Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20060817

Dossier : A‑173‑06

Référence : 2006 CAF 279

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SHURLYN CATHY ANN JONES, SHURNIKAY JONES

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 17 août 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                    LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                   LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE PELLETIER

 


 

Date : 20060817

Dossier : A‑173‑06

Référence : 2006 CAF 279

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SHURLYN CATHY ANN JONES, SHURNIKAY JONES

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

[1]               Il s’agit d’une requête présentée par écrit par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en application de l’article 369 des Règles des Cours fédérales. Le ministre demande à la Cour de rejeter l’appel interjeté par les appelantes à l’encontre d’une ordonnance rendue par le juge Mosley de la Cour fédérale, en date du 10 avril 2006, parce qu’il est devenu sans objet. L’ordonnance du juge Mosley énonce que la demande de contrôle judiciaire des appelantes concernant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée relativement à certaines questions sur lesquelles il s’est prononcé.

 

[2]               Le 5 mai 2005, la Commission avait rejeté la demande présentée par Shurlyn Cathy Jones, la demanderesse principale, et sa fille, Shurnikay, afin que la qualité de réfugié leur soit reconnue au Canada.

 

[3]               Avant que le juge Mosley rende sa décision, la Cour fédérale était saisie de plusieurs demandes de contrôle judiciaire qui soulevaient une question de droit importante ayant une incidence sur de nombreuses affaires soumises à la Commission, à savoir la validité de directives procédurales (les Directives no 7) données par le président de la Commission en vertu du pouvoir conféré par l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[4]               Les Directives no 7 prévoient un « ordre inversé des interrogatoires » des demandeurs d’asile, selon lequel le demandeur est interrogé d’abord par l’agent chargé de la revendication et ensuite par son avocat. Devant la Cour fédérale, les demanderesses ont prétendu que les Directives no 7 étaient invalides pour divers motifs liés à la Charte et au droit administratif, notamment l’absence d’équité procédurale, la perte de l’indépendance des commissaires en matière de décisions et l’entrave à l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire.

 

[5]               Dix‑neuf de ces demandes, dont celle des appelantes, ont été réunies et entendues ensemble par le juge Mosley les 7 et 8 mars 2006. Le 10 avril 2006, il a statué que les Directives no 7 étaient valides et a certifié, conformément à l’alinéa 74d) de la Loi, sept questions graves de portée générale qui étaient soulevées dans toutes les demandes. Dans son ordonnance, il a rejeté la demande de contrôle judiciaire [traduction] « au regard des questions dont la Cour était saisie » lors de l’audience des 7 et 8 mars 2006. La décision du juge Mosley est publiée à Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461.

 

[6]               Comme plusieurs des autres demandeurs, les appelantes contestaient également la validité de la décision de la Commission de rejeter leur demande pour d’autres motifs, lesquels devaient faire l’objet d’audiences séparées devant différents juges de la Cour fédérale. Les aspects de la demande de contrôle judiciaire des appelantes qui ne concernaient pas les Directives no 7 ont été entendus par la juge Snider le 21 mars 2006.

 

[7]               Dans une décision rendue le même jour que Benitez, soit le 10 avril 2006, la juge Snider a conclu que la Commission avait commis plusieurs erreurs susceptibles de révision qui n’avaient aucun lien avec les Directives no 7. Elle a accueilli la demande de contrôle judiciaire des appelantes, a annulé la décision de la Commission et a renvoyé l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

[8]               Dans son ordonnance, la juge Snider a enjoint à la Commission de reporter l’audition de la demande des appelantes « en attendant que l’appel de la décision concernant les autres aspects de la présente demande de contrôle judiciaire soit tranché par la Cour d’appel fédérale ou que soit expiré le délai accordé pour déposer un avis d’appel à la Cour, selon la dernière de ces deux dates ». La décision de la juge Snider est publiée à Jones c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 405.

 

[9]               Le 21 avril 2006, les appelantes ont déposé à la Cour un avis d’appel concernant la décision du juge Mosley. Le ministre a déposé le présent avis de requête le 18 juillet 2006.

 

[10]           Au soutien de sa requête demandant le rejet de l’appel des appelantes, le ministre soutient que celui‑ci est dénué d’objet, étant donné que la juge Snider a accordé le redressement même que les appelantes obtiendraient si leur appel concernant les Directives no 7 était accueilli, à savoir l’annulation de la décision de la Commission de rejeter leur demande d’asile et le renvoi de l’affaire à la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Les appelantes soulèvent trois questions en réponse à cette requête.

 

[11]           Elle prétendent d’abord que la requête du ministre devrait être instruire dans le cadre d’une audience et non sur la base des prétentions écrites des parties suivant l’article 369 des Règles. Elles soutiennent que, si la requête du ministre était accueillie, elles seraient privées d’un droit important, celui d’interjeter appel de la décision du juge Mosley. Elles allèguent en outre que les questions soulevées par la requête sont complexes au point où elles ne peuvent être examinées de manière appropriée que dans le cadre d’une audience.

 

[12]           Je ne suis pas de cet avis. L’article 369 des Règles n’impose aucune restriction explicite au pouvoir discrétionnaire de la Cour de statuer sur une requête après une audience ou sur la base de prétentions écrites. Ni le libellé de cette disposition ni la jurisprudence n’empêchent que les requêtes visant à faire rejeter un appel soient tranchées sur la base de prétentions écrites. En fait, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire en se demandant si, dans les circonstances d’une affaire donnée, elle peut disposer de la requête de manière équitable sans le coût additionnel d’une audience et le retard qu’elle entraîne.

 

[13]           Les questions en litige en l’espèce sont purement juridiques et, à mon avis, ne sont pas excessivement complexes. Aucun des facteurs qui, selon le protonotaire Hargrave dans la décision Karlsson c. Canada (Ministre du Revenu national) (1995), 97 F.T.R. 75, au paragraphe 10, justifient la tenue d’une audience n’existe en l’espèce.

 

[14]           Je suis persuadé que, grâce aux prétentions exhaustives et bien écrites des avocats des parties, je suis en mesure de statuer de manière équitable sur la requête sans tenir d’audience, que ce soit au début de l’audition des appels ou à n’importe quel autre moment.

 

[15]           Les appelantes prétendent ensuite que, lorsque le juge Mosley a rejeté leur demande de contrôle judiciaire au regard des questions relatives aux Directives no 7 et a certifié des questions en vue d’un appel, elles avaient un droit d’appel inconditionnel concernant sa décision. L’ordonnance de la juge Snider accueillant la demande de contrôle judiciaire et annulant la décision de la Commission ne pouvait pas les priver de ce droit. Les appelantes disent qu’elles n’ont présenté qu’une seule demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale et que la décision de cette dernière de diviser la demande en entendant séparément les questions relatives aux Directives no 7 et les autres motifs pour lesquels elles demandaient l’annulation de la décision de la Commission n’y a rien changé.

 

[16]           Je reconnais que les appelantes n’ont présenté qu’une seule demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, demande que celle‑ci a divisée en deux afin de pouvoir régler efficacement et équitablement le problème urgent causé par le grand nombre d’affaires soulevant la même question de droit générale au sujet de la légitimité d’un aspect important et courant de la procédure de la Commission.

 

[17]           Il ressort clairement de l’ordonnance du juge Mosley que, lorsqu’il a rejeté la contestation de la validité des Directives no 7, présentée notamment par les appelantes en l’espèce, et qu’il a certifié des questions en vue d’un appel, il ne disposait pas de manière définitive de la demande de contrôle judiciaire, mais la rejetait uniquement en ce qui avait trait aux Directives no 7. La juge Snider a rendu une décision finale sur la demande en l’accueillant.

 

[18]           Le problème fondamental de la thèse des appelantes réside dans le fait que, comme la juge Snider leur a accordé le redressement qu’elles recherchaient dans leur demande, elles veulent en réalité interjeter appel des motifs du juge Mosley. Bien que les parties ne contestent pas le droit des appelantes d’interjeter appel de l’ordonnance du juge Mosley rejetant la demande relativement à certaines questions, cet appel est sans objet depuis l’ordonnance de la juge Snider.

[19]           Les appelantes ne peuvent pas jouer sur les deux tableaux à la fois. Elles ne peuvent pas se servir de l’ordonnance de la juge Snider pour demander que leur affaire soit réentendue par la Commission et affirmer en même temps qu’elles ont le droit de contester l’ordonnance par laquelle le juge Mosley leur a refusé le redressement que la juge Snider leur a accordé.

 

[20]           Je suis convaincu que la procédure ingénieuse adoptée par la Cour fédérale pour traiter les nombreuses demandes soulevant, entre autres, la même question n’a causé aucune injustice aux appelantes. Il est inconcevable que la Commission entende la demande des appelantes avant que la Cour se prononce sur les appels concernant l’ordonnance du juge Mosley. Il importe peu qu’en enjoignant à la Commission de reporter l’audition de la demande des appelantes la juge Snider semble avoir présumé que l’appel interjeté par les appelantes serait entendu alors que, par suite de l’ordonnance de la Cour tranchant la présente requête, ce ne sera pas le cas.

 

[21]           Étant donné que la Cour entendra d’autres appels concernant l’ordonnance du juge Mosley, elle pourra statuer sur la validité des Directives no 7 même si elle rejette l’appel des appelantes en l’espèce. En fait, il semble que l’avocat des appelantes, qui représente également d’autres appelants dans le cadre des appels concernant les Directives no 7, présentera vraisemblablement des observations à la Cour. Si ces appels sont accueillis, la Commission rendra une nouvelle décision concernant la demande d’asile des appelantes en l’espèce qui tiendra compte de l’arrêt de la Cour.

 

[22]           Il est vrai qu’un préjudice pourrait être causé aux appelantes si la Cour confirmait la validité des Directives no 7, une question qu’elles n’auront pas abordée dans le présent appel. Or, la nature du jugement et la doctrine du précédent font en sorte qu’une décision d’une cour de justice peut avoir pour effet de déterminer les droits de tiers dans une autre affaire. De plus, comme leur avocat représente également d’autres appelants, les appelantes en l’espèce bénéficieront indirectement de ses observations.

 

[23]           En résumé, la thèse des appelantes n’est pas sensiblement différente de ce qu’elle aurait été si toutes les questions soulevées dans leur demande de contrôle judiciaire avaient été entendues et tranchées par un seul juge qui aurait rendu une décision défavorable à leur égard sur la question des Directives no 7, mais aurait fait droit à leur demande au regard d’autres motifs.

 

[24]           Par conséquent, l’appel des appelantes est sans objet et il ne servirait à rien que je permette, en exerçant le pouvoir discrétionnaire de la Cour, qu’il soit entendu.

 

[25]           Troisièment, les appelantes demandent les dépens, que la requête du ministre soit accueillie ou non, au motif que celle‑ci n’a été déposée que le 18 juillet 2006, soit plus de trois mois après le dépôt de leur avis d’appel. Le ministre devait savoir que l’avocat avait déjà fait beaucoup de travail pour préparer l’appel à la mi‑juillet. L’avocat des appelantes a déposé leur dossier d’appel le 24 juillet 2006, après que l’avocat du ministre lui eut accordé une brève prolongation de délai à la condition qu’il dépose le mémoire des faits et du droit des appelantes au plus tard le 12 août 2006. Dans ces circonstances, les dépens relatifs à la présente requête devraient, selon l’avocat, être accordés aux appelantes sur une base avocat‑client.

 

[26]           Une procédure découlant de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugié ne donnent pas lieu à des dépens, sauf ordonnance contraire rendue par un juge « pour des raisons spéciales » : Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, article 22.

 

[27]           Malgré les prétentions de l’avocat, je ne suis pas persuadé que les circonstances en l’espèce constituent des [traduction] « circonstances spéciales ». À mon avis, l’appel est fondamentalement dénué de fondement et il faut supposer que les appelantes, en décidant d’aller de l’avant, étaient prêtes à assumer les conséquences financières normales qui découleraient de leur décision. Les appelantes auraient pu bénéficier de l’article 22 si leur appel avait été rejeté sur le fond; cet avantage ne devient pas une charge si leur appel est rejeté de façon sommaire.

 

[28]           Pour ces motifs, j’accueillerais la requête et rejetterais l’appel pour absence d’objet.

 

 

 

« John M. Evans »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

    John D. Richard, juge en chef »

 

« Je souscris aux présents motifs

    Denis Pelletier, juge »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             A‑173‑06

 

 

INTITULÉ :                                                           SHURLYN CATHY ANN JONES, SHURNIKAY JONES

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                      LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 17 AOÛT 2006

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Rocco Galati                                                             POUR LES APPELANTES

 

John Provart                                                             POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Galati, Rodrigues et associés                                     POUR LES APPELANTES

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR L’INTIMÉ

Sous‑procureur général du Canada

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