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Date : 20041130

Dossier : A-602-03

Référence : 2004 CAF 403

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                              MAIN REHABILITATION CO. LTD.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                                             

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                                intimée

                                 Audience tenue à Toronto (Ontario), le 29 novembre 2004.

                                 Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 30 novembre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                    LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                                  LE JUGE NOËL

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date: 20041130

Dossier : A-602-03

Référence : 2004 CAF 403

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                                             

MAIN REHABILITATION CO. LTD.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                                intimée

                                           MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

INTRODUCTION


[1]                Il s'agit de l'appel d'une décision par laquelle la juge Woods a ordonné la radiation de certains passages de l'avis d'appel que l'appelante Main Rehabilitation Co. Ltd. (Main) a déposé devant la Cour canadienne de l'impôt. Dans les passages visés par l'ordonnance de radiation, Main soutenait, sur le fondement de la common law et de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, que la vérification à laquelle l'avait soumise l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) constituait un abus de procédure.

FAITS

[2]                Dans le cadre de la requête dont était saisie la juge Woods, les allégations figurant dans l'avis d'appel devaient être tenues pour avérées et il en est de même dans le cadre du présent appel. Main a fait l'objet d'une nouvelle cotisation aux termes de laquelle l'ADRC refusait la déduction de certaines dépenses pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998. Main prétend dans l'avis d'appel que le refus de l'ADRC faisait suite à une vérification effectuée de mauvaise foi et constituant un abus de pouvoir. L'ADRC avait, selon l'appelante, entrepris une vérification prolongée et abusive sur la foi de faux renseignements fournis par un actionnaire mécontent sous le couvert de l'anonymat. La vérification aurait été effectuée par un « vérificateur » qui n'avait pas encore obtenu son diplôme, sous la supervision d'une personne liée à un inspecteur municipal qui entretenait des rapports avec certains administrateurs, dirigeants et employés et qui était également un ami de l'actionnaire mécontent. Eu égard à ces allégués, Main demande que la Cour ordonne la suspension de l'exécution de la cotisation.

LE CRITÈRE APPLICABLE EN MATIÈRE DE RADIATION


[3]                Le critère à appliquer en matière de radiation consiste à déterminer s'il est évident et manifeste que l'avis d'appel que Main a déposé devant la Cour de l'impôt ne révèle aucun moyen raisonnable d'appel. Les passages en cause de son acte de procédure ne seront radiés que s'il est certain que son appel est voué à l'échec. Comme nous l'avons déjà signalé, les allégations de l'avis d'appel sont tenues pour avérées : voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

L'ARTICLE 7 DE LA CHARTE

[4]                À notre avis, compte tenu des arrêts de principe de la Cour suprême, il est clair et manifeste que Main ne peut invoquer l'article 7 de la Charte. Selon le principe général applicable en la matière, seuls les êtres humains peuvent jouir du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par l'article 7 (voir Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la page 1004). Fait exception à ce principe, la possibilité pour une société accusée d'une infraction de contester, dans le cadre de sa défense, la constitutionnalité de la loi (également applicable aux personnes physiques) y afférente. Ainsi, une société faisant l'objet d'une accusation criminelle peut la contester en arguant que la loi en vertu de laquelle elle est portée est inconstitutionnelle (voir R. c. Big M. Drug Mart Ltd. et al., [1985] 1 R.C.S. 295, aux pages 313 et 314; Dywidag Systems International, Canada Ltd. c. Zutphen Brothers Construction Ltd., [1990] 1 R.C.S. 705, à la page 709, et The Wholesale Travel Group Inc. c. R., [1991] 3 R.C.S. 154, à la page 179).


[5]                Main est une société. Elle n'a pas été accusée d'avoir commis une infraction et la constitutionnalité des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas mise en cause dans son avis d'appel. Main se contente de dire que la vérification contrevenait à l'article 7 de la Charte en ce qu'elle constituait un abus de procédure. Il est évident et manifeste que Main ne peut, en l'espèce, invoquer l'article 7 de la Charte ou chercher à obtenir réparation sur le fondement de la Charte.

ABUS DE PROCÉDURE

[6]                Quoi qu'il en soit, il est également évident et manifeste que la Cour de l'impôt n'a pas compétence pour statuer qu'un avis de cotisation est nul parce qu'il constitue un abus de procédure reconnu en common law ou en violation de l'article 7 de la Charte.

[7]                Comme le signale à juste titre le juge la Cour de l'impôt, même si cette cour a compétence pour suspendre une procédure constituant un abus de ses procédures (voir à titre d'exemple Yacyshyn c. Canada, 1999 D.T.C. 5133 (C.A.F.)), il est de jurisprudence constante qu'on ne peut tenir compte des actions de l'ADRC dans le cadre d'appels interjetés à l'encontre d'un avis de cotisation.

[8]                Il en est ainsi parce que l'appel interjeté sur le fondement de l'article 169 met en cause la validité de la cotisation et non du processus ayant conduit à l'établir (voir à titre d'exemple Canada c. The Consumers' Gas Company Ltd., 87 D.T.C. 5008 (C.A.F.), à la page 5012). Autrement dit, il ne s'agit pas de déterminer si les fonctionnaires de l'ADRC ont correctement exercé leurs pouvoirs, mais plutôt de déterminer si les montants pouvaient valablement être cotisés sous le régime de la Loi (Ludco Enterprises Ltd. c. R., [1996] 3 C.T.C. 74 (C.A.F.), à la page 84).


[9]                Ce principe a récemment été repris dans le cadre d'une instance visant à contester une cotisation en raison de la violation du paragraphe 15(1) de la Charte. Dans Sinclair c. Canada, 2003 DTC 5625, le juge Evans, s'exprimant pour la Cour, dit ce qui suit (au paragraphe 7) :

[7] À notre avis, il n'est pas loisible à la Cour de l'impôt d'annuler une nouvelle cotisation fiscale au motif que le contribuable aurait dû avoir droit au même traitement de faveur que d'autres qui sont dans la même situation. La question dont la Cour de l'impôt est saisie est de savoir si Mme Sinclair a droit à une exonération fiscale en vertu de l'article 87. La Cour de l'impôt doit rendre sa décision en fonction de l'interprétation de cet article et de son application àla situation de l'appelante. Le fait que d'autres personnes aient bénéficié d'une exemption n'a aucune incidence sur l'appel de Mme Sinclair. Voir Hokhold c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 99 (C.F. 1re inst.); Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3 (C.A.); Hawkes c. La Reine, [1997] 2 C.T.C. 5060 (C.A.F.). À part l'allégation voulant que des contribuables dans une situation semblable à la sienne aient eu droit à un traitement plus favorable, Mme Sinclair ne donne pas à entendre que l'article 87 est inconstitutionnel dans la façon dont il a été interprété ou appliquéà sa cause.   

[10]            Le juge Evans explique ensuite que Mme Sinclair pouvait s'adresser à d'autres tribunaux pour faire valoir les droits que lui garantit la Charte (paragraphe 8). C'est également le cas de l'appelante qui peut chercher à obtenir réparation devant le tribunal compétent pour cause d'abus de droit.

[11]            L'appelante invoque l'arrêt rendu par la Cour dans Canada c. O'Neil Motors Ltd., 98 D.T.C. 6424, au soutien de la proposition voulant qu'une cotisation puisse être annulée par la Cour de l'impôt dans le cadre d'un appel interjeté en vertu de l'article 169 s'il est établi que le processus ayant conduit à l'établissement de la cotisation est vicié par suite de la violation d'un droit garanti par la Charte. Il s'agit d'une interprétation erronée de la décision O'Neil.


[12]            Dans O'Neil, il s'agissait de déterminer si le juge de la Cour de l'impôt pouvait, après avoir exclu des éléments de preuve obtenus en violation de l'article 8 de la Charte, annuler les nouveaux avis de cotisation en cause. Le juge Bowman (maintenant Juge en chef adjoint) a annulé les nouveaux avis de cotisation après avoir signalé qu'il incombait au ministre d'établir leur validité (ceux-ci ayant été délivrés après l'expiration du délai prévu pour ce faire) et que leur bien-fondé ne pouvait être démontré en l'absence des éléments de preuve exclus.

[13]            En appel, la Cour a confirmé que, dans les circonstances, il était loisible au juge de la Cour de l'impôt d'annuler les nouveaux avis de cotisation. Contrairement à ce qu'affirme l'appelante, O'Neil ne fait qu'étayer la proposition voulant qu'un avis de cotisation puisse être annulé dans le cadre d'un appel fondé sur l'article 169 faute de justification par suite de l'exclusion des éléments de preuve concernant les circonstances dans lesquelles il a été établi.    

[14]            Enfin, nous sommes d'avis que l'arrêt Arthur C. Dwyer c. Canada, 2003 CAF 322, de notre Cour, ne constitue pas une dérogation au droit applicable. Dans cette affaire, la Cour a apprécié le bien-fondé d'une contestation fondée sur l'abus de procédure pour statuer sur celle-ci. Il s'agissait d'une des nombreuses questions soulevées à l'encontre de plusieurs nouveaux avis de cotisation et la Cour a conclu que l'objection était dénuée de fondement.


[15]            Rien n'indique que la question de la compétence ou des restrictions que la loi a prévues concernant l'appel formé sur le fondement de l'article 169 aient été soulevées dans Dwyer. Il est certain que cet arrêt ne visait pas à déroger à la série de décisions qui confirment nettement que la Cour de l'impôt possède une compétence limitée.

[16]            L'appel sera rejeté avec dépens.

                                                                                      « Marc Noël »                     

                                                                                                     Juge                             

                                                                           « Marshall Rothstein »                

                                                                                                     Juge                             

                                                                                       « B. Malone »                     

                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B


                            COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                            Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                  A-602-03   

INTITULÉ:                                   MAIN REHABILITATION CO. LTD.

            appelante

et

SA MAJESTÉLA REINE DU CHEF DU CANADA

            intimée

LIEU DE L'AUDIENCE :           TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 29 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :       (LE JUGE ROTHSTEIN, LE JUGE NOËL, LE JUGE MALONE)

DATE DES MOTIFS :               LE 30 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS:                 

Rocco Galati                               POUR L'APPELANTE

                                                                   

Catherine Letellier de St. Just

Lorraine Edinboro                      POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Galati, Rodrigues, and Associates

Toronto (Ontario)                        POUR L'APPELANTE

                                

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                         POUR L'INTIMÉE    



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