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Date : 20061004

Dossier : A-509-05

Référence : 2006 CAF 320

 

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW                     

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

Flint Hills Resources, Ltd.

appelante

et

 

L’Office national de l’énergie, Enbridge Pipelines Inc., l’Association canadienne des producteurs pétroliers, BP Canada Energy Company, Devon Canada Corporation, EnCana Corporation, Pétrolière impériale, Marathon Ashland Petroleum Canada Ltd., Mobil Pipe Line Company, Shell Canada Limitée, Suncor Energy Merketing Inc., Terasen Pipelines Inc., TransCanada Keystone Pipelines Ltd. et TransCanada PipeLines Limited

intimés

 

 

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 4 octobre 2006

Jugement rendu à l’audience à Calgary (Alberta), le 4 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LE JUGE MALONE


Date : 20061004

Dossier : A-509-05

Référence : 2006 CAF 320

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW                     

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

Flint Hills Resources, Ltd.

appelante

et

L’Office national de l’énergie, Enbridge Pipelines Inc., l’Association canadienne des producteurs pétroliers, BP Canada Energy Company, Devon Canada Corporation, EnCana Corporation, Pétrolière impériale, Marathon Ashland Petroleum Canada Ltd., Mobil Pipe Line Company, Shell Canada Limitée, Suncor Energy Merketing Inc., Terasen Pipelines Inc., TransCanada Keystone Pipelines Ltd. et TransCanada PipeLines Limited

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés à l’audience tenue à Calgary (Alberta), le 4 octobre 2006)

 

 

LE JUGE MALONE

I.  Introduction

[1]               Flint Hills Resources, Ltd (Flint Hills) porte en appel une décision rendue en juin 2005 (RH‑1-2005) par l’Office national de l’énergie (l’Office). Dans sa décision, l’Office a approuvé deux demandes présentées par Enbridge Pipelines Inc. (Enbridge) en vue de faire augmenter les droits de transport du pétrole brut payés par les expéditeurs qui utilisent sa canalisation principale au Canada. Cette augmentation servirait à fournir un soutien financier de 100 millions de dollars américains à un projet d’amélioration de deux oléoducs situés aux États-Unis, en l’occurrence les pipelines Spearhead et Mobil. Ces améliorations n’exigeaient pas de changements ni d’ajouts à la canalisation principale d’Enbridge au Canada.

 

[2]               Flint Hills est un expéditeur de pétrole brut dont les volumes représentent environ dix pour cent du pétrole brut empruntant la canalisation principale d’Enbridge au Canada. Ce pétrole brut peut être transporté à la raffinerie de Flint Hills au Minneasota sans emprunter les pipelines Spearhead ou Mobil.

 

[3]               Au cours de la procédure devant l’Office, Flint Hills a mis en doute, dans les observations qu’elle a présentées, la compétence de l’Office pour approuver le recouvrement des coûts proposés d’Enbridge à partir de ses droits pipeliniers annuels. Sur ce point en particulier, l’Office a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Jugeant qu’il est prudent qu’Enbridge prenne les engagements contractuels proposés pour soutenir financièrement les projets d’inversion de Spearhead et du pipeline de 20 po et qu’elle engage les coûts connexes et que ces derniers se traduiront par des avantages généraux pour le réseau d’Enbridge et ses expéditeurs, l’Office estime qu’il est raisonnable d’incorporer ces coûts dans les besoins en produits annuels d’Enbridge qui s’appliqueraient autrement, et qu’ils soient recouvrés auprès de tous les expéditeurs suivant la conception des droits que l’Office a approuvée dans son cas. [Voir les motifs de l'Office, à la page 51.]

 

[4]               En appel, Flint Hills adopte encore la position selon laquelle l’Office n’a pas la compétence nécessaire pour autoriser Enbridge à incorporer et recouvrer ces coûts dans ses droits pipeliniers. Elle allègue que, même si l’Office jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider si les droits proposés sont justes et raisonnables, il ne peut outrepasser le pouvoir qui lui est conféré par la loi lorsqu’il exerce cette fonction et que, en décidant comme il l'a fait, l'Office a outrepassé sa compétence.

 

[5]               Nous comprenons que Flint Hills prie la Cour d’adopter l’argument qui suit comme un principe de droit : l’Office, en établissant les besoins en revenus servant à prévoir l’augmentation demandée pour les droits exigés en l’espèce, a outrepassé sa compétence en incorporant aux besoins en revenus les coûts engagés par Enbridge pour financer une infrastructure ou des améliorations qui ne font pas partie de l’engagement auquel les droits sont liés. L’avocat de l’appelante a expliqué que ce principe n’a pas pour but de jeter un doute sur le concept voulant que les besoins en revenus puissent intégrer les coûts dits de [traduction] « transport par autrui », c’est‑à‑dire les coûts engagés par Enbridge pour utiliser le pipeline d’une autre société pour transporter les produits de ses clients du point d’arrivée d’un pipeline d'Enbridge jusqu’au point de départ d’un autre pipeline d'Enbridge.

 

[6]               Flint Hills est également d’avis que l’Office n’a pas fourni de motifs écrits suffisants pour expliquer le fondement législatif qui lui conférerait le pouvoir d’autoriser l’incorporation et le recouvrement de ces coûts dans les droits pipeliniers.

 

 

II. Norme de contrôle

[7]               Selon Flint Hills, la décision de l’Office est caractérisée, de par sa nature, par une question de compétence. Elle soutient que pareille question devrait être analysée suivant la norme de la décision correcte. Elle cite la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, à l’égard de la proposition selon laquelle les questions de compétence ne portent pas sur des considérations polycentriques et, par conséquent, l’expertise de l’Office n’est pas mise à contribution lorsqu’elle se prononce sur  l’étendue des pouvoirs que lui confère la loi. Flint Hills fait également état de la clause privative peu stricte des articles 22 et 23 de la Loi sur l’Office national de l’énergie (la Loi), L.R.C. 1985, ch. N-7.

 

[8]               Étant donné qu’il a été conclu que l’appel doit être rejeté, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse approfondie de la norme de contrôle. Même en retenant la norme la plus sévère (la décision correcte), il n’a pas été démontré que l’Office avait commis une erreur de droit.

 

III. Analyse

Question 1 : Compétence

[9]               La Cour a examiné, dans une série de décisions, les pouvoirs de l’Office en ce qui a trait à l’établissement des droits et à l’interprétation des dispositions de la Loi sur l’Office national de l’énergie, soit la loi habilitante. Par exemple, dans Trans Mountain Pipe Line Company Ltd. c. Office national de l’énergie et al., [1979] 2 C.F. 118 (C.A.), le juge Pratte a déclaré ce qui suit :

De toute évidence, c’est à l’Office et non à la Cour de décider, en vertu de la Loi, si ces droits sont justes et raisonnables. La signification des mots « justes et raisonnables » contenus à l’article 52 est évidemment une question de droit, qu’on peut néanmoins très facilement résoudre, étant donné que ces mots ne sont pas utilisés dans un sens technique particulier : on ne peut donc dire qu’ils sont obscurs et qu’ils nécessitent une interprétation. La difficulté vient de la méthode que l’Office doit utiliser et des facteurs dont il doit tenir compte pour évaluer le caractère juste et raisonnable des droits. La loi n’aborde pas ces questions. À mon avis, elles doivent être laissées à la discrétion de l’Office […]

 

[10]           Plus récemment, le juge Rothstein, alors juge à la Cour d’appel fédérale, dans Transcanada Pipelines Ltd. c. Canada (Office national de l’énergie), 2004 CAF 149, au paragraphe 31, a expressément souligné que l’Office n’est pas tenu d’adopter une méthode particulière pour établir les droits. Pour autant que les droits exigés soient justes et raisonnables, conformément à l’article 59 de la Loi, l’Office jouira alors d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour établir ces droits.

 

[11]           Le législateur a conféré à l’Office, en vertu de l’article 59, le pouvoir de prendre des ordonnances établissant les droits relatifs aux pipelines. Le mot « droit »  s’entend, selon la définition énoncée dans la Loi, des droits exigés au titre du transport, de la manipulation et de la livraison d’un produit transporté par pipeline. Le pouvoir d’établir des droits est circonscrit aux articles 62 et 67, c’est‑à‑dire que les droits autorisés par l’Office doivent être justes et raisonnables et appliqués sans distinction. En outre, l’Office doit rester dans les limites de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.U.), en faisant en sorte que les droits qu’il établit ne deviennent pas des taxes et qu’ils ne dévient pas d’une manière ou d’une autre dans un champ de compétence provinciale. Pour autant que l’Office satisfasse aux exigences de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la Loi constitutionnelle, il s’acquitte de sa charge de compétence.

 

[12]           Le contexte et l’historique législatifs n’offrent, à notre avis, aucune assise à la proposition suivant laquelle l'Office, dans l'établissement des droits au titre de la partie IV de la Loi, ne peut prendre en compte les frais engagés par les exploitants d’oléoducs s’ils servent à améliorer l’infrastructure appartenant à d’autres exploitants. Cette réponse est suffisante pour trancher le premier argument.

 

Question 2 : Suffisance des motifs

[13]           Nous abordons ensuite la question de la suffisance des motifs. Le passage particulier où l’Office livre son opinion sur la question de la compétence est rédigé comme suit :

Après avoir pesé soigneusement les arguments juridiques des parties, l’Office ne se laisse pas convaincre par l’argument de Flint Hills portant qu’il n’a pas le pouvoir d’autoriser que les coûts proposés soient recouvrés à même les droits. Ayant établi que les coûts en question seraient engagés d’une manière raisonnable et prudente en rapport avec l’exploitation de la canalisation principale canadienne, l’Office dérogerait aux principes de tarification bien établis s’il décidait que ces mêmes coûts ne peuvent pas être recouvrés auprès des utilisateurs du réseau. [Voir les motifs de l’Office, à la page 51.]

 

 

[14]           Flint Hills soutient que le rejet par l’Office, dans ce seul paragraphe, de son argument sur la compétence n’est étayé d’absolument aucune argumentation ou analyse.

 

[15]           Le critère pratique pour déterminer si les motifs sont suffisants consiste à se demander si les lacunes des motifs font obstacle à un examen valable en appel (voir R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, au paragraphe 29). Dans la jurisprudence antérieure intéressant les questions de compétence, la Cour a déclaré que les parties devaient être en mesure de discerner clairement dans les motifs si le tribunal avait exercé sa compétence en vertu de la disposition législative pertinente (voir Novell Canada Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), (2000) 257 N.R. 179, le juge Rothstein, aux paragraphes 3, 10 et15).

 

[16]           La décision de l’Office en l’espèce concorde avec son vaste pouvoir d’établissement des droits qui lui permet de prendre en compte des considérations qui servent les intérêts du secteur de l’énergie au Canada. Suivant notre analyse, les motifs écrits ainsi que les observations et les éléments de preuve sur lesquels l’Office s’est appuyé renferment suffisamment d’information pour établir son raisonnement et permettre un examen valable en appel.

 

IV. Conclusion

[17]           L’appel est rejeté avec dépens.

 

 

« B. Malone »

Juge     

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B                            


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                               A-509-05

 

 

INTITULÉ :                                                              FLINT HILLS RESOURCES, LTD.

                                                                                   c.

                                                                                   L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

                                                                                  

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                       CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                      LE 4 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :          LE JUGE NOËL

                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                   LE JUGE MALONE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                  LE JUGE MALONE

 

 

COMPARUTIONS :

 

Keith F. Miller

POUR L’APPELANTE

 

Andrew Hudson

 

 

Nikol J. Schultz

 

 

 

Gerald F. Scott, c.r.

 

 

POUR L’INTIMÉ

OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

 

POUR L’INTIMÉE

ASSOCIATION CANADIENNE DES PRODUCTEURS PÉTROLIERS

 

POUR L’INTIMÉE

ENBRIDGE PIPELINES INC.

John J. (Jack) Marshall, c.r.                                         POUR LES INTIMÉES

                                                                                   MOBIL PIPE LINE COMPANY ET

                                                                                   PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE

 

Terry Hughes                                                              POUR LES INTIMÉES

                                                                                   MOBIL PIPE LINE COMPANY ET

                                                                                   PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Burnet, Duckworth & Palmer LLP

Calgary (Alberta)

POUR L’APPELANTE

 

 

Office national de l’énergie

Calgary (Alberta)

 

Nikol J. Schultz

Calgary (Alberta)

 

 

Fraser Milner Casgrain LLP

Calgary (Alberta)

 

Macleod Dixon LLP

Calgary (Alberta)

 

 

McCarthy Tétrault LLP

Calgary (Alberta)

POUR L’INTIMÉ

OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

 

POUR L’INTIMÉE

ASSOCIATION CANADIENNE DES PRODUCTEURS PÉTROLIERS

 

POUR L’INTIMÉE

ENBRIDGE PIPELINES INC.

 

POUR LES INTIMÉES

MOBIL PIPE LINE COMPANY

ET PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE

 

POUR LES INTIMÉES

MOBIL PIPE LINE COMPANY

ET PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE

 

 

 

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