du Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes relève de la responsabilité du ministre ou du directeur des Ressources minérales des Indiens. Toutes ces responsabilités incombent à la Couronne et non pas à la nation de Stoney.

A. Les déductions des CFF et des CECCA

[8]               Pendant de nombreuses années depuis le 1er janvier 1982, les producteurs ont appliqué le taux de redevance prévu par la loi au prix de vente du gaz naturel après la déduction de montants appelés « CFF » (charges de financement forfaitaires). À compter du 1er novembre 1986, les producteurs ont aussi déduit des montants appelés « CECCA » (charges d’exploitation et de commercialisation et charges administratives). La Couronne a obtenu des détails concernant les déductions des CFF et des CECCA à la suite d’une vérification réalisée en 1988.

[9]               Il n’est pas nécessaire d’expliquer ici l’historique complexe des CFF et des CECCA. Qu’il suffise de dire que jusqu’à la décision du litige en Alberta décrit ci-après, il existait un différend entre les producteurs d’une part et la Couronne et la nation de Stoney d’autre part. Ce différend portait sur la question de savoir si, en droit, les producteurs avaient le droit de déduire ces charges dans le calcul du prix de vente du gaz naturel aux fins de calculer les redevances payables en vertu de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes.

[10]           En 1991, la Couronne a envoyé aux producteurs des lettres faisant valoir la position de la Couronne selon laquelle les déductions n’étaient pas autorisées et exigeant le paiement de la portion impayée des redevances. Les producteurs ont soutenu que les déductions étaient permises. Les lettres ont mené à des rencontres et à des négociations, mais n’ont pas donné lieu à un paiement.

[11]           À compter de 1991, il y a eu des discussions et des rencontres entre la Couronne et la nation de Stoney, jusqu’à ce que la Couronne décide, apparemment en 1993, de ne pas tenter de percevoir le paiement en moins des redevances par un recours aux tribunaux. La nation de Stoney a été informée de cette décision en 1993. Au même moment, la Couronne a également informé la nation de Stoney qu’elle pouvait elle-même intenter un tel recours et que si elle le faisait, la Couronne lui fournirait aide et soutien.

B. Les actions en Alberta

[12]           Le 3 mai 1993, la nation de Stoney a institué une action contre PanCanadian devant la Cour du Banc de la Reine pour recouvrer les montants impayés. En 1997, la nation de Stoney a institué des actions similaires contre Shell, Chevron et Impériale.

[13]           La Couronne a participé à l’action de 1993 contre PanCanadian à titre d’intervenante. La seule contribution de la Couronne à l’instance (outre fournir les éléments de preuve sur lesquels la nation de Stoney s’est grandement appuyée) a été d’informer la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta que toute décision ordonnant le paiement de redevances devait stipuler que le paiement soit versé à la Couronne en fiducie, comme l’exige la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes.

[14]           Le juge McIntyre a instruit l’affaire et sa décision est publiée sous l’intitulé Bearspaw, Chiniki and Wesley Bands c. PanCanadian Petroleum Ltd., 1998 ABQB 286. Je résume ses conclusions comme suit. La nation de Stoney, à titre de bénéficiaire de la fiducie dans laquelle les baux et les intérêts des redevances étaient conservés, avait la qualité pour intenter une action contre PanCanadian parce que la Couronne, le fiduciaire, ne l’avait pas fait. Le régime législatif n’autorise pas la déduction de CFF et de CECCA lors de la détermination du prix de vente du gaz naturel aux fins de calculer les redevances payables. Il s’ensuit qu’un important montant de redevances est demeuré impayé par PanCanadian. La revendication de la nation de Stoney contre PanCanadian était une procédure de recouvrement d’intérêts sur des terres et était ainsi assujettie au délai de prescription de dix ans prévu à l’alinéa 18(a) de la Limitation of Actions Act, R.S.A. 1980, ch. L‑15. Par conséquent, la nation de Stoney a le droit de recevoir le paiement en moins des redevances pour la période commençant dix ans avant le dépôt de sa demande, soit à compter du 3 mai 1983.

[15]           La décision du juge McIntyre a été portée en appel devant la Cour d’appel de l’Alberta. L’appel a été accueilli en partie (2000 ABCA 209). La Cour d’appel de l’Alberta a convenu que les redevances avaient été sous-payées, pour les motifs donnés par le juge McIntyre. Elle a toutefois statué que la demande était assujettie au délai de prescription de six ans parce qu’il s’agissait d’une action pour inexécution de contrat et non une action pour recouvrer des intérêts sur des terres. Pour ce motif, le jugement a été modifié pour limiter la demande de redevances de la nation de Stoney à la période commençant le 3 mai 1987, six ans avant l’institution de l’action. Aucune demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada n’a été présentée.

[16]           Le dossier de la présente affaire n’indique pas clairement l’état des actions instituées par la nation de Stoney en 1997 contre les autres producteurs. Il appert toutefois que les producteurs ont maintenant payé la totalité des redevances en rapport avec le gaz naturel extrait des terres cédées de la nation de Stoney ou qu’ils ont offert de le faire, d’après la décision concernant PanCanadian.

[17]           En 1999, la Couronne a intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta contre PanCanadian, Chevron, Shell et Impériale visant les redevances impayées à l’égard du gaz naturel extrait des terres cédées de la nation de Stoney. Il y a eu rejet ou désistement de cette action contre Chevron. Autrement, l’état de cette action n’apparaît pas clairement dans le dossier.

C. Les procédures devant la Cour fédérale

[18]           Le 30 septembre 1993, la nation de Stoney a institué une action contre la Couronne devant la Cour fédérale. Dans cette action, elle demandait des dommages-intérêts pour abus de confiance ou manquement aux obligations fiduciaires de la Couronne envers la nation de Stoney à l’égard de l’administration, de la gestion et de la supervision des ressources de gaz naturel des réserves de Stoney, plus particulièrement pour avoir permis que des déductions irrégulières soient faites lors du calcul des redevances, omis de percevoir les redevances en souffrance et omis d’appliquer régulièrement la Loi sur le pétrole et le gaz des terres  indiennes et le Règlement sur le pétrole et  le gaz des terres indiennes.

[19]           Voilà l’action dans laquelle la nation de Stoney a présenté la requête pour obtenir un jugement sommaire et qui a donné lieu à l’ordonnance qui fait maintenant l’objet d’un appel. La nation de Stoney tente essentiellement de percevoir de la Couronne les redevances qu’elle ne peut percevoir des producteurs en raison du délai de prescription de six ans prévu par la loi.

[20]           La Couronne nie qu’elle avait une obligation légale d’intenter une action pour percevoir les redevances impayées et invoque de plus le délai de prescription de six ans comme moyen de défense, soutenant qu’elle n’est en aucun cas tenue aux redevances perdues qui étaient payables avant le 30 septembre 1987.

[21]           En réponse au moyen de défense fondé sur la prescription, la nation de Stoney allègue que la Couronne ne l’a pas informée avant 1991 des détails concernant les redevances impayées. Elle soutient qu’elle n’aurait pas pu connaître les faits pertinents avant que la Couronne ne lui en fasse part. Elle déclare que la Couronne a même dû exiger une vérification pour connaître les faits pertinents, ce qui peut être attribuable en partie à l’absence de détails dans les rapports périodiques à présenter sur les redevances (un formulaire élaboré par la Couronne). La nation de Stoney allègue que même si elle possède les mêmes renseignements que la Couronne (ce serait aller trop loin que d’accepter cette allégation parce que, en vertu du paragraphe 43(1) du Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, la Couronne était tenue d’assurer la confidentialité de l’information sur les redevances), elle ne peut pas avoir eu connaissance des faits pertinents avant la Couronne, soit en 1988.

D. La requête en jugement sommaire

[22]           La nation de Stoney a déposé la requête en jugement sommaire le 12 octobre 2005, douze ans après le dépôt de la déclaration et cinq ans après le jugement de la Cour d’appel de l’Alberta dans le litige l’opposant à PanCanadian. Au moment du dépôt de la requête visant à obtenir un jugement sommaire, les communications préalables de documents avaient été réalisées (ou étaient bien avancées), mais les interrogatoires préalables n’avaient pas encore eu lieu. Le dossier n’indique pas la raison de la lenteur de l’avancement du litige. La Couronne conteste la requête en jugement sommaire au motif qu’il existe des questions pouvant faire l’objet d’un procès en ce qui a trait à sa responsabilité ainsi que concernant le moyen de défense fondé sur la prescription.

[23]           La requête en jugement sommaire vise les redevances impayées et dues par tous les producteurs, y compris PanCanadian, en raison des déductions de CFF et de CECCA, dans la mesure où elles ne peuvent plus être perçues en raison du délai de prescription de six ans. La nation de Stoney allègue que la portion prescrite des redevances impayées dues par PanCanadian s’élève  à environ deux millions de dollars et que les redevances dues par les autres producteurs s’élèvent environ à huit millions de dollars.

[24]           Je résume comme suit le fondement factuel et juridique de la requête déposée par la nation de Stoney en vue d’obtenir un jugement sommaire :

a)                  Pendant toutes les périodes prescrites, la Couronne était maître des baux conclus à l’égard des terres de réserve cédées par la nation de Stoney, de la part de la production de gaz naturel réservée à la nation de Stoney et du paiement des redevances en rapport avec cette production.

b)                  La Couronne détenait en fiducie pour la nation de Stoney ces baux et les intérêts des redevances qui s’y rapportaient.

c)                  La Couronne a toujours été tenue en vertu de la loi de percevoir toutes les redevances payables par les producteurs en vertu de ces baux.

d)                  Lors du calcul des redevances payables, les producteurs ont déduit les CFF du 1er janvier 1982 jusqu’au 31 octobre 1994 et les CECCA à compter du 1er novembre 1986.

e)                  Ces déductions n’étaient pas permises en vertu du Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, entraînant le paiement en moins des  redevances depuis le 1er janvier 1982.

f)                    La Couronne a découvert le paiement en moins des redevances en 1988 et en a informé la nation de Stoney en 1991.

g)                  En 1991, la Couronne a envoyé aux producteurs des lettres exigeant le paiement du montant complet des redevances et a par la suite entrepris des discussions avec eux.

h)                  D’importants montants de redevances demeurent non perçus, notamment les montants prescrits par le délai de prescription de six ans.

i)                    La Couronne n’a intenté aucune poursuite contre les producteurs à temps pour empêcher ces derniers d’invoquer le délai de prescription applicable.

j)                    Une action instituée en 1993 par la nation de Stoney contre les producteurs a mené au recouvrement d’un important montant de redevances, à l’exception de celles qui étaient prescrites.

k)                  Les redevances impayées et maintenant irrécouvrables s’élèvent à environ deux millions de dollars quant à celles dues par PanCanadian et à environ huit millions de dollars quant à celles dues par les autres producteurs.

l)                    La Couronne est tenue envers la nation de Stoney à des dommages-intérêts correspondant aux redevances irrécouvrables.

[25]           L’argument sans doute le plus convaincant de la nation de Stoney à l’appui de sa requête en jugement sommaire est que la Couronne aurait pu mettre un terme à l’application de tout délai de prescription concernant la demande contre les producteurs en intentant simplement une poursuite pour percevoir les redevances impayées à n’importe quel moment avant la fin de 1988 (puisque les déductions irrégulières avaient commencé en 1982). Le fait que la déductibilité des CFF et des CECCA et l’applicabilité des lois provinciales en matière de prescription étaient contestées jusqu’à la conclusion de l’action PanCanadian ne constitue pas des matières qui auraient dû raisonnablement dissuader la Couronne de prendre la mesure relativement simple de déposer une déclaration conservatoire.

[26]           La requête en jugement sommaire s’appuyait sur l’affidavit de Ian Getty, assermenté le 21 janvier 2004, auquel étaient jointes 144 pièces. Certaines pièces sont des documents historiques, dont la pertinence est limitée par rapport aux points en litige dans la requête en jugement sommaire. Parmi les autres documents, les principaux sont les dossiers de la Couronne elle-même. La nation de Stoney était d’avis que les éléments factuels de ses revendications contre la Couronne étaient pour une large part établis par les documents mêmes de la Couronne. De toute évidence, M. Getty n’avait pas une connaissance personnelle de ces faits. Dans la mesure où il fait valoir des faits tirés des documents de la Couronne, son affidavit énonce les faits pertinents sur la foi de renseignements tenus pour véridiques.

[27]           L’affidavit de M. Getty fait valoir d’autres faits sur la foi de renseignements tenus pour véridiques en ce qui a trait à des sujets qui relèvent de la connaissance de la nation de Stoney ou de ses chefs. L’énoncé le plus important de ce genre, qui est particulièrement pertinent au moyen de défense de la Couronne fondé sur la prescription, se trouve au paragraphe 30 de son affidavit. Le paragraphe 30 est rédigé comme suit :

[traduction]

30. À ma connaissance, les demandeurs ont été informés et mis au courant des déductions irrégulières de leur droit de redevance, y compris la valeur et l’étendue approximatives de ces déductions irrégulières et non autorisées, lorsque Sa Majesté, leur fiduciaire, les en a avisés au mois de février 1991 ou vers le mois de février 1991.

 

 

[28]           M. Getty a été contre-interrogé sur son affidavit et en préparant des engagements découlant de ce contre-interrogatoire, il a confirmé qu’il s’était entretenu avec certains chefs de la nation de Stoney pour confirmer cet énoncé.

[29]           Il existe une absence inexpliquée d’affidavits de la part des chefs de nation de Stoney attestant l’exactitude de l’allégation selon laquelle ils ne connaissaient pas ni ne pouvaient raisonnablement connaître les faits pertinents jusqu’à ce que la Couronne les en informe en février 1991. Cette preuve est pertinente à l’égard du moyen de défense de la Couronne fondé sur la prescription.

[30]           La Couronne, en s’opposant à la requête pour jugement sommaire de nation de Stoney, a présenté l’affidavit de James R. Eickmeier assermenté le 18 mars 2004. M. Eickmeier était le directeur général de Pétrole et gaz des Indiens du Canada (PGIC) de 1987 à 1991. PGIC est l’organisme du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui était précisément responsable de l’administration des baux pétroliers et gaziers sur les terres de réserve cédées. M. Eickmeier a été contre-interrogé, mais il n’avait aucune connaissance personnelle de ce qui s’était produit après 1991. Son affidavit n’explique pas pourquoi la Couronne n’a pas au moins déposé une déclaration conservatoire après que la vérification eut dévoilé l’étendue des CFF et des CECCA ou après que les producteurs eurent refusé de payer.

[31]           Malgré ces questions sans réponse, il me semble que la plupart des faits sur lesquels s’appuie la bande indienne de Stoney ne sont pas contestés. La Couronne soutient le contraire. Mais sauf une exception que j’ai été en mesure d’identifier, la preuve des faits pertinents est entre les mains de la Couronne. L’exception mentionnée est la preuve concernant la date à laquelle la nation de Stoney a connu les faits pertinents ou aurait dû les connaître.

[32]           La Couronne conteste l’exactitude de la quantification des redevances impayées. Cependant, selon la conclusion du juge des requêtes, avec laquelle je suis d’accord, les questions visant l’exactitude du calcul semblent de nature relativement mineure et pourraient être résolues au moyen d’un renvoi. La Couronne ne prétend pas qu’il existe des questions de quantification qui, en elles‑mêmes, empêcheraient ou devraient empêcher qu’un jugement sommaire soit prononcé.

[33]           La Couronne conteste la qualification selon laquelle elle est un fiduciaire des baux et des redevances et allègue l’existence d’une incertitude quant à la nature de ses obligations légales à l’égard de la perception des redevances. Ce sont des questions de droit, non des questions de fait. La question de savoir si la Couronne est un fiduciaire des baux et des redevances a été résolue à l’encontre de la Couronne par la décision du juge Teitelbaum dans Première Nation de Samson c. Canada, 2005 CF 1622, confirmée par 2006 CAF 415. Les fonctions particulières de la Couronne en qualité de fiduciaire, y compris la question de savoir si elle a une obligation légale de prendre des mesures pour percevoir les redevances impayées, sont des sujets qui doivent faire l’objet d’une argumentation juridique.

[34]           La Couronne affirme également qu’il existe des questions non résolues concernant l’interprétation du Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes (et plus particulièrement l’interprétation du mot « perception ») et qu’une preuve est nécessaire pour résoudre les questions d’interprétation législative découlant du Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. Je ne peux imaginer aucune interprétation qui puisse dégager la Couronne de l’obligation légale de percevoir les redevances et la Couronne n’a pas indiqué comment elle pourrait être dégagée de cette obligation ni à qui incombe cette obligation si ce n’est pas à la Couronne.

[35]           La Couronne prétend que d’autres faits peuvent être découverts concernant l’information et la connaissance de la nation de Stoney ou de ces chefs. Quel que soit le degré d’information ou de connaissance de la nation de Stoney, je ne suis pas convaincu qu’il dégagerait la Couronne de son obligation légale de percevoir les redevances. Ces questions peuvent cependant être pertinentes à l’égard du moyen de défense de la Couronne fondé sur la prescription, si la nation de Stoney continue de faire valoir la question du moment où les faits ont été découverts.

E. L’ordonnance portant jugement sommaire

[36]           La requête pour obtenir un jugement sommaire a été entendue au mois de février 2006. L’audition a duré huit jours. Le juge des requêtes a prononcé les motifs et rendu une ordonnance le 6 avril 2006. La partie clé de l’ordonnance est rédigée comme suit :

La demande est rejetée avec autorisation de présenter une nouvelle demande fondée sur les éléments dont dispose la Cour, ainsi que sur toute autre preuve que les parties jugent appropriée.

 

 

[37]           Le juge des requêtes a tiré cette conclusion parce que, même s’il était convaincu qu’il n’y avait pas de véritable question litigieuse sauf quant au quantum (qui, selon lui, peut être réglé par voie d’entente ou de renvoi), ni la nation de Stoney ni la Couronne n’avaient présenté leur meilleure preuve, de nombreuses questions demeurant en conséquence sans réponse. Il avait tout à fait raison d’en arriver à cette conclusion. Bien qu’il n’ait pas identifié les questions demeurées sans réponse, celles-ci comprendraient au moins la question du moment de la découverte des faits, ainsi que la raison pour laquelle la Couronne a décidé de ne pas entamer de poursuite.

[38]           Il est utile de répéter que la preuve de la nation de Stoney, la partie demandant un jugement sommaire, consistait en un seul affidavit contenant presque exclusivement des affirmations fondées sur la foi de renseignements tenus pour véridiques. Cela n’est pas en soi fatal pour le jugement sommaire, du moins dans la mesure où l’affidavit contient des éléments de preuve que la Couronne est en meilleure position de présenter. Cependant, l’affidavit contient des éléments de preuve fondés sur la foi de renseignements tenus pour véridiques en rapport avec des faits qui relèvent uniquement de la connaissance des représentants de la nation de Stoney qui auraient pu produire un affidavit. À mon avis, le juge des requêtes avait raison lorsqu’il a déclaré qu’il aurait pu inférer de l’absence de preuve directe que la nation de Stoney avait pu connaître les faits pertinents avant la date alléguée de 1991.

[39]           La preuve de la Couronne, qui tentait d’établir l’existence d’au moins une question pouvant faire l’objet d’un procès, s’appuyait aussi sur un seul affidavit fondé en partie sur la connaissance directe de l’auteur, mais également sur des affirmations fondées sur la foi de renseignements tenus pour véridiques à l’égard de certains événements importants, notamment les faits qui expliqueraient la décision de la Couronne de ne pas poursuivre les producteurs pour paiement. À mon avis, le juge des requêtes aurait pu encore ici inférer, compte tenu de l’absence de preuve directe, que la décision de la Couronne de ne pas poursuivre était erronée.

[40]           Selon l’inférence défavorable que le juge des requêtes aurait pu choisir, il aurait pu rejeter la requête en jugement sommaire en se fondant sur l’omission de la nation de Stoney de démontrer que la connaissance requise n’existait pas avant 1991. Il aurait pu également accueillir la requête en jugement sommaire au motif que la Couronne ne peut pas invoquer le moyen de défense fondé sur la prescription et qu’elle n’a aucune autre justification quant à son omission de percevoir les redevances. Il n’a fait ni l’un ni l’autre. Il a plutôt rejeté la requête avec autorisation de présenter une nouvelle demande aux conditions énoncées ci-dessus.

LES POINTS SOULEVÉS DANS L’APPEL ET DANS L’APPEL INCIDENT

[41]           La Couronne en appelle de l’ordonnance dans la mesure où elle autorise la nation de Stoney à présenter une nouvelle demande en jugement sommaire fondée sur les éléments dont dispose la Cour, ainsi que sur toute autre preuve que les parties jugent appropriée. La nation de Stoney en appelle du rejet de sa requête en jugement sommaire.

[42]           Il y a un certain fondement à l’appel de la Couronne. La Cour fédérale a le pouvoir à l’égard de la décision relative à une requête en jugement sommaire, d’accueillir la requête ou de la rejeter, en totalité ou en partie. Si la requête est rejetée dans son entier, le juge des requêtes peut ordonner l’instruction de l’action. Si la requête est rejetée en partie, le juge des requêtes peut ordonner la tenue d’un procès pour les questions non décidées dans le cadre de la requête pour jugement sommaire et le juge des requêtes peut aussi prononcer des ordonnances concernant la consignation à la cour, le cautionnement pour les dépens ou la limite des interrogatoires préalables. Tous ces pouvoirs sont prévus au paragraphe 216(4) et à l’article 218 des Règles des Cours fédérales. L’ordonnance prononcée est incompatible avec ces pouvoirs.

[43]           Il aurait été toutefois loisible au juge des requêtes d’ajourner la requête en jugement sommaire pour donner aux parties la possibilité de suppléer leur preuve. À l’occasion de leur plaidoirie, les deux parties ont reconnu cette possibilité. À mon avis, c’est la voie que le juge des requêtes aurait dû adopter après avoir conclu que cette affaire comporte quelques questions de droit et de fait distinctes pouvant faire l’objet d’un jugement sommaire et que, compte tenu d’un fondement probatoire suffisant, il peut être tout à fait possible de décider sommairement d’un grand nombre des questions importantes dans la présente affaire.

[44]           Par conséquent, à mon avis, la décision la plus appropriée à rendre à l’égard de l’appel de la Couronne est d’accueillir l’appel, d’infirmer l’ordonnance visée par l’appel et, exerçant le pouvoir de la Cour de prononcer l’ordonnance qui aurait dû être prononcée, d’ordonner l’ajournement de la requête en exigeant que les parties soumettent des éléments de preuve supplémentaires plus complets.

[45]           Compte tenu de la décision qui précède à l’égard de l’appel, il n’est pas nécessaire de trancher sur le fond de l’appel incident parce que la requête en jugement sommaire continue d’exister. Cependant, il y a, à mon avis, au moins trois conclusions inéluctables. Premièrement, le juge des requêtes doit suivre l’arrêt Samson, précité, pour conclure que la Couronne est un fiduciaire des baux et des redevances. Deuxièmement, il ne fait aucun doute que la Couronne a une obligation légale de percevoir les redevances. Troisièmement, malgré le fait que la nation de Stoney est fondée à obtenir gain de cause sur ces points de droit, il aurait été loisible au juge des requêtes de rejeter la requête en jugement sommaire en totalité ou en partie au motif qu’il existait une question pouvant faire l’objet d’un procès concernant le moment de la connaissance des faits pertinents, une question à l’égard de laquelle la preuve de la nation de Stoney était insuffisante.

[46]           Les parties devraient assumer leurs propres dépens dans cet appel.

 

« Karen Sharlow »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs

            Marc Noël, juge »

 

« Je suis d’accord

            C. Michael Ryer, juge »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-150-06

 

INTITULÉ :                                                                           SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

                                                                                                LE CHEF JOHN EAR et autres et

                                                                                                LE CHEF KEN SOLDIER et autres et

                                                                                                LE CHEF ERNEST WESLEY et autres et

                                                                                                LA TRIBU ET BANDE INDIENNE DE STONEY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LES 22 ET 23 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 12 FÉVRIER 2007

 

COMPARUTIONS :

 

G. Jermyn

S. Martin

 

POUR LES APPELANTS

 

L.D. Rae

W.T. Osvath

 

J. O’Reilly

 

 

 

 

 

 

 

 

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

POUR LES INTIMÉS

AVOCATS  INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES APPELANTS

Rae & Company

Calgary (Alberta)

 

O’Reilly & Associés

Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉS

 

 

POUR L’INTIMÉ

 


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