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Date : 20070112

Dossier : A-430-05

Référence : 2007 CAF 20

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

JOSE PEREIRA E. HIJOS, S.A.

et ENRIQUE DAVILA GONZALEZ

 

intimés

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                        LE JUGE LINDEN

                                                                                                                     LE JUGE PELLETIER

 


 

Date : 20070112

Dossier : A-430-05

Référence : 2007 CAF 20

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

JOSE PEREIRA E. HIJOS, S.A.

et ENRIQUE DAVILA GONZALEZ

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

 

[1]               Le 9 mars 1995, agissant en vertu du Règlement sur la protection des pêcheries côtières (le Règlement ) pris par le gouverneur en conseil au titre de l’article 6 de la Loi sur la protection des pêches côtières, L.R.C. 1985, ch. C-33 (modifiée par L.C. 1994, ch. 14) (la Loi), des agents des pêches canadiens et des membres de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) ont saisi en haute mer l’ESTAI, un bateau de pêche espagnol (le bateau ou le navire), et l’ont forcé à se diriger vers St. John’s (Terre-Neuve), où des accusations d’avoir violé l’article 5.2 de la Loi ont été portées contre le bateau et son capitaine. Plus particulièrement, le bateau et son capitaine ont été accusés de se livrer à la pêche d’un « stock chevauchant », c’est-à-dire du flétan du Groenland, dans la « zone de réglementation » de l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest (l’OPAN) située dans les eaux du nord-ouest de l’océan Atlantique, au-delà de la zone économique de 200 milles du Canada.

 

[2]               Bien que les accusations aient été retirées le 18 avril 1995, les intimés, agissant en vertu des dispositions de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, ont intenté une poursuite contre la Couronne fédérale par la voie d’une déclaration déposée le 28 juillet 1995, et modifiée le 30 avril 2003, pour demander des dommages-intérêts en raison, notamment, de la saisie illégale du bateau en eaux internationales et de l’intrusion illicite de préposés et de mandataires de la Couronne fédérale qui ont poursuivi le bateau, l’ont arraisonné, l’ont saisi et l’ont escorté de force jusqu’à St. John’s. En formulant leur demande, les intimés ont fait valoir que le Règlement en vertu duquel les préposés et les mandataires de la Couronne fédérale prétendaient agir outrepassait le pouvoir de réglementation que confère l’article 6 de la Loi au gouverneur en conseil.

 

[3]               Les intimés ont également présenté une demande pour le compte du capitaine du bateau, le capitaine Davila, en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») pour cause de discrimination fondée sur sa race ainsi que sur son origine nationale et ethnique.

 

[4]               Le 26 juillet 2005, après six semaines de procès à St. John’s, M. le juge Gibson de la Cour fédérale a rendu son jugement. Même s’il a rejeté l’ensemble des allégations des intimés quant à la responsabilité délictuelle de la Couronne fédérale et a confirmé la validité du Règlement, le juge a accueilli, en partie, l’action des intimés et leur a adjugé la somme de 137 052,57 $ avec intérêts.

 

[5]               Nous sommes saisis d’un appel du Procureur général du Canada (l’appelant) et d’un appel incident des intimés. L’appel porte sur la partie du jugement où des dommages-intérêts sont accordés aux intimés. L’appelant déclare qu’en l’absence d’une conclusion de responsabilité à l’encontre de la Couronne fédérale, le juge ne pouvait pas accorder de dommages-intérêts. Dans leur appel incident, les intimés contestent le fait que le juge ait rejeté leurs allégations selon lesquelles les préposés et les mandataires de la Couronne fédérale, en saisissant le bateau, en le détenant et en l’escortant de force jusqu’à St. John’s, ont agi illégalement. Dans le cadre de cette contestation, les intimés disent que le juge, en confirmant la validité du Règlement, a commis une erreur.

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI ET DU RÈGLEMENT

[6]               Étant donné que la Loi et le Règlement sont au cœur de l’appel et de l’appel incident, j’en reproduis dès à présent les dispositions applicables :

1. La Loi :

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[…]

 

« bateau de pêche étranger » Le bateau de pêche qui n’est pas canadien.

 

« eaux de pêche canadiennes » Les eaux de la zone de pêche et de la mer territoriale du Canada, ainsi que les eaux intérieures canadiennes.

 

« garde-pêche » Font office de garde-pêche :

a) les agents des pêches au sens de la Loi sur les pêches;

b) les agents de la Gendarmerie royale du Canada;

c) les personnes autorisées par le gouverneur en conseil à exercer des pouvoirs de police dans le cadre de la présente loi;

[…]

 

« stock chevauchant » Stock de poissons déterminé par règlement.

 

« zone de réglementation de l’OPAN » La partie en haute mer de la zone de compétence de l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest, laquelle comprend, d’une part, les eaux du nord-ouest de l’océan Atlantique situées au nord de 35o de latitude nord et à l’ouest d’une ligne s’étendant plein nord à partir d’un point situé par 35o de latitude nord et 42o de longitude ouest jusqu’à 59o de latitude nord, puis plein ouest jusqu’à 44o de longitude ouest, et de là, plein nord jusqu’à la côte du Groenland et, d’autre part, les eaux du golfe du Saint-Laurent, du détroit de Davis et de la baie de Baffin situées au sud de 78o10’ de latitude nord.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[…]

 

5.1 Le Parlement, constatant que les stocks chevauchants du Grand Banc de Terre-Neuve constituent une importante source mondiale renouvelable de nourriture ayant assuré la subsistance des pêches durant des siècles, que ces stocks sont maintenant menacés d’extinction, qu’il est absolument nécessaire que les bateaux de pêche se conforment, tant dans les eaux de pêche canadiennes que dans la zone de réglementation de l’OPAN, aux mesures valables de conservation et de gestion de ces stocks, notamment celles prises sous le régime de la Convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l’Atlantique nord-ouest, faite à Ottawa le 24 octobre 1978 et figurant au numéro 11 du Recueil des traités du Canada (1979), et que certains bateaux de pêche étrangers continuent d’exploiter ces stocks dans la zone de réglementation de l’OPAN d’une manière qui compromet l’efficacité de ces mesures, déclare que l’article 5.2 a pour but de permettre au Canada de prendre les mesures d’urgence nécessaires pour mettre un terme à la destruction de ces stocks et les reconstituer tout en poursuivant ses efforts sur le plan international en vue de trouver une solution au problème de l’exploitation indue par les bateaux de pêche étrangers.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

5.2 Il est interdit aux personnes se trouvant à bord d’un bateau de pêche étranger d’une classe réglementaire de pêcher, ou de se préparer à pêcher, dans la zone de réglementation de l’OPAN, des stocks chevauchants en contravention avec les mesures de conservation et de gestion prévues par les règlements.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

6. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) prévoir l’autorisation, notamment par licence ou permis :

(i) pour les bateaux de pêche étrangers, de pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes aux fins précisées,

(ii) pour certaines personnes, d’exercer toute activité visée aux alinéas 4(1)a) à e), au paragraphe 4(2) ou à l’article 5;

b) régir la délivrance, la suspension et l’annulation des licences ou permis prévus à l’alinéa a), et fixer leur forme, les droits à acquitter pour les obtenir et leurs conditions d’octroi, en sus des conditions que peut spécifier le ministre;

 

 

b.1) déterminer comme stock chevauchant, pour l’application de l’article 5.2, les stocks de poissons qui se situent de part et d’autre de la limite des eaux de pêche canadiennes;

 

b.2) déterminer, pour l’application de l’article 5.2, les classes de bateaux de pêche étrangers;

b.3) déterminer, pour l’application de l’article 5.2, les mesures de conservation et de gestion des stocks chevauchants qui doivent être observées par les personnes se trouvant à bord d’un bateau de pêche étranger d’une classe réglementaire, notamment celles ayant pour but d’éviter que le bateau se livre à une activité qui compromette l’efficacité des mesures de conservation et de gestion des stocks chevauchants sous le régime de la convention mentionnée à l’article 5.1;

 

 

 

 

 

 

 

 

b.4) fixer les modalités et les limites prévues à l’article 8.1;

 

 

b.5) déterminer les formules à utiliser, au lieu de la partie XXVIII du Code criminel, dans les poursuites contre les bateaux de pêche prévues par la présente loi ou la Loi sur les pêches;

c) prévoir la nomination ou l’autorisation de personnes chargées d’exercer des pouvoirs de police dans le cadre de la présente loi et de ses règlements;

d) régir la mise en lieu sûr et la garde des bateaux de pêche ou des autres biens saisis en application de la présente loi;

e) prendre toute autre mesure d’application de la présente loi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[…]

 

8. Le garde-pêche peut arrêter sans mandat toute personne dont il croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a commis une infraction à la présente loi.

 

8.1 Le garde-pêche est fondé à employer, conformément aux modalités et dans les limites prévues par règlement, une force qui est soit susceptible de désemparer un bateau de pêche étranger, soit employée dans l’intention de le désemparer, si les conditions suivantes sont réunies :

a) il procède légalement à l’arrestation du capitaine ou du responsable du bateau;

 

b) lui-même estime, pour des motifs raisonnables, cette force nécessaire pour procéder à l’arrestation.

 

9. S’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il y a eu infraction à la présente loi, le garde-pêche peut saisir :

 

a) tout bateau de pêche dont il croit, pour des motifs raisonnables, qu’il a servi ou donné lieu à la perpétration de l’infraction;

 

b) les biens se trouvant à bord du bateau de pêche, y compris le poisson, les agrès et apparaux, les garnitures, l’équipement, le matériel, les approvisionnements et la cargaison;

 

c) à la fois le bateau de pêche et les biens se trouvant à bord de celui-ci.

 

 

*************

 

2. Le Règlement (DORS/94-362), le 25 mars 1994 :

 

2. […]

 

19.3 Le garde-pêche ne peut employer la force en application de l’article 8.1 de la Loi que lorsqu’il procède légalement et de la manière prévue aux articles 19.4 et 19.5 à l’arrestation du capitaine ou du responsable d’un bateau de pêche étranger à l’égard d’une infraction à l’article 3, à l’alinéa 4(1)a) ou à l’article 5.2 de la Loi ou d’une infraction visée au sous-alinéa 17a)(ii) de la Loi.

 

 

19.4 Avant d’employer la force visée à l’article 19.3, le garde-pêche doit :

a) prendre en considération tous les moyens moins violents qu’il serait raisonnable d’utiliser dans les circonstances pour arrêter le bateau de pêche étranger, y compris monter à bord de celui-ci;

b) être convaincu qu’aucun de ces moyens ne peut réussir à arrêter le bateau de pêche étranger.

 

19.5 Le garde-pêche qui satisfait aux exigences de l’article 19.4 doit, avant d’employer la force visée à l’article 19.3 :

a) tirer un coup de semonce ou, s’il le juge indiqué, une série de coups de semonce aux alentours du bateau de pêche étranger à une distance sans danger et laisser au capitaine ou à une autre personne à bord la possibilité d’arrêter le bateau;

b) transmettre au bateau de pêche étranger le signal SQ 1 et laisser au capitaine ou à une autre personne à bord la possibilité d’arrêter le bateau.

 

3. Le même règlement est modifié par adjonction, après l’article 20, de ce qui suit :

21. (1) Pour l’application du présent article, « bateau sans nationalité » s’entend de tout bateau de pêche étranger qui, selon le cas :

a) n’est pas immatriculé ni n’est muni d’un permis sous le régime des lois d’un État ou ne fait l’objet d’aucun document, délivré par un État, l’autorisant à battre pavillon de cet État;

b) ne porte aucune marque visible indiquant son nom ou le nom de son port d’attache;

c) navigue sous le pavillon d’un État sans autorisation;

d) navigue sans aucun pavillon d’un État;

e) navigue sous le pavillon de plus d’un État, selon ce qui s’accommode aux circonstances;

(2) Pour l’application de l’article 5.2 de la Loi :

a) constituent des stocks chevauchants :

(i) dans la division 3L, la division 3N et la division 3O, les stocks de poissons mentionnés au tableau I du présent article,

(ii) dans la division 3M, les stocks de poissons mentionnés au tableau II du présent article;

b) les classes réglementaires de bateaux de pêche étrangers sont respectivement les bateaux sans nationalité et les bateaux de pêche étrangers qui naviguent sous le pavillon d’un État visé au tableau III du présent article;

c) constitue une mesure de conservation et de gestion l’interdiction de pêcher, de se préparer à pêcher ou de prendre et garder les stocks chevauchants.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

*************

 

3. Le Règlement (DORS/95-136), le 3 mars 1995 :

 

2. Les alinéas 21(2)b) et c) du même règlement sont remplacés par ce qui suit :

 

b) les classes réglementaires de bateaux de pêche étrangers sont :

 

(i) les bateaux de pêche étrangers sans nationalité,

(ii) les bateaux de pêche étrangers qui naviguent sous le pavillon d’un État visé au tableau III du présent article,

(iii) les bateaux de pêche étrangers qui naviguent sous le pavillon d’un État visé au tableau IV du présent article;

c) en ce qui concerne les bateaux de pêche étrangers des classes visées aux sous-alinéas b)(i) ou (ii), constitue une mesure de conservation et de gestion l’interdiction de pêcher, de se préparer à pêcher ou de prendre et de garder les stocks chevauchants figurant aux tableaux I ou II du présent article;

 

d) en ce qui concerne les bateaux de pêche étrangers de la classe visée au sous-alinéa b)(iii), constituent des mesures de conservation et de gestion les mesures visées au tableau V du présent article.

 

 

(3) L’article 21 du même règlement est modifié par adjonction, après le tableau III, de ce qui suit :

 

Tableau IV

ÉTATS

Article       État

1                 Portugal

2.                Espagne

 

Tableau V

MESURES DE CONSERVATION

ET DE GESTION

 

Article       Mesure

1.        Interdiction de pêcher ou de prendre et de garder du flétan du Groenland dans la division 3L, 3M, 3N et la division 3O pendant la période commençant le 3 mars et se terminant le 31 décembre de chaque année.

2.        Interdictions de pêcher ou de prendre et de garder  :

a) de la plie d’Amérique dans la division 3L, la division 3N et la division 3O;

b) de la morue franche dans la division 3L, la division 3N et la division 3O;

c) du capelan dans la division 3N et la division 3O;

d) de la crevette nordique dans la division 3L, la division 3N et la division 3O;

e) de la plie grise dans la division 3N et la division 3O;

f) de la limande à queue jaune dans la division 3L, la division 3N et la division 3O.

3.        Interdiction, lors de la pêche de tout stock chevauchant figurant à la partie A du tableau I ou au tableau II, d’avoir à bord du bateau de pêche ou de pêcher avec un chalut dont le maillage, en quelque partie que ce soit, est inférieur :

a) à 120 mm, dans le cas d’un chalut en Caprolan, Dederon ou Kapron;

 

b) à 130 mm, dans les autres cas.

 

4.        Interdiction de pêcher avec un chalut dont l’une de ses mailles est obstruée autrement que des façons permises aux termes de l’article 31 du Règlement de pêche (dispositions générales).

5.        Interdiction, dans la division 3L, la division 3N et la division 3O, d’avoir à bord du bateau de pêche étranger :

a) la morue franche d’une longueur à la fourche de moins de 41 cm;

b) la plie d’Amérique ou la limande à queue jaune d’une longueur totale de moins de 25 cm.

6.        Obligation de tenir un registre quotidien indiquant de façon précise ce qui suit, et de le produire sur demande d’un garde-pêche :

a) toutes les prises, par espèce et par zone de capture;

b) toute la production, par espèce et par produit.

7.        Interdiction d’enlever les engins de pêche de l’eau pendant les 30 minutes après que le signal SQ 3 a été donné au bateau de pêche étranger par un bateau de l’État.

 

 

3. Les articles 1 et 2 entrent en vigueur avant leur publication dans la Gazette du Canada.

 

1. The Act :

 

2. In this Act,

 

Canadian fisheries waters” means all waters in the fishing zones of Canada, all waters in the territorial sea of Canada and all internal waters of Canada;

 

“Foreign fishing vessel” means a fishing vessel that is not a Canadian fishing vessel;

 

NAFO Regulatory Area” means that part of the following area, being the Convention Area of the Northwest Atlantic Fisheries Organization, that is on the high seas :

(a) the waters of the Northwest Atlantic Ocean north of 35o00’ north latitude and west of a line extending due north from 35o00’ north latitude and 42o00’ west longitude to 59o00’ north latitude, thence due west to 44o00’ west longitude, and thence due north to the coast of Greenland, and

(b) the waters of the Gulf of St. Lawrence, Davis Strait and Baffin Bay north of 78o10’ north latitude;

 

protection officer” means

(a) a fishery officer within the meaning of the Fisheries Act,

(b) an officer of the Royal Canadian Mounted Police, or

(c) any person authorized by the Governor in Council to enforce this Act.

 

straddling stock” means a prescribed stock of fish.

 

[Emphasis added]

 

 

 

 

 

 

5.1 Parliament, recognizing

(a) that straddling stocks on the Grand Banks of Newfoundland are a major renewable world food source having provided a livelihood for centuries to fishers,

(b) that those stocks are threatened with extinction,

(c)  that there is an urgent need for all fishing vessels to comply in both Canadian fisheries waters and the NAFO Regulatory Area with sound conservation and management measures for those stocks, notably those measures that are taken under the Convention on Future Multilateral Cooperation in the Northwest Atlantic Fisheries, done in Ottawa on October 24, 1978, Canada Treaty Series 1979 No. 11, and

(d) that some foreign fishing vessels continue to fish those stocks in the NAFO Regulatory Area in a manner that undermines the effectiveness of sound conservation and management measures,

declares that the purpose of section 5.2 is to enable Canada to take urgent action necessary to prevent further destruction of those stocks and to permit their rebuilding, while continuing to seek effective international solutions to the situation referred to in paragraph (d).

 

[Emphasis added]

 

5.2 No person, being aboard a foreign fishing vessel of a prescribed class, shall, in the NAFO Regulatory Area, fish or prepare to fish for a straddling stock in contravention of any of the prescribed conservation and management measures.

 

[Emphasis added]

 

 

 

 

6. The Governor in Council may make regulations

(a) for authorizing, by means of licences, permits or otherwise

(i) foreign fishing vessels to enter Canadian fisheries waters for any purpose specified in the regulations, or

(ii) persons to do all or any of the things described in paragraphs 4(1)(a) to (e), subsection 4(2) or section 5;

(b) respecting the issuance, suspension and cancellation of any licences or permits provided for under paragraph (a) and prescribing their forms, the fees payable therefore and their terms and conditions, which are in addition to such terms and conditions, if any, as the Minister may specify therein;

(b.1) prescribing as a straddling stock, for the purposes of section 5.2, any stock of fish that occurs both within Canadian fisheries waters and in an area beyond and adjacent to Canadian fisheries waters;

(b.2) prescribing any class of foreign fishing vessel for the purposes of section 5.2;

(b.3) prescribing, for the purposes of section 5.2,

(i) any measure for the conservation and management of any straddling stock to be complied with by persons aboard a foreign fishing vessel of a prescribed class in order to ensure that the foreign fishing vessel does not engage in any activity that undermines the effectiveness of conservation and management measures for any straddling stock that are taken under the Convention on Future Multilateral Cooperation in the Northwest Atlantic Fisheries, done at Ottawa on October 24, 1978, Canada Treaty Series 1979 No. 11, or

(ii) any other measure for the conservation and management of any straddling stock to be complied with by persons aboard a foreign fishing vessel of a prescribed class;

(b.4) prescribing the manner in which and the extent to which a protection officer is permitted to use the force referred to in section 8.1;

(b.5) prescribing forms that may be used instead of the forms set out in Part XXVIII of the Criminal Code in proceedings against fishing vessels under this Act or the Fisheries Act;

(c) for appointing or authorizing persons to enforce the provisions of this Act and the regulations;

 

(d) for securing and keeping any fishing vessels or things seized pursuant to this Act; and

(e) generally for carrying out the purposes and provisions of this Act

 

[Emphasis added]

 

 

8. A protection officer may arrest without warrant any person who the officer suspects on reasonable grounds has committed an offence under this Act.

 

8.1 A protection officer may, in the manner and to the extent prescribed by the regulations, use force that is intended or is likely to disable a foreign fishing vessel, if the protection officer

 

 

(a) is proceeding lawfully to arrest the master or other person in command of the vessel; and

(b) believes on reasonable grounds that the force is necessary for the purpose of arresting that master or other person.

 

9. Where a protection officer suspects on reasonable grounds that an offence under this Act has been committed the officer may seize

(a) any fishing vessel by means of or in relation to which the officer believes on reasonable grounds the offence was committed;

(b) any goods aboard a fishing vessel described in paragraph (a), including fish, tackle, rigging, apparel, furniture, stores and cargo; or

 

(c) any fishing vessel described in paragraph (a) and any of the goods described in paragraph (b).

 

*************

 

2. The Regulations (SOR/94-362), 25 May 1994 :

 

2. …

 

19.3 A protection officer may use force under section 8.1 of the Act only where the protection officer is proceeding lawfully and in accordance with the manner set out in sections 19.4 and 19.5 to arrest the master or other person in command of a foreign fishing vessel for the commission of an offence under section 3, paragraph 4(1)(a) of the Act or of an offence set out in subparagraph 17(a)(ii) of the Act.

 

19.4 Before using force referred to in section 19.3, a protection officer shall :

(a) consider all less violent means reasonable in the circumstances to have the foreign fishing vessel bring to, including boarding the foreign fishing vessel; and

(b) be satisfied that the foreign fishing vessel cannot be made to bring to by those means.

 

 

19.5 A protection officer who has met the requirements of section 19.4 shall, before using force referred to in section 19.3,

(a) fire a warning shot or, if the protection officer considers it advisable, a series of warning shots in the vicinity of the foreign fishing vessel but at a safe distance and give the master or other person on board a reasonable opportunity to bring to; and

(b) signal the foreign fishing vessel by Signal SQ 1 and give the master or other person on board a reasonable opportunity to bring to.

 

3. The Regulations are amended by adding the following after section 20 :

 

21. (1) in this section, “vessel without nationality” means a foreign fishing vessel that

 

(a) is not registered under the laws of any state or to which no state has issued a document granting the foreign fishing vessel the right to fly the flag of that state;

 

(b) has no visible markings indicating its name or home port;

 

(c) is flying a flag of a state that it is not entitled to fly;

(d) is not flying a flag of any state; or

(e) is sailing under flags of two or more states and flying/ the flags according to convenience.

(2) For the purposes of section 5.2 of the Act,

(a) straddling stocks are,

(i) in Division 3L, Division 3N and Division 3O, the stocks of fish as set out in Table I to this section, and

 

(ii) in Division 3M, the stock of fish as set out in Table II to this section;

 

(b) vessels without nationality and foreign fishing vessels that fly the flag of any state set out in Table III to this section are prescribed classes of vessels, and.

 

 

(c) a prohibition against fishing for straddling stocks, preparing to fish for straddling stocks or catching and retaining straddling stocks is a prescribed conservation and management measure.

 

 

[Emphasis added]

 

*************

 

3. The Regulations (SOR/95-136), 3 March 1995 :

 

2. Paragraphs 21(2)(b) and (c) of the Regulations are replaced by the following :

 

21 (b) the following classes of foreign fishing vessels are prescribed classes, namely

(i) foreign fishing vessels without nationality;

(ii) foreign fishing vessels that fly the flag of any state set out in Table III to this section, and

(iii) foreign fishing vessels that fly the flag of any state out in Table IV of this section;

(c) in respect of a foreign fishing vessel of a class prescribed by subparagraphs (b)(i) and (ii), prohibitions against fishing for the straddling stocks set out in Table I or II to this section, preparing to fish for those straddling stocks and catching and retaining those straddling stocks are prescribed conservation and management measures; and

(d) in respect of a foreign fishing vessel of a class prescribed by subparagraph (b)(iii), the measures set out in Table V to this section are prescribed conservation and management measures.

 

(3) Section 21 of the Regulations is amended by adding the following after Table III :

 

Table IV

STATES

Item      State

1.           Spain

2.           Portugal

 

Table V

Prescribed Conservation

and

Management MeasureS

 

Item      Measures

1.          Prohibitions against fishing for, or catching and retaining, Greenland halibut in Division 3L, Division 3M, Division 3N or Division 3O during the period commencing on March 3 and terminating on December 31 in any year.

2           Prohibitions, when fishing for, or catching and retaining,

(a) American plaice in Division 3L, Division 3N or Division 3O;

 

(b) Atlantic cod in Division 3L, Division 3N or Division 3O;

 

(c) Capelin in Division 3N or Division 3O;

(d) Northern shrimp in Division 3L, Division 3N or Division 3O;

 

(e) Witch flounder in Division 3N or Division 3O;

 (f) Yellowtail flounder in Division 3L, Division 3N or Division 3O.

 

3.          Prohibitions, when fishing for any straddling stocks set out in Part A of Table I or in Table II, against fishing with or having on board the foreign fishing vessel net that has a mesh size, in any part of the net, that is

(a) in the case of a net made from Caprolan, Dederon or Kapron, less than 120 mm; and

(b) in any other case, les than 130 mm.

4.          Prohibition against fishing with a trawl net that any of its meshes obstructed in any manner, other than a manner allowed under section 31 of the Fisheries General Regulations.

5.          Prohibition against having on board the foreign fishing vessel in Division 3L, Division 3N or Division 3O any

(a) Atlantic cod less than 41 cm in  fork length; or

(b) American plaice or Yellowtail flounder less 25 cm in total length.

 

6.          Requirement to keep, and produce on the demand of a protection officer, accurate daily logs that set out

(a) all catches, by species and area of Capture, and

(b) all production, by species and product form.

7.          Prohibition against removing fishing gear from the water during the 30 minute period after a Signal SQ 3 is sent from a government vessel to the foreign fishing vessel.

 

3. Sections 2 and 2 apply according to their terms before they are published in the Gazette du Canada.

 

 

[7]               Avant d’aborder les faits de l’affaire, il est important à ce stade de souligner que le flétan du Groenland est un stock de poisson qui est mentionné à la fois au tableau I et au tableau II du paragraphe 21(2) du Règlement. Autrement dit, pour l’application de l’article 5.2 de la Loi, le flétan du Groenland est un « stock chevauchant », c’est-à-dire un stock déterminé de poisson.

 

[8]               Il est utile de passer en revue les faits pour bien comprendre les questions que soulèvent l’appel et l’appel incident. Plus particulièrement, un survol de l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest et du régime de lois et règlements en vigueur au 3 mars 1995 situera le contexte nécessaire dans lequel ont eu lieu les événements du 9 mars 1995.

 

LES FAITS

            A.        L’Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest

[9]               La Convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l’Atlantique nord-ouest (la Convention), que le Canada a ratifiée le 30 novembre 1978, est entrée en vigueur le 1er janvier 1979. Dans le cadre de cette dernière, les parties contractantes ont créé une organisation internationale appelée Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest (l’OPAN), dont le siège est situé à Dartmouth (Nouvelle-Écosse). La Convention a pour objectif premier de favoriser la coopération et la consultation internationales en rapport avec la conservation et l’utilisation optimale des ressources halieutiques du nord-ouest de l’Atlantique.

 

[10]           La Convention prévoit la formation d’un conseil scientifique, dont la raison d’être est de servir de tribune de consultation entre les parties contractantes et de fournir des conseils scientifiques à, notamment, la Commission des pêches (la Commission), un organisme établi dans le cadre de la Convention et chargé, au sein de l’OPAN, de la gestion et de la conservation des ressources halieutiques présentes dans la « zone de réglementation ». Pour les besoins de la présente espèce, il suffit de dire que la « zone de réglementation » représente la partie de la « zone de la Convention » qui s’étend au-delà du secteur de 200 milles nautiques dans lequel les États côtiers exercent leur juridiction en matière de pêche. La « zone de la Convention » est divisée en sept sous-zones de pêche, elles-mêmes divisées en un nombre additionnel de sous-zones. Les événements qui ont donné lieu à l’appel et à l’appel incident sont survenus dans la sous-zone 3L, laquelle se situe en partie dans les eaux de pêche canadiennes et en partie à l’extérieur de ces dernières, de même que dans la sous-zone 3M, qui se situe entièrement en dehors des eaux de pêche canadiennes.

 

[11]           Dans l’exercice de ses fonctions, la Commission peut fixer des quotas qui limitent les captures annuelles de diverses espèces de poisson que font les parties contractantes, de même que la répartition parmi ces dernières des captures annuelles fixées. Jusqu’à la fin de 1994, la Commission n’avait fixé aucun quota pour les captures annuelles de flétan du Groenland et, de ce fait, aucune limite n’était imposée aux parties contractantes. Cependant, à l’assemblée annuelle que la Commission a tenue en septembre 1994, l’un de ses membres - la Norvège - a proposé que le total admissible des captures (le TAC) du flétan du Groenland dans les sous-zones 2 et 3 de l’OPAN soit fixé à 27 000 tonnes pour l’année 1995. La Commission a adopté cette proposition, et l’a ensuite soumise aux parties contractantes.

 

[12]           Il convient de signaler que le Canada a appuyé la proposition de la Norvège concernant la limitation à 27 000 tonnes du TAC du flétan du Groenland dans les sous-zones 2 et 3 de l’OPAN pour 1995. Cependant, l’Union européenne (l’UE), une partie contractante à la Convention et dont les douze États membres comprenaient le Portugal et l’Espagne, s’est abstenue au sujet de la proposition d’un TAC de 27 000 tonnes, après que son représentant eut proposé un TAC de 40 000 tonnes.

 

[13]           Comme l’exige le paragraphe XI(6) de la Convention, la proposition de la Norvège concernant le TAC de 27 000 tonnes a été envoyée par le secrétaire exécutif de l’OPAN à toutes les parties contractantes. Aux termes du paragraphe XI(7) de la Convention, une proposition de cette nature devient une mesure que toutes les parties contractantes sont tenues de mettre en vigueur à une date que fixe la Commission, sauf si une partie contractante y fait opposition dans le délai que prescrit la disposition. Dans le cas qui nous occupe, aucune des parties contractantes ne s’est opposée à la proposition relative au TAC de 27 000 tonnes de flétan du Groenland pour l’année 1995.

 

[14]           Après l’adoption, par l’OPAN, de la proposition de la Norvège, il restait à répartir le TAC parmi les parties contractantes. Les membres de la Commission se sont réunis à Bruxelles le 30 janvier et le 1er février 1995; le principal point à l’ordre du jour était la répartition, parmi les parties contractantes, des quotas de flétan du Groenland fixés pour 1995 dans les sous-zones 2 et 3 de l’OPAN.

 

[15]           Lors de la réunion, le représentant de Cuba a présenté la proposition suivante : Canada – 16 300 tonnes ou 60,37 p. 100; UE – 3 400 tonnes ou 12,59 p. 100; Russie – 3 200 tonnes ou 11,85 p. 100; Japon – 2 600 tonnes ou 9,63 p. 100; autres – 1 500 tonnes ou 5,6 p. 100. La proposition cubaine a été adoptée; les votes étaient répartis comme suit : six parties ont voté pour (Canada, Cuba, Islande, Japon, Norvège et Russie), deux se sont abstenues (Danemark, pour le compte des îles Féroé, et la République de la Corée), et cinq parties ont voté contre (Estonie, Union européenne, Lettonie, Lituanie et Pologne).

 

[16]           Le 6 février 1995, dans une lettre adressée au Commissaire de l’UE chargé des pêches, le ministre canadien des Pêches et des Océans a indiqué que le Canada était disposé à céder à l’UE une partie de son allocation de flétan du Groenland pour 1995 [traduction] « […] étant entendu que l’UE n’invoquera pas la procédure d’opposition ». L’UE n’a pas accepté l’offre du Canada.

 

[17]           Le 3 mars 1995, l’UE, agissant en conformité avec le paragraphe XII(1) de la Convention, s’est opposée à la proposition que Cuba avait faite - et que la Commission avait adoptée – à propos des quotas particuliers de flétan du Groenland fixés pour 1995 dans les sous-zones 2 et 3 de l’OPAN. Non seulement s’est-elle opposée à la répartition proposée, mais elle a unilatéralement fixé son propre quota de flétan du Groenland dans la zone de réglementation de l’OPAN à un niveau (18 630 tonnes) qui excédait de loin le quota que la Commission lui avait attribué à la réunion tenue le 30 janvier et le 1er février 1995 à Bruxelles.

 

[18]           Il n’y a aucun doute que les événements qui précèdent ont mené aux modifications qui ont été apportées le 3 mars 1995 au Règlement. Voici maintenant un bref survol de l’historique de la Loi et du Règlement.

 

B.        Historique de la Loi et du Règlement

[19]           Avant le 25 mai 1994, la Loi réglementait les activités des bateaux de pêche étrangers dans les eaux de pêche canadiennes, lesquelles englobaient la totalité des eaux côtières du Canada s’étendant jusqu’à la limite de 200 milles nautiques de la zone économique du pays. Le 25 mai 1994, des modifications à la Loi sont entrées en vigueur. Le principal changement était que le Canada réglementerait dorénavant les stocks chevauchants de poisson non seulement à l’intérieur des eaux canadiennes, mais aussi en dehors de la limite de 200 milles.

 

[20]           Les expressions « zone de réglementation de l’OPAN » et « stock chevauchant » ont été ajoutées aux définitions figurant à l’article 2 de la Loi. En outre, les articles 5.1 et 5.2 ont été ajoutés à la Loi. Par l’article 5.1, le Parlement a déclaré que l’article 5.2 avait pour but de lui donner la possibilité de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à la destruction des stocks chevauchants du Grand Banc de Terre-Neuve et de permettre au Canada de « […] les reconstituer tout en poursuivant ses efforts sur le plan international en vue de trouver une solution au problème de l’exploitation indue par les bateaux de pêche étrangers », c’est-à-dire le fait que des bateaux de pêche étrangers exploitaient des stocks chevauchants dans la zone de réglementation de l’OPAN d’une manière qui compromettait l’efficacité de mesures valables de conservation et de gestion. Par l’article 5.2, le Parlement a interdit la pêche de ces stocks chevauchants dans la zone de réglementation de l’OPAN par « un bateau de pêche étranger d’une classe réglementaire ».

 

[21]           En outre, les alinéas b.1 à b.5 ont été ajoutés au pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil énoncé à l’article 6 de la Loi de façon à permettre à ce dernier, notamment, de déterminer comme stocks chevauchants, pour l’application de l’article 5.2 de la Loi, les stocks de poisson se situant de part et d’autre de la ligne des eaux de pêche canadiennes, de déterminer, pour l’application de l’article 5.2, les classes de bateaux de pêche étrangers, et de déterminer les mesures de conservation et de gestion des stocks chevauchants à observer par les personnes se trouvant à bord d’un bateau de pêche étranger d’une classe réglementaire.

 

[22]           Conformément au pouvoir conféré par la loi modifiée, le Règlement a été modifié le 25 mai 1994 (C.P. 1994-836, 25 mai 1994, DORS/94-362). Il a étendu le pouvoir des « gardes-pêche » en dehors des eaux de pêche canadiennes aux « bateaux sans nationalité », une expression définie, ainsi qu’aux bateaux de pêche étrangers naviguant sous le pavillon du Belize, des îles Caïmans, du Honduras, du Panama, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et de la Sierra Leone en ce qui concerne les « stocks chevauchants », définis de manière à inclure le flétan du Groenland dans les sous-zones de pêche 3L, 3M, 3N et 3O de l’OPAN. En outre, le Règlement a prescrit que, pour l’application de l’article 5.2 de la Loi, constituait une mesure de conservation et de gestion l’interdiction de pêcher, de se préparer à pêcher ou de prendre et garder les stocks chevauchants.

 

[23]           Le 3 mars 1995, le Règlement a été modifié de nouveau (C.P. 1995-372, DORS/95-136). En plus de maintenir les restrictions imposées aux bateaux de pêche étrangers sans nationalité et aux bateaux de pêche étrangers battant un pavillon de complaisance, il prescrivait maintenant que, pour l’application de l’article 5.2 de la Loi, les bateaux de l’Espagne et du Portugal se situaient dans une classe réglementaire et que, de ce fait, ils ne pouvaient pas pêcher, prendre et garder du flétan du Groenland dans les sous-zone de pêche 3L, 3N et 3O de l’OPAN.

 

[24]           Ces dispositions modificatives du Règlement n’ont été publiées dans la Gazette du Canada que le 22 mars 1995, mais l’UE a été avisée de leur adoption. En conséquence, l’Espagne a retiré ses bateaux de pêche situés dans les sous-zones de pêche à l’égard desquelles le Règlement modificatif visait à étendre la juridiction du Canada en matière de réglementation des pêches. Puis, avant le 9 mars 1995, des bateaux de pêche espagnols sont revenus pêcher dans les sous-zones de pêche visées par le Règlement modificatif. L’ESTAI en faisait partie.

 

[25]           Examinons maintenant les événements survenus le 9 mars 1995.

 

C.        La saisie de l’ESTAI, sa détention et son voyage vers St  John’s

[26]           Dans ses motifs, le juge de première instance a examiné avec soin ces événements et la meilleure chose que je puisse donc faire est de reproduire les paragraphes 1 à 16 de ses motifs :

[1]           Le 9 mars 1995, vers 18 h 15, des groupes tactiques dépêchés depuis trois ou quatre navires canadiens arraisonnaient l’ESTAI, chalutier congélateur espagnol de grande pêche, à l’intérieur de la Zone de réglementation de l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest (OPAN), c’est-à-dire à l’extérieur des eaux de pêche canadiennes, ou, autrement dit, en haute mer. Les groupes tactiques, qui comprenaient vraisemblablement les membres d’un groupe d’intervention d’urgence de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), ont saisi l’ESTAI. Ils ont prié le capitaine de l’ESTAI de coopérer et de conduire son navire à St. John’s (Terre-Neuve). Ils lui ont dit que, s’il ne coopérait pas, eux conduiraient quoi qu’il arrive son navire à St. John’s. Enrique Davila Gonzalez (le capitaine Davila), codemandeur, et patron de l’ESTAI, a accepté de coopérer. L’ESTAI, accompagné de plusieurs navires canadiens, s’est dirigé vers St. John’s, en toute hâte. Les événements du 9 mars 1995 qui ont conduit à la saisie de l’ESTAI présentent de l’intérêt. Sur la foi des dépositions du capitaine de l’un des navires canadiens qui avaient pris part à l’arraisonnement et à la saisie, ils seront brièvement exposés ici.

[2]           Très tôt le matin du 9 mars 1995, le Cape Roger, un navire canadien de surveillance des pêches, d’une longueur de deux cent cinq (205) pieds, faisait route vers l’est dans les eaux de pêche canadiennes de la Zone de la Convention de l’OPAN, près de la ligne de démarcation séparant la zone de pêche de deux cents (200) milles du Canada et les eaux se trouvant à l’extérieur de cette zone. Par commodité, un croquis est joint aux présents motifs, comme annexe I. Le croquis illustre la côte est du Canada, ainsi que le nord des États-Unis, la côte ouest du Groenland et la Zone de la Convention de l’OPAN dans les mers adjacentes, divisée en sous-zones de pêche. Le croquis indique aussi la limite extérieure de la zone de pêche du Canada. Le Cape Roger était accompagné du Leonard J. Cowley, un autre navire canadien de surveillance des pêches, du Sir Wilfrid Grenfell, un navire de la Garde côtière canadienne, du Chebucto, un navire du ministère canadien des Pêches et des Océans attaché à la Région maritime du ministère en Nouvelle-Écosse, enfin du navire de guerre Terra Nova, tous naviguant semble-t-il avec le soutien d’un avion de reconnaissance canadien.

[3]           Vers 2 h 30, le Cape Roger quittait la sous-zone de pêche 3L de l’OPAN, à l’intérieur des eaux de pêche canadiennes, pour entrer dans la même sous-zone de pêche, mais à l’extérieur des eaux de pêche canadiennes.

[4]           Après un parcours assez détourné, le Cape Roger et les navires qui l’accompagnaient ont atteint leur objectif, reconnu alors pour être l’ESTAI, vers 13 h 52. À ce moment précis, les navires canadiens et l’ESTAI se trouvaient tous dans la sous-zone de pêche 3L de l’OPAN et sur les grands fonds de la Passe flamande, entre le Bonnet flamand à l’est et les eaux de pêche canadiennes à l’ouest. L’ESTAI se livrait à la pêche hauturière du flétan du Groenland, en traînant son filet déployé derrière lui et fixé à sa poupe par deux (2) longues pièces de câble renforcé.

[5]           Plus d’une heure plus tôt, le Cape Roger avait enlevé de son coffre à canons deux (2) canons de calibre 50 et deux cents (200) cartouches. Les canons étaient montés sur le pont du Cape Roger.

[6]           À 13 h 58, le Cape Roger se trouvait flanc à flanc avec l’ESTAI, encore qu’à bonne distance. Son canot d’accostage, une « vedette rapide de sauvetage » dotée d’une coque rigide, d’un collier gonflé et d’un moteur diesel de cent cinquante (150) chevaux, était dans l’eau à proximité du Cape Roger. Pas plus de deux (2) minutes plus tard, le canot d’accostage, avec à son bord un groupe tactique, s’éloignait du Cape Roger pour se diriger vers l’ESTAI. Il arrivait à l’ESTAI trois (3) minutes plus tard, après quoi son échelle d’accostage fut élevée contre la paroi de l’ESTAI. Il n’a pas été clairement prouvé devant la Cour qu’un préavis de l’arraisonnement projeté avait été donné à l’ESTAI.

[7]           Les membres du groupe tactique, qui étaient six ou huit (la preuve est imprécise), portaient des gilets de sauvetage et des cuirasses légères en Kevlar. Ils étaient équipés de pistolets mitrailleurs MP5 ou de mitrailleuses semi-automatiques, prêts à l’utilisation et pourvus de munitions de neuf millimètres.

[8]           Le groupe tactique s’est heurté à une résistance. Les membres d’équipage de l’ESTAI ont rejeté à l’eau l’échelle d’accostage et coupé les funes (c’est-à-dire les câbles fixant le filet de pêche à l’ESTAI), puis l’ESTAI s’est mis à déguerpir.

[9]           Le Leonard J. Cowley fut le premier des navires canadiens à se lancer à la poursuite de l’ESTAI. Au moins deux autres, le Sir Wilfrid Grenfell et le Cape Roger, l’ont suivi. Le groupe d’intervention d’urgence de la GRC, qui se trouvait à bord du Sir Wilfrid Grenfell, fut invité à « prendre la relève » en cas de nouvelle tentative d’arraisonnement. La direction que prenait l’ESTAI et les navires canadiens lancés à sa poursuite était une direction légèrement sud-est, c’est-à-dire qu’ils s’éloignaient des côtes.

[10]         Au cours de l’après-midi, le Cape Roger a reçu de l’ESTAI un message l’informant qu’il était trop proche de l’ESTAI et qu’il mettait l’ESTAI et son équipage en danger.

[11]         À 16 heures, la poursuite continuait dans une brume épaisse. D’autres navires espagnols tentaient semble-t-il d’empêcher l’arraisonnement et la saisie de l’ESTAI. À 17 heures, l’ESTAI et les navires lancés à sa poursuite entraient dans la sous-zone de pêche 3M. À 17 h 17, le Leonard J. Cowley se rapprochait de l’ESTAI. À 17 h 40, le Sir Wilfrid Grenfell avait activé son canon à eau et en dirigeait le jet vers l’ESTAI. Au cours d’un témoignage ultérieur, le chef mécanicien à bord de l’ESTAI a indiqué qu’il craignait une inondation du compartiment machines et des cales à poisson congelé de l’ESTAI. Peut-être au péril de sa vie, le chef mécanicien, voulant minimiser les risques de submersion, avait fermé les écoutilles du pont qui avaient été ouvertes.

[12]         À 17 h 45, le Cape Roger recevait l’autorisation de tirer des coups de semonce. Il a hissé son signal flottant « Lima », qui indique une intention d’arraisonner. Les navires canadiens manœuvraient dans un espace très restreint. Durant son témoignage, le capitaine du Cape Roger a mesuré rétrospectivement l’ampleur des risques qui avaient été pris.

[13]         Vers 17 h 50, l’ESTAI aurait informé les navires canadiens qu’il n’allait pas s’immobiliser. Il a pu y avoir une communication avec l’ESTAI depuis l’un des navires canadiens qui comptait à son bord un interprète de langue espagnole. L’ESTAI a fait appel à un autre navire qui se trouvait dans la même zone générale et qui avait à son bord un inspecteur de l’OPAN. L’inspecteur de l’OPAN a communiqué avec l’un des navires canadiens pour s’enquérir de ce qui se passait. Le navire canadien a répondu, mais n’a donné aucun renseignement utile.

[14]         Vers 17 h 57, des coups de semonce ont été tirés depuis au moins un des canons du Cape Roger, devant la proue de l’ESTAI et non au-dessus. Lorsque les canons et les munitions restantes ont été remis dans le coffre à canons du Cape Roger, on a constaté que vingt-trois (23) cartouches avaient été utilisées.

[15]         Après les coups de semonce, à environ 18 heures, l’ESTAI s’était immobilisé. Des canots d’accostage et des groupes tactiques se sont immédiatement déployés à bord et le long de trois ou quatre des navires canadiens. Les groupes tactiques, qui comprenaient sans doute des membres de l’équipe d’intervention d’urgence de la GRC, se sont préparés puis se sont dirigés vers l’ESTAI, à la lumière de fusées éclairantes. Ils sont montés à bord sans difficulté. Comme il est indiqué plus haut, le patron de l’ESTAI a coopéré en orientant son navire vers St. John’s. Il semble que le voyage vers St. John’s s’est déroulé sans animosité entre les officiers et membres d’équipage espagnols et les membres des groupes tactiques canadiens qui sont demeurés à son bord. D’ailleurs, peu après être montés à bord, et à la demande du capitaine Davila, les Canadiens ont rangé leurs canons.

[16]         Après avoir navigué à très faible allure parmi les glaces, l’ESTAI et le Cape Roger, accompagnés d’au moins quelques-uns des autres navires canadiens, sont arrivés à St. John’s l’après-midi du dimanche 12 mars 1995. J’en dirai davantage plus loin dans les présents motifs sur le court séjour de l’ESTAI, de son capitaine et de son équipage à St. John’s, ainsi que sur les interrogatoires préalables et les événements qui ont suivi le retour de l’ESTAI à son port d’attache de Vigo, en Espagne.

 

 

 

[27]           Examinons maintenant la déclaration des intimés, modifiée le 30 avril 2003.

 

LA DÉCLARATION MODIFIÉE DES INTIMÉS

[28]           Comme je l’ai indiqué plus tôt, à la suite de la poursuite, de l’arraisonnement et de la saisie de l’ESTAI, ainsi que de son retour forcé à St. John’s, les intimés ont intenté une action en dommages-intérêts contre la Couronne fédérale. Cette action a été engagée en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, et le procureur général du Canada a été désigné comme défendeur. Le sous-alinéa 3b)(i), ainsi que les articles 8, 10 et 23 de cette Loi sont pertinents et prévoient ce qui suit :

3. En matière de responsabilité, l’État est assimilé à une personne pour  :

b) dans les autres provinces  :

 

(i) les délits civils commis par ses préposés,

 

[…]

 

8. Les articles 3 à 7 n’ont pas pour effet d’engager la responsabilité de l’État pour tout fait — acte ou omission — commis dans l’exercice d’un pouvoir qui, sans ces articles, s’exercerait au titre de la prérogative royale ou d’une disposition législative, et notamment pour les faits commis dans l’exercice d’un pouvoir dévolu à l’État, en temps de paix ou de guerre, pour la défense du Canada, l’instruction des Forces canadiennes ou le maintien de leur efficacité.

 

 

 

 

 

 

 

[…]

 

10. L’État ne peut être poursuivi, sur le fondement des sous-alinéas 3a)(i) ou b)(i), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu’il y a lieu en l’occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité contre leur auteur, ses représentants personnels ou sa succession.

 

 

[…]

 

23. (1) Les poursuites visant l’État peuvent être exercées contre le procureur général du Canada ou, lorsqu’elles visent un organisme mandataire de l’État, contre cet organisme si la législation fédérale le permet.

 (2) Dans les cas visés au paragraphe (1), la signification à l’État de l’acte introductif d’instance est faite au sous-procureur général du Canada ou au premier dirigeant de l’organisme concerné, selon le cas.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

3. The Crown is liable for the damages for which, if it were a person, it would be liable

(b) in any other province, in respect of

(i) a tort committed by a servant of the Crown,

 

 

8. Nothing in sections 3 to 7 makes the Crown liable in respect of anything done or omitted in the exercise of any power or authority that, if those sections had not been passed, would have been exercisable by virtue of the prerogative of the Crown, or any power or authority conferred on the Crown by any statute, and, in particular, but without restricting the generality of the foregoing, nothing in those sections makes the Crown liable in respect of anything done or omitted in the exercise of any power or authority exercisable by the Crown, whether in time of peace or of war, for the purpose of the defence of Canada or of training, or maintaining the efficiency of, the Canadian Forces.

 

 

10. No proceedings lie against the Crown by virtue of subparagraph 3(a)(i) or (b)(i) in respect of any act or omission of a servant of the Crown unless the act or omission would, apart from the provisions of this Act, have given rise to a cause of action for liability against that servant or the servant’s personal representative or succession.

 

 

23. (1) Proceedings against the Crown may be taken in the name of the Attorney General of Canada or, in the case of an agency of the Crown against which proceedings are by an Act of Parliament authorized to be taken in the name of the agency, in the name of that agency.

(2) Where proceedings are taken against the Crown, the document originating the proceedings shall be served on the Crown by serving it on the Deputy Attorney General of Canada or the chief executive officer of the agency in whose name the proceedings are taken, as the case may be.

 

[Emphasis added]

 

 

[29]           Pour des raisons qui seront évidentes sous peu, les allégations formulées par les intimés dans leurs plaidoiries revêtent une importance cruciale pour l’issue de leur appel incident.

 

[30]           Essentiellement, les intimés allèguent dans leurs plaidoiries que les actes posés par la Couronne fédérale, ses employés, ses préposés et ses mandataires, en poursuivant le navire, en l’arraisonnant, en le saisissant et en le forçant à se rendre jusqu’à St. John’s, étaient illégaux et constituaient une intrusion illicite. Ils allèguent également que la Couronne fédérale a agi de manière illégale lorsqu’elle a déposé des accusations contre le navire et son capitaine.

 

[31]           Les intimés soutiennent dans leurs allégations que le Règlement C.P. 1995-372 du 3 mars 1995 était invalide à un certain nombre d’égards, à savoir :

1.                       Le Règlement n’a pas été pris pour des raisons de conservation et de gestion valables, ni pour aucune autre fin autorisée par la Loi et de ce fait il outrepassait le pouvoir que la Loi confère au gouverneur en conseil.

2.                       Les modifications réglementaires n’avaient pas été publiées dans la Gazette du Canada à l’époque où les préposés et les mandataires de la Couronne fédérale ont ouvert le feu et ont arraisonné le navire en eaux internationales et de ce fait le Règlement était inopérant.

3.                       En déterminant que les bateaux battant pavillon espagnol ou portugais constituaient une classe de bateaux de pêche étrangers pour l’application de l’article 5.2 de la Loi, le Règlement outrepassait les pouvoirs conférés par l’article 6 de la Loi puisque les mots « classe de bateau de pêche étranger » ne peuvent englober, lorsqu’il est question de bateaux de pêche étrangers, l’idée d’un pavillon ou d’une origine nationale.

4.                       Le Règlement est discriminatoire et contraire au paragraphe 15(1) de la Charte, puisqu’il vise à faire tomber deux pays, et non d’autres, sous le coup du Règlement dans une zone de la mer qui se situe au-delà de la limite de 200 milles. Les intimés disent en outre que le Règlement exerce contre les bateaux espagnols une discrimination fondée sur la race et l’origine nationale et ethnique et qu’il viole de ce fait le paragraphe 15(1) de la Charte et qu’il est donc inopérant.

5.                       Le Règlement, qui énonce au tableau V de la version C.P. 1995-372 une liste de sept mesures de conservation et de gestion qui ont été déterminées et qui s’appliquent, en vertu de l’alinéa 21(2)b) du Règlement, aux bateaux inscrits au tableau IV, c’est-à-dire les bateaux espagnols et portugais, viole l’article 15 de la Charte et est inopérant.

6.                       Le Règlement, en faisant tomber les bateaux espagnols et portugais sous le coup de la loi canadienne en haute mer, au-delà de la limite des 200 milles, outrepasse le pouvoir de réglementation que l’article 6 de la Loi confère au gouverneur en conseil.

 

[32]           Dans leurs plaidoiries, les intimés adoptent également la position que les mesures prises par les employés, les préposés et les mandataires de la Couronne fédérale, en tentant d’arraisonner le navire sans préavis, en haute mer, en faisant usage de canons à eau et de canons ordinaires contre le bateau, ainsi qu’en montant à bord de ce dernier sous la contrainte d’armes automatiques, étaient [traduction] « tyranniques et oppressives ».

 

[33]           Les motifs précédemment énoncés sont les motifs qu’invoquent les intimés pour obtenir des dommages-intérêts à l’encontre de la Couronne fédérale. Je signale que la déclaration des intimés ne révèle aucune allégation de malveillance ou de mauvaise foi de la part des préposés et des mandataires de la Couronne fédérale qui ont pris part à la poursuite du navire, à son arraisonnement, à sa saisie ainsi qu’à son retour forcé jusqu’à St. John’s, pas plus qu’elle ne fait état d’une allégation quelconque selon laquelle le gouverneur en conseil a agi avec malveillance ou de mauvaise foi lorsqu’il a pris le Règlement ou alors qu’il savait ou aurait dû savoir que l’article 6 de la Loi n’autorisait pas la prise du Règlement.

 

[34]           Pour que les choses soient parfaitement claires, je tiens à ajouter que les intimés n’allèguent pas qu’ils ont droit à des dommages-intérêts à cause de la faute, de la négligence ou de la mauvaise foi dont le gouverneur en conseil aurait fait preuve au moment de prendre le Règlement. Ce que je comprends de la déclaration modifiée des intimés, c’est que ces derniers font plutôt valoir qu’étant donné que le Règlement en vertu duquel les préposés et les mandataires de la Couronne fédérale ont saisi leur bateau est invalide, ils ont droit à des dommages-intérêts.

 

[35]           Voyons maintenant la décision de la Cour et la façon dont le juge de première instance a traité des allégations des intimés.

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[36]           La question de la validité des modifications apportées le 3 mars 1995 au Règlement est la première question que le juge Gibson a examinée. Tout d’abord, celui-ci a indiqué qu’il était convaincu qu’en adoptant les modifications réglementaires le 3 mars 1995, le gouverneur en conseil entendait préserver les stocks de flétan du Groenland et affermir le régime réglementaire international. Selon lui, le Règlement était donc valide et de ce fait les préposés et les mandataires de la Couronne fédérale avaient un droit découlant de la loi de saisir le bateau et d’arrêter son capitaine en haute mer le 9 mars 1995.

 

[37]           Le juge a ensuite déclaré qu’il n’y avait aucune raison de conclure que les bateaux de l’Espagne et du Portugal ne constituaient pas une « classe réglementaire » pour l’application de l’article 5.2 de la Loi.

 

[38]           Il a ensuite pris en considération les arguments fondés sur la Charte que les intimés ont invoqués. À son avis, ils n’étaient pas fondés. Au paragraphe 217 de ses motifs, le juge traite de cette question en ces termes :

[217]       La Cour ne voit non plus aucune raison de dire que le fait de classer les bateaux arborant les pavillons de l’Espagne et du Portugal dans une « catégorie » de bateaux aux fins de l’article 5.2 contrevient à l’article 15 de la Charte. D’abord, et cela saute aux yeux, l’article 15 de la Charte ne parle tout simplement pas de la protection des « bateaux », mais plutôt des droits à l’égalité et de la protection contre la discrimination fondée sur des motifs qui certainement comprennent la race et l’origine nationale ou ethnique. La Cour ne saurait tout bonnement conclure que les distinctions ici en cause étaient dirigées contre des Espagnols à raison de stéréotypes et de préjugés dont ils seraient l’objet. Même si la preuve dont dispose la Cour montrait clairement que seuls des Espagnols peuvent exercer des fonctions à bord de bateaux de pêche arborant le pavillon espagnol, ce qu’elle n’a pas montré, la preuve n’est certainement pas allée jusqu’à nous dire que les Espagnols ne travaillent pas, et ne peuvent travailler, à bord de bateaux arborant les pavillons d’autres États.

 

 

[39]           En ce qui concerne les arguments des intimés selon lesquels, le 9 mars 1995, la version C.P. 1995-372 ne figurait pas dans la Gazette du Canada, le juge a conclu, sur la foi du paragraphe 11(2) de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. 1985, ch. S-22, que ces arguments étaient sans fondement. Il a plus particulièrement signalé que les modifications datées du 3 mars 1995 prévoyaient qu’elles devaient « entrer en vigueur avant leur publication dans la Gazette du Canada » et que, de toute façon, les propriétaires de l’ESTAI et son capitaine étaient au courant de l’intention qu’avait le gouverneur en conseil lorsqu’il a procédé aux modifications avant le 9 mars 1995.

 

[40]           Le juge a ensuite examiné les allégations des intimés au sujet de la conduite téméraire dont les préposés et les mandataires de la Couronne fédérale avaient fait preuve en poursuivant le bateau et en usant d’une force excessive. Se fondant sur les dispositions des articles 8, 8.1 et 9 de la Loi ainsi que sur l’article 19.5 du Règlement, le juge a conclu que les allégations des intimés, à savoir que les mesures prises par les préposés et les mandataires de la Couronne fédérale qui consistaient à utiliser des « canonnières » contre le bateau et à harceler et à terroriser son capitaine et son équipage en haute mer étaient illicites et délictuelles, n’avaient pas été établies. Plus particulièrement, il a exprimé l’avis que, dans les circonstances de l’espèce, l’utilisation d’un canon à eau et de coups de semonce ne pouvait pas être considérée comme une mesure excessive ou déraisonnable.

 

[41]           Enfin, le juge a examiné la question des dommages-intérêts que réclamaient les intimés. Comme je l’ai dit plus tôt, même s’il a rejeté la totalité des allégations de faute et d’intrusion illicite, il a accordé aux intimés la somme de 137 058,57 $ avec intérêts.

 

[42]           Au cours de son analyse des dommages-intérêts demandés par les intimés, le juge a examiné leur prétention selon laquelle la coque du bateau avait été endommagée par les glaces rencontrées lors de son voyage entre le point de saisie et St. John’s et que, indépendamment du caractère licite ou non de la saisie, ces dommages étaient attribuables à la négligence des préposés et des mandataires de la Couronne fédérale. Après avoir passé en revue les éléments de preuve se rapportant à ce point, le juge a conclu que les intimés ne s’étaient pas acquittés du fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les dommages causés à la coque du bateau « […] étaient imputables, en totalité ou en partie, au voyage de l’ESTAI depuis le point de saisie jusqu’à St. John’s (Terre-Neuve). Si j’arrive à cette conclusion, c’est surtout parce que je considère défavorablement la décision du capitaine Davila de ne pas témoigner » (paragraphe 233 des motifs du juge).

 

L’ANALYSE

[43]           Puisque je suis d’avis qu’il faut nécessairement faire droit à l’appel à moins que l’appel incident soit accueilli, je traiterai en premier lieu de l’appel incident. Je commencerai par un examen des motifs qu’invoquent les intimés pour faire annuler la décision de la Cour fédérale.

 

[44]           Les intimés disent tout d’abord que le juge a commis une erreur de droit ainsi qu’une erreur manifeste et dominante en concluant que le Règlement modificatif a été pris à des fins de conservation et de gestion et qu’il avait pour objectif d’affermir le régime réglementaire international.

 

[45]           Les intimés déclarent de plus que le juge a commis une erreur puisque sa décision est incompatible avec les obligations que la Convention impose au gouvernement du Canada. Ils ajoutent que le juge a commis une erreur en ne leur accordant pas de dommages-intérêts pour les dommages que les glaces ont causés au bateau entre le point de saisie et St. John’s.

 

[46]           Enfin, les intimés se reportent aux motifs (vi) à (x) de leur avis d’appel incident. Par souci de commodité, je reproduis intégralement les motifs d’appel que les intimés ont formulés dans cet avis :

[Traduction

                                                             (i)            le juge de première instance a commis une erreur de droit en déclarant que le règlement modificatif du 3 mars 1995 a été pris à des fins de conservation et de gestion plutôt que pour favoriser les intérêts économiques du Canada, et il a commis ainsi une erreur manifeste et dominante;

                                                           (ii)            le juge de première instance a commis une erreur de droit en déclarant que le défendeur (l’appelant) avait un droit découlant de la loi de saisir l’ESTAI et d’arrêter son capitaine en eaux internationales le 9 mars 1995;

                                                          (iii)            le juge de première instance a commis une erreur de droit et une erreur manifeste et dominante en déclarant que l’objectif du défendeur (l’appelant) était d’obtenir à l’échelon international un affermissement marqué du régime réglementaire international, alors qu’il ne s’agissait pas là d’un but légitime du règlement modificatif;

                                                         (iv)            le juge de première instance a commis une erreur de droit en rendant une décision incompatible avec les obligations qu’impose au défendeur (l’appelant) la Convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l’Atlantique nord-ouest, conclue à Ottawa en 1978;

                                                           (v)            le juge de première instance a commis une erreur de droit et a omis d’appliquer le fardeau de preuve approprié en refusant d’accorder des dommages-intérêts aux intimés pour les dommages que la glace a causés à l’ESTAI, et cette décision constituait une erreur manifeste et dominante;

                                                         (vi)            le juge de première instance a commis une erreur de droit en négligeant de motiver convenablement ses décisions;

                                                        (vii)            le juge de première instance a commis une erreur de droit en admettant une preuve par ouï-dire au sujet de présumées pratiques de pêche historiques étrangères, tout en refusant de permettre que l’on pose des questions sur des pratiques de pêche canadiennes destructives;

                                                      (viii)            le juge de première instance a commis une erreur de droit en omettant de se récuser comme juge du procès dans une action comportant des allégations d’inconduite et d’abus de pouvoir de la part du défendeur parce qu’il travaillait depuis 28 années en tant qu’employé et préposé du défendeur;

                                                          (ix)            la décision reprochée est erronée en droit et en fait;

                                                            (x)            tous autres motifs que l’avocat peut indiquer avec l’assentiment de la Cour.

 

 

 

[47]           Comme l’indiquent ces motifs d’appel, les intimés ne contestent pas la conclusion du juge à propos de la question relative à la Charte, pas plus que ses conclusions sur la conduite des personnes se trouvant à bord des bateaux canadiens qui ont procédé à la saisie de l’ESTAI, à sa détention et à son voyage forcé vers le port de St. John’s.

 

[48]           Commençons par le motif (viii). Selon les intimés, le juge a commis une erreur de droit en omettant de se récuser dans une action intentée contre la Couronne fédérale pour cause d’inconduite et d’abus de pouvoir alors qu’il est un fonctionnaire fédéral depuis 28 ans. À mon avis, il n’y a tout simplement rien qui peut appuyer ce motif d’appel. Quoi qu’il en soit, cette question a été soulevée par les intimés par la voie d’une requête interlocutoire avant le début du procès et cette dernière a été rejetée par le juge Dickson dans une ordonnance datée du 14 décembre 2004. L’ordonnance n’a pas été portée en appel.

 

[49]           Dans les motifs (ix) et (x) de leur avis d’appel incident, comme le signale l’appelant, les intimés affirment de façon générale et audacieuse que la décision du juge Gibson est erronée en droit et en fait et ils soutiennent qu’ils se réservent le droit d’invoquer des motifs additionnels pour contester la décision du juge. Pour des raisons évidentes, ces motifs ne peuvent être retenus.

 

[50]           Selon le motif (vii), le juge Gibson a commis une erreur en admettant une preuve par ouï-dire concernant de présumées pratiques de pêche historiques étrangères tout en refusant de permettre que l’on pose des questions sur les pratiques de pêche canadiennes destructives. Les intimés n’ont pas donné suite à ce motif dans leurs observations écrites et, devant nous, à l’audience, rien n’a été dit à ce sujet. Il est donc inutile que je dise quoi que ce soit d’autre.

 

[51]           Au motif (vi), les intimés font valoir que les motifs du juge ne sont pas des motifs de jugement adéquats. Là encore, les intimés n’ont pas donné suite à ce point dans leurs observations écrites ou orales. Quoi qu’il en soit, il n’y a aucun doute que les motifs du juge étaient des motifs de jugement adéquats.

 

[52]           J’aborde maintenant les motifs (i) à (v), qui ont trait à la conclusion du juge selon laquelle le Règlement modificatif était valide. L’argument principal des intimés est que le Règlement outrepassait la portée de la loi habilitante car le gouverneur en conseil était motivé par des fins de nature économique plutôt que par des fins de conservation. Se fondant sur l’hypothèse que le Règlement était invalide, les intimés soutiennent que la saisie de leur navire était illégale et qu’ils ont droit, de ce fait, à des dommages-intérêts.

 

[53]           La réponse de l’appelant à ces arguments est que le Règlement était valide : il était motivé par un urgent besoin de faire face à une crise sur le plan de la conservation des stocks de flétan du Groenland dans la zone de réglementation de l’OPAN, au-delà de la zone économique de 200 milles du Canada. Il déclare en outre que même si l’on en venait à conclure que le Règlement était invalide, la saisie du navire n’entraînait aucune responsabilité, car les agents qui ont procédé à la saisie avaient le droit de se fonder sur la présomption de validité de la loi et sur le pouvoir de facto que leur conférait cette dernière de procéder à la saisie et à la détention de l’ESTAI.

 

[54]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appel incident ne peut être accueilli.

 

[55]           Avant d’analyser les observations des intimés au sujet de la validité du Règlement, un bref survol de la jurisprudence concernant les conséquences juridiques d’une déclaration d’invalidité d’une loi s’impose. En d’autres termes, une telle déclaration rend-elle illégales les mesures prises par les préposés et mandataires de la Couronne fédérale qui, pendant toute la période en cause, agissaient en vertu d’une loi qui a par la suite été déclarée invalide? De plus, le gouvernement peut-il être poursuivi en dommages-intérêts simplement en raison d’une déclaration d’invalidité d’une loi?

 

[56]           Je commence par l’arrêt Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347, qui consacre le principe selon lequel une demande en dommages-intérêts contre la Couronne en raison de l’invalidité d’une loi ne sera accueillie que s’il peut être établi que la conduite des mandataires et des préposés de la Couronne était « manifestement erronée », qu’elle était de mauvaise foi ou qu’elle constituait un abus de pouvoir.

 

[57]           Dans l’arrêt Guimond, précité, l’intimé avait été condamné à une peine d’emprisonnement pour non-paiement d’amendes imposées à la suite d’infractions au Code de la sécurité routière du Québec. Il avait passé 49 jours en prison et, pendant qu’il était en libération conditionnelle, il avait demandé, en vertu de l’article 1003 du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q. ch. C-25, l’autorisation d’intenter un recours collectif contre le gouvernement afin d’obtenir des dommages-intérêts pour violation de ses droits constitutionnels et ceux d’autres personnes se trouvant dans une situation similaire, c’est-à-dire les personnes ayant été condamnées à une peine d’emprisonnement pour non-paiement d’amendes en vertu de dispositions législatives en matière de détermination de la peine enfreignant censément la Charte et la Charte des droits et liberté de la personne du Québec, L.R.Q. ch. C-12. L’intimé sollicitait des dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte en se fondant sur une simple allégation d’inconstitutionnalité de la loi en vertu de laquelle il avait été condamné.

 

[58]           En concluant que la cause de l’intimé ne satisfaisait pas au seuil exigé par l’alinéa 1003b), c’est-à-dire que « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées », la Cour s’est fondée sur les principes du droit civil selon lesquels ni le Parlement ni une législature ne peuvent être poursuivis en dommages-intérêts pour une loi habilitante qui est jugée par la suite invalide. Aux paragraphes 13 à 17 de ses motifs dans l’arrêt Guimond, précité, le juge Gonthier, s’exprimant au nom d’une Cour unanime, passe soigneusement en revue la jurisprudence relative à la responsabilité de l’État pour les dommages découlant de l’adoption de lois subséquemment jugées inconstitutionnelles :

13            […] Le principe général selon lequel de telles situations ne donnent pas ouverture à des poursuites en responsabilité civile délictuelle en vue d’obtenir des dommages‑intérêts est énoncé clairement dans l’arrêt de notre Cour Welbridge Holdings Ltd. c. Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957. Dans cette affaire, la société demanderesse avait commencé des travaux sur certains terrains, en s’appuyant sur un règlement municipal de zonage pris par la municipalité défenderesse. Le règlement est par la suite déclaré invalide et la société réclame des dommages‑intérêts à la municipalité.  Notre Cour rejette l’action en négligence. Le juge Laskin (plus tard Juge en chef) fait le raisonnement suivant au nom de la Cour, à la p. 969 :

 

 Elle [la municipalité] peut alors [dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire] (tout comme une législature provinciale ou le Parlement du Canada) excéder ses pouvoirs, ainsi que le penserait finalement un tribunal, bien qu’elle ait suivi le conseil d’avocats. Dans ces circonstances, il serait inconcevable qu’on puisse dire qu’elle a une obligation de diligence qui entraîne sa responsabilité pour dommages si elle y manque. « L’invalidité n’est pas le critère de la faute et ne devrait pas être le critère de la responsabilité » :  voir Davis, 3 Administrative Law Treatise, 1958,  p. 487.

 

Notre Cour reprend ce principe dans Central Canada Potash Co.  c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1979] 1 R.C.S. 42. Comme le fait remarquer le juge Delisle dans ses motifs de dissidence en Cour d’appel, à la p. 391 :

 

Sur le plan du droit civil, il ne fait aucun doute que l’État ne commet pas une faute en adoptant une loi qui sera par la suite déclarée invalide, pas plus que le fonctionnaire qui voit à son application. Dans Central Canada Potash Co. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1979] 1 R.C.S. 42, le juge Martland, s’exprimant au nom de la Cour, déclare au sujet de l’application par un fonctionnaire d’une loi déclarée par la suite ultra vires (à la p. [90 R.C.S.]) :

 

À mon avis, il serait malheureux de décider, dans un état fédéral comme le Canada, qu’un fonctionnaire chargé de l’application d’une loi peut être déclaré coupable d’intimidation parce qu’il cherche à faire respecter une loi qui est déclarée ultra vires par la suite.

 

14            Dans son ouvrage Charter Damages Claims (1990), aux pp. 330 à 332, le professeur Cooper‑Stephenson interprète ces arrêts et affirme qu’ils établissent une défense fondée sur le droit d’agir (claim of right) opposable en cas de poursuites civiles en dommages‑intérêts découlant de l’application de mesures législatives subséquemment déclarées inconstitutionnelles. Il prétend que ces arrêts appuient l’existence d’une immunité restreinte à l’encontre des actions en responsabilité civile délictuelle lorsque des fonctionnaires de l’État ont commis de bonne foi une erreur raisonnable en appliquant des mesures législatives subséquemment déclarées inconstitutionnelles.  Dussault et Borgeat ont poussé cet argument jusqu’à sa conclusion logique en disant, dans leur Traité de droit administratif (2éd. 1989), t. III, que le Parlement lui‑même jouit de l’immunité (à la p. 959) :

 

 Dans notre régime parlementaire, il est impensable que le Parlement puisse être déclaré responsable civilement en raison de l’exercice de son pouvoir législatif. La loi est la source des devoirs, tant des citoyens que de l’Administration, et son inobservation, si elle est fautive et préjudiciable, peut pour quiconque faire naître une responsabilité. Il est difficilement imaginable cependant que le législateur en tant que tel soit tenu responsable du préjudice causé à quelqu’un par suite de l’adoption d’une loi. [Notes infrapaginales omises.]

 

15            Il va de soi que, depuis l’adoption de la Charte, un demandeur ne dispose pas uniquement d’une action en dommages‑intérêts fondée sur le droit général de la responsabilité civile. Il pourrait, en théorie, solliciter des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs à titre de réparation « convenable et juste » en vertu du par. 24(1). Les auteurs ont généralement été d’avis que la doctrine du « droit d’agir » s’applique avec la même force aux actions fondées sur le par. 24(1). Comme l’a affirmé M. L. Pilkington, dans son article intitulé « Monetary Redress for Charter Infringement », dans R. J. Sharpe, dir.,  Charter Litigation (1987), 307, aux pp. 319 et 320 :

 

[traduction]  Pour déterminer si une réparation est convenable et juste, le tribunal doit examiner non seulement la nécessité d’appliquer les garanties prévues par la Charte, mais aussi la nécessité de le faire sans entraver de façon excessive le bon fonctionnement du gouvernement.

 

[…]

 

 L’immunité restreinte accordée aux fonctionnaires de l’État est un moyen d’établir un équilibre entre la protection des droits constitutionnels et la nécessité d’avoir un gouvernement efficace, ou, en d’autres mots, de déterminer si une réparation est convenable et juste dans les circonstances. Les fonctionnaires de l’État sont tenus d’exercer leurs pouvoirs de bonne foi et de respecter les règles de droit « établies et incontestables » qui définissent les droits constitutionnels.  Cependant, si un fonctionnaire agit raisonnablement eu égard à l’état du droit et qu’après coup seulement son acte est jugé inconstitutionnel sa responsabilité ne sera pas engagée. Conclure à la responsabilité du fonctionnaire dans cette dernière situation pourrait «inhiber sa volonté d’exécuter ses fonctions avec l’esprit de décision et le jugement que requiert le bien public».  [Je souligne.]

 

 Dans Droit administratif  (3éd. 1991), vol. 2, le professeur Garant conclut ainsi, à la p. 487 :

 

Il semble qu’il n’y a pas lieu à réparation indemnitaire de la part de l’État lorsque la violation de la Charte résulte d’une loi déclarée inconstitutionnelle.

 

16            La jurisprudence relative à la Charte appuie également cette opinion.  Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, notre Cour se fonde en partie sur « le principe de la validité de facto » pour maintenir les « droits, obligations et autres effets » découlant de lois unilingues déclarées inconstitutionnelles. La Cour définit ainsi ce principe, aux pp. 756 et 757 :

 

« Suivant la primauté du droit, les actes de celui qui assume l’exercice d’une charge à laquelle il n’a légalement aucun droit sont, à l’égard des tiers, […] légaux et ont force obligatoire. »

 

[…]

 

Ainsi, le principe de la validité de facto permettra de sauver les droits, obligations et autres effets ayant découlé des actes accomplis, conformément à des lois invalides du Manitoba, par des corps publics ou privés, des tribunaux, des juges, des personnes exerçant des pouvoirs légaux et des officiers publics. Ces droits, obligations et autres effets sont et seront toujours exécutoires et incontestables.

 

17            Dans Crown Trust Co. c. The Queen in right of Ontario (1986), 26 D.L.R. (4th) 41, aux  pp. 48 et 49, la Cour divisionnaire de l’Ontario  applique le principe de la validité de facto pour rejeter une action en dommages‑intérêts présentée en vertu de la Charte et découlant de l’application d’une loi déclarée inconstitutionnelle. Comme l’explique le juge Henry :

 

[traduction]  [N]ous estimons que le droit est clair:  il n’existe aucune cause d’action à l’égard de la conduite des appelants à titre de mandataires et de représentants du registraire lorsqu’ils agissaient dans les limites du pouvoir conféré par la loi, en l’absence de toute allégation de comportement fautif, de mauvaise foi, de négligence ou de poursuite d’une fin secondaire. Les lois doivent être appliquées dans toute leur force et effet tant qu’elles ne sont pas invalidées.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[59]           Plus récemment, dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 R.C.S. 405, la Cour suprême a réitéré les principes énoncés dans l’arrêt Guimond, précité. Les faits en cause dans l’arrêt Mackin, précité, étaient qu’une loi du Nouveau-Brunswick, la Loi modifiant la Loi sur la Cour provinciale, L.N.-B. 1995, ch. 6, entrée en vigueur le 1er avril 1995, avait aboli dans cette province le système des juges surnuméraires et l’avait remplacé par un tableau de juges à la retraite rémunérés sur une base journalière. Les modifications avaient été apportées par souci d’efficacité et de souplesse, de même que pour des raisons d’ordre économique et financier. Les intimés contestaient la constitutionnalité de la loi modificative soutenaient qu’elle portait une atteinte injustifiable aux composantes d’inamovibilité et de sécurité financière de l’indépendance judiciaire.

 

[60]           Même si elle a conclu en fin de compte à l’inconstitutionnalité de la loi modificative, la Cour suprême a rejeté la demande de dommages-intérêts des intimés. Au paragraphe 82 de l’arrêt, le juge Gonthier, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour, a formulé les propos suivants :

82.           Lorsqu’on applique ces principes à la présente situation, il est évident que les intimés n’ont pas droit à des dommages-intérêts en raison simplement du caractère inconstitutionnel de l’adoption de la Loi 7.  Par ailleurs, je ne trouve aucun élément de preuve qui puisse indiquer que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a agi négligemment, de mauvaise foi, ou en abusant de ses pouvoirs.  Il n’a jamais été démontré qu’il savait que l’élimination du poste de juge surnuméraire était inconstitutionnelle.  Bien au contraire, la Loi 7 est entrée en vigueur le 1er avril 1995, soit plus de deux années avant l’opinion rendue par cette Cour dans le Renvoi : Juges de la Cour provinciale, qui, il faut le reconnaître, changeait considérablement la donne en matière d’indépendance institutionnelle de la magistrature.  De ce fait, on ne peut raisonnablement suggérer que le gouvernement néo-brunswickois a fait preuve de négligence, de mauvaise foi ou d’aveuglement volontaire à l’égard de ses obligations constitutionnelles d’alors.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[61]           Il ne fait donc aucun doute que la Couronne fédérale ne peut être responsable de la conduite de ses préposés et de ses mandataires dans le cadre de la mise en œuvre et de l’application d’une loi jugée par la suite invalide, à moins qu’il puisse être démontré que cette conduite était répréhensible, de mauvaise foi ou négligente. Le gouvernement ne peut pas non plus être responsable d’avoir simplement pris un règlement jugé plus tard invalide, à moins qu’il n’y ait une preuve qu’en ce faisant il agissait de mauvaise foi ou était négligent ou insouciant. Autrement dit, le gouvernement engagera sa responsabilité s’il savait ou aurait dû savoir que le Règlement n’était pas autorisé par la loi habilitante, c’est-à-dire qu’il était invalide.

 

[62]           Revenons maintenant aux faits de l’espèce ainsi qu’aux arguments des intimés à propos de l’invalidité du Règlement.

 

[63]           Le juge a déclaré – et ses conclusions ne sont pas contestées dans le présent appel – que les personnes se trouvant à bord des bateaux canadiens ayant saisi l’ESTAI et l’ayant escorté jusqu’à St. John’s n’avaient pas agi de manière téméraire, qu’elles n’avaient pas usé d’une force excessive, pas plus qu’elles n’avaient omis de se conformer aux articles 19.3 à 19.5 du Règlement. Par conséquent, même si l’on jugeait le Règlement invalide, les mesures prises par les préposés et les mandataires de la Couronne ne peuvent donner lieu à aucune responsabilité. En fait, il est indéniable que, le 9 mars 1995, le bateau se livrait à la pêche, ce qui était contraire à l’article 5.2 de la Loi, qu’il s’agissait d’un bateau d’une classe réglementaire (un bateau espagnol) et qu’il pêchait dans la zone de réglementation de l’OPAN du poisson faisant partie d’un stock réglementaire (le flétan du Groenland), ce qui était contraire à une mesure réglementaire de conservation et de gestion (interdiction de pêcher).

 

[64]           Par conséquent, je suis d’avis qu’il était légitime de saisir l’ESTAI le 9 mars 1995 car les agents chargés de l’opération agissaient en vertu d’un pouvoir valide à l’époque et que, de toute façon, même si l’on déclarait le Règlement invalide, ces mêmes agents avaient le pouvoir de facto d’agir comme ils l’avaient fait.

 

[65]           Cela règle le motif (ii) de l’appel incident, et il ne reste donc qu’à se prononcer sur les motifs (i), (iii), (iv) et (v). Voyons maintenant les motifs (i), (iii) et (iv).

 

[66]           Les arguments des intimés au sujet de ces motifs sont les suivants. Premièrement, ils disent que le gouverneur en conseil n’était pas autorisé par la loi habilitante à réglementer, à titre de mesure de conservation et de gestion, une interdiction de pêche absolue visant les bateaux espagnols et portugais.

 

[67]           Deuxièmement, les intimés disent que les articles 5.1 et 5.2 de la Loi n’autorisaient pas le gouverneur en conseil à obliger les parties contractantes à la Convention à conclure des ententes internationales favorables au Canada.

 

[68]           Troisièmement, les intimés disent qu’il n’y avait aucune preuve que le flétan du Groenland, dont l’habitat se situe à une profondeur de 4 000 à 5 000 pieds, ne remontait jamais jusqu’aux eaux nettement moins profondes (de 2 000 à 3 000 pieds environ) du Grand Banc, pas plus qu’il n’y avait une preuve que l’on ait jamais pêché le flétan du Groenland sur le Grand Banc. C’est donc dire, d’après les intimés, que l’article 1 du Tableau V du Règlement, qui établit à titre de mesure de conservation et de gestion une interdiction de pêche dans les divisions 3L, 3M, 3N et 3O de la zone de réglementation, est invalide dans la mesure où ces zones se situent au-delà du Grand Banc de Terre-Neuve, puisque le Parlement ne se souciait que des stocks chevauchants du Grand Banc.

 

[69]           Quatrièmement, les intimés disent que le Règlement est invalide car il a été pris dans le but de conférer un avantage commercial aux bateaux de pêche canadiens, et non à titre de véritable mesure de conservation et de gestion.

 

[70]           Pour traiter des arguments des intimés, il est important de ne pas oublier les allégations qu’ils ont faites dans leur déclaration modifiée. Comme je l’ai indiqué plus tôt, il n’a pas été allégué qu’en prenant le Règlement le gouvernement agissait de mauvaise foi ou par malveillance ou qu’il abusait de ses pouvoirs. Autrement dit, les intimés n’ont pas prétendu que le gouvernement savait ou aurait dû savoir qu’en prenant le Règlement, celui-ci n’était pas autorisé par la loi habilitante. La seule allégation qui leur serait peut-être d’une certaine utilité est celle qui figure au paragraphe 34 de la déclaration modifiée, et dont le texte est le suivant :

[Traduction

34. Les demandeurs déclarent de plus que le Règlement (C.P. 1995-372) n’a pas été pris à titre de mesure valable de conservation et de gestion, pas plus qu’à une autre fin autorisée par la Loi sur la protection des pêches côtières, et qu’il outrepassait les pouvoirs que confère cette Loi.

 

 

[71]           Malheureusement pour les intimés, je ne puis considérer cette allégation comme une allégation que le gouverneur en conseil a agi de façon téméraire lorsqu’il a pris le Règlement ou qu’il a agi de mauvaise foi ou alors qu’il savait ou aurait dû savoir que le Règlement n’était pas autorisé par la loi habilitante. Par conséquent, même si nous concluions que le Règlement est invalide, je suis persuadé, sur la foi des arrêts Guimond et Mackin, tous deux précités, que le gouvernement ne peut être tenu responsable et de ce fait que les intimés ne peuvent pas avoir droit à des dommages-intérêts. De toute façon, même si des allégations de mauvaise foi avaient été formulées, je ne vois dans le dossier aucune preuve susceptible de les étayer.

 

[72]           J’ajouterais qu’à aucun moment au cours de son exposé oral, l’avocat des intimés n’a soutenu que le gouvernement avait été « fautif », négligent ou téméraire lorsqu’il a pris le Règlement en vertu duquel le navire a été saisi. Sa position cadrait plutôt avec les allégations figurant dans les plaidoiries des intimés, à savoir que la saisie du bateau était illégale en raison de l’invalidité du Règlement en vertu duquel ce dernier avait été saisi.

 

[73]           Même si ces conclusions suffisent pour régler les motifs (i), (ii) et (iii) de l’appel incident, je traiterai néanmoins en termes succincts des arguments des intimés concernant l’invalidité du Règlement.

 

[74]           Premièrement, en ce qui concerne l’argument selon lequel le gouverneur en conseil n’était pas autorisé à contraindre des parties contractantes à la Convention ou qu’il avait agi d’une manière contraire aux obligations internationales du Canada, je dirais simplement qu’en adoptant les articles 5.1 et 5.2 de la Loi, le Parlement envisageait clairement que le Canada intervienne dans la zone de réglementation de l’OPAN, sans égard au fait que les parties contractantes avaient conclu une entente au sujet des mesures qui, croyait le Canada, étaient nécessaires pour conserver et gérer les stocks chevauchants du Grand Banc de Terre-Neuve.

 

[75]           Comme les obligations que la Convention impose au Canada n’ont jamais été intégrées à la législation canadienne, en cas d’incompatibilité il faut donc qu’elles cèdent le pas à une loi interne validement édictée. C’est donc dire que, dans la mesure où la Loi et le Règlement constituent une législation valide, la Cour considère que la question est tranchée.

 

[76]           Deuxièmement, à défaut d’une allégation voulant que le gouvernement ait agi de mauvaise foi ou de manière insouciante, les raisons pour lesquelles le Canada a pris le Règlement sont, selon moi, dépourvues de pertinence. Dans l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. c. Canada, [1983] 1 R.C.S. 106, les appelantes soutenaient qu’en prenant le décret C.P. 1977-2115 du 27 juillet 1977, qui procédait à l’extension du port de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick), le gouverneur en conseil avait agi « de mauvaise foi », c’est-à-dire pour des motifs irréguliers, puisque l’objet véritable du décret était la perception de droits de port auprès de l’une des appelantes sans offrir en retour un service quelconque.

 

[77]           En confirmant la décision par laquelle la présente Cour avait rejeté la contestation des appelantes au sujet du décret, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que les tribunaux n’étaient pas autorisés à s’interroger sur les motifs qui avaient incité le gouvernement à prendre le règlement en question. Aux pages 112 et 113, le juge Dickson (devenu par la suite juge en chef), qui a rédigé la décision unanime, a fait les commentaires suivants :

L’avocat des appelantes reproche à la Cour d’appel fédérale d’avoir omis d’examiner et d’apprécier la preuve afin de déterminer si le gouverneur en conseil a été animé par des motifs irréguliers en prenant le décret attaqué. On nous invite à entreprendre cet examen, mais j’estime avec égards qu’il faut décliner cette invitation. Nous n’avons ni le droit ni l’obligation de mener une enquête sur les motifs qui ont pu inciter le cabinet fédéral à prendre le décret,

 

[…]

 

Je suis d’accord avec la Cour d’appel fédérale qu’on ignore en réalité les raisons qu’a pu avoir le gouvernement de procéder à l’extension du port. Les gouvernements ne publient pas les motifs de leurs décisions; ils peuvent être mus par une foule de considérations d’ordre politique, économique ou social ou par leur propre intérêt […].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[78]           L’examen qu’un tribunal doit effectuer au sujet de la validité d’un règlement ne consiste donc pas à déterminer la motivation du gouvernement; il consiste plutôt à établir si le règlement en question est autorisé par la loi habilitante. En l’espèce, pour déterminer si le gouverneur en conseil était autorisé par la loi habilitante à prendre le Règlement en question, il est nécessaire de tenir compte de l’article 6 de la Loi, aux termes duquel le gouverneur en conseil peut, par règlement, et notamment, « prendre toute autre mesure d’application de la présente loi » (alinéa 6e) de la Loi). Plus particulièrement, les alinéas 6b.1, b.2 et b.3 prévoient que le gouverneur en conseil peut, par règlement, déterminer comme stock chevauchant les stocks de poissons qui se situent de part et d’autre de la limite des eaux de pêche canadiennes, déterminer les classes de bateaux de pêche étrangers pour l’application de l’article 5.2, et déterminer les mesures de conservation et de gestion des stocks chevauchants qui doivent être observées par les personnes se trouvant à bord d’un bateau de pêche étranger d’une classe réglementaire.

 

[79]           Le pouvoir de réglementation accordé au gouverneur en conseil doit être examiné dans le contexte des articles 5.1 et 5.2 de la Loi, dans lesquels le Parlement indique clairement qu’à son avis il est impératif que les bateaux de pêche étrangers se conforment aux mesures valables de conservation et de gestion des stocks chevauchants du Grand Banc de Terre-Neuve, car ces stocks « constituent une importante source mondiale renouvelable de nourriture ayant assuré la subsistance des pêches durant des siècles […], et qu’aucune personne se trouvant à bord d’un bateau de pêche étranger d’une classe réglementaire ne peut pêcher des stocks chevauchants dans la zone de réglementation de l’OPAN en contravention avec les mesures de conservation et de gestion prévues par règlement.

 

[80]           Il ressort clairement des articles 5.1, 5.2 et 6 de la Loi que le Parlement ne limitait aucunement les mesures de conservation et de gestion déterminées par le gouverneur en conseil aux mesures convenues par les parties contractantes à la Convention ou à celles que ces dernières appuyaient par l’intermédiaire de l’OPAN. Je ne vois donc aucun fondement à l’argument des intimés selon lequel il était interdit au gouverneur en conseil de déterminer en tant que classe les bateaux de pêche de l’Espagne et du Portugal. Cet argument n’a, selon moi, aucun fondement dans le contexte des articles 5.1 et 5.2. Je suis tout à fait d’accord avec le juge de première instance lorsqu’il dit ce qui suit au paragraphe 216 de ses motifs :

[216]       […] D’ailleurs, toute la preuve qui a été présentée à la Cour montre que, en réalité, les espèces de stocks chevauchants menacées d’extinction dans la Zone de réglementation de l’OPAN étaient mises en péril par les bateaux de pêche sans nationalité, les bateaux de pêche étrangers arborant des « pavillons de complaisance » et, si l’on s’en tient aux circonstances particulières de la présente affaire, par les bateaux de pêche étrangers arborant les pavillons de l’Espagne et du Portugal.

 

 

[81]           Pour évaluer si le Règlement était autorisé par la loi habilitante, il est important de tenir compte aussi d’un rapport que le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (le Conseil) a publié en 1994 à l’intention du ministre des Pêches et des Océans. Dans son rapport, le Conseil a indiqué au ministre que le flétan du Groenland était un stock chevauchant pour lequel il était nécessaire de prendre des mesures de conservation. Aux pages 2 et suivantes de son rapport, le Conseil écrit ce qui suit :

On trouvera ci‑dessous une description brève du stock de flétan du Groenland dans les sous-zones 0, 1, 2 et 3 :

 

1.             L’espèce est présente sans discontinuité du détroit de Davis au nord (sous-zones 0 et 1) jusqu’au chenal du Bonnet flamand au sud (sous-zone 3). On considère généralement qu’il s’agit d’un stock unique.

 

2.             Il s’agit d’un stock chevauchant par nature, présent au nord tant dans les eaux canadiennes (sous-zone 0 – île de Baffin) que dans les eaux adjacentes au Groenland (sous-zone 1 – ouest du Groenland), et au sud à la fois dans les eaux canadiennes à l’intérieur de la limite de 200 milles et, à l’extérieur de celle-ci, dans la zone réglementée par l’OPANO.

 

[…]

 

4.             La surpêche d’un des éléments du stock pourrait avoir un effet nocif sur la ressource dans son ensemble.

 

5.             Dans les sous-zones 0 et 1, le stock est assez largement distribué et présente des concentrations sur les pentes abruptes du plateau continental et dans les profonds fjords de l’ouest du Groenland et de l’île de Baffin.

 

Jusqu’au début des années 1980, il était également largement distribué dans les sous-zones 2 et 3. Cependant, depuis le milieu des années 1980, il s’est produit un important changement dans la répartition, à tel point qu’on ne trouve maintenant que très peu de flétan du Groenland sur les bancs habituels et dans les profondes baies du Labrador et de l’est de Terre-Neuve. Les poissons qui restent sont plutôt concentrés dans une bande assez étroite sur les pentes abruptes de la plate-forme continentale et sur le Bonnet flamand.

 

On pense généralement que les concentrations présentes dans les marges sud de la sous-zone 3 (à l’extérieur de la limite de 200 milles) sont composées de poissons qui ont migré de la sous-zone 2 et du nord de la sous-zone 3.

 

6.             Les indications scientifiques actuelles montrent un déclin marqué de l’abondance du stock.

 

[…]

 

9.                    La pêche canadienne traditionnelle était effectuée sur les bancs semi-hauturiers et dans les trous d’eau profonde, au large de l’est de Terre-Neuve et du Labrador (sous-zones 2 et 3) et se situait aux alentours de 25 000 t par an jusqu’au début des années 1980. Elle a essentiellement disparu.

 

10.                 En même temps, des hausses marquées de l’effort de pêche ont porté sur des secteurs non traditionnels, en particulier :

– la pêche étrangère non réglementée au chalut à panneaux étranger dans la zone de l’OPANO, à l’extérieur de la limite de 200 milles dans la sous-zone 3; […]

 

 

[82]           Après avoir fait part de ses motifs de préoccupation au sujet de la situation du flétan du Groenland, c’est-à-dire que certains membres de l’OPAN pêchaient sans restrictions et sans discernement, que la pêche du stock à l’extérieur de la limite de 200 milles, dans les sous-zones 2 et 3, s’étendait à un rythme alarmant et qu’il fallait fixer aux environs de 25 000 tonnes les prises maximales de part et d’autre de la limite de 200 milles, le Conseil a souligné au ministre qu’il était nécessaire de prendre des mesures de conservation additionnelles. Il a conclu son rapport en recommandant, notamment, que l’on :

1.              trouve une façon permanente de réglementer le flétan du Groenland et réduise fortement l’effort de pêche et les prises des bateaux étrangers dans la zone réglementée par l’OPANO à l’extérieur de la limite canadienne des 200 milles, dans la sous-zone 3;

 

2.              s’efforce de limiter, dans la mesure du possible, les prises totales dans les sous-zones 2 et 3 au maximum annuel de 25 000 t déjà recommandé par le CCRH, jusqu’à ce que l’on dispose de données scientifiques permettant d’en décider autrement;

 

 

[83]           Dans son témoignage au procès, M. Bob Applebaum, directeur général de la Direction générale des affaires internationales du ministère des Pêches et des Océans, a informé la Cour que les renseignements que le Conseil avait fournis au ministre dans son rapport daté de 1994 étaient compatibles avec les renseignements que le ministère avait recueillis.

 

[84]           On se souviendra que les parties contractantes à l’OPAN avaient convenu d’un TAC de 27 000 tonnes de flétan du Groenland pour l’année 1995, un chiffre qui correspond à la recommandation faite par le Conseil au ministre. Les intimés soutiennent qu’étant donné que les parties contractantes à l’OPAN avaient conclu une entente sur le TAC, il était impossible que le but pour lequel le Règlement daté du 3 mars 1995 avait été pris ait été la conservation et la gestion. À leur avis, l’entente concernant le TAC réglait la question de la conservation et par conséquent la tentative du Canada pour obtenir une part importante des quotas individuels par l’entremise de l’OPAN et le fait que le Règlement daté du 3 mars 1995 a été pris ne peuvent être considérés que comme une tentative visant à exploiter une part plus grande du stock de flétan du Groenland, et ce, au détriment de l’UE, c’est-à-dire de l’Espagne et du Portugal.

 

[85]           À mon avis, l’argument des intimés est erroné. Tout d’abord, le rapport que le Conseil a publié en 1994 à l’intention du ministre montre clairement que le flétan du Groenland était un « stock chevauchant » pour lequel il était nécessaire de prendre des mesures de conservation. Deuxièmement, le fait que les parties contractantes à l’OPAN s’étaient entendues sur un TAC de 27 000 tonnes n’a pas mis un terme à leurs discussions sur la conservation du stock. Les parties ont ensuite tenté de conclure une seconde entente, cette fois-ci en rapport avec des quotas particuliers, mais sans succès.

 

[86]           En conséquence, l’UE a unilatéralement fixé elle-même un quota d’environ 18 630 tonnes de flétan du Groenland dans la zone de réglementation de l’OPAN, ce qui excède de loin le quota de 3 400 tonnes que la Commission lui avait attribué à l’occasion de sa réunion tenue le 30 janvier et le 1er février 1995. Cela a mené sans aucun doute à la prise du Règlement daté du 3 mars 1995, aux termes duquel le Canada a interdit aux bateaux de pêche espagnols et portugais de pêcher le flétan du Groenland dans la zone de réglementation de l’OPAN située à l’extérieur de la limite de 200 milles. Ce Règlement avait pour effet, selon moi, de garantir qu’à défaut d’une entente sur des quotas particuliers, on ne dépasserait pas la limite de 27 000 tonnes pour 1995, ce qui protégerait ainsi le stock.

 

[87]           Il semble indéniable que si l’on avait pêché à la fois le TAC de 27 000 tonnes de l’OPAN et les 15 230 tonnes de quota additionnel que l’UE avait fixé pour elle-même (18 630 moins 3 400), le TAC de 27 000 tonnes aurait été nettement dépassé pour 1995. Cela aurait pu causer un sérieux risque de conservation pour le stock et miner les objectifs du Parlement qui sont énoncés à l’article 5.1 de la Loi.

 

[88]           S’ajoute à cela le fait qu’il y avait une preuve que des bateaux espagnols surexploitaient le flétan du Groenland à l’extérieur de la limite de 200 milles et que cela risquait d’entraîner une diminution radicale et subite du stock à l’intérieur de la limite de 200 milles, ce qui est englobait le stock habituellement trouvé sur le Grand Banc.

 

[89]           Je suis donc convaincu qu’en interdisant aux bateaux espagnols et portugais de pêcher le flétan du Groenland dans la zone de réglementation de l’OPAN, le gouverneur en conseil a adopté une mesure de conservation qui s’inscrivait dans le cadre des pouvoirs que lui conférait la loi habilitante.

 

[90]           Il ne reste plus que le motif (v) de l’appel incident, à savoir que le juge a commis une erreur de droit et a omis d’appliquer le fardeau de preuve approprié en refusant d’accorder des dommages-intérêts aux intimés pour les dommages causés au bateau par les glaces et que, en tirant cette conclusion, le juge a commis une erreur manifeste et dominante. On se souviendra qu’au paragraphe 233 de ses motifs, le juge de première instance a conclu que les intimés ne s’étaient pas acquittés du fardeau de prouver que les glaces avaient endommagé la coque du bateau lors de son voyage entre le point de saisie et St. John’s.

 

[91]           Le juge avait deux questions à trancher. La première, qu’il a réglée, consistait à savoir si les glaces avaient endommagé le bateau au cours de son voyage vers St. John’s. La seconde, qu’il ne semble pas avoir traitée - vraisemblablement à cause de sa conclusion au sujet de la première question - consistait à savoir si les dommages en question étaient attribuables à une négligence de la part des préposés et mandataires de la Couronne se trouvant à bord des bateaux qui avaient escorté l’ESTAI jusqu’à St. John’s.

 

[92]           Comme l’appelant ne peut pas être responsable des dommages causés au bateau, y compris ceux que les glaces ont censément occasionnés, à moins d’une négligence de la part des préposés et des mandataires de la Couronne, j’examinerai en premier lieu la seconde question. À cet égard, même si les intimés ont soulevé de façon générale cette question au motif (v) de l’appel incident, leur mémoire des faits et du droit ne révèle aucune observation ou aucun argument concernant les actes ou les omissions des préposés de la Couronne qui rendraient cette dernière responsable de dommages causés par les glaces. Je suis donc d’avis que les intimés ont laissé tombé ce point.

 

[93]           En conséquence, il n’est pas nécessaire de décider si le juge Gibson a commis une erreur en concluant que les intimés ne l’avaient pas convaincu que les glaces avaient endommagé l’ESTAI.

 

L’APPEL

[94]           Comme je l’ai déjà indiqué, le juge de première instance a accordé des dommages-intérêts aux intimés même si, en fait, il a rejeté leur action. Il n’est pas évident, d’après les motifs du juge, pour quelle raison exacte il leur a accordé des dommages-intérêts. À cet égard, il suffit de reproduire les paragraphes 228, 236 et 237 de ses motifs :

[228]       Eu égard aux conclusions de la Cour à ce stade, il pourrait sembler inutile d’examiner les points se rapportant aux dommages-intérêts réclamés dans cette action au nom des demandeurs. La Cour arrive à une conclusion contraire. Le déroutement de l’ESTAI, de son capitaine et de son équipage vers St. John’s, le dépôt d’accusations et la détention de l’ESTAI au port, ce à quoi s’ajoute en finale le retrait des accusations portées contre l’ESTAI et son capitaine, tout cela donne lieu à des considérations spéciales. De plus, vu le temps qui s’est écoulé depuis les événements en cause et la possibilité qu’appel soit interjeté du présent jugement, la Cour fera maintenant un examen assez succinct de ces aspects.

[…]

[236]       Selon l’avocat du défendeur, les honoraires et débours, y compris les frais de cautionnement, lorsqu’ils se rapportent à des poursuites pénales, couronnées de succès ou non, et menées à terme ou non, ne sont pas des sommes recouvrables si les arguments de l’accusé ne soulevaient rien d’ « exceptionnel » ou si on n’alléguait pas que le ministère public s’était conduit « d’une manière oppressive ou injuste ».

[237]       Les circonstances de la saisie de l’ESTAI et de l’arrestation de son capitaine, les accusations déposées contre eux et finalement le retrait de toutes ces accusations suffisent, aux yeux de la Cour, à faire de telles accusations un dossier « exceptionnel » à l’endroit des accusés, ici les demandeurs. La Cour ne croit pas que la conduite de la Couronne lors de la saisie du navire et de l’arrestation de son capitaine et durant les premières étapes des accusations ait été empreinte d’un caractère oppressif ou injuste, mais elle est néanmoins d’avis que les demandeurs devraient pouvoir recouvrer leurs frais de justice et débours divers et leurs commissions de gestion du navire, jusqu’au moment où l’ESTAI a quitté St. John’s. Ces débours, après conversion le cas échéant au taux convenu, totalisent 74 787,82 $.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[95]           La seule indication du raisonnement du juge apparaît au renvoi no 83 à son paragraphe 236, où il cite la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, au paragraphe 97, page 569. Bien que le juge ne cite pas ce que la Cour suprême a indiqué au paragraphe 97 de cet arrêt, il est utile, pour les besoins de la présente analyse, de reproduire le paragraphe où le juge en chef Lamer, s’exprimant au nom d’une Cour unanime, fait les commentaires suivants au sujet de la répartition des dépens dans une instance en matière criminelle :

97            Enfin, l’intimé a déposé une requête en vue d’obtenir le paiement des dépens entre avocat et client en vertu du pouvoir discrétionnaire conféré à notre Cour par l’art. 47 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S‑26. Nous avons déjà reconnu que ce pouvoir discrétionnaire permet de rendre une ordonnance relative aux dépens dans les affaires criminelles, tant en matière de déclaration de culpabilité par procédure sommaire (R. c. Trask, [1987] 2 R.C.S. 304 (dépens refusés)) qu’en matière de déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation (Olan c. La Reine, no 14000, 11 octobre 1977 (dépens accordés)). Toutefois, selon la convention courante en matière de pratique pénale, que le défendeur obtienne ou non gain de cause sur le fond, il n’a généralement pas droit aux dépens.  Voir Berry c. British Transport Commission, [1962] 1 Q.B. 306 (C.A.), à la p. 326, le lord juge en chef Devlin.  Le Code criminel a codifié cette convention et en a fait une pratique dans les appels formés devant les cours d’appel provinciales en matière d’actes criminels.  Voir le par. 683(3) du Code, mais aussi le par. 839(3) en ce qui concerne les poursuites sommaires.  Conformément à cette convention établie, nous avons, dans l’arrêt Trask, refusé d’accorder les dépens en vertu de l’art. 47 à un défendeur qui avait obtenu gain de cause en appel dans une affaire criminelle concernant une déclaration sommaire de culpabilité, car le cas du défendeur ne soulevait rien d’« exceptionnel », et on n’alléguait pas que le ministère public « s[‘était] conduit de façon oppressive et injuste » (aux pp. 307 et 308).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[96]           En bref, le juge en chef Lamer explique que, dans une instance en matière criminelle, la règle générale est la suivante : qu’un défendeur ait gain de cause ou non à la suite de sa défense, il n’a pas droit aux dépens, à moins qu’il y ait quelque chose d’« exceptionnel » au sujet de l’affaire ou que la conduite de la Couronne ait été « oppressive ou injuste ».

 

[97]           Le passage de l’arrêt R. c. M., précité, que je viens de citer, aide à comprendre ce que dit le juge de première instance au paragraphe 237 de ses motifs, c’est-à-dire que les circonstances entourant la saisie du navire et l’arrestation de son capitaine, les accusations portées contre eux et la suspension ultérieure de ces accusations sont de nature à faire de ces accusations une affaire « exceptionnelle » pour l’accusé, c’est-à-dire les intimés. En formulant ces propos, le juge a clairement indiqué qu’il était persuadé qu’il n’y avait rien d’oppressif ou d’injuste dans la conduite de la Couronne au sujet de la saisie et du dépôt des accusations contre le bateau et son capitaine.

 

[98]           Avant de poursuivre, il convient de faire remarquer qu’à aucun endroit dans ses motifs le juge ne dit pour quelle raison il est d’avis que l’affaire est « exceptionnelle », au sens de l’arrêt R. c. M., précité. Selon moi, en concluant que l’affaire tombait sous le coup de l’exception à la règle générale voulant qu’un défendeur, dans une instance en matière criminelle, n’ait pas droit aux dépens s’il a gain de cause, le juge a commis une erreur.

 

[99]           Premièrement, il est important de souligner que dans l’arrêt R. v. M., précité, la Cour suprême du Canada traitait du pouvoir d’une cour supérieure provinciale d’adjuger les dépens à un accusé dans le contexte d’une affaire criminelle dans laquelle les accusations ont été soit rejetées, soit suspendues.

 

[100]       Deuxièmement, les accusations portées contre le navire et son capitaine ont été portées devant la Cour suprême de Terre-Neuve, et rien ne prouve que les intimés, à la suite de la suspension des accusations portées contre eux, ont demandé des dépens à cette cour.

 

[101]       Troisièmement, il n’y a rien dans la preuve qui, selon moi, aurait permis à la Cour suprême de Terre-Neuve d’adjuger des dépens aux intimés, c’est-à-dire les personnes accusées d’avoir violé l’article 5.2 de la Loi. Comme l’illustre clairement l’arrêt R. v. M., précité, une adjudication de dépens à un accusé, dans une instance en matière criminelle, est une situation des plus exceptionnelles. Ce n’est que dans des circonstances spéciales qu’une telle mesure est prise, à savoir : dans le cas d’une « conduite oppressive ou injuste » de la part de la Couronne (voir : R. c. Trask, [1987] 2 R.C.S. 304 au paragraphe 7, et R. c. M., précité, au paragraphe 97), dans le cas où le tribunal accorde des dépens à titre de mesure de réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte à la suite de la violation des droits que la Charte confère à un accusé (voir : R. c. Pawlowski, [1993] 79 C.C.C. (3d) 353 (C.A. Ont.) dont l’autorisation de pourvoi à la Cour suprême a été refusée [1993] C.S.C. no 187), dans le cas où la Couronne poursuit une affaire en tant que cause type et que, de ce fait, l’accusé est tenu d’engager des dépenses considérables (voir : R. c. Trask, précité), et dans le cas où des « problèmes systémiques », indépendants de la volonté de l’accusé, occasionnent une perte et un retard (voir : R. c. Curragh, [1997] 1 R.C.S. 537, à la page 546, paragraphe 13). Il ne s’agit manifestement là que d’exemples de situations dans lesquelles les tribunaux ont conclu qu’il serait approprié d’accorder les dépens à un accusé dans une instance en matière criminelle. La question de savoir si une ordonnance est appropriée dans une situation donnée doit être tranchée par le tribunal ayant compétence à l’égard des accusations portées contre les défendeurs accusés.

 

[102]       Quatrièmement, le juge n’a pas rendu d’ordonnance de dépens en se fondant sur l’arrêt R. c. M., précité. Il ressort clairement de ses motifs et, en particulier, du paragraphe 228, que ce sont des dommages-intérêts qu’il a octroyés. La question des dépens a été traitée séparément, aux paragraphes 262 à 266 des motifs. Il vaut la peine de souligner que le juge a refusé d’adjuger les dépens sur une base avocat-client, comme le demandaient les intimés, car il était d’avis qu’il n’y avait pas eu de conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante de la part de la Couronne.

 

[103]       Enfin, quelques mots au sujet des arguments que les intimés ont invoqués quant à l’appel. Le premier est, en fait, qu’ils ont droit à des dommages-intérêts parce que la saisie du navire et son retour forcé vers St. John’s étaient illégaux en raison, d’une part, de l’invalidité du Règlement et, d’autre part, de la conduite honteuse de la Couronne dans toute cette affaire.

 

[104]       Si j’ai bien compris l’argument des intimés, il aurait fallu faire droit à leurs allégations concernant la responsabilité de la Couronne et de ce fait des dommages-intérêts étaient de mise. La question de savoir si le juge a eu raison de conclure comme il l’a fait au sujet de la responsabilité de la Couronne est l’objet de l’appel incident, mais il ne peut s’agir d’un argument valide quant à l’appel de la Couronne.

 

[105]       Le second argument des intimés est que la Cour fédérale est un tribunal d’equity aux termes de l’article 3 de la Loi sur les Cours fédérales; le juge Gibson avait donc compétence pour accorder les dommages-intérêts qu’il a octroyés. Cela dit avec égards, cet argument est, selon moi, dénué de tout fondement.

 

[106]       Je conclus donc qu’après avoir rejeté, en fin de compte, l’action des intimés, le juge n’avait aucune raison de leur accorder des dommages-intérêts.

 

CONCLUSION

[107]       Pour les motifs énoncés, je suis d’avis d’accueillir l’appel du Procureur général, de rejeter l’appel incident des intimés, d’annuler la décision de la Cour fédérale et de rejeter l’action des intimés avec dépens. Finalement, j’accorderais à l’appelant ses dépens, tant de l’appel que de l’appel incident.

« M. Nadon »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

            A.M. Linden, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            J.D. Denis Pelletier, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-430-05

 

APPEL ET APPEL INCIDENT D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON, DATÉ DU 26 JUILLET 2005, DANS LE DOSSIER T-1602-95.

 

INTITULÉ :                                                   P.G.C. c.

                                                                        JOSE PEREIRA E. HIJOS S.A. et

                                                                        ENRIQUE DAVILA GONZALEZ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LES 24 ET 25 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE LINDEN

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 JANVIER 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Donovan

Kathleen McManus

 

POUR L’APPELANT

 

John Sinnott

Andrew Fitzgerald

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Lewis, Sinnott, Shortall, Hurley

St. John’s (Terre-Neuve)

POUR LES INTIMÉS

 

 

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