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Date : 20061010

Dossier : A-551-05

Référence : 2006 CAF 325

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant/

intimé dans l’appel incident

(défendeur)

et

LA FONDATION REDEEMER

intimée/

appelante dans l’appel incident

(demanderesse)

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                        LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW

 

 

 

 


Date : 20061010

Dossier : A-551-05

Référence : 2006 CAF 325

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

intimé dans l’appel incident

(défendeur)

et

LA FONDATION REDEEMER

intimée

appelante dans l’appel incident

(demanderesse)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]               La question dans le présent appel est de savoir dans quelle mesure le ministre (ou l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui agit en son nom) doit recourir à la procédure énoncée au paragraphe 231.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), pour exiger d’un contribuable, au cours d’une vérification, des renseignements concernant des personnes non désignées nommément. En l’espèce, un vérificateur de l’ARC a demandé à un représentant de la Fondation Redeemer (la Fondation) qu’il lui fournisse une liste de donateurs. La Fondation a acquiescé à cette demande, mais elle a subséquemment présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du vérificateur de demander ces renseignements, en invoquant que, comme les renseignements demandés se rapportaient à des personnes non désignées nommément, le ministre était tenu d’obtenir au préalable l’autorisation d’un juge, en vertu du paragraphe 231.2(2) de la Loi, avant de les demander.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire a été accueillie dans une décision répertoriée à 2005 CF 1361 (Motifs de l’ordonnance). Le juge de première instance a déclaré que l’ARC avait obtenu les renseignements illégalement et il a ordonné que les documents obtenus de la Fondation lui soient retournés, à l’exception de ceux qui étaient nécessaires à la vérification la visant. De plus, le juge a ordonné au ministre d’annuler les nouvelles cotisations fiscales établies à l’endroit des donateurs de la Fondation, sur la foi des renseignements obtenus illégalement.

 

[3]               Le ministre porte en appel la décision concernant l’illégalité de la demande et l’ordonnance annulant les nouvelles cotisations, tandis que la Fondation interjette un appel incident à l’encontre de l’ordonnance autorisant le ministre à conserver les renseignements obtenus illégalement qu’il considère utiles à la réalisation de la vérification la visant.

 

[4]               J’ai conclu que le juge de première instance a fait erreur dans son analyse de la portée du paragraphe 231.2(2) de la Loi. Pour les motifs exposés ci‑dessous, son ordonnance devrait être annulée et la demande de contrôle judiciaire de l’intimée devrait être rejetée. Ma conclusion concernant l’appel principal tranche du même coup l’appel incident, lequel devrait également être rejeté.

 

EXPOSÉ DES FAITS

[5]               La Fondation est un organisme de bienfaisance associé au collège universitaire Redeemer (le collège). Depuis 1987, la Fondation gère le Programme des prêts à remboursement conditionnel (PPRC) pour les étudiants du collège. Nul besoin dans le cadre du présent appel de se prononcer sur la méthode exacte de fonctionnement du PPRC, une question qui pourrait très bien être débattue devant la Cour canadienne de l’impôt dans une procédure à venir. Pour les besoins du présent appel, il suffit de dire que le ministre croit que, dans bon nombre de cas, les dons versés à la Fondation ne sont pas admissibles à titre de « dons » parce qu’ils sont faits dans l’expectative qu’ils serviront à financer un prêt à remboursement conditionnel accordé à une personne ayant un lien avec le donateur. Si le ministre a raison, pareils dons ne donnent pas droit à un reçu de don ni à une déduction au bénéfice du donateur.

 

[6]               En octobre 1998, le collège et la Fondation ont fait l’objet d’une vérification à l’égard de l’année d’imposition 1997. À l’issue de cette vérification, l’ARC avait certaines préoccupations concernant la Fondation, notamment quant au fait qu’elle avait pour pratique apparemment de donner des reçus pour des dons qui profitaient aux enfants des donateurs. La vérification a également soulevé des préoccupations quant au fait que la Fondation n’avait pu produire de formulaires de transmission qui permettaient d'établir l'identité du donateur et le nom de l'étudiant qui devait recevoir « attestation » du don, que j’interprète comme signifiant un crédit pour le don. Dans le rapport qui a fait suite à la vérification, l’ARC a avisé le collège et la Fondation qu’elle avait l’intention de refuser d’accorder aux parents les déductions pour don de bienfaisance si ces pratiques ne cessaient pas. (Voir le dossier d’appel, onglet 11-C, à la page 172.)

 

[7]               La Fondation a fait l’objet d’une autre vérification en 2001, cette fois à l’égard des années d’imposition 1998, 1999 et 2000. Au cours de cette vérification, l’ARC a été avisée que les formulaires de transmission relatifs à ces années n’avaient pas été conservés. Par conséquent, en août 2001, l’ARC a signifié à la Fondation une demande péremptoire, en vertu du paragraphe 220(3) de la Loi, l’enjoignant de tenir des registres appropriés, y compris les formulaires de transmission. Toutefois, en l’absence de ces formulaires, l’ARC n’était pas en mesure de poursuivre son enquête sur les liens entre les donateurs et les étudiants pour ces années d’imposition.

 

[8]               En 2003, une autre vérification a eu lieu à l’égard des années d’imposition 2001 et 2002. Au cours de cette vérification, en mai 2003, le représentant de l’ARC a demandé de vive voix au directeur général de la Fondation certains renseignements dont une liste de donateurs. Les renseignements ont été fournis, tel qu’il avait été demandé, une semaine plus tard.

 

[9]               À l’issue de la vérification, l’ARC a transmis à la Fondation ses conclusions rédigées dans les termes suivants :

[traduction]

L’examen des formulaires de transmission, d’une liste de donateurs et de la liste des étudiants bénéficiaires d’un prêt à remboursement conditionnel nous a permis d’établir que, dans la majorité des cas, les étudiants ont fait une demande, dans le cadre du PPRC, en vue d'obtenir des fonds de leurs propres parents. Les étudiants recevaient ensuite 90 p. 100 du don des parents en vertu du PPRC pour payer leurs frais de scolarité et les frais connexes. Les parents reçoivent un reçu pour don de bienfaisance aux fins de l’impôt sur le revenu pour 100 p. 100 du montant versé en don et leur enfant aux études reçoit un reçu de frais de scolarité pour la partie du prêt applicable […]

 

Eu égard aux motifs énumérés précédemment, il peut être justifié de révoquer le statut d'organisme de bienfaisance enregistré de la Fondation.

 

[Dossier d’appel, onglet 12-A, aux pages 8 et 9.]

 

 

[10]           En juin 2004, lors d’une rencontre avec les représentants de la Fondation pour discuter des résultats de la vérification, un fonctionnaire de l’ARC a demandé des listes de donateurs pour les années d’imposition 2002 et 2003. Cette fois, la Fondation a refusé de les fournir, alléguant qu’elle avait été avisée qu’il serait inapproprié qu’elle divulgue les renseignements demandés sans ordonnance de la Cour l’enjoignant de le faire.

 

[11]           En novembre 2004, l’ARC a commencé à aviser certains donateurs de son intention de refuser les déductions relatives aux dons versés à la Fondation. Des discussions entre les donateurs et l’ARC ont suivi mais, lorsque le représentant des donateurs a donné avis que les donateurs ne renonceraient pas à la période normale de nouvelle cotisation, le ministre leur a envoyé des avis de nouvelle cotisation durant la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition en question.

 

[12]           Le 28 septembre 2005, la Fondation a présenté une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision « de réclamer […] à la demanderesse des renseignements et de la documentation sur les donateurs tiers, présumément en vertu des paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu […] ». (Voir les motifs de l’ordonnance, au paragraphe 1.)

 

[13]           Les paragraphes 231.2(1) et (2) prévoit ce qui suit :

231.2(1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis:

 

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

 

b) qu'elle produise des documents.

 

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque -- appelé "tiers" au présent article -- la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

231.2(1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

 

 

(b) any document.

 

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a "third party") a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

 

LA DÉCISION PORTÉE EN APPEL

[14]           Après avoir décrit les faits, les dispositions pertinentes et les observations des parties, le juge de première instance s’est appuyé sur la décision de la Cour dans Artistic Ideas Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2005 CAF 68, (2005), 330 N.R. 378. Dans cette affaire, l’ADRC (aujourd’hui, l’ARC) a invoqué le paragraphe 231.2(1) pour signifier à un courtier en œuvres d’art une demande péremptoire de production d’une liste de ses clients. L’ADRC faisait enquête sur une manœuvre frauduleuse suivant laquelle les clients du courtier achetaient des œuvres d’art d’artistes représentés par le courtier et en faisaient don à des institutions publiques en échange d’un reçu de don. Le courtier donnait aux institutions une appréciation de la valeur de l’œuvre, pour les besoins du reçu de don, qu'il évaluait à un montant qui excédait de beaucoup le prix payé à l’artiste. L’ADRC n’avait pas obtenu l’autorisation préalable d’un juge, comme le prévoit le paragraphe 231.2(2), avant de faire signifier la demande péremptoire au courtier en œuvres d’art. La Cour a jugé que, puisque les clients du courtier faisaient l’objet de l’enquête, l’ADRC était tenue d’obtenir l’autorisation d’un juge avant de faire signifier la demande péremptoire.

 

[15]           Le juge de première instance a remarqué que l’ARC avait utilisé les renseignements fournis par la Fondation pour joindre les donateurs et réexaminer leur demande de déduction. La pertinence de cette observation réside dans sa conclusion implicite voulant que les donateurs fassent eux‑mêmes l’objet d’une enquête et que l’autorisation judiciaire préalable soit nécessaire, comme si une demande avait été faite par écrit en vertu du paragraphe 231.2(1).

 

[16]           Le juge de première instance s’est ensuite demandé si le résultat devait être différent parce que la demande de renseignements a été faite verbalement au lieu de l’être par écrit. Il a tranché cette question de pure forme en invoquant la décision M.N.R c. Sand Exploration Ltd. (1re inst.), [1995] 3 C.F. 44 (Sand Exploration Ltd.), au paragraphe 18, dans laquelle il a été mentionné que : « [u]ne atteinte à la vie privée des personnes est toujours une question délicate, spécialement lorsque des tiers, qui peuvent eux‑mêmes avoir des raisons valables pour ne pas vouloir communiquer certains renseignements, sont forcés de les communiquer ».

 

[17]           Le juge de première instance a conclu que l’article 231.2 de la Loi prévoit que le ministre peut exiger d’un tiers qu’il fournisse des renseignements concernant des personnes non désignées nommément, en lui faisant signifier une demande péremptoire. L’obligation d’obtenir au préalable l’autorisation ne saurait se limiter aux cas d’avis écrit : « [s]’il en était autrement, cela inciterait les fonctionnaires et les agents du ministre à tenter par d’autres moyens, notamment en employant la manière douce, le subterfuge ou la ruse ou en profitant de l’innocence, de l’étourderie ou d’une erreur d’un contribuable, d’obtenir des renseignements par ailleurs non disponibles au sujet d’un tiers ». (Voir les motifs de l’ordonnance, au paragraphe 14).

 

[18]           Le juge de première instance a conclu qu’il était inapproprié pour l’ARC d’utiliser les renseignements obtenus au cours de la vérification d’un contribuable en vue d'établir une nouvelle cotisation à l'égard d'autres contribuables.

 

[19]           Le juge de première instance a ensuite rejeté l’argument de l’appelant selon lequel la Fondation n’avait pas qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Il ne fait aucun doute que la Fondation, en tant qu’entité de laquelle on a exigé qu’elle fournisse les renseignements, est une partie intéressée et directement touchée par la décision ou la loi à l’étude. Il n’y a rien à ajouter au sujet de cette question.

 

[20]           La dernière question examinée par le juge de première instance était la question de la réparation, à savoir plus particulièrement si la Cour fédérale avait la compétence d'annuler une cotisation ou une nouvelle cotisation établie pour l’impôt à payer par le contribuable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, un pouvoir qui semble être réservé à la Cour canadienne de l’impôt. Le juge de première instance a conclu que le pouvoir d’annuler une décision ou un acte illégal, que le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. 7, confère à la Cour fédérale, comprend le pouvoir d’annuler des actes commis à la suite de l’acte illégal. Après avoir conclu que la demande de renseignements sur les donateurs était en soi illégale, le juge de première instance a estimé que la Cour fédérale avait le pouvoir d’annuler les cotisations établies à la suite de cet acte illégal.

 

[21]           Par conséquent, le juge de première instance a accueilli la demande de contrôle judiciaire, déclaré que la demande en vue d’obtenir des renseignements sur les donateurs, autres que ceux nécessaires à la vérification de la Fondation, était illégale et ordonné au ministre qu’il retourne (ou détruise) tous les documents et les autres renseignements fournis en réponse à la demande illégale. Le juge a prononcé une ordonnance enjoignant au ministre de ne pas utiliser les renseignements obtenus en réponse à la demande illégale dans toute matière visant des parties autres que la Fondation. Finalement, le juge a ordonné au ministre d’annuler toutes les nouvelles cotisations et les propositions de nouvelle cotisation concernant les donateurs dont l'identité lui a été dévoilée à la suite de la demande illégale.

 

ARGUMENTATION ET ANALYSE

Norme de contrôle

 

[22]           La Fondation allègue que la norme de contrôle applicable à la décision de contrôle judiciaire est celle applicable à une question mixte de fait et de droit. S’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen), la Fondation dit que la Cour n’est pas autorisée à intervenir, sauf en cas d’erreur manifeste et dominante, à moins qu’elle ne soit en présence d’une erreur de droit isolable.

 

[23]           Le présent appel porte sur le contrôle judiciaire d’une décision administrative. La position que la Cour adopte est exposée dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, dans lequel la Cour suprême a jugé que le rôle d’une cour d’appel, en pareil cas, est de s’assurer que le juge de première instance a choisi la norme de contrôle appropriée et qu'il l’a appliquée correctement. Dans la présente affaire, le juge de première instance a abordé brièvement la question de la norme de contrôle et il a à bon droit conclu que la norme de contrôle applicable était la norme de la décision correcte.

 

[24]           Je conviens que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. La question qui se pose en l'espèce en est une d’interprétation législative, une question à l’égard de laquelle l’ARC manque d’expertise relative comparativement aux cours.

 

Économie générale de la loi

[25]           La Fondation appuie son argumentation sur son opinion concernant l’objet du paragraphe 231.2(2) de la Loi. La difficulté tient au fait que l’article 231.2 n’est que l’une des nombreuses dispositions qui autorisent le ministre à demander et obtenir des renseignements « pour l’application et l’exécution de la présente loi ». La Fondation, à l’instar du juge de première instance, considère que l’article 231.2 est la disposition appropriée parce qu’elle parle des personnes non désignées nommément. Il faut dire, en toute justice à l’égard du juge de première instance, que le défendeur ne lui a pas soumis toutes les dispositions pertinentes. En tout état de cause, la Fondation n’a pas cherché à savoir si d’autres dispositions de la Loi pouvaient justifier la demande de renseignements de l'ARC.

 

[26]           Une série de dispositions encadrent le pouvoir du ministre d'assurer le respect de la Loi. Comme l’a noté la Cour suprême du Canada dans R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, au paragraphe 35 (McKinlay Transport Ltd.), le principe d’auto‑déclaration du régime fiscal exige un système de vérification, y compris la possibilité d’une vérification au hasard.

 

[27]           À la lecture des diverses dispositions reproduites ci‑dessous, il faut se rappeler que la Fondation, même si elle n'est pas tenue de payer l’impôt, est néanmoins considérée comme un contribuable en vertu du paragraphe 248(1) de la Loi :

« contribuables » Sont comprises parmi les contribuables toutes les personnes, même si elles ne sont pas tenues de payer l'impôt.

"taxpayer" includes any person whether or not liable to pay tax;

 

[28]           Le pouvoir du ministre de s’assurer du respect de la Loi repose sur l’obligation de maintenir les livres et registres appropriés.

230. (1) Quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé, par ou selon la présente loi, de payer ou de percevoir des impôts ou autres montants doit tenir des registres et des livres de comptes (y compris un inventaire annuel, selon les modalités réglementaires) à son lieu d'affaires ou de résidence au Canada ou à tout autre lieu que le ministre peut désigner, dans la forme et renfermant les renseignements qui permettent d'établir le montant des impôts payables en vertu de la présente loi, ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues.

230. (1) Every person carrying on business and every person who is required, by or pursuant to this Act, to pay or collect taxes or other amounts shall keep records and books of account (including an annual inventory kept in prescribed manner) at the person's place of business or residence in Canada or at such other place as may be designated by the Minister, in such form and containing such information as will enable the taxes payable under this Act or the taxes or other amounts that should have been deducted, withheld or collected to be determined.

 

 

[29]           Dans le cas des organismes de bienfaisance enregistrés, il existe des règles particulières qui découlent directement de leur statut d’organismes susceptibles de délivrer des reçus.

230.2(2) Chaque organisme de bienfaisance enregistré et chaque association canadienne enregistrée de sport amateur doit tenir des registres et des livres de comptes à une adresse au Canada, enregistrée auprès du ministre ou désignée par lui, qui contiennent ce qui suit:

 

a) des renseignements sous une forme qui permet au ministre de déterminer s'il existe des motifs d'annulation de l'enregistrement de l'organisme ou de l'association en vertu de la présente loi;

 

b) un double de chaque reçu, renfermant les renseignements prescrits, visant les dons reçus par l'organisme ou l'association;

 

c) d'autres renseignements sous une forme qui permet au ministre de vérifier les dons faits à l'organisme ou à l'association et qui donnent droit à une déduction ou à un crédit d'impôt aux termes de la présente loi.

230.2 (2) Every registered charity and registered Canadian amateur athletic association shall keep records and books of account at an address in Canada recorded with the Minister or designated by the Minister containing

 

 

 

(a) information in such form as will enable the Minister to determine whether there are any grounds for the revocation of its registration under this Act;

 

 

(b) a duplicate of each receipt containing prescribed information for a donation received by it; and

 

 

(c) other information in such form as will enable the Minister to verify the donations to it for which a deduction or tax credit is available under this Act.

 

[30]           Si une personne ne tient pas les livres et registres exigés par la Loi, le ministre peut lui enjoindre par écrit de tenir ces livres et registres, comme cela a été le cas dans la présente affaire.

230. (3) Le ministre peut enjoindre à une personne qui n'a pas tenu les registres et livres de comptes voulus pour l'application de la présente loi de tenir ceux qu'il spécifie et cette personne doit, dès lors, les registres et livres de comptes qui sont ainsi exigés d'elle.

230. (3) Where a person has failed to keep adequate records and books of account for the purposes of this Act, the Minister may require the person to keep such records and books of account as the Minister may specify and that person shall thereafter keep records and books of account as so required.

 

[31]           La tenue des livres et registres n’aiderait pas à assurer le respect de la Loi si le ministre n’était pas en mesure de les consulter. Comme on pouvait s’y attendre, il existe des dispositions qui autorisent le ministre à inspecter les livres et registres tenus par le contribuable.

 

[32]           Le pouvoir général du ministre de faire des vérifications et des inspections est énoncé dans les termes suivants à l’article 231.1 :

231.1(1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l'application et l'exécution de la présente loi, à la fois:

 

a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d'un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d'une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

 

b) examiner les biens à porter à l'inventaire d'un contribuable, ainsi que tout bien ou tout procédé du contribuable ou d'une autre personne ou toute matière concernant l'un ou l'autre dont l'examen peut aider la personne autorisée à établir l'exactitude de l'inventaire du contribuable ou à contrôler soit les renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

 

à ces fins, la personne autorisée peut:

 

 

c) sous réserve du paragraphe (2), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l'être des livres ou registres;

 

 

d) requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l'entreprise ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir toute l'aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l'application et l'exécution de la présente loi et, à cette fin, requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, de l'accompagner sur les lieux.

231.1(1) An authorized person may, at all reasonable times, for any purpose related to the administration or enforcement of this Act,

 

(a) inspect, audit or examine the books and records of a taxpayer and any document of the taxpayer or of any other person that relates or may relate to the information that is or should be in the books or records of the taxpayer or to any amount payable by the taxpayer under this Act, and

 

 

 

 

(b) examine property in an inventory of a taxpayer and any property or process of, or matter relating to, the taxpayer or any other person, an examination of which may assist the authorized person in determining the accuracy of the inventory of the taxpayer or in ascertaining the information that is or should be in the books or records of the taxpayer or any amount payable by the taxpayer under this Act,

 

 

 

and for those purposes the authorized person may

 

(c) subject to subsection 231.1(2), enter into any premises or place where any business is carried on, any property is kept, anything is done in connection with any business or any books or records are or should be kept, and

 

(d) require the owner or manager of the property or business and any other person on the premises or place to give the authorized person all reasonable assistance and to answer all proper questions relating to the administration or enforcement of this Act and, for that purpose, require the owner or manager to attend at the premises or place with the authorized person.

 

[33]           Si le contribuable ne fournit pas l’accès ou les documents qu’il est tenu de fournir en vertu de l’article 231.1, le ministre peut, en vertu de l'article 231.7, reproduit ci‑dessous, obtenir d’un juge une ordonnance lui enjoignant de se conformer à la Loi.

231.7 Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l'accès, l'aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s'il est convaincu de ce qui suit:

 

a) la personne n'a pas fourni l'accès, l'aide, les renseignements ou les documents bien qu'elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

 

 

 

b) s'agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

231.7 On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

 

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

 

 

 

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor-client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

 

[34]           Le défaut de se conformer à l’ordonnance peut donner lieu à une procédure pour outrage au tribunal (paragraphe 231.7(4)) ou à une poursuite par procédure sommaire (paragraphe 238(1)).

 

[35]           À mon avis, ces dispositions étaient suffisantes pour autoriser le vérificateur de l’ARC à faire la demande qu’il a faite et imposaient à la Fondation l’obligation de s’y conformer. Le recours à l’article 231.2 n’était pas nécessaire.

 

[36]           En vertu du paragraphe 231(2), la Fondation doit tenir certains registres pour permettre au ministre d’établir s’il existe des motifs d’annulation de son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance et de vérifier si les dons qui lui sont faits donnent droit à une déduction. La Fondation est expressément tenue de conserver un double de tous les reçus remis aux donateurs, avec leurs nom et adresse. (Voir le Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, à l’alinéa 3501(1)g).) Bref, la Fondation était tenue de par la loi de conserver les renseignements que le vérificateur de l’ARC lui a demandé de produire. Quant à la question de savoir si les renseignements étaient conservés suivant la forme requise, c.‑à‑d. une liste, il n’y a pas eu opposition à la demande sur ce fondement, peut‑être parce qu’il est inconcevable qu’un organisme de bienfaisance ne conserve pas une liste de ses donateurs pour divers besoins liés aux collectes de fonds.

 

[37]           Il n’est pas contesté que, dans l’exercice du pouvoir de vérification énoncé à l’article 231.1, le vérificateur de l’ARC peut examiner tous les livres et registres de la Fondation, y compris les doubles de reçu, et préparer, à la suite de cette inspection, une liste comportant les noms et adresses des donateurs pour diverses années d’imposition. Si le vérificateur peut obtenir les renseignements en examinant lui‑même les livres et registres de la Fondation, je ne connais aucun principe qui l’obligerait à solliciter une ordonnance judiciaire avant de demander l'aide de la Fondation pour obtenir exactement les mêmes renseignements.

 

[38]           Le fait que le paragraphe 231.2(2) fasse expressément mention des personnes non désignées nommément permet‑il d’exclure la demande faite en l’espèce de l’application des articles 231 et 231.1? Aucun argument convaincant n’a été avancé pour expliquer pourquoi il devrait en être ainsi. L’argument de la Fondation suivant lequel pareille demande porte atteinte à sa vie privée et à celle de ses donateurs n’est tout simplement pas crédible. La Fondation s’appuie sur la remarque incidente du juge Rothstein dans Sand Exploration Ltd., au paragraphe 18 :

Une atteinte à la vie privée des personnes est toujours une question délicate, spécialement lorsque des tiers, qui peuvent eux‑mêmes avoir des raisons valables pour ne pas vouloir communiquer certains renseignements, sont forcés de les communiquer. Il ne fait aucun doute que c’est la raison pour laquelle le Parlement a jugé opportun d’exiger que le ministre obtienne une autorisation judiciaire, et de ne l’autoriser à une telle atteinte à la vie privée qu’une fois qu’il a convaincu le tribunal au sujet des points mentionnés expressément au paragraphe 231.2(3).

 

 

[39]           L’argument de la Fondation n’a pas de fondement solide. Tel qu’il a été noté dans McKinlay Transport Ltd., au paragraphe 34, un contribuable « s’atten[d] peu à ce que son droit à la protection de sa vie privée soit respecté relativement à ses documents commerciaux utiles pour établir son assujettissement à l’impôt ». Lorsqu’un organisme de bienfaisance délivre un reçu, elle perd le droit d’empêcher le ministre d’enquêter sur les circonstances du don pour déterminer s’il donne droit à une déduction. Dans le même ordre d’idées, lorsqu’un contribuable demande une déduction sur la foi d’un reçu de don, il perd le droit d’empêcher le ministre d’enquêter sur les circonstances du don pour vérifier si le don donne droit à la déduction demandée. Même si je ne suis pas en désaccord avec les préoccupations exprimées dans Sand Exploration Ltd., je ne crois pas qu’elles s’appliquent aux faits en l’espèce.

 

[40]           Est‑t‑il important que le ministre ait utilisé la liste de donateurs fournie par la Fondation pour établir de nouvelles cotisations à l’égard de certains donateurs dont le nom y figurait? Le juge de première instance était d’avis qu’il était inapproprié pour le ministre d’utiliser les renseignements qui lui avaient été donnés par un contribuable pour établir une nouvelle cotisation à l'endroit d'un autre contribuable sans avoir obtenu au préalable une autorisation judiciaire (voir les paragraphes 14 et 15 des motifs de l'ordonnance).

 

[41]           En tout déférence, il ne s’agit pas là d’un énoncé de principe solide. Il y a réciprocité dans le traitement fiscal de la plupart des transactions commerciales. En termes simples, la déduction d’entreprise d’une personne correspond au revenu d’une autre. Le ministre a tout intérêt à vérifier que le montant réclamé au titre des dépenses d’entreprise par l’acheteur correspond au montant enregistré à titre de revenu par le vendeur. Dans le cas des organismes de bienfaisance, la même réciprocité s’applique. Si le ministre détermine que les dons reçus ne sont pas admissibles à une déduction, il a alors intérêt à vérifier les déclarations de ceux à qui un reçu a été remis pour ces dons. Le fait de pouvoir assujettir les deux parties d’une transaction à un traitement fiscal équivalent représente un aspect fondamental du processus de vérification.

 

[42]           Je suis donc d’avis que le juge de première instance a fait erreur en concluant que le vérificateur de l’ARC était tenu d’obtenir une autorisation judiciaire, en vertu du paragraphe 231.2(2), avant de demander à la Fondation de lui fournir une liste de ses donateurs. La demande du vérificateur était légale, tout comme l’utilisation subséquente de la liste par le ministre pour établir de nouvelles cotisations à l'égard des donateurs pour lesquels la contribution versée à la Fondation ne donnait pas droit à un reçu de don.

 

[43]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel, annulerais la décision de première instance et rejetterais la demande de contrôle judiciaire de la Fondation. Le ministre a droit à ses dépens en appel et en première instance.

 

[44]           Pour les mêmes motifs, je rejetterais l’appel incident avec dépens en faveur du ministre.

 

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

     J. Richard, juge en chef »

 

« Je souscris aux présents motifs

     K. Sharlow, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                 A-551-05

 

(APPEL D’UN JUGEMENT PRONONCÉ PAR LE JUGE HUGHES DE LA COUR FÉDÉRALE, LE 4 NOVEMBRE 2005, T-657-05)

 

INTITULÉ :                                                                LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                     c.

                                                                                     LA FONDATION REDEEMER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                        LE 13 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                  LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                     LE JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                               LE 10 OCTOBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Peter A. Vita, c.r.

Aleksandrs Zemdegs

 

POUR L’APPELANT

 

Jacqueline King

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

MILLER THOMSON LLP

 

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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