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Date : 20010406

Dossier : A-86-99

Référence neutre : 2001 CAF 110

Coram:             LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

Entre :

                                                       ANDRÉ VEILLEUX

                                                                                                                                 Appelant

                                                                      ET

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                   Intimée

                                            Audience tenue à Montréal (Québec)

                                                         le mardi 3 avril 2001

                                            Jugement rendu à Montréal (Québec)

                                                      le vendredi 6 avril 2001

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:                      LE JUGE DESJARDINS


Date : 20010406

Dossier : A-86-99

Référence neutre : 2001 CAF 110

Coram :            LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

Entre :

                                                       ANDRÉ VEILLEUX

                                                                                                                                 Appelant

                                                                      ET

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                   Intimée

                                     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

LE JUGE DESJARDINS


L'appelant, qui se représente lui-même, se pourvoit en appel d'une décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt (rapportée à (1999) 99 DTC 402, juge Pierre Archambault J.C.C.I.), laquelle a confirmé sa responsabilité en qualité d'administrateur de Les Entreprises Melateck Inc. ( « Melateck) » , à l'égard d'une somme de 39 239,18 $ représentant les déductions à la source qui auraient dû être remises au ministre du Revenu national par suite de versements de salaire des employés de Melateck pour la période allant de septembre 1994 à décembre 1994, ainsi que les pénalités et les intérêts.

La seule question en litige consiste à déterminer si le premier juge a erré en concluant que l'appelant, en sa qualité d'administrateur, n'avait pas agi avec le degré de soin, de diligence et d'habilité pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables, tel que l'exige le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

Le paragraphe 227.1(3) qui doit être lu conjointement avec le paragraphe (1) de l'article 227 de la Loi dégage l'administrateur de sa responsabilité personnelle prévue au paragraphe (1) lorsque sa conduite répond à la norme de prudence qui y est décrite :



227.1(1) Responsabilité des administrateurs pour défaut d'effectuer les retenues - Lorsqu'une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme ou a omis de payer un montant d'impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d'imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

Idem - Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

(Je souligne)

227.1(1) Liability of directors for failure to deduct - Where a corporation has failed to deduct or withhold an amount as required by subsection 135(3) or section 153 or 215, has failed to remit such an amount or has failed to pay an amount of tax for a taxation year as required under Part VII or VIII, the directors of the corporation at the time the corporation was required to deduct, withhold, remit or pay the amount are jointly and severally liable, together with the corporation, to pay that amount and any interest or penalties relating thereto.

Idem - A director is not liable for a failure under subsection (1) where the director exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances.

(emphasis added)


L'appelant était le seul actionnaire et administrateur d'une société de fabrication de meubles mélaninés qu'il avait fondée en 1978. Celle-ci commença à éprouver de sérieuses difficultés de liquidité de juillet à septembre 1994 si bien qu'en octobre 1994, la succursale bancaire avec laquelle Melateck faisait affaire l'avisa de se trouver un autre banquier et décida de transférer à une unité spéciale de la banque la surveillance des prêts consentis à Melateck. Son banquier l'informa de plus qu'il allait vérifier de façon quotidienne le compte bancaire de Melateck et qu'il n'hésiterait pas à refuser d'honorer les chèques de Melateck si celle-ci empruntait plus que la ligne de crédit permise.


L'appelant a soumis en plaidoirie, qu'à partir de ce moment-là, la banque, par l'entremise de son représentant monsieur Cayer, avait l'initiative des paiements et contrôlait le volet financier de Melateck si bien que lui, monsieur Veilleux, n'avait pas le choix d'agir autrement.

Pourtant, le premier juge a conclu au paragraphe 19 de ses motifs :

Il n'y a pas non plus de preuve que le banquier a empêché Melateck de payer le ministre.

1.         La preuve

La preuve révèle que la banque n'a pas pris le contrôle sur les chèques qui étaient émis. Son représentant, monsieur Cayer (Dossier d'appel, volume I, p. 159 - 160) a témoigné ainsi lors de l'audition :

Q. Puis au niveau des chèques, je vais peut-être poser ma question de manière différente, comment est-ce que ça fonctionnait pour l'émission des chèques? Est-ce que la banque avait un contrôle sur les chèques qui étaient émis pour payer des employés ou des fournisseurs, par exemple?

R. Non, nous autres, ce n'était pas une situation où qu'on regardait à chaque chèque puis donner une autorisation sur chaque chèque. Ce n'était pas une situation de même. Ça, c'est une situation de « receivership » si vous voulez. Non, nous autres, c'était à la fin de la journée, moi, ma position faut qu'elle s'améliore. S'il savait qu'elle n'était pas pour s'améliorer, il n'écrivait pas de chèques. C'est pas plus mêlant que ça.


En ce qui a trait aux déductions à la source, qui sont l'objet du présent litige, le témoin a ajouté: (Dossier d'appel, volume 1, p. 166)

Q. D'accord. Maintenant, quelle était votre entente avec monsieur Veilleux relativement aux déductions à la source à être remises au gouvernement?

R. Il n'y en avait pas.

Q. Il n'y en avait pas d'entente avec vous. Est-ce que vous avez refusé des chèques?

R. Je ne me rappelle pas, je l'ai mentionné tantôt. Il faudrait que je regarde dans les records. Mais je ne me rappelle pas.

Le comptable, monsieur Claude Morrissette, a expliqué que c'est madame Boisvert, l'épouse de monsieur Veilleux, qui voyait à la préparation des chèques mais que c'était lui, monsieur Morrissette, qui décidait à qui les chèques pouvaient être envoyés. Il a expliqué ce qui suit (Dossier d'appel, volume II, p. 247-248) :

Q.Et puis, elle, madame Boisvert, elle signait et préparait les chèques selon vos commandes, si je peux dire? Est-ce que c'était elle qui décidait, bon, je l'envoie pas, je l'envoie aujourd'hui?

R. Non, non, elle, elle préparait une série de chèques. Au début, là, quand on est arrivé en septembre, début octobre, moi, je lui ai passé ça. Après ça, elle n'avait plus à décider. Je veux dire, les règles étaient très claires. Elle savait ...

Q. Vous lui avez passé quoi?

R. Bien, je lui ai expliqué, là. « Ceux-là, tu ne les envoies pas, on ne peut pas. » On ne peut pas parce qu'on a appelé puis il n'était pas question qu'on l'envoie.

Q. Donc, est-ce que vous lui avez dit: « Les chèques de DAS, envoie-les pas, on ne peut pas. » C'est ce que je comprends, là?

R. Il y a rien que deux sortes de chèques qu'elle pouvait faire: les chèques de paie puis les chèques de matières premières. D'abord que ça n'endommage pas la position de la banque.

Q. Donc, à partir de septembre, vous avez dit à madame Boisvert : « Envoie pas les chèques de DAS, ça ne sert à rien. » ?

R. C'est à partir de mi-octobre, là, oui. Mi-octobre. Parce qu'on voulait éviter, Madame, on avait toujours espoir qu'on sauverait l'entreprise, puis il ne fallait surtout pas faire sauter un chèque.

L'appelant, sans aucun doute, voulait sauver son entreprise. Il a même retiré une somme de 80 000 $ d'un régime enregistré d'éparge-retraite pour l'investir dans Melateck. Il a dû faire des choix difficiles quant aux paiements aux divers créanciers.    Comme il l'a affirmé lui-même (Dossier d'appel, volume II, p. 271 - 273) :

Q. Maintenant, vous savez que la compagnie devait quand même faire des retenues à la source sur les salaires des employés?

R. Oui, j'étais conscient de ça.

Q. Mais vous n'étiez pas au courant que vous pouviez devenir responsable personnellement?

R. C'est ça. Puis ce n'est pas juste question de responsable ou pas. J'avais un paquet de gens alentour de moi qui m'avaient servi aussi également, qui s'appelait Perry, qui s'appelait Goodfellow, qui s'appelait Kenmade, qui s'appelait Richelieu, qui s'appelait ... un paquet de fournisseurs. Ce n'était pas juste une personne. Ça devient des amis aussi ces gens-là quand tu les côtoies pendant ...

Q. Ça, ce sont vos fournisseurs?

R. Mes fournisseurs. Qui étaient mes fournisseurs.

Q. Oui.

R. C'étaient tous des amis. Je plantais tous mes chums, là. Je ne sais pas. Ce n'est pas juste le gouvernement qui a été mon ... le gouvernement continu, c'est poussé, c'est normal. Mais je veux dire, moi, je ne l'ai pas vu comme responsabilité seulement uniquement du gouvernement. Je voyais tous les gens qui m'ont aidé pendant seize ans à bâtir ce commerce-là, parce qu'on a eu des bonnes années malgré tout. T'sais. Ça fait que ces gens-là, tu ne peux pas demain matin ... Moi, je ne voyais pas les conséquences du total tant que je ne suis pas arrivé en décembre. Décembre, là, j'ai réalisé.

Q. Que?

R. J'ai réalisé que, là, que je m'en venais très, très, très mal pris, puis qu'il fallait songer à d'autres décisions.

Q. Et quand monsieur Morrissette prenait les décisions pour savoir, on paie telle personne, on ne paie pas telle autre ...

R. Je leur demandais la permission pour acheter du bois; je leur demandais. « Claude, je peux-tu avoir un quatre, cinq mille (4-5000 $), il faudrait que j'aille chercher cent feuilles de bois ou deux cents feuilles de bois? » Je lui demandais la permission.

Q. Puis monsieur Morrissette, est-ce qu'il a discuté avec vous de sa décision de ne pas payer le ministère?

R. Du tout.

Q. Il ne vous a pas consulté là-dessus. Il ne vous a jamais dit que vous pouviez être responsable?

R. Personnel?

Q. Oui.

R. Non.


Il ressort de ces extraits que le banquier n'a pas empêché Melateck de payer le ministre. Le choix quant aux priorités de paiement fut exercé par l'appelant et ceux qui l'assistaient.

2.         Analyse

Dans Soper c. Canada [1998] 1 C.F. 124 (C.A.F.), [1997] A.C.F. 881 (Q.L.), le juge Robertson de notre Cour a rappelé qu'avant l'entrée en vigueur de l'article 227.1, il n'était pas rare pour les administrateurs de préférer payer les créanciers dont les biens et services étaient nécessaires pour continuer d'exploiter leurs entreprises plutôt que de verser au ministre du Revenu national les impôts qui devaient être retenus à la source. Cet abus et cette mauvaise gestion de la part des administrateurs contribuèrent à l'adoption de l'article 227.1 de la Loi.


Le paragraphe 227.1(3) établit une norme de conduite à la fois objective et subjective (Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 (C.A.F.) et [1997] A.C.F. 881 (Q.L.). En l'espèce, le premier juge a retenu que l'appelant savait ou aurait dû savoir qu'il était important de remettre au ministre les retenues à la source. L'appelant avait seize ans d'expérience comme actionnaire unique et administrateur de Melateck. Même s'il ne possédait qu'une onzième année, il avait oeuvré pendant de nombreuses années dans le monde des affaires. Il avait déjà connu des difficultés financières en 1984, ce qui l'avait amené à reporter à plus tard le versement des retenues à la source dues par Melateck au ministre. Il s'était acquitté des arrérages par la suite.

En 1994, il était au courant des difficultés financières de Melateck. Il a recherché de nouvelles sources de financement. Même s'il a été reconnu, par monsieur Morrissette, que l'appelant s'occupait principalement de la production et de la vente et n'était pas impliqué dans le choix des créanciers que Melateck payait, (voir paragraphe 8 des motifs du jugement du premier juge), il n'a pas pris les mesures, comme il se devait en sa qualité d'administrateur, pour s'assurer que les retenues à la source soient acquittées.


L'appelant avait de plus l'obligation de prévenir et d'empêcher l'omission de payer les sommes dues, ce qui n'a pas été fait. (Canada v. Corsano [1999] 3 C.F. 173 (C.A.F.), Ruffo c. Ministre du Revenu national (C.A.F. A-429-97, 13 avril 2000, et Worrell c. Canada [2000] A.C.F. no 1730)

Compte tenu du rôle neutre exercé par la banque en l'espèce et des choix exercés par l'appelant et de ceux qui l'ont assisté dans sa gestion de Melateck, j'estime bien fondée la conclusion du premier juge que l'on retrouve au paragraphe 23 de ses motifs :

Ici, la preuve révèle clairement que le banquier n'a pas décidé lesquels des créanciers de Melateck devaient être payés. Il n'y a aucune preuve que ce banquier a refusé d'honorer un chèque au ministre en paiement des retenues à la source et des cotisations d'assurance-emploi. Le banquier honorait tous les chèques dans la mesure où les dépôts bancaires étaient suffisants pour les couvrir. La preuve révèle d'ailleurs que c'est Melateck et plus particulièrement monsieur Morrissette qui décidait quels étaient les créanciers qui allaient être payés. Il est bien évident que Melateck avait une faible marge de manoeuvre et qu'elle ne pouvait espérer que tous ses chèques seraient honorés si elle payait chacun de ses créanciers. Elle a donc dû faire un choix et le ministre ne figurait pas parmi les créanciers importants de Melateck. C'est précisément pour éviter qu'une telle situation se produise que l'article 227.1 de la Loi a été adopté. Ayant décidé de verser des salaires à ses employés, Melateck se devait de remettre au ministre les retenues à la source et les cotisations en vertu de la LAC qui qui correspondaient à ces salaires. N'ayant pas pris les mesures nécessaires pour prévenir le manquement à cette obligation, monsieur Veilleux ne peut se soustraire à la responsabilité qui résulte du paragraphe 227.1(1) de la Loi.

Je rejetterais l'appel avec dépens.

"Alice    Desjardins"                            

j.c.a.


"Je suis d'accord

Robert Décary, j.c.a."

"Je suis d'accord

Marc Noël, j.c.a."


                                               

                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                               SECTION D'APPEL

Date : 20010406

Dossier : A-86-99

Entre :

ANDRÉ VEILLEUX

                                                                                 Appelant

ET

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                   Intimée

                                                                                                                      

                         MOTIFS DU JUGEMENT

                                    DE LA COUR

                                                                                                                      

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