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Date : 20050810

Dossier : A-408-04

Référence : 2005 CAF 271

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                            WILFRID COMEAU

                                                                                                                                             Appelant

                                                                             et

                            AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                               Intimée

                                  Audience tenue à Montréal (Québec), le 4 mai 2005.

                                 Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 août 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                               LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20050810

Dossier : A-408-04

Référence : 2005 CAF 271

CORAM :        LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                            WILFRID COMEAU

                                                                                                                                             Appelant

                                                                             et

                            AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                               Intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]                La question soulevée par cet appel est de savoir s'il y a eu des délais de traitement injustifiés d'un avis d'opposition donnant droit à l'annulation des intérêts accumulés sur les arriérés.


Les faits

[2]                En 1992, M. Comeau investit 50 000 $ dans un abri fiscal, soit des actions accréditives d'une entreprise d'exploration minière, Exploration Acabit. Selon les conseils qu'il reçoit à l'époque, cet investissement lui donne droit à une déduction fiscale de 45 000 $ et une ristourne de 18 000 $. La déduction fiscale représente une proportion des dépenses d'exploration contractées par Exploration Acabit. Dans sa déclaration d'impôt pour l'année d'imposition 1992, M. Comeau réclame la déduction fiscale de 45 000 $.

[3]                En 1996, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'Agence) entreprend une vérification d'Exploration Acabit et en vient à la conclusion que les dépenses d'exploration qu'elle réclamait n'en étaient pas et qu'en conséquence, les investisseurs n'ont pas droit aux déductions fiscales qu'ils ont réclamées. En 1997, une nouvelle cotisation est émise qui réduit de façon importante la déduction fiscale réclamée par M. Comeau. Celui-ci dépose un avis d'opposition à l'encontre de cette nouvelle cotisation. Le 18 septembre 1998, l'Agence lui propose un règlement de l'opposition en vertu duquel il n'aurait droit à aucune déduction fiscale, mais elle lui reconnaîtrait une perte en capital de 32 000 $.


[4]                L'Agence indique clairement dans la lettre qui propose le règlement que le dossier sera mis en suspens si la proposition de règlement n'est pas acceptée. M. Comeau refuse la proposition parce que l'Agence impose comme condition du règlement la renonciation au droit d'opposition et au droit d'appel. Il croit, à tort ou à raison, que ceci l'obligerait à renoncer au droit d'invoquer les dispositions d'équité quant aux intérêts. Suite au refus de la proposition de règlement, le dossier d'opposition est mis en suspens. Ce n'est que le 11 septembre 2000, lorsque que toutes les poursuites criminelles sont conclues, que l'Agence émet une nouvelle cotisation qui reprend les termes du règlement proposé par l'Agence en 1998, soit l'annulation complète de la déduction fiscale et la reconnaissance d'une perte en capitale de 32 000 $.

[5]                M. Comeau se plie à cette décision, et rend à César ce qui est dû à César. Il s'objecte, par contre, aux intérêts accrus qui sont venus augmenter de façon importante sa dette fiscale. Il dit avoir agi en tout temps de bonne foi et avec l'intention de respecter ses obligations. Ce n'est qu'en septembre 2000 qu'il a appris de façon définitive quelle était sa dette fiscale et il l'a immédiatement acquittée.

Les procédures

[6]                M. Comeau s'est alors prévalu du droit que lui accorde le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) de déposer une demande pour que soient annulés les intérêts accrus sur sa dette fiscale. La Loi confère au ministre le pouvoir d'annuler les intérêts, mais le ministre l'a délégué à l'Agence. Celle-ci refuse la demande. À la requête de M. Comeau, la décision est révisée par un autre décideur de l'Agence qui l'entérine. L'Agence dit ne retrouver au dossier aucune indication que les intérêts s'étaient accumulés pour des raisons indépendantes de la volonté de M. Comeau.


[7]                M. Comeau demande la révision judiciaire de la décision de l'Agence (la première décision). Le juge Martineau de la Cour fédérale lui donne raison et renvoie le dossier à l'Agence pour une nouvelle décision « en tenant compte des représentations du demandeur, des Lignes directrices [de l'Agence concernant l'annulation des intérêts et des pénalités], de l'esprit et de l'intention du paragraphe 220 (3.1) de la Loi, du contenu de la présente ordonnance et de tout autre facteur pertinent » . L'ordonnance renfermait certaines constatations du juge Martineau dont les suivantes :

...une partie importante des intérêts acquittés par le demandeur découle d'une situation indépendante de sa volonté et est principalement attribuable aux actions du ministre ou de ses représentants;

...le délai de sept ans écoulé entre la cotisation originale de 1993 et la cotisation finale de 2000 apparaît déraisonnable dans les circonstances;

...les retards et les erreurs de traitement imputables au ministre ou à la défenderesse ont eu pour effet que le demandeur n'a pas été informé, dans un délai raisonnable, de l'existence du solde d'impôt véritablement dû;


...la décision négative du 15 novembre 2001 [la décision qui entérina la première décision rejetant sa demande d'annulation d'intérêts] dont le demandeur demande la révision, ainsi que la décision négative du 2 octobre 2001 [la première décision rejetant sa demande] à laquelle fait référence cette dernière décision, sont manifestement déraisonnables;

...les représentants désignés du ministre n'ont pas exercé le pouvoir discrétionnaire du ministre de manière raisonnable et équitable et ont arbitrairement écarté les motifs contenus dans la demande de réduction des intérêts du demandeur.

[8]                Le dossier est retourné à l'Agence où une nouvelle étude est faite. L'Agence divise le temps écoulé depuis le dépôt de la déclaration de revenus de M. Comeau pour l'année d'imposition 1992 en trois périodes :

-           du dépôt de la déclaration de revenus de M. Comeau, soit le 12 mai 1993, jusqu'au début de la vérification d'Exploration Acabit, soit le 24 novembre 1995;

-           du début de la vérification d'Exploration Acabit jusqu'au 9 juin 1997, date des mesures de cotisation; et

-           du 9 juin 1997 jusqu'à la date de paiement au mois d'octobre 2000.


[9]                L'Agence conclut qu'il n'y avait aucun retard dans le traitement du dossier de M. Comeau dans la première période. Par contre, elle constate que la deuxième période dépassait la norme de six mois qu'elle considère raisonnable pour effectuer une vérification. Si la norme avait été respectée, la vérification du dossier de M. Comeau aurait été complétée le 24 mai 1996, au lieu du 9 juin 1997, comme ce fût le cas, une différence de 12.5 mois.

[10]            En ce qui concerne la troisième période, l'Agence constate que M. Comeau avait été avisé du montant en souffrance lors de sa nouvelle cotisation en 1997 et qu'il lui aurait été loisible de le payer et d'éviter ainsi l'accumulation des intérêts.

[11]            Sous la plume de M. St. Denis, l'Agence communique à M. Comeau sa décision d'annuler les intérêts sur arriérés pour la période du 24 mai 1996 au 9 juin 1997. Loin d'être satisfait de ce résultat, celui-ci dépose une nouvelle demande de contrôle judiciaire, alléguant que l'Agence n'avait aucunement tenu compte de la décision du juge Martineau. Cette nouvelle demande est analysée par le juge Beaudry. Ce dernier décide que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il s'attarde ensuite sur chacune des trois périodes d'analyse et, pour chacune d'elles, ne trouve rien de manifestement déraisonnable dans le raisonnement et les conclusions de l'Agence, sauf sur un point que j'examinerai plus loin.


[12]            Le juge prend connaissance de l'allégation de M. Comeau selon laquelle la décision de l'Agence était entachée de mauvaise foi. Il note que l'Agence avait considéré les représentations supplémentaires de M. Comeau, tel qu'exigé par l'ordonnance du juge Martineau, et qu'elle avait aussi considéré l'esprit et l'intention du paragraphe 220(3.1) de la Loi. Le juge ne peut conclure à la mauvaise foi de l'Agence.

[13]            Cependant, le juge est d'avis qu'il y avait un élément à l'égard duquel il y avait lieu d'intervenir. Il estime que l'Agence a erré en fixant la date du début de la vérification au 24 novembre 1995, (date à laquelle le vérificateur est arrivé sur place), au lieu du 1er novembre 1995, (date de l'établissement de la formule T979 qui autorise la vérification) avec le résultat que la date normale pour la conclusion de la vérification aurait été le 1er mai 1996 plutôt que le 24 mai 1996. Le juge accueille la demande de contrôle judiciaire pour accorder à M. Comeau ces 23 jours additionnels de répit.

Prétentions des parties

[14]            Devant cette Cour, M. Comeau maintient sa prétention que la décision de l'Agence ne respecte aucunement l'esprit et les termes de l'ordonnance rendue par le juge Martineau. Comment, demande-t-il, peut-on concilier les conclusions du juge Martineau avec la deuxième décision de l'Agence qui lui accorde l'annulation d'intérêts sur une période d'à peine 13 mois lorsque la période de traitement de sa déclaration s'étend sur huit ans? Pour sa part, l'Agence dépose un avis d'appel incident dans lequel elle nie la compétence du juge de modifier de quelque façon que ce soit la période d'annulation des intérêts.


Analyse

La norme de contrôle

[15]            Dans l'affaire Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, la Cour suprême du Canada établit le rôle que doit jouer une cour d'appel qui est appelée à se prononcer sur le jugement d'une cour supérieure qui siège en révision d'une décision d'un tribunal administratif :

                                43] ...Le rôle de la Cour d'appel était de décider si la juge de révision avait choisi et appliqué la norme de contrôle appropriée et, si cela n'était pas le cas, d'examiner la décision de l'organisme administratif à la lumière de la norme de contrôle appropriée, soit celle de la décision raisonnable. À cette étape de l'analyse, la Cour d'appel effectue le contrôle en appel d'une décision judiciaire, et non pas le contrôle judiciaire d'une décision administrative. Par conséquent, les règles usuelles applicables au contrôle en appel d'une décision judiciaire énoncées dans Housen, précité, s'appliquent. La question du choix et de l'application de la norme appropriée est une question de droit et le juge de révision doit donc y avoir répondu correctement. La Cour d'appel a commis une erreur en accordant une déférence qui n'était pas requise.

[16]            Alors, il nous incombe de déterminer en premier lieu si le juge de première instance a appliqué la norme de contrôle qui convenait. Selon le juge, c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique. Pour en arriver à cette conclusion, il s'est fondé sur les arrêts Barron c. Canada (ministre du Revenu national (M.R.N.)) (1997), 209 N.R. 392 C.A.F.) Cheng c. Canada 2001 CFPI 1114 (Cheng) et Laviolette c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2004] A.C.F. no 229, 2004 CF 176. Bien que tel fut l'état du droit à la date de l'audition devant le juge, ce ne l'était plus lors de l'audition devant nous, cette Cour ayant décidé, dans l'arrêt Lanno c. Canada (Customs and Revenue Agency) 2005 CAF 153, que c'est la norme de la décision raisonnable qui s'applique aux décisions discrétionnaires relevant des dispositions d'équité dans la Loi. Ce faisant, cette Cour a désapprouvé l'arrêt Cheng sur lequel le juge s'est fondé.


[17]            Le juge de première instance ayant erré quant à la norme de contrôle, il nous appartient d'appliquer celle qu'il aurait dû appliquer, soit celle de la décision raisonnable.

Application de la norme de contrôle aux faits

[18]            Pour ce qui est de la première période qui se termine au début de la vérification du 24 novembre 1995, celle-ci ne dépasse pas la période normale de nouvelle cotisation qui, comme l'a constaté l'Agence, « permet de vérifier, contrôler, et maintenir ce système [d'autocotisation] » . Ce n'est donc pas déraisonnable de conclure qu'il n'y a pas lieu d'annuler les intérêts qui se sont accumulés pendant cette période.

[19]            Quant à la deuxième période, celle de la vérification elle-même, la conclusion à laquelle en est arrivée l'Agence d'annuler les intérêts pour la période de vérification qui dépasse la norme de six mois ne pourrait être qualifiée de déraisonnable.


[20]            Pour ce qu'il en est de la troisième période, celle encadrée par la cotisation de juin 1997 et la nouvelle cotisation du 11 septembre 2000, l'Agence justifie son refus d'annuler les intérêts par le fait que M. Comeau était au courant, dès le 26 juin 1997, qu'il y avait un montant en souffrance et que ce montant est resté impayé au cours de cette troisième période. M. Comeau aurait pu payer le montant en souffrance ce qui aurait mis fin à l'accumulation des intérêts, quitte à se faire rembourser si son opposition portait fruit. Autrement dit, un contribuable peut profiter de la suspension des mesures de recouvrement au cours du traitement de son opposition pour miser sur le sort de son opposition en ne payant pas les montants réclamés par l'Agence de sorte que les intérêts s'accumulent. Mais, ayant misé et perdu (lorsque son opposition est rejetée), il ne peut se plaindre que les conditions du jeu lui sont défavorables. La décision de l'Agence sur ce point n'a rien de déraisonnable.

[21]            Finalement, M. Comeau reproche à l'Agence d'avoir agi de mauvaise foi en ne donnant aucune suite à la décision du juge Martineau qui concluait à la déraisonnabilité manifeste de la première décision. Mais lorsqu'on s'attarde sur la décision du juge Martineau, il est évident qu'elle n'impose aucune conclusion au nouveau décideur. La seule directive que lui fournit le juge Martineau est celle de décider « en tenant compte des représentations du demandeur, des Lignes directrices, de l'esprit et de l'intention du paragraphe 220 (3.1) de la Loi, du contenu de la présente ordonnance et de tout autre facteur pertinent » . Or, le compte rendu des délibérés du comité de l'Agence fait état du fait que l'ordonnance du juge Martineau a bel et bien été considérée (dossier d'appel, p. 99). Compte tenu du cheminement de l'Agence, de son raisonnement, et de l'annulation d'intérêts qui en a découlé, il est faux de dire que le contenu de la décision n'a pas été pris en considération en arrivant à la deuxième décision.

[22]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.


L'appel incident

[23]            En ce qui concerne l'appel incident qui reproche au juge Beaudry d'avoir excédé sa compétence en prolongeant la période d'annulation d'intérêts de 23 jours, je crois qu'il devrait être accueilli. Le juge était d'avis que la période de vérification débutait lorsque le formulaire T979 a été établi. L'Agence explique que son calcul pour la période normale de six mois commence à la date où le vérificateur se rend sur place. En intervenant comme il l'a fait, le juge a effectivement appliqué la norme de la décision correcte au lieu de celle de la décision raisonnable. Or, il n'y a rien de déraisonnable dans la décision originale de l'Agence qui justifierait l'intervention de la cour. L'appel incident devrait être accueilli sans dépens et la partie de l'ordonnance du juge relative à la période d'annulation d'intérêts infirmée.

                                                                                                                          « J.D. Denis Pelletier »             

                                                                                                                         j.c.a.

« Je suis d'accord

          Robert Décary j.c.a. »

« Je suis d'accord

          Gilles Létourneau j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          A-408-04

INTITULÉ :                                         WILFRID COMEAU c. AGENCE DES

DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 4 mai 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                   LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                      le 10 août 2005

COMPARUTION :

M. Wilfrid Comeau                                L'APPELANT, SE REPRÉSENTANT

LUI-MÊME

Me Marie-Claude Landry

Me Maria-Grazia Bittichesu                    POUR LA PARTIE INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Wilfrid Comeau                              L'APPELANT, SE REPRÉSENTANT

Montréal (Québec)                                LUI-MÊME

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                   POUR LA PARTIE INTIMÉE             


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