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Date : 20001120


Dossier : ITA-4127-95

ENTRE:      DANS L'AFFAIRE DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

     - et -

     DANS L'AFFAIRE D'UNE COTISATION OU DES COTISATIONS

     ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     EN VERTU D'UNE OU PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES:

     LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU,

     LE RÉGIME DE PENSIONS DU CANADA

     LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

     CONTRE

     158377 CANADA INC.

     Débitrice judiciaire

     ET:

     AUBERGE BON CONSEIL (1988) INC.

     Tierce-saisie

     ET:

     SOCIÉTÉ EN COMMANDITE

     NOTRE DAME DU BON CONSEIL

     Opposante

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


MONSIEUR LE JUGE NADON


[1]      La Société en commandite Notre-Dame du Bon Conseil (la « Société » ) en appelle du jugement rendu le 16 novembre 1999 par le protonotaire Richard Morneau, qui a rejeté sa requête en opposition à la saisie immobilière d'un immeuble situé au 201, rue Mathieu, à Notre-Dame du Bon Conseil, province de Québec (l' « immeuble » ), pratiquée par Sa Majesté la Reine (la « créancière » ) le 8 juillet 1999.

[2]      Le jugement du protonotaire se lit comme suit:

     VU la requête sous l'article 597 du Code de procédure civile de la Société en commandite Notre-Dame du Bon Conseil (ci-après l'opposante) en opposition et en annulation d'une saisie immobilière pratiquée le 8 juillet 1999 à l'encontre d'un immeuble que l'opposante revendique à titre de propriétaire;
     CONSIDÉRANT que ce n'est que très récemment que les parties ont apparemment appris que la tierce-partie Auberge Bon Conseil (1988) Inc. (ci-après Auberge Bon Conseil) avait vu son immatriculation radiée d'office le ou vers le 31 juillet 1997;
     CONSIDÉRANT que cette radiation, qui a entraîné la dissolution d'Auberge Bon Conseil, est survenue par la faute de cette dernière d'avoir déclaré tel que requis par la législation provinciale;
     CONSIDÉRANT de plus qu'Auberge Bon Conseil a laissé cette radiation s'opérer alors que depuis le 25 juillet 1995 elle était sous le coup d'une ordonnance provisoire de saisie-arrêt en les présentes;
     CONSIDÉRANT qu'il n'a pas été établi en preuve que depuis cette radiation, deux des entités qui avaient un intérêt certain à requérir la révocation de cette radiation, soit les administrateurs et actionnaires d'alors de Auberge Bon Conseil ou l'opposante, avaient, de fait, entrepris des démarches en ce sens;
     EN VERTU des quatre (4) Considérantes qui précèdent, la Cour ne saurait retenir contre la créancière-saisissante cette radiation d'Auberge Bon Conseil et ainsi considérer que l'ordonnance définitive de saisie-arrêt émise le 18 décembre 1998 et le bref d'exécution émis le 31 mai 1999 sont sans valeur et inexécutoires;
     CONSIDÉRANT que la Cour est d'avis qu'il est loisible d'envisager sous le Code civil du Québec (C.c.Q.) la coexistence de deux recours en inopposabilité, soit celui des articles 1776 à 1778 C.c.Q. et celui des articles 1631 à 1636 C.c.Q.;
     CONSIDÉRANT que la créancière-saisissante et libre de faire appel aux articles 1631 et suivants C.c.Q. (l'inopposabilité) d'autant plus que la Cour est d'avis que dans les circonstances de l'espèce l'article 1778 alinéa deuxième du C.c.Q. fait en sorte que les dispositions de la vente d'entreprise ne sauraient s'appliquer dans le cadre de la vente du 26 janvier 1995 entre Auberge Bon Conseil et l'opposante;
     CONSIDÉRANT sur la base de l'arrêt Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Deschênes (Cour du Québec, dossier 200-02-016759-971, le 17 octobre 1997, juge Bond) et de la jurisprudence y citée que l'inopposabilité peut être soulevée pour contester une opposition à une saisie et, partant, un créancier peut donc agir et exécuter sans obtenir au préalable une déclaration judiciaire d'inopposabilité;
     CONSIDÉRANT enfin que les représentations écrites de la créancière-saisissante déposées le 1er octobre 1999 et le 14 octobre 1999 convainquent la Cour que toutes les conditions de l'inopposabilité ont été démontrées;
     CONSIDÉRANT d'autre part que l'opposante ne peut dans le cadre d'une requête devant cette Cour réclamer des dommages;
     En considération de ce qui précède, il y a lieu de rejeter avec dépens l'opposition à la saisie de la Société en commandite Notre-Dame du Bon Conseil.

[3]      Les faits pertinents peuvent se résumer comme suit. 158377 Canada Inc., pour avoir omis de payer ses impôts, est devenue débitrice de la créancière pour la somme de 36,255.32$. Pour la période fiscale se terminant le 31 décembre 1992, les états financiers de la débitrice révélaient l'existence d'une avance de fonds au montant de 139,056.00$ en faveur d'Auberge Bon Conseil (1988) Inc. ( « Auberge » ).

[4]      Le 29 août 1994, le Ministre, aux fins de recouvrir la dette fiscale de 158377 Canada Inc., faisait parvenir à Auberge une demande formelle de paiement.

[5]      Le 25 juillet 1995, la créancière obtenait une ordonnance provisoire de saisie-arrêt contre Auberge. L'ordonnance du juge Rouleau ordonnait, inter alia, à Auberge de déclarer sous serment toutes les sommes qu'elle devait ou pouvait devoir à 158377 Canada Inc., et plus particulièrement en vertu d'avances consenties par 158377 Canada Inc. en sa faveur.

[6]      Le 12 septembre 1995, Auberge déposait une déclaration négative. Le 18 décembre 1998, la créancière obtenait une ordonnance définitive de saisie-arrêt contre Auberge pour la somme de 36,255.32 $.

[7]      Le 31 mai 1999, cette Cour émettait un bref de saisie-exécution enjoignant le shérif et les shérifs-adjoints du district judiciaire de Drummondville, ainsi que tout huissier membre de L'Ordre professionnel des huissiers de justice du Québec, de saisir les biens immeubles ou réels se trouvant dans leur ressort et appartenant à Auberge, et de procéder à leur vente afin de réaliser les sommes indiquées audit bref.

[8]      Le 8 juillet 1999, l'immeuble était saisi en exécution du bref d'exécution émis le 31 mai 1999. Cette saisie est l'objet du présent litige.

[9]      Je me dois, à ce stade, d'interrompre la chronologie des événements pour revenir en arrière, afin de relater certains autres faits essentiels à une bonne compréhension du litige entre les parties.

[10]      Le 26 janvier 1995, Auberge vendait à la Société l'immeuble avec bâtisse construite. Auberge vendait aussi à l'acheteur la clientèle et l'achalandage de son entreprise, un foyer pour personnes âgées, les marchandises inventoriées, tous les meubles, accessoires et équipement servant à l'exploitation de l'entreprise, ainsi que ses droits aux numéros téléphoniques présentement en usage, ainsi que le droit exclusif pour l'acheteur de se servir de la raison sociale. Furent exclus de ladite vente, les comptes de banque ainsi que les comptes-clients d'Auberge. Le prix de vente, tel qu'il apparaît au contrat, est le suivant:

1.      la somme de UN DOLLAR (1.00$) pour la clientèle et l'achalandage;
2.      la somme de CENT MILLE DOLLARS (100,000.00$) pour le terrain;
3.      la somme de SEPT CENT VINGT-CINQ MILLE DOLLARS (725,000.00$) pour les bâtisses;
4.      la somme de CINQUANTE-CINQ MILLE DOLLARS (55,000.00$) pour l'équipement;
5.      la somme de SOIXANTE-QUATRE MILLE DOLLARS (64,000.00$) pour le mobilier;
6.      la somme de DIX MILLE DOLLARS (10,000.00$) pour le roulant;
7.      la somme de SEIZE MILLE DOLLARS (16,000.00$) pour le stationnement.
             LE TOUT formant une somme de NEUF CENT SOIXANTE-DIX MILLE UN DOLLARS (970,001.00$) payable de la façon suivante, savoir:
             A) Une somme de TROIS CENT CINQUANTE-NEUF MILLE CINQ CENTS DOLLARS (359,500.00$) payable pour et à l'acquit du vendeur, à Crédit Industriel Desjardins Inc. à qui pareille somme est due aux termes de l'acte suivant, savoir:
             -- Acte d'obligation par Auberge Bon Conseil Inc. en faveur de Crédit Industriel Desjardins Inc. reçu par Me Jean-Pierre Gauvreau, notaire, le 14 décembre 1988 et publié au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Drummond, le 16 décembre 1988, sous le numéro 317924;
             -- Acte de vente avec assumation par Auberge Bon Conseil Inc. en faveur de 2627-5164 Québec Inc. reçu par Me Jean-Pierre Gauvreau, notaire, le 14 décembre 1988 et publié au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Drummond, le 16 décembre 1988, sous le numéro 317925;
             L'acquéreur déclare avoir pris connaissance desdits actes et s'oblige, à la complète exonération du vendeur à remplir, toutes et chacune des clauses, obligations et conditions à l'endroit dudit créancier hypothécaire.
             B) Par l'émission d'un billet à demande, sans intérêt, au montant de QUATRE CENT TRENTE-HUIT MILLE DEUX CENT CINQUANTE-HUIT DOLLARS (438,258.00$) dû par l'acquéreur au vendeur.
             C) Par l'émission en faveur de vendeur de cent soixante-douze mille deux cent quarante-trois (172,243) parts dans le fonds commun du capital de la "Société en commandite Notre-Dame du Bon Conseil' d'une valeur de UN DOLLAR (1.00$) par part.

[11]      En annexe au contrat de vente se retrouve une déclaration sous serment de Messieurs Yves Martineau et Denis Custeau, respectivement président et secrétaire d'Auberge, selon laquelle le seul créancier d'Auberge est, en date du 26 janvier 1995, le Crédit Industriel Desjardins Inc. pour une somme de 354,500.00$. Le nom de la créancière, ainsi que le montant de sa créance, n'apparaissent nullement à la déclaration d'Auberge.

[12]      Il est à noter que Messieurs Martineau et Custeau ont aussi signé l'acte de vente pour la Société, M. Custeau en étant le président et M. Martineau le secrétaire.

[13]      Le 31 juillet 1997, Auberge a été dissoute volontairement en vertu de l'article 28 de la Loi sur les compagnies du Québec.

[14]      Je reviens maintenant aux événements du mois de juillet 1999. Le 21 juillet, la Société déposait un avis de requête en opposition et en annulation de la saisie-exécution pratiquée sur l'immeuble le 8 juillet 1999..

[15]      Le 31 août 1999, la Société déposait un avis de requête amendé, demandant à cette Cour de déclarer, inter alia, que la saisie pratiquée le 8 juillet 1999 était illégale, d'en prononcer l'annulation et d'en ordonner main levée.

[16]      Le 1er octobre 1999, la créancière déposait un dossier de réponse. Les parties composantes de ce dossier sont l'affidavit de M. Owen Duguay en date du 30 septembre 1999, et les prétentions écrites de la créancière. L'affidavit de M. Duguay se lit comme suit:

1.      Je suis l'agent de recouvrement responsable du dossier de 158377 Canada inc;
2.      Le ou vers le 29 août 1994, j'ai expédié une demande péremptoire de paiement à Auberge Bon Conseil (1988) inc., tel qu'il appert de la pièce A au soutien de ma déclaration;
3.      J'ai eu connaissance de la vente entre Auberge Bon Conseil (1988) inc. et Société en commandite Notre-Dame du Bon Conseil en date du 26 janvier 1995 (dont l'acte appert comme pièce B au soutien de ma déclaration), le 1er décembre 1998;
4.      La vente du 26 janvier 1995 entre Auberge Bon Conseil (1988) inc. et Société en commandite Notre-Dame du Bon Conseil, a été effectuée en fraude des droits du Ministère du Revenu Canada puisque Auberge Bon Conseil (1988) inc. n'a pas déclaré le Ministère comme créancier, tel qu'il appert de la déclaration sous serment d'Auberge Bon Conseil (1988) inc. mis au soutien de ma déclaration comme pièce C;
4. [sic]      Malgré toutes mes enquêtes, notamment celles auprès de la Société en commandite Notre-Dame du Bon Conseil, je n'ai pas pu déterminer si la portion du prix de vente qui devait être payée par billet à demande, a effectivement été payée;

[17]      Se retrouvent comme pièces au soutien de l'affidavit de M. Duguay, la demande péremptoire de paiement adressée à Auberge, le contrat de vente entre Auberge et la Société, et la déclaration sous serment d'Auberge faite par Messieurs Martineau et Custeau afin de se conformer à l'article 1768 du Code civil du Québec1.

[18]      L'affidavit de M. Duguay a été déposé pour soutenir les prétentions écrites de la créancière. Je note, par ailleurs, que la créancière n'a déposé ni requête ni autre procédure demandant à cette Cour de déclarer inopposable à son endroit la vente de l'immeuble.

[19]      Dans ses représentations écrites, par ailleurs, la créancière soulève l'inopposabilité de la vente. Les arguments de la créancière sont les suivants:

     1.      Sa créance est antérieure à la vente. Selon la créancière, Auberge est devenue débitrice lorsqu'elle a reçu la demande péremptoire de paiement, soit la pièce A de l'affidavit de M. Dugay.
     2.      La vente d'Auberge à la Société est un acte juridique, au sens de l'article 1631 du Code civil du Québec2, causant préjudice à la créancière. Selon la créancière, Auberge a vendu tous ses actifs, à l'exception de ses comptes de banque et ses comptes-clients, à la Société. De plus, il existe un lien de dépendance entre la Société et Auberge en ce que les actionnaires et administrateurs d'Auberge, Messieurs Custeau et Martineau, sont aussi les actionnaires et administrateurs de 9004-0114 Québec Inc., qui était alors le commandité de la Société.
     3.      Le prix de vente de 970,001.00$ devait être payé comme suit:
         (i)      359,500.00$ par subrogation aux droits et obligations du prêteur hypothécaire;
         (ii)      l'émission d'un billet de demande de 438,258,00$;
         (iii)      l'émission de 172,243 parts dans le fonds commun du capital de la Société;
         L'enquête de la créancière, menée par M. Duguay, n'a pu découvrir si la portion du prix de vente qui devait être acquittée par le billet de demande avait effectivement été payée.
     4.      Puisque les actionnaires et administrateurs d'Auberge sont les mêmes que ceux du commandité de la Société, la Société « savait indubitablement que cette vente allait rendre Auberge Bon Conseil (1988) Inc. insolvable » . De plus, lorsqu'elle a déclaré sous serment sa liste de créanciers, Auberge a omis d'inscrire le nom de la créancière et le montant de sa créance.

[20]      Devant le protonotaire, et devant moi en appel, plusieurs questions ont été soulevées par les parties. Ces questions sont celles dont traite le protonotaire dans sa décision. Pour les fins de la décision que je dois rendre en l'instance, je suis d'avis qu'une réponse à la question relative à l'article 1631 du Code civil du Québec est suffisante pour disposer du litige. Concernant cette question, le protonotaire a conclu que la créancière avait rencontré son fardeau de preuve. Le protonotaire s'est exprimé comme suit:

     CONSIDÉRANT enfin que les représentations écrites de la créancière-saisissante déposées le 1er octobre 1999 et le 14 octobre 1999 convainquent la Cour que toutes les conditions de l'inopposabilité ont été démontrées;

[21]      Dans son ordonnance, le protonotaire réfère aux représentations écrites de la créancière en date du 1er et du 14 octobre 1999. La seule question discutée par la créancière dans ses représentations écrites du 14 octobre 1999 est celle concernant la nécessité pour le ministre d'obtenir, préalablement à l'exécution d'une saisie immobilière, une déclaration d'inopposabilité quant au contrat de vente du 26 janvier 1995.

[22]      Au soutien de ses représentations écrites, la créancière a porté à mon attention un bon nombre de décisions rendues soit par la Cour supérieure du Québec ou la Cour provinciale de cette province. Après lecture de cette jurisprudence, il ne peut faire de doute qu'un créancier peut obtenir et exécuter un bref de saisie sans avoir préalablement obtenu une déclaration judiciaire d'inopposabilité. Par ailleurs, il ne peut aussi faire de doute que lorsqu'une opposition est déposée, le créancier doit contester cette opposition et demander à la Cour de déclarer inopposable à son égard la transaction attaquée. Cela ressort clairement des jugements citées par la créancière. L'une des conclusions des jugements pertinents portés à l'attention de la Cour en est une déclarant inopposable au créancier la transaction attaquée. Une telle conclusion, il va sans dire, est absolument nécessaire afin de rejeter une opposition telle celle déposée par la Société en l'instance. Malgré qu'il conclut que les conditions de l'inopposabilité ont été démontrées, le protonotaire ne conclut nullement que la transaction du 26 janvier 1995 est inopposable à la créancière. Je présume que c'est ce qu'il avait l'intention de faire, mais il ne l'a pas fait. Il a tout simplement conclu qu'il y avait lieu de rejeter l'opposition de la Société. Je suis loin d'être certain que le protonotaire pouvait conclure à l'inopposabilité de la vente du 26 janvier 1995, puisque la créancière n'avait déposé aucune demande cherchant à obtenir cette conclusion. La seule demande semble être celle faite par le procureur de la créancière, Me Bernard, dans ses représentations écrites. Je doute fortement que cela était suffisant pour permettre au protonotaire de rendre une ordonnance concluant à l'inopposabilité de la vente du 26 janvier 1995. Dans toutes les décisions citées par la créancière sur ce point, l'on retrouve toujours une requête déposée par la créancière, dans le cadre de sa contestation de l'opposition, demandant à la Cour de déclarer inopposable à son égard la transaction attaquée.

[23]      De toute façon, pour les motifs qui suivent, j'en viens à la conclusion que l'appel de la Société doit être accueilli, puisque la créancière n'a nullement démontré, à mon avis, l'existence des conditions de l'inopposabilité prescrites par l'article 1631 du Code civil du Québec.

[24]      La seule preuve déposée par la créancière au soutien de ses prétentions, est l'affidavit de M. Duguay et les pièces qui s'y retrouvent. La Société, dans ses prétentions écrites en date du 21 octobre 1999, déposées en réponse aux représentations écrites de la créancière, soumet que cette preuve est insuffisante. Je suis d'accord avec la Société que la preuve déposée par la créancière ne me permet pas de déclarer que la vente du 26 janvier 1995 lui est inopposable.

[25]      Pour obtenir une déclaration d'inopposabilité sous l'article 1631 du Code civil du Québec, un créancier doit démontrer qu'il subit un préjudice en raison d'un acte juridique de la part de son débiteur en fraude de ses droits, et plus particulièrement un acte par lequel le débiteur se rend ou cherche à se rendre insolvable ou, étant insolvable, il accorde une préférence à un autre créancier. La preuve offerte par la créancière ne démontre nullement que celle-ci a subi un préjudice en raison de la vente du 26 janvier 1995. L'on ne sait absolument rien de la situation financière d'Auberge au moment de la vente du 26 janvier 1995. Auberge était-elle insolvable à cette date? Auberge s'est-elle rendue ou a-t-elle cherché à se rendre insolvable par la vente de l'immeuble? Il n'y a pas de réponses au dossier à ces questions. Tout ce que l'on sait, c'est qu'Auberge a vendu l'immeuble à la Société, la clientèle et l'achalandage de son entreprise, les marchandises inventoriées, les meubles, accessoires et équipement servant à l'exploitation de l'entreprise, ses droits aux numéros téléphoniques et le droit exclusif de se servir de la raison sociale. Ont été exclus de cette vente les comptes de banque et les comptes-clients d'Auberge.

[26]      Je n'ai aucune preuve concernant les comptes de banque, ainsi que les comptes-clients d'Auberge. En fait, je le répète, la preuve ne soutient aucunement les prétentions de la créancière à l'effet qu'Auberge était insolvable en date du 26 janvier 1995, ou cherchait à se rendre insolvable par la vente de l'immeuble.

[27]      Le protonotaire a accepté les prétentions de la créancière et a conclu que les conditions de l'inopposabilité avaient été démontrées. Les prétentions de la créancière, auxquelles j'ai déjà fait référence, ne mènent nullement, à mon avis, à la conclusion à laquelle en est arrivé le protonotaire. Ces prétentions -- et je le dis avec respect pour le protonotaire -- n'adressent nullement la question pertinente, à savoir si Auberge était insolvable en date du 26 janvier 1995. Le fait qu'il existait un lien de dépendance entre la Société et Auberge ne mène nullement à une conclusion d'insolvabilité. Ce que la créancière devait démontrer était l'insolvabilité d'Auberge. La créancière présume, du fait de la vente du 26 janvier 1995, qu'Auberge est devenue insolvable, et cette présomption semble avoir été acceptée par le protonotaire. Avec égard, je ne vois pas comment l'on peut présumer l'insolvabilité d'Auberge en raison de la vente du 26 janvier 1995. L'on ne peut d'ailleurs aussi présumer que la vente constituait une tentative de la part d'Auberge d'éviter ses obligations financières envers ses créanciers, dont notamment la créancière.

[28]      Il aurait été facile pour la créancière d'assigner Messieurs Martineau et Custeau, et d'obtenir d'eux l'information pertinente concernant la situation financière d'Auberge, avant et après la vente du 26 janvier 1995. La créancière n'a fait aucune tentative en ce sens et, par conséquent, elle n'a pas réussi à me convaincre qu'il y avait lieu de déclarer inopposable à son égard la vente du 26 janvier 1995.

[29]      Dans son affidavit du 30 septembre 1999, M. Duguay affirme, au paragraphe 3, qu'il savait depuis le 1er décembre 1998 qu'Auberge avait vendu l'immeuble à la Société le 26 janvier 1995. Il affirme, au paragraphe 4 de son affidavit, qu'Auberge a vendu l'immeuble en fraude des droits de la créancière puisqu'Auberge a omis de déclarer, comme le requiert l'article 1768 du Code civil du Québec, le nom de la créancière et le montant de sa créance.

[30]      L'article 1776 du Code civil du Québec3 prévoit que lorsque les formalités prescrites de la vente d'entreprise n'ont pas été suivies, cette vente n'est pas opposable aux créanciers du vendeur dont la créance est antérieure à la date de la conclusion de la vente. L'article prévoit, de plus, que l'inopposabilité de la vente doit être soulevée, à peine de déchéance, au plus tard dans les trois ans de la date de l'acte de vente. En l'instance, l'inopposabilité a été soulevée par la créancière plus de trois ans après l'acte de vente et, par conséquent, l'article 1776 ne peut lui venir en aide. Par ailleurs, le défaut de soulever l'inopposabilité dans les trois ans de l'acte de vente n'a pas pour effet d'empêcher un créancier, et par surcroît la créancière, de recourir aux dispositions des articles 1631 et suivants du Code civil du Québec lorsqu'il y a fraude.

[31]      Pour soulever les articles 1631 et suivants, un créancier doit intenter son recours avant l'expiration d'un an à compter du jour où il a eu connaissance du préjudice résultant de l'acte attaqué. En l'instance, M. Duguay a eu connaissance de l'acte de vente du 26 janvier 1995, le 1er décembre 1998. Par conséquent, la créancière n'est pas prescrite et peut donc invoquer les articles 1631 et suivants. Il est à signaler qu'en vertu des articles 1767 et suivants, et tout particulièrement en vertu de l'article 1776, un créancier n'a pas a démontrer fraude de la part de son débiteur, mais simplement que les formalités prescrites n'ont pas été suivies. Par conséquent, le défaut de la part du vendeur de suivre les formalités prescrites pour la vente d'entreprise ne crée nullement, à mon avis, une présomption de fraude. La conséquence du défaut de suivre les formalités est de rendre la transaction inopposable à l'égard des créanciers dont les noms et le montant de la créance n'ont pas été mentionnés dans la déclaration sous serment signée par le vendeur. Je suis donc d'avis que le défaut par Auberge de suivre les formalités prescrites par l'article 1768 du Code civil du Québec ne me permet nullement, en l'instance, de conclure que le but de la vente du 26 janvier 1995 était de permettre à Auberge d'éviter ses obligations envers la créancière.

[32]      Un dernier point. Récemment, dans l'arrêt Wellgate International Ltd. c. Le ministre du Revenu national (Dossier T-662-99, décision en date du 19 juin 2000), mon collègue le juge Rouleau s'interrogeait sur la compétence de cette Cour relativement à une requête déposée par le ministre du Revenu national demandant à la Cour de déclarer inopposable à son égard une transaction entre deux ou plusieurs parties. S'appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Commission canadienne des droits de la personne c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, et la dissidence du juge Marceau de la Cour d'appel fédérale dans Le Bois de Construction du Nord (1971) Ltée. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 227, le juge Rouleau écrit, au paragraphe 34 (page 18) de ses motifs, ce qui suit:

La question relative aux contrats ne peut donc être considérée comme étant d'une certaine façon incidente à la compétence de la Cour et elle ne constitue pas non plus uniquement une phase de l'exécution forcée. Ni la Loi de l'impôt sur le revenu, qui confère à la Cour le pouvoir de contrôler l'exercice que fait le ministre de son pouvoir discrétionnaire quand il fait des avis de demandes de paiement, ni les Règles de la Cour fédérale, qui attribuent le pouvoir de délivrer une ordonnance définitive de paiement, ne semblent accorder à la Cour le pouvoir d'entreprendre un examen des circonstances entourant les opérations et les ententes en question et de rendre une décision à l'égard des allégations de fraude de la Couronne relatives à des incidents survenus quelque 8 mois avant l'événement en l'espèce, ou constituer le fondement de ce pouvoir. La question à trancher en l'espèce et les mesures de redressement demandées se situent, à mon avis, complètement en dehors des mesures d'exécution ou de la demande de contrôle judiciaire.

Il continue, au paragraphe 36 (page 19) de ses motifs, en ajoutant ceci:

Quoi qu'il en soit, même si j'ai tort en ce qui concerne la question de compétence, la Cour ou tout autre tribunal ne peut pas résoudre de façon équitable et appropriée les questions soulevées en l'espèce en se fondant uniquement sur une preuve par affidavit. Les allégations de fraude que fait le ministre exigent un examen en profondeur et ont des conséquences graves, non seulement pour les parties au litige, mais également pour les autres signataires des ententes contestées. Pour rendre une décision de ce genre, la Cour doit avoir accès aux meilleurs éléments de preuve, à savoir des témoignages de vive voix soumis à un contre-interrogatoire vigoureux et significatif. Il est compréhensible que la meilleure preuve ne soit pas disponible en l'espèce parce que les demandes dont je suis en ce moment saisi sont clairement destinées à être traitées sommairement. Les dispositions pertinentes de la Loi sur le revenu et des Règles de la Cour fédérale n'ont jamais été destinées à traiter de litiges complexes de ce genre et ne sont pas conçues sur le plan procédural pour pourvoir au type d'enquête qui doit être entreprise.

Finalement, au paragraphe 37 (page 20) de ses motifs, le juge Rouleau conclut comme suit:

Compte de l'incertitude relative à la compétence de la Cour fédérale et du fait que la procédure sommaire n'est pas appropriée pour résoudre les questions complexes et difficiles en cause, je suis convaincu que la Cour supérieur du Québec, où une action a déjà été introduite et qui a incontestablement compétence à l'égard des contrats contestés, constitue le tribunal approprié pour trancher le litige qui oppose les parties.

[33]      Puisque la compétence de cette Cour n'a pas été soulevée en l'instance, je ne me prononce pas sur cette question. Par ailleurs, je m'empresse d'ajouter que je suis en accord complet avec le juge Rouleau que la procédure sommaire prévue pour disposer des questions d'exécution de jugements n'est pas la façon appropriée pour régler des questions telles l'inopposabilité d'une transaction. Le dossier devant moi est un exemple parfait d'une situation où il aurait été préférable de procéder par voie de témoignage viva voce.

[34]      L'appel de la Société et, par conséquent, son opposition seront accueillis. La saisie immobilière pratiquée le 8 juillet 1999 sur l'immeuble situé au 201, rue Mathieu, à Notre-Dame du Bon Conseil, sera annulée parce que non valide. Il sera ordonné à l'officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Drummond, de rayer et radier ladite saisie immobilière pratiquée le 8 juillet 1999 et inscrite sous le numéro 1870 au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Drummond.

[35]      Il sera aussi ordonné au shérif du district judiciaire de Drummond de remettre sans délais à la Société la somme de 37,593.98$, sauf à parfaire. La Société aura droit à ses frais.



                             (Sgd.) "Marc Nadon"

                                 Juge


VANCOUVER, Colombie-Britannique

Le 20 novembre 2000.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    


DOSSIER :      ITA-4127-95

INTITULÉ :      158377 Canada Inc. et al v. Société en Commandite

     Notre Dame du Bon Conseil



LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :      le 12 mai 2000

MOTIFS de l'ordonnance DE L'honorable juge Nadon

EN DATE DU :      le 20 novembre 2000



COMPARUTIONS :

Me Maurice Laplante          POUR LE REQUÉRANT

Claude Bernard          POUR L'INTIMÉ


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clair, Laplante, Côté

1320 boulevard Lemire

Drummondville (Québec)

J2C 6W5          POUR LE REQUÉRANT

Me Morris Rosenberg

200, boulevard René-Levesque Ouest

Tour Est, 9e étage

Montréal (Québec)

J2C 7W5          POUR L'INTIMÉ

__________________

1      Art. 1768. L'acheteur est tenu, avant de se départir du prix, d'obtenir du vendeur une déclaration sous serment qui énonce le nom et l'adresse de tous les créanciers du vendeur, et indique le montant et la nature de chacune de leurs créances en précisant ce qui reste à échoir, ainsi que les sûretés qui s'y attachent.

2      Art. 1631. Le créancier, s'il en subit un préjudice, peut faire déclarer inopposable à son égard l'acte juridique que fait son débiteur en fraude de ses droits, notamment l'acte par lequel il se rend ou cherche à se rendre insolvable ou accorde, alors qu'il est insolvable, une préférence à un autre créancier.

3      Art. 1776. Lorsque les formalités prescrites n'ont pas été suivies, la vente d'entreprise est inopposable aux créanciers du vendeur dont la créance est antérieure à la date de la conclusion de la vente, à moins que l'acheteur ne paie ces créanciers à concurrence de la valeur des biens qu'il a achetés.              L'inopposabilité de la vente ne peut être soulevée, à peine de déchéance, que dans l'année qui suit le jour où la créancier a eu connaissance de la vente et, dans tous les cas, elle ne peut plus l'être après trois ans de l'acte de vente.

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