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Date : 20050314

Dossier : A-469-03

Référence : 2005 CAF 96

CORAM :       LE JUGE NOËL

LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                         WIC TV AMALCO INC.

                                       et GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED

                                                                                                                                          appelantes

                                                                             et

                                                     ITV TECHNOLOGIES, INC.

                                                                                                                                                intimée

                 Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), les 18 et 19 octobre 2004

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 mars 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE NOËL

                                                                                                                              LE JUGE EVANS


Date : 20050314

Dossier : A-469-03

Référence : 2005 CAF 96

CORAM :       LE JUGE NOËL

LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                         WIC TV AMALCO INC.

                                       et GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED

                                                                                                                                          appelantes

                                                                             et

                                                     ITV TECHNOLOGIES, INC.

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION


[1]                L'intimée, ITV Technologies Inc. (Technologies), exploite une entreprise de diffusion Web basée sur Internet. Depuis 1974, l'appelante, WIC TV Amalco Inc., et son ayant droit, Global Communications Limited (collectivement WIC), exploitent une station de télévision située à Edmonton et des installations de production télévisée, en liaison avec leurs marques de commerce ITV. Technologies a commencé son activité commerciale en 1995 et utilisé les lettres ITV dans sa dénomination sociale et son nom de domaine (www.itv.net). Vers la fin de 1996, WIC est entrée en contact avec Technologies pour tenter de dissuader celle-ci d'utiliser ITV en liaison avec son entreprise parce qu'aux yeux de WIC, cet usage contrefaisait les marques de commerce déposées de WIC, en particulier ITV son mot servant de marque.

[2]                Au lieu d'attendre que WIC intente une procédure en contrefaçon de marque de commerce, Technologies a lancé une attaque préventive et intenté une action en radiation des marques de commerce déposées de WIC, au motif qu'elles n'étaient pas enregistrables et ne distinguaient plus les marchandises et les services de WIC. WIC a déposé une défense et demande reconventionnelle, alléguant que Technologies contrefaisait les marques de commerce de WIC, faisait passer ses marchandises pour celles de WIC et dépréciait son achalandage.

[3]                Dans une décision publiée : (2003), 239 F.T.R. 203, Madame la juge Tremblay-Lamer de la Cour fédérale a rejeté à la fois la demande et la demande reconventionnelle. WIC a interjeté appel du rejet de sa demande reconventionnelle, mais Technologies n'a pas fait appel du rejet de son action en radiation.

LES FAITS

[4]                Les faits historiques essentiels sont exposés succinctement aux paragraphes 1 à 9 des motifs de la juge de première instance :


[1] La présente action résulte de l'utilisation par la demanderesse des lettres ITV dans sa dénomination sociale, son nom commercial et le nom de domaine de son site Web, malgré les objections de la défenderesse, qui a enregistré plusieurs marques de commerce où figurent ces mêmes lettres.

[2] La demanderesse (défenderesse reconventionnelle), ITV Technologies Inc. (ITV Technologies) est une société ayant un bureau à Vancouver (Colombie-Britannique). Depuis le 21 novembre 1995, elle exploite une entreprise Internet dont le nom commercial est ITV.net et l'adresse Web, www.itv.net. Elle archive sur ce site Web des séquences vidéo de natures diverses, et transmet en direct sur Internet des émissions audio et vidéo selon les sélections des utilisateurs qui accèdent à ce site au moyen de leurs ordinateurs.

[3] La défenderesse (demanderesse reconventionnelle), WIC Television Ltd. (WIC), est une société ayant un bureau à Vancouver (Colombie-Britannique). Elle travaille dans le domaine de la télédiffusion, de la production de programmes et des communications multimédias.

[4] WIC est le propriétaire inscrit des marques de commerce suivantes :

a) la marque de commerce no TMA 286,066 (lettres ITV et dessin-marque correspondant), employée depuis le 19 août 1982 et enregistrée le 23 décembre 1983, en liaison avec les films, les vidéodisques et vidéocassettes, les disques et les bandes audio et vidéo (marchandises), ainsi qu'avec les programmes de télévision et de radio, la télévision par câble et la production d'oeuvres d'animation (services);

b) la marque de commerce no TMA 467,002 (lettres ITV), employée depuis le 1er septembre 1974 en liaison avec l'exploitation d'une station de télévision et enregistrée le 3 décembre 1996;

c) la marque de commerce no TMA 490,009 (lettres ITV et dessin-marque correspondant), employée depuis le 1er juillet 1994 en liaison avec les services de télédiffusion et enregistrée le 17 février 1998.

[5] WIC est titulaire, sous le régime de la Loi sur la radiodiffusion, d'une licence relative à la station de télévision CITV, sise à Edmonton, qui est en exploitation depuis 1974 sous la dénomination « ITV » .

[6] Depuis le 20 janvier 1995, WIC exploite sous le nom de domaine « ITV.ca » un site Web offrant aux utilisateurs des actualités, des bulletins météorologiques, ainsi que de l'information financière et sur les spectacles.

[7] Vers la fin de 1996, WIC a découvert l'existence d'ITV Technologies et de son site Web. Elle a alors essayé de faire cesser l'usage de la marque ITV par ITV Technologies. L'avocat de WIC a ainsi écrit àcelle-ci pour lui demander de cesser d'employer cette marque dans sa dénomination sociale et son nom de domaine. WIC a aussi écrit à Network Solutions Inc. (NSI), la société américaine qui attribue les noms de domaine de premier niveau. ITV Technologies a d'abord accepté, dans le cadre de la politique de règlement officiel des différends de NSI, d'adopter un nouveau nom de domaine, soit « eyetv.net » . Mais en juillet 1997, elle a changé d'avis et engagéla présente procédure devant la Cour fédérale.


[8] ITV Technologies a déposé sa déclaration le 4 juillet 1997. Elle y demande la radiation des marques de commerce de WIC aux motifs qu'elles ntaient pas enregistrables et ne distinguent plus des autres les marchandises et services de cette entreprise.

[9] Le 24 octobre 1997, WIC a déposé une défense et demande reconventionnelle, ainsi qu'une demande d'injonction provisoire. Dans sa demande reconventionnelle, WIC poursuit ITV Technologies en passing-off, en violation du droit du propriétaire d'une marque à son emploi exclusif et en dépréciation de l'achalandage attaché à des marques déposées, sous le régime, respectivement, de l'alinéa 7 b) et des articles 20 et 22 de la Loi.

LA DÉCISION ATTAQUÉE EN APPEL

[5]                L'une des caractéristiques du procès a été l'utilisation importante d'éléments de preuve extraits d'Internet (la preuve Internet). La juge de première instance a introduit les motifs du jugement en exposant brièvement l'historique du litige, puis examiné les questions que soulevait l'utilisation de la preuve Internet. Elle s'est penchée sur l'utilisation d'Internet par les témoins au cours de leurs témoignages au procès et sur l'admissibilité en preuve de versions imprimées de pages Web produites par Technologies pour établir l'usage répandu d'ITV dans divers contextes.

[6]                La juge de première instance a autorisé les témoins à consulter diverses pages Web au cours de leurs témoignages parce qu'elle a conclu qu'elles constituaient le meilleur élément de preuve de l'état d'une page Web au moment de la consultation. Elle a également conclu que cet accès permettait aux témoins d'établir des éléments tels que les liens hypertextes et la transmission interactive en temps réel, qui n'auraient pu l'être à partir de copies imprimées des pages visées.


[7]                Ayant établi que les deux parties avaient eu recours aux pages Web extraites d'un site Web nommé www.archive.org, la juge de première instance a conclu que ce site présentait des archives fiables des pages Web telles qu'elles existaient à divers moments du passé. Elle a également conclu que les sites Web officiels, c'est-à-dire les sites d'un organisme qui sont tenus à jour par l'organisme même, étaient plus fiables que les sites Web non officiels, c'est-à-dire ceux qui contiennent de l'information sur un organisme mais qui sont tenus par d'autres personnes. La juge de première instance était disposée à admettre la preuve extraite d'un site officiel selon sa valeur intrinsèque, mais estimait que la fiabilité de la preuve produite à partir d'un site non officiel devait être évaluée en fonction de facteurs tels que l'appréciation de ses sources, la corroboration indépendante du contenu, la possibilité d'une modification au contenu du site, etc.

[8]                S'agissant de l'admissibilité d'imprimés de pages Web, la juge de première instance a conclu que les sorties d'imprimante présentant divers usages d'ITV étaient admissibles en preuve de cet usage. Toutefois, ni les sorties d'imprimante ni l'existence des sites Web d'où elles étaient extraites n'établissaient que quiconque au Canada ait lu les documents en question ou eu accès aux sites. Elles n'établissaient pas non plus que le grand public connaissait le sens des lettres ITV pendant la période considérée.


[9]                Après avoir examiné les éléments de preuve produits par les deux parties, la juge de première instance a abordé la demande en radiation. Le premier motif de radiation que faisait valoir Technologies était qu'ITV n'était pas enregistrable comme marque de commerce en vertu de l'article 18 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi) pour les motifs exposés à l'article 12, soit qu'elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou qu'elle est constituée du nom, dans une langue, de l'une des marchandises ou de l'un des services à l'égard desquels elle est employée.

[10]            Les dispositions pertinentes de la Loi prévoient :



10. Si une marque, en raison d'une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine ou la date de production de marchandises ou services, nul ne peut l'adopter comme marque de commerce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de la même catégorie générale, ou l'employer d'une manière susceptible d'induire en erreur, et nul ne peut ainsi adopter ou employer une marque dont la ressemblance avec la marque en question est telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre.

...

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants_:

...

b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;

c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l'une des marchandises ou de l'un des services à l'égard desquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer;

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

e) elle est une marque dont l'article 9 ou 10 interdit l'adoption;

...

18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants_:

a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement;

b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement;

c) la marque de commerce a été abandonnée.

Sous réserve de l'article 17, l'enregistrement est invalide si l'auteur de la demande n'était pas la personne ayant droit de l'obtenir.

10. Where any mark has by ordinary and bona fide commercial usage become recognized in Canada as designating the kind, quality, quantity, destination, value, place of origin or date of production of any wares or services, no person shall adopt it as a trade-mark in association with such wares or services or others of the same general class or use it in a way likely to mislead, nor shall any person so adopt or so use any mark so nearly resembling that mark as to be likely to be mistaken therefor.

...

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not:

...

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

(c) the name in any language of any of the wares or services in connection with which it is used or proposed to be used;

(d) confusing with a registered trade-mark;

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

...

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

(c) the trade-mark has been abandoned,

and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.



[11]            La juge de première instance a conclu que la polysémie des lettres ITV indique que les marques de WIC ne donnent pas une description claire de ses marchandises et services, comme le prévoit l'alinéa 12(1)b) de la Loi. Elle a également conclu que comme les lettres ITV peuvent recevoir plusieurs définitions, comme télévision Internet, télévision interactive, télé-enseignement ou télévision indépendante, elles ne peuvent pas constituer le nom des marchandises ou services offerts par WIC, comme le prévoit l'alinéa 12(1)c). La juge de première instance a conclu qu'ITV n'était pas couramment employé au Canada pour désigner le genre, la qualité, la valeur ou le lieu d'origine des marchandises et services offerts par WIC à la date pertinente. Par conséquent, l'enregistrement des marques de commerce de WIC n'était pas interdit par l'article 10, comme le prévoit l'alinéa 12(1)e).

[12]            La juge de première instance est ensuite passée à la question soulevée par l'alinéa 18(1)b) de la Loi, à savoir si les marques de WIC avaient cessé d'être distinctives à l'époque de l'action intentée par Technologies. Au terme de l'examen des éléments de preuve établissant que WIC avait fait la promotion de ses marques au cours des années, la juge de première instance a conclu que les marques de WIC étaient notoires et distinguaient ses services de télédiffusion, particulièrement en Alberta. Elle a aussi conclu qu'il était peu probable qu'en juillet 1997, le grand public ait assimilé ITV à la télévision interactive ou à la télévision Internet.

[13]            En ce qui concerne les éléments de preuve d'usage des lettres ITV dans des livres, magazines ou sites Web comme sigle représentatif d'expressions diverses, la juge de première instance a conclu à l'insuffisance de la preuve pour établir que le consommateur moyen associait ITV à ces marchandises et services. De plus, elle a conclu qu'il y a avait peu d'éléments de preuve que des Canadiens avaient consulté l'un ou l'autre des sites présentés par Technologies. Bref, la juge de première instance a conclu que l'emploi de la marque ITV « sur les sites Web, dans les revues et dans les journaux n'a pas dépouillé de leur caractère distinctif les marques de commerce de WIC » . Par conséquent, les marques de commerce de WIC ne devaient pas être radiées en vertu de l'alinéa 18(1)b) de la Loi.


[14]            Pour ces motifs, l'action en radiation a été rejetée.

[15]            La juge de première instance a ensuite considéré la demande reconventionnelle et la question de la contrefaçon des marques de WIC par Technologies en liaison avec son entreprise. Elle a d'abord passé en revue les dispositions pertinentes de la Loi :



6. (1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

...

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris_:

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

...

20. (1) Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut empêcher une personne_:

a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce_:

(i) soit le nom géographique de son siège d'affaires,

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce.

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

...

5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

...

20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making

(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or

(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,

(i) of the geographical name of his place of business,

or

(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.



[16]            La juge de première instance a procédé à l'analyse prescrite au paragraphe 6(5) de la Loi. Au sujet de l'alinéa 6(5)a), qui touche la question du caractère distinctif, elle a décidé que les dessins-marques ITV possèdent, jusqu'à un certain degré, un caractère distinctif inhérent, mais que le mot servant de marque ITV possède un caractère distinctif inhérent peu marqué et est une marque faible. La juge de première instance a renvoyé à la jurisprudence qui a établi que les marques constituées seulement de lettres de l'alphabet sont généralement des marques faibles. Voir la décision GSW Ltd. c. Great West Steel Industries (1975), 22 C.P.R. (2d) 154 (C.F. 1re inst.). En outre, l'usage répandu des lettres ITV comme sigle de nombreuses expressions, notamment télévision indépendante, télévision Internet, télévision interactive et télévision d'information, a frappé la juge de première instance comme étant une preuve convaincante de la faiblesse du mot servant de marque ITV.

[17]            La juge de première instance a ensuite conclu qu'en raison des activités de promotion de WIC, le mot servant de marque ITV avait néanmoins acquis, jusqu'à un certain degré, un caractère distinctif en relation avec l'exploitation d'une station de télévision à Edmonton.

[18]            Après avoir examiné la chronologie de l'emploi d'ITV par les parties, la juge de première instance a conclu que ce facteur jouait en faveur de WIC.

[19]            En ce qui concerne le genre des marchandises ou services, la juge de première instance a conclu que la télédiffusion et la diffusion Web, bien qu'elles soient liées, ne sont pas semblables. Elle a conclu qu'à la date considérée, une personne ordinaire aurait pu saisir la différence entre la télédiffusion et la diffusion Web. Elle a aussi conclu que WIC n'était pas connue pour son site Web.


[20]            Abordant la question de la nature du commerce, la juge de première instance a noté que les services de WIC sont fournis par la voie d'un poste de télévision alors que les services de Technologies le sont par la voie d'un ordinateur. Elle a conclu que cela réduirait le risque de confusion. Le fait que les téléspectateurs de WIC habitaient principalement l'Alberta, alors que Technologies avait une présence internationale, réduisait aussi le risque de confusion.

[21]            Puis, la juge de première instance a considéré le degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. Ses conclusions sur ce point se résument comme suit :

[TRADUCTION]

1-             La marque de Technologies a peu de ressemblance avec les dessins-marques de WIC.

2-             Alors que les lettres ITV sont prédominantes dans la marque de Technologies et la marque verbale de WIC, l'emploi du mot « Technologies » et le suffixe .net suffisent à distinguer les deux marques.

3-             L'emploi du mot « Technologies » dans la marque de Technologies suggère qu'il s'agit d'une entreprise de technologie alors que les marques de WIC sont associées à l'exploitation d'une station de télévision.

4-             Le suffixe .net suggérait au public que Technologies était une entreprise Internet.

5-             Le fait que WIC soit propriétaire de la marque verbale ITV ne lui donnait pas droit à un monopole sur tous les noms de domaines portant le préfixe ITV.


[22]            Enfin, la juge de première instance a pris en considération toutes les circonstances de l'espèce. Elle a conclu que les éléments de preuve relatifs à un cas de confusion réelle méritaient peu de poids. Elle pensait que cette sorte d'erreur est inévitable quand une partie adopte une marque faible. De même, elle n'a pas attaché beaucoup d'importance au fait que Technologies avait reçu des courriels destinés à WIC, estimant que cela résultait d'une confusion entre des adresses électroniques similaires. La juge de première instance a accordé peu de poids au témoignage d'expert de M. Finn selon lequel l'emploi d'ITV par Technologies créait de la confusion chez les consommateurs, car ce témoignage n'était pas fondé sur des sondages et n'était pas corroboré par le témoignage de consommateurs ordinaires.

[23]            Au terme de son examen de tous ces facteurs, la juge de première instance a conclu que l'emploi d'ITV par Technologies ne crée pas de confusion avec les marque de commerce déposées de WIC et a rejeté l'action en contrefaçon.

[24]            La juge de première instance s'est ensuite intéressée à la prétention de WIC que l'emploi d'ITV par Technologies dépréciait l'achalandage de WIC, en contravention de l'article 22 de la Loi :


22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce.

22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.



[25]            La juge de première instance a conclu que cette cause d'action comportait deux éléments. Premièrement, le public doit établir un rapport entre les marques des deux parties. Deuxièmement, l'emploi des marques de la première partie par la seconde partie doit avoir pour effet probable de créer une impression négative dans l'esprit du public, donc de déprécier la valeur de l'achalandage attaché aux marques de commerce déposées de la première partie. La preuve ayant établi l'emploi du sigle ITV par de nombreuses entités à des fins de désignation, la juge de première instance a donc été portée à croire que le public n'établirait pas immédiatement une relation entre ITV et WIC. De toute façon, même si le public associait Technologies à WIC, la réputation de Technologies en matière d'innovation dans la haute technologie ne déprécierait pas l'achalandage de WIC.

[26]            La juge de première instance a conclu ses motifs en traitant de l'allégation de commercialisation trompeuse formulée par les appelantes, qui serait en contravention avec l'article 7 de la Loi :



7. Nul ne peut_:

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde_:

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(ii) soit leur origine géographique,

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d'exécution;

e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.

7. No person shall

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;

(d) make use, in association with wares or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

                               

(i) the character, quality, quantity or composition,

(ii) the geographical origin, or

(iii) the mode of the manufacture, production or performance of the wares or services; or


[27]            Les éléments de la commercialisation trompeuse sont l'existence d'un achalandage, la tromperie du public attribuable à la représentation trompeuse et des dommages réels ou possibles pour le demandeur. La juge de première instance a conclu que la preuve n'établissait aucune tromperie causée par une représentation trompeuse. Technologies a réacheminé les courriels mal adressés à leur destinataire et affiché un avis sur son site Web indiquant qu'elle n'était pas affiliée à WIC. À la lumière de sa conclusion portant qu'il n'y avait pas de confusion entre l'emploi par Technologies des lettres ITV et les marques de commerce de WIC, la juge de première instance a conclu qu'elle ne pouvait accueillir l'action en commercialisation trompeuse de WIC.

[28]            En fin de compte, la juge de première instance a rejeté la demande reconventionnelle de WIC.

LES QUESTIONS DE PREUVE


[29]            À l'audience relative à l'appel, WIC a soulevé certaines questions touchant l'admissibilité en preuve d'éléments extraits d'Internet sous forme d'imprimés de pages Web. Technologies a présenté ces éléments de preuve principalement à l'appui de sa demande en radiation, cherchant à établir que les lettres ITV étaient devenues un terme générique. Ces éléments de preuve devaient aussi appuyer certains faits, comme la présence de certains livres dans les rayonnages de bibliothèques canadiennes. WIC s'est opposée à l'admissibilité de cette preuve au motif qu'elle relevait manifestement du ouï-dire et ne tombait sous le coup d'aucune exception à la règle du ouï-dire.

[30]            Il n'a pas été interjeté appel du rejet de la demande en radiation de la juge de première instance. Étant donné ma position sur le fond de l'appel à l'encontre de la demande reconventionnelle, il me semble qu'il y a des éléments de preuve à l'appui de la position adoptée par la juge de première instance sans qu'il soit nécessaire de faire appel à la preuve Internet. Par conséquent, tout ce que je pourrais dire au sujet de l'admissibilité de cette preuve ne serait pas nécessaire à la décision sur l'appel. J'ajouterais qu'à mes yeux, le dossier n'est pas suffisamment étoffé pour fournir un fondement factuel adéquat permettant l'examen éclairé des questions juridiques soulevées par l'utilisation d'Internet comme source de preuve documentaire.

[31]            À la lumière de ces considérations, il est préférable de reporter les questions d'admissibilité de la preuve Internet à un stade où le dossier sera plus étoffé et où la question sera nécessaire pour l'issue de l'appel. Comme je décide de ne pas traiter ces questions, il s'ensuit que je ne me prononce pas sur l'approche de la juge de première instance à l'égard de la preuve Internet.


L'APPEL VISANT LE REJET DE LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

LA NORME DE CONTRÔLE

[32]            Avant de faire l'examen des motifs de la juge de première instance, je dois régler la question de la norme de contrôle. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, prend position de façon claire et convaincante en faveur de l' « erreur manifeste et dominante » (paragraphe 10) comme norme de contrôle d'une cour d'appel à l'endroit d'une décision d'un tribunal de première instance. Le même critère s'applique aux déductions tirées des conclusions factuelles. Comme les juges Iacobucci et Major l'ont dit (au paragraphe 23), s'exprimant au nom de la majorité :

Nous rappelons qu'il n'appartient pas aux cours d'appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve. Si aucune erreur manifeste et dominante n'est décelée en ce qui concerne les faits sur lesquels repose l'inférence du juge de première instance, ce n'est que lorsque le processus inférentiel lui-même est manifestement erroné que la cour d'appel peut modifier la conclusion factuelle. La cour d'appel n'est pas habilitée à modifier une conclusion factuelle avec laquelle elle n'est pas d'accord, lorsque ce désaccord résulte d'une divergence d'opinion sur le poids à attribuer aux faits à la base de la conclusion.

[33]            Les juges ont ajouté (au paragraphe 24) que la retenue qui s'impose à l'égard des conclusions factuelles d'un juge de première instance ne se limite pas aux cas où le juge de première instance a pu apprécier la crédibilité des témoins :


... Nous considérons que ces propos du juge McLachlin signifient que, bien que le même degré élevé de retenue s'applique à l'ensemble des décisions factuelles du juge de première instance, lorsqu'une telle conclusion factuelle repose sur l'appréciation de la crédibilité d'un témoin, il faut reconnaître lnorme avantage dont jouit le juge de première instance àcet égard. Cela ne veut toutefois pas dire qu'une norme de contrôle moins rigoureuse s'applique lorsque la question en jeu ne porte pas sur la crédibilité d'un témoin, ni qu'il n'existe pas de nombreuses considérations de principe justifiant de faire montre de retenue à lgard de toutes les conclusions factuelles. À notre avis, cela ressort clairement du passage souligné dans l'extrait précité. Le point essentiel est qu'une conclusion factuelle - quelle que soit sa nature - exige nécessairement qu'on attribue un certain poids à un élément de preuve et, de ce fait, commande l'application d'une norme de contrôle empreinte de retenue.

[34]            Sur une question mixte de fait et de droit, la norme de l' « erreur manifeste et dominante » s'applique à moins que l'on puisse dégager de la question un point de droit isolable. Si tel est le cas, la norme de contrôle est alors, par rapport à cette question, la décision correcte. L'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 (au paragraphe 39) fournit un exemple d'une question de droit isolable, en l'occurrence l'application erronée d'un critère juridique en raison de l'omission de prendre en considération des faits importants :

... Après tout, si un décideur dit que, en vertu du critère applicable, il lui faut tenir compte de A, B, C et D, mais que, dans les faits, il ne prend en considération que A, B et C, alors le résultat est le même que s'il avait appliqué une règle de droit lui dictant de ne tenir compte que de A, B et C. Si le bon critère lui commandait de tenir compte aussi de D, il a en fait appliqué la mauvaise règle de droit et commis, de ce fait, une erreur de droit.

[35]            Si l'on applique cette analyse à la question de la confusion, l'appréciation de la preuve par la juge de première instance et ses conclusions de fait échappent au contrôle à moins d'établir l'existence d'une erreur manifeste et dominante. Les conclusions de la juge de première instance touchant les questions mixtes de fait et de droit doivent faire l'objet de la même norme de contrôle à moins qu'on puisse établir que la juge de première instance a appliqué un critère erroné, ou commis une autre erreur sur une question de droit isolable, ou encore si son application du critère correct est entachée d'une erreur manifeste et dominante.


[36]            De plus, dans les cas où un juge doit appliquer le critère pluridimensionnel prévu au sujet de la contrefaçon de marque au paragraphe 6(5) de la Loi, où le poids attribué à chaque facteur varie selon les circonstances, une erreur dans l'appréciation d'un facteur particulier ne constitue pas une erreur manifeste et dominante, sauf si elle déterminante pour le résultat. Soutenir le contraire revient à rendre chaque facteur critique pour l'analyse, conclusion que n'appuie nettement pas la jurisprudence. Voir la décision Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co. (1999), 176 F.T.R. 80, au paragraphe 49, du juge Evans (tel était alors son titre).

CONTREFAÇON DU MOT SERVANT DE MARQUE VERBALE ITV DE WIC

[37]            La juge de première instance a abordé la question de la contrefaçon en prenant en considération les facteurs exposés au paragraphe 6(5) de la Loi. WIC affirme que la juge de première instance a traité de manière inadéquate le premier facteur, soit le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues, parce qu'elle a systématiquement sous-estimé la mesure dans laquelle les marques de WIC sont devenues connues en liaison avec d'autres services que ceux d'une station de télévision. En particulier, WIC a critiqué la conclusion de la juge de première instance que la marque ITV de WIC n'était pas devenue connue en relation avec son site Web, même si elle était bien connue en liaison avec l'exploitation d'une station de télévision.


[38]            WIC soutient que la juge de première instance aurait dû conclure que les marques de WIC étaient notoires au Canada et qu'elles étaient plus connues que les marques de l'intimée. Lorsque la question dont la Cour est saisie en est une de degré, où le juge doit décider à quel point un élément se situe le long d'un continuum, le fait que le juge décide que l'élément se situe plus haut ou plus bas que prévu sur le continuum ne constitue pas une erreur manifeste et dominante, sauf si le juge n'a pas pris en considération les éléments de preuve pertinents. Que des parties spécifiques de la preuve ne soient pas mentionnées dans les motifs du jugement ne signifie pas que le juge ne les a pas prises en compte. Voir l'arrêt R. c. Mohamad (2004), 69 O.R. (3d) 481 (C.A.) au paragraphe 67.


[39]            S'agissant du caractère distinctif inhérent, la conclusion de la juge de première instance portant qu'ITV n'a pas de caractère distinctif inhérent repose sur le fait que le sigle se compose de trois lettres de l'alphabet. La juge de première instance s'est également fondée sur la preuve Internet de l'emploi d'ITV dans les sigles. C'est là l'une des deux questions de la demande reconventionnelle pour lesquelles la preuve Internet était pertinente alors que dans la demande en radiation en revanche, la question du caractère distinctif était prépondérante. Même si la juge de première instance avait rejeté la preuve Internet, elle était fondée à s'appuyer sur la preuve par les dictionnaires présentée par Technologies, qui établissait les divers usages des lettres ITV. L'utilisation de la preuve par des dictionnaires provenant de l'extérieur du Canada a été confirmée dans l'arrêt Home Juice Co. c. Orange Maison Ltée, [1970] R.C.S. 942. L'opposition de WIC à la conclusion de la juge de première instance selon laquelle la marque de WIC n'était pas devenue connue en liaison avec son site Web n'est déterminante pour aucune question. De toute façon, la juge de première instance a conclu que le facteur exposé à l'alinéa 6(5)a) de la Loi favorisait WIC.

[40]            En l'instance, je conclus que la conclusion de la juge de première instance sur cette question est fondée sur les éléments de preuve dont elle était saisie.

[41]            WIC est très critique à l'égard des conclusions de la juge de première instance au sujet du genre de marchandises ou de services, selon les dispositions de l'alinéa 6(5)c). Encore ici, cette critique repose sur le traitement accordé par la juge de première instance aux éléments de preuve concernant le site Web de WIC et son activité Internet. L'essentiel de la position de WIC se trouve dans la proposition suivante, au paragraphe 67 de son Mémoire des faits et du droit :

[traduction] Il est certain que WIC a été la première sur Internet, offrant des contenus audio, vidéo et d'autre nature en liaison avec ses marques de commerce bien établies. Étant donné toutes les activités auxquelles WIC avait participé et l'environnement de « convergence » de la période, on doit inévitablement conclure que le marché aurait perçu les services de l'intimée comme similaires, reliés, connectés et associés à ceux de WIC.


[42]            Fondamentalement, l'argumentation de WIC est que, étant donné l'investissement qu'elle faisait dans le changement technologique, le marché aurait conclu qu'une entreprise de diffusion Web exercée sous la bannière ITV aurait été perçue comme un prolongement des autres activités de WIC. Quelles qu'aient été les intentions de WIC au plan de l'expansion vers la diffusion Web, la jurisprudence établit sans ambiguïté que l'affirmation d'expansion formulée par une partie dans un nouveau domaine de produits ou de services, ou la possibilité d'une telle expansion, est insuffisante pour étayer une conclusion de confusion. Voir la décision Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1990), 38 F.T.R. 96.

[43]            La conclusion de la juge de première instance sur cette branche du critère établi par la loi est que les services offerts par WIC et Technologies étaient reliés, sans être similaires, et que le consommateur ordinaire aurait été en mesure de les différencier. Il n'appartient pas à la Cour d'apprécier de nouveau les éléments de preuve pour vérifier s'ils fondent une conclusion différente. Dans la mesure où la preuve fournit une base rationnelle à la conclusion de la juge de première instance sur ce point, et c'est le cas, la Cour n'est pas justifiée d'intervenir.

[44]            Le facteur suivant à prendre en considération est la nature du commerce. La juge de première instance a identifié deux caractéristiques du commerce qui, selon elle, étaient propres à réduire le risque de confusion. La première est la différence des technologies et la seconde, la répartition géographique des marchés des parties. La juge de première instance a conclu que comme les services de WIC étaient offerts par la technologie de la télédiffusion alors que ceux de Technologies l'étaient par la technologie Internet, cette différence tendait à réduire la probabilité d'une confusion. La juge de première instance a également conclu que Technologies desservait un marché plus large sur le plan géographique que celui de WIC.


[45]            Dans son Mémoire, WIC a identifié des circonstances qui appuieraient une conclusion différente sur cette question. Or le critère n'est pas de savoir si des éléments de preuve pourraient appuyer une conclusion différente, mais si des éléments de preuve peuvent rationnellement soutenir la conclusion de la juge de première instance. Comme c'est le cas, la Cour doit s'en remettre aux conclusions factuelles de la juge de première instance et aux déductions qu'elle en tire.

[46]            Le degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elle suggèrent, est le facteur que la juge de première instance a ensuite considéré. Elle a conclu que les dessins-marques de WIC présentaient peu de ressemblance avec la marque de Technologies. S'agissant de l'emploi d'ITV par Technologies, en liaison avec Technologies Inc. et www.itv.net, la juge de première instance a conclu que l'élément prédominant des deux dénominations était les lettres ITV, mais que l'emploi de « Technologies » et du suffixe « .net » suffisait à réduire encore la probabilité d'une confusion entre ces marques et le mot servant de marque ITV de WIC. À l'appui de sa conclusion, la juge de première instance a renvoyé à la jurisprudence qui établit que, dans les cas où des marques ne possèdent pas de caractère distinctif inhérent, les consommateurs s'appuient sur de petites différences pour distinguer une marque de l'autre. Voir l'arrêt Kellogg Salada Canada Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1992] 3 C.F. 442 (C.A.) au paragraphe 14. La conclusion de la juge de première instance sur ce point est fondée sur la preuve.


[47]            Le dernier facteur à prendre en considération est l'ensemble des circonstances de l'espèce. Technologies a fait valoir que la juge de première instance était obligée de tenir compte de la preuve de confusion effective, qui consistait en des messages par courriel mal adressés et en un cas de confusion signalé chez un consommateur. La juge de première instance a accordé très peu de poids à la preuve de l'erreur d'adressage des courriels au motif qu'elle révélait plus vraisemblablement une erreur dans l'adresse courriel qu'une confusion sur l'identité de la source des services visés. Pour ce qui est de la confusion créée chez un consommateur, en l'occurrence un client de WIC qui avait reçu du matériel publicitaire de Technologies et s'était mépris sur la source de cette publicité, la juge de première instance ne s'est manifestement pas sentie obligée de tenir compte de cet unique exemple de confusion. S'il est vrai que la Cour peut, dans certains cas, faire une déduction défavorable à partir de l'absence de preuve de confusion effective (voir l'arrêt Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd. (C.A.), [2002] 3 C.F. 405, 2002 CAF 29), il ne s'ensuit pas qu'un seul cas de confusion soit déterminant.

[48]            Technologies s'est également opposée au rejet par la juge de première instance du témoignage de son expert, M. Finn, qui témoignait que l'emploi par Technologies des marques ITV porterait de nombreux Canadiens à déduire que les services de Technologies était associés à ceux de WIC. La juge de première instance a rejeté cet élément de preuve, du fait qu'il ne s'appuyait pas sur des sondages ni sur d'autres éléments objectifs. WIC n'a pas contesté le fait que la juge de première instance avait le droit de rejeter un témoignage d'expert, mais elle a insisté sur le fait que le rejet devait être motivé.


[49]            À mon avis, la juge de première instance a justifié son refus d'accepter le témoignage de M. Finn. Les experts ne comparaissent pas devant la Cour comme des experts en général. Il sont des experts dans un domaine particulier et peuvent présenter une preuve d'opinion exclusivement dans le champ de leur expertise. En l'espèce, il semble que la Cour a reconnu M. Finn comme expert dans le domaine « de la commercialisation des films, des programmes de télévision et des nouveaux médias au Canada, envisagé du point de vue économique et commercial, ainsi que sous l'angle des réactions et des perceptions des consommateurs » . À mon avis, cela signifie que M. Finn pouvait témoigner dans le domaine de l'économie de la commercialisation des films, des programmes de télévision et des nouveaux médias au Canada. Je ne suis pas tout à fait certain de ce qu'on entend par « sous l'angle des réactions et des perceptions des consommateurs » , mais je pense que cela fait référence à l'économie de la commercialisation des films, des programmes de télévision et des nouveaux médias. Par conséquent, M. Finn était compétent pour offrir une opinion d'expert sur la réaction des consommateurs à l'économie de la commercialisation des films, des programmes de télévision et des nouveaux médias.

[50]            M. Finn a témoigné comme suit au sujet de la confusion :

[traduction]

...

39. À mon avis, l'emploi par la demanderesse de ses marques de commerce ITV au Canada de 1995 à 2000 a vraisemblablement porté un nombre important de Canadiens à déduire que les services et l'entreprise de la demanderesse étaient associés à ceux de WIC, étant soit ceux de WIC, soit ceux d'une entreprise associée commercialement à WIC, par exemple une société apparentée ou une licenciée.


40. Les Canadiens auxquels j'ai parlé sont des personnes d'intelligence moyenne qui se comportent avec la prudence normale dans les marchés pertinents. Ils ont un souvenir général des marques de commerce et de l'entreprise ITV de WIC puis sont en contact avec les marques de commerce et l'entreprise ITV de la demanderesse et se forment au total une première impression.

41. À mes yeux, l'emploi par la demanderesse de ses marques de commerce ITV a donné le message faux et trompeur que les services et l'entreprise de la demanderesse étaient ceux de WIC ou d'une entité commerciale associée à WIC.

[d.a., volume 23, onglet 96, page 5766.]

[51]            Quand on compare les titres et qualités d'expert de M. Finn à l'opinion exprimée dans ces paragraphes, il est clair que cela n'a rien à voir avec la réaction des consommateurs à l'économie de la commercialisation des films, des programmes de télévision et des nouveaux médias. M. Finn a cherché à appliquer le critère du souvenir imparfait et de la première impression, opinion qui ne relève pas, selon moi, de ses titres et qualités professionnels. La juge de première instance était justifiée de conclure que M. Finn présentait simplement une opinion sans fondement.

[52]            La juge de première instance a pris en considération tous les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi pour conclure que les marques de Technologies ne contrefaisaient pas les marques de commerce déposées de WIC. Elle n'a commis aucune erreur manifeste et dominante en arrivant à cette conclusion. Il n'appartient pas à la Cour d'examiner elle-même à nouveau la preuve pour en venir à une conclusion différente. Sur ce point, l'appel doit être rejeté.

LA DEMANDE VISANT LA DÉPRÉCIATION DE L'ACHALANDAGE

[53]            L'article 22 de la Loi interdit l'usage d'une marque de commerce d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de l'achalandage attaché à cette marque :


22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce.


22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill

attaching thereto.


[54]            La décision de la juge de première instance sur cette demande repose sur sa conclusion que, même s'il y a avait une confusion entre les marques de Technologies et les marques déposées de WIC, le genre et la qualité des services de Technologies n'auraient pas causé une diminution de l'achalandage associé aux marques de commerce déposées de WIC.

[55]            Le sens de l'expression « diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce » a été examiné dans la décision Clairol International Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co., [1968] 2 R.C.É. 552. Dans cette affaire, la défenderesse, qui vendait des produits de coloration capillaire, plaçait dans l'emballage de ses produits un nuancier comparatif qui identifiait les produits de la demanderesse au moyen des marques de commerce de cette dernière. Le juge a conclu que cela constituait un emploi des marques de commerce déposées de la demanderesse. La question soulevée était ensuite de savoir si cet emploi dépréciait l'achalandage associé à l'achalandage de la demanderesse. Le juge Thurlow (tel était alors son titre) a abordé la question de la manière suivante :

[traduction]


[45] ... Les défenderesses ont placé ces deux marques de commerce sur les emballages dans lesquels leurs marchandises sont distribuées et les utilisent en liaison avec leurs marchandises au sens de l'article 4. Elles le font en vue d'inciter les personnes qui connaissent bien les produits des demanderesses à se convertir à leurs propres produits. Que l'intention soit légitime ou illégitime, ce n'est pas la dénomination mais les marques de commerce de la demanderesse qu'elles utilisent à cette fin. Il est manifeste qu'il s'agit d'un comportement qui tendrait à déprécier l'achalandage attaché aux marques des demanderesses. Mais l'intention est rendue d'autant plus évidente par le fait que parmi toutes les personnes en concurrence dans le métier de la coloration capillaire, seules les marques des demanderesses sont utilisées dans les tableaux comparatifs figurant sur les emballages des défenderesses, ce qu'établissent le témoignage de M. Thomas, selon lequel le but des tableaux sur les emballages était de promouvoir la vente de leurs marchandises, et le témoignage de M. Schwarz, responsable de la formulation verbale sur les emballages, selon lequel l'objectif était de suggérer aux consommateurs qu'ils pouvaient obtenir avec le produit COLORSILK de Revlonà peu près le même résultat qu'avec le produit correspondant de Clairol, en vue d'acquérir une part du marché aux mains des demanderesses, qui représentaient la concurrence dominante dans ce domaine. Lorsque les parties ont accompli l'acte qui fait l'objet de la plainte dans l'intention expresse d'arracher une part de clientèle à leurs concurrentes et continuent de le faire, je ne vois aucune raison de douter qu'elles atteignent leur objectif.

[Non souligné dans l'original.]

[56]            Aucun élément de preuve n'autorise à conclure que WIC a perdu de la clientèle en raison de l'emploi de la marque ITV par Technologies, tout simplement parce que WIC ne vendait pas de produits de diffusion Web. Aucune preuve n'établit non plus que l'entreprise de Technologies a réalisé un profit aux dépens de l'entreprise de WIC.


[57]            Dans d'autres affaires, le juge a conclu à une dépréciation de l'achalandage, notamment dans la décision Source Perrier (Société Anonyme) c. Fira-Less Marketing Co. Limited, [1983] 2 C.F 18 (1re inst.), où la défenderesse vendait de l'eau embouteillée sous le nom « Pierre Eh » dans des bouteilles conçues pour ressembler à celles qu'utilisait la demanderesse. Le juge Dubé a conclu que cela causait une dépréciation de l'achalandage de la demanderesse, parce que le canular visant les marques et l'image de la demanderesse avait pour effet « de diminuer la qualité des marques de commerce [de la demanderesse], de porter atteinte à la réputation d'intégrité professionnelle que Perrier s'est bâtie au fil des ans et de nuire à sa clientèle » . En l'espèce, aucun élément de preuve ne suggère que la réputation commerciale de WIC souffrirait d'une association à Technologies.

[58]            Par conséquent, la conclusion de la juge de première instance sur cet aspect de la demande reconventionnelle de WIC ne devrait pas être modifiée.

LA COMMERCIALISATION TROMPEUSE

[59]            Le dernier élément de la demande reconventionnelle de WIC contre Technologies est l'allégation de commercialisation trompeuse. La demande de WIC est fondée sur l'alinéa 7c) de la Loi :


7. Nul ne peut_:

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

7. No person shall

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;


La constitutionnalité de l'article 7 repose sur l'interprétation de l'article comme une disposition de loi qui appuie la compétence fédérale en matière de marques de commerce. Voir les arrêts MacDonald c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134 et Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.).


[60]            Les éléments de la commercialisation trompeuse comportent la tromperie du public par la représentation trompeuse et, dans le cas d'une action fondée sur l'article 7 de la Loi, la représentation trompeuse doit se rapporter à une marque de commerce. Voir l'arrêt Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc., [2004] 2 R.C.F. 241 (C.A.) au paragraphe 38. La juge de première instance a conclu que la demande en commercialisation trompeuse avait échoué parce que le public n'avait pas été trompé. Elle a conclu plus précisément : « ITV Technologies n'a à aucun moment essayé de faire croire aux consommateurs qu'elle était WIC ou qu'elle avait quelque lien commercial que ce fût avec celle-ci. »

[61]            Selon WIC, cette observation indique que la juge de première instance considérait que la représentation trompeuse sous-tendant la commercialisation trompeuse devait être intentionnelle, alors qu'il est clair depuis quelque temps déjà que la question est de savoir si le public est induit en erreur, et non s'il existe une intention de tromper. Voir l'arrêt Consumers Distributing Co. c. Seiko Time Canada Ltd. et al., [1984] 1 R.C.S. 583 à la page 601. Dans la mesure où la juge de première instance a rejeté la demande en commercialisation trompeuse au motif d'une absence d'intention de tromper, elle a appliqué un critère erroné et commis de ce fait une erreur de droit. Cependant, l'erreur n'est pas importante pour le résultat compte tenu que la juge a conclu à l'absence de confusion entre le mot servant de marque# ITV de WIC et les marques de Technologies (voir les paragraphes 184, 185 et 189). S'il n'y a pas eu de confusion, il n'a pas pu y avoir de tromperie.


[62]            En fin de compte, ce motif d'appel doit être rejeté lui aussi.

CONCLUSION

[63]            L'appel interjeté par WIC à l'encontre de la décision de la juge Tremblay-Lamer doit être rejeté. La conclusion de non-contrefaçon de la juge de première instance, qui est fondée sur la prise en considération des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, ne comporte aucune erreur manifeste et dominante qui justifierait l'intervention de la Cour. Cela vaut aussi pour ses conclusions touchant la dépréciation de l'achalandage et la commercialisation trompeuse.

[64]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel et j'adjugerais les dépens à l'intimée.

                                                                          « J.D. Denis Pelletier »      

                                                                                                          Juge

« Je souscris aux présents motifs

     Marc Noël, juge »

« Je souscris aux présents motifs

     John M. Evans, juge »

Traduction certifiée conforme

____________________

Richard Jacques, LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             A-469-03

INTITULÉ :                            WIC TV AMALCO INC. et GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED et ITV TECHNOLOGIES INC.

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :    Les 18 et 19 octobre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                LE JUGE NOËL

                                                                               LE JUGE EVANS

DATE DES MOTIFS :           Le 14 mars 2005

COMPARUTIONS :

Brian D. Edmonds

R. Barry Fraser

POUR LES APPELANTES

Paul D. Gornall

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault

Toronto (Ontario)

POUR LES APPELANTES

Barrister & Solicitor

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L'INTIMÉE



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