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Date : 20040531

Dossier : A-164-03

Référence : 2004 CAF 214

CORAM:        LE JUGE STONE

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                   BROOKFIELD LEPAGE JOHNSON CONTROLS

                                           FACILITY MANAGEMENT SERVICES

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                       LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

                                          DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

                                                                                                                                                  intimé

                                       Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 25 mai 2004

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mai 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                    LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE STONE

                                                                                                                             LE JUGE SEXTON


Date : 20040531

Dossier : A-164-03

Référence : 2004 CAF 214

CORAM:        LE JUGE STONE

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                   BROOKFIELD LEPAGE JOHNSON CONTROLS

                                           FACILITY MANAGEMENT SERVICES

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                       LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

                                          DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

[1]                Le présent appel ne porte que sur un point très précis. Il s'agit d'une phrase des motifs prononcés par la juge des requêtes lorsqu'elle a rejeté une demande présentée par Brookfield Lepage Johnson Controls Facilities Management Services (BLJC), en vertu de l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi), en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le ministre) de communiquer certains documents. Les documents en cause avaient été transmis par BLJC au ministre dans le cadre de sa soumission faisant suite à une demande de propositions en vue de la prestation de services de gestion immobilière à l'égard de propriétés appartenant au gouvernement du Canada.


[2]                Devant la juge des requêtes, l'avocat de BLJC a fait valoir plusieurs raisons pour lesquelles, selon lui, il était interdit au ministre de communiquer les documents contestés. Il n'a persuadé la juge des requêtes du bien-fondé d'aucune de ces raisons. Devant notre Cour, BLJC ne conteste que la conclusion de la juge portant que les mots soulignés ci-dessous de l'alinéa 20(1)c) de la Loi n'ont pas pour effet d'interdire la communication.

20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant_ :

                      [...]

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

                      [...]

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

[3]                Je reproduis ci-dessous le passage pertinent des motifs de la juge des requêtes. J'ai souligné la phrase qui, d'après l'avocat de l'appelante, démontre que la juge a interprété erronément les dispositions de la Loi en concluant que les documents échappaient à la portée de l'alinéa 20(1)c).

[traduction]

[22] J'ai examiné la preuve, y compris l'affidavit supplémentaire, avec soin et je conclus qu'à l'exception de déclarations générales sur un éventuel préjudice, BLJC n'a nullement prouvé l'existence d'un risque vraisemblable de préjudice probable en cas de communication des documents. Plus spécifiquement, les déclarations de la demanderesse au sujet d'une atteinte pouvant être occasionnée ont un caractère général et ne renseignent en rien quant à l'utilisation possible du document par des concurrents qui ferait courir à la demanderesse un risque vraisemblable de préjudice probable. À tout le mieux, on peut dire seulement que la communication va nuire à la compétitivité de la demanderesse. Il n'y a pas une preuve suffisante en l'espèce pour conclure qu'un fondement permet d'établir l'existence de pertes financières ou d'atteinte pour BLJC ou de gains financiers pour un concurrent.                                                                                                  [Non souligné dans l'original.]


[4]                La simplicité de l'argumentation de l'avocat de l'appelante a un certain attrait. Celui-ci déclare que, pour avoir gain de cause sur le fondement de l'alinéa 21(1)c), un demandeur doit démontrer que la communication risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits appréciables à un tiers, ou de nuire à sa compétitivité. Et la conclusion de la juge selon laquelle la communication des dossiers contestés va nuire à BLJC satisfait - plus même qu'il n'est requis - à l'exigence prévue par la Loi d'un risque vraisemblable que la communication nuise à la compétitivité de BLJC. La juge ayant tiré cette conclusion, elle n'avait d'autre choix selon l'avocat que d'interdire la communication des documents en vertu de l'alinéa 20(1)c).

[5]                L'avocat a avancé deux explications possibles quant au fait que la juge n'a pas conclu que les documents étaient dispensés de communication, malgré sa conclusion portant que la communication va nuire à la compétitivité de la demanderesse. La juge a pu croire, premièrement, qu'un demandeur n'a droit à une dispense qu'en prouvant le risque vraisemblable à la fois que la communication causera des pertes ou profits financiers à un tiers et nuira à sa compétitivité. L'avocat soutient qu'il s'agit là d'une interprétation erronée de l'alinéa 21(1)c) puisqu'on prête ainsi un sens conjonctif au mot « ou » entre les termes « causer des pertes ou profits financiers » , d'un côté, ou « nuire à sa compétitivité » , de l'autre.


[6]                Selon l'avocat, c'est bien cela que la juge avait à l'esprit puisqu'elle a déclaré qu'on peut dire seulement que la communication va nuire à la compétitivité de BLJC. En recourant à l'adverbe « seulement » , l'avocat soutient-il, la juge soulignait le fait que la demanderesse n'avait pas également prouvé l'existence de pertes ou profits financiers, ce qui l'empêchait de faire valoir l'alinéa 20(1)c) avec succès.

[7]                L'avocat laisse entendre, deuxièmement, que la juge a pu s'inspirer de la jurisprudence sur les alinéas 21(1)c) et d) pour dire qu'en plus de prouver que la communication risque de « nuire » à sa compétitivité, ou d' « entraver » des négociations menées par lui en vue de contrats ou à d'autres fins, un demandeur doit également établir l'existence d'un « préjudice » .


[8]                Dans Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.), le juge MacGuigan de notre Cour, s'exprimant au nom d'un banc unanime, a déclaré qu'il fallait interpréter les alinéas c) et d) comme requérant un « risque vraisemblable de préjudice probable » ( le soulignement est du juge MacGuigan). L'avocat soutient toutefois qu'il ressort clairement d'un examen plus minutieux que Canada Packers ne visait qu'à prescrire la nature du lien causal requis pour l'obtention d'une dispense de communication en vertu de ces alinéas, et à rejeter la conclusion tirée en première instance, à savoir qu'il faut un lien causal direct entre la communication et tout profit ou perte financier, toute atteinte à la compétitivité ou toute entrave à des négociations. Comme le soulignement du mot « probable » par le juge MacGuigan le révèle, celui-ci n'a pas conclu en outre qu'une perte, un gain, une atteinte ou une entrave ne suffisent pas en eux-mêmes, sans la preuve additionnelle d'un « préjudice » , pour qu'on se réclame de la protection des alinéas 21(1)c) et d).

[9]                Je souscris à l'interprétation donnée à la Loi par l'avocat de l'appelante. Les deux éléments de l'alinéa 20(1)c) (les pertes ou profits financiers d'un côté, l'atteinte à la compétitivité de l'autre) ont un caractère disjoint. Par conséquent, un demandeur a le droit de demander que des documents ne soient pas divulgués s'il démontre que la communication risque vraisemblablement de nuire à sa compétitivité.


[10]            Je souscris également à son interprétation de la jurisprudence. Après avoir démontré que la communication risque vraisemblablement de nuire à sa compétitivité, un demandeur n'a pas à prouver en outre l'existence d'un « préjudice » . Ce n'est peut-être là qu'une question de sémantique toutefois, puisque le préjudice se déduit du fait qu'on nuise à la compétitivité. D'ailleurs, en confirmant les conclusions de Canada Packers dans Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre de l'Approvisionnement et des Services) (1990), 107 N.R. 89 (C.A.F.), le juge Hugessen a considéré comme des synonymes le fait de nuire et le préjudice (au paragraphe 4). De plus, en réponse à l'argument voulant que, pour tomber sous le coup de l'alinéa d), un demandeur n'a qu'à prouver l' « entrave » et non le « préjudice » , le juge Hugessen a déclaré (au paragraphe 5) qu'en regard d'une demande en vertu de l'article 44, « il doit nécessairement y avoir une entrave qui sera susceptible d'être dommageable pour [l]e tiers » .

[11]            Je ne puis comprendre la contestation par l'avocat du Procureur général tant du caractère disjonctif des deux éléments de l'alinéa 20(1)c), que de l'analyse susmentionnée de Canada Packers et de Saint John Shipbuilding. C'est toutefois avec vigueur qu'il conteste qu'on puisse déduire, de l'unique phrase des motifs de la juge des requêtes sur laquelle l'avocat de BLJC appuie toute son argumentation, que la juge a commis l'une ou l'autre erreur d'interprétation de la Loi invoquées par ce dernier.


[12]            L'avocat du Procureur général souligne qu'une juste interprétation des motifs de la juge considérés dans leur ensemble laisse voir que cette dernière n'était pas persuadée que la preuve suffisait pour considérer que BLJC s'était acquittée de son fardeau de preuve, consistant à démontrer que les documents étaient visés par l'une quelconque des dispenses prévues à l'article 20 pour échapper à l'obligation générale de divulgation imposée par la Loi sur l'accès à l'information. Il relève particulièrement la déclaration suivante énoncée au paragraphe 22 des motifs de la juge : « [traduction] [...] BLJC n'a nullement prouvé l'existence d'un risque vraisemblable de préjudice probable en cas de communication des documents » . Il se dégage clairement de l'extrait précité des motifs que cette conclusion se rapportait tant à l'un qu'à l'autre élément de l'alinéa 20(1)c). Par conséquent, l'avocat affirme-t-il, le mot « préjudice » joue ici le même rôle que dans Canada Packers et Saint John Shipbuilding; il s'agit d'un terme collectif visant les divers types de préjudice mentionnés au paragraphe 20(1)c) : des pertes ou profits financiers et une atteinte à la compétitivité.

[13]            L'avocat du Procureur général a également attiré notre attention sur la dernière phrase du paragraphe 22 des motifs de la juge : « Il n'y a pas une preuve suffisante en l'espèce pour conclure qu'un fondement permet d'établir l'existence de pertes financières ou d'atteinte pour BLJC ou de gains financiers pour un concurrent » . L'avocat se demande comment, en ayant jugé la preuve insuffisante pour établir l'atteinte à la compétitivité de BLJC, la juge a pu sous-entendre dans la phrase précédente une conclusion contraire, soit que la communication nuirait à la compétitivité de la demanderesse.

[14]            La position du Procureur général tend à convaincre parce que conforme au bon sens. À mon avis, lorsque la juge a fait mention de « pertes financières ou d'atteinte pour BLJC » , elle visait de façon abrégée le fait de « nuire à [l]a compétitivité » de BLJC plutôt que des pertes financières. Selon moi, il est plus vraisemblable que, dans sa phrase de conclusion, la juge ait entendu mentionner chaque type de préjudice prévu à l'alinéa 20(1)c) plutôt que d'ajouter de façon redondante le mot « atteinte » à titre de synonyme de « pertes » .


[15]            Quoi qu'il en soit, il est plus difficile d'attribuer à la phrase contestée un sens qui soit conforme à la juste interprétation de l'alinéa 20(1)c). L'avocat du Procureur général laisse entendre qu'on devrait considérer cette phrase comme un énoncé de l'argument avancé pour BLJC, plutôt que comme la propre conclusion de la juge. Je ne suis pas d'accord. Je ne puis croire que, sans l'indiquer clairement, la juge ait inséré, au milieu d'un paragraphe rempli de ses propres conclusions et constatations, un résumé de l'argumentation de l'avocat de BLJC.

[16]            L'avocat a avancé en second lieu qu'on pouvait tout simplement faire abstraction de la phrase en cause. Il veut entendre que, quoique la juge ait alors voulu dire, cela n'était pas un élément nécessaire de son raisonnement ou de l'issue de l'affaire. Il ajoute qu'il n'y a absolument aucun indice ailleurs dans les motifs de la juge selon lequel cette dernière aurait interprété la Loi ou la jurisprudence erronément. Il se dégage tout aussi clairement, de l'examen que la juge a fait de la preuve, qu'elle n'était pas convaincue du fait que la preuve de la demanderesse suffisait pour démontrer le risque vraisemblable que la communication causerait à BLJC l'un quelconque des préjudices visés par la Loi, y compris une atteinte à sa compétitivité.


[17]            Malgré son argumentation présentée avec compétence, l'avocat de BLJC ne s'est pas acquitté selon moi du fardeau de preuve qui est le sien, soit de démontrer qu'il faut déduire de la phrase contestée que la juge a mal interprété la Loi ou la jurisprudence de l'une ou l'autre manière alléguée. Il faut interpréter la phrase dans le contexte général des commentaires de la juge sur l'alinéa 20(1)c). Les motifs révèlent que la juge entendait conclure que, sur le fondement de la preuve, la communication n'entraînait pas de risque vraisemblable d'atteinte probable à la compétitivité de BLJC. On ne peut non plus s'appuyer sur les motifs pour dire que la juge a interprété erronément la Loi ou la jurisprudence.

[18]            Je ne puis être certain de ce que la juge a réellement voulu dire par la seule phrase objet de la contestation. Cette phrase ne suffit pas toutefois pour qu'il soit justifié d'accueillir l'appel si je ne suis pas convaincu - et tel est bien le cas - qu'on puisse en déduire le fait que la juge a commis une erreur de droit lorsqu'elle a rejeté la demande. Il y a assurément lieu de supposer qu'un juge n'entend pas se contredire dans des phrases consécutives, particulièrement lorsqu'à tous égards ses motifs, y compris ceux traitant de l'alinéa 20(1)c), sont convaincants et valables et que, semble-t-il, des avocats d'expérience ne les estiment pas susceptibles de fonder un appel.

[19]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

                                                                                                        _ John M. Evans _                

                                                                                                                              Juge                          

« Je souscris aux présents motifs

A.J. Stone, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                   AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-164-03

APPEL À L'ENCONTRE D'UNE ORDONNANCE DU 28 FÉVRIER 2003 DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA, DOSSIER N ° T-2337-00

INTITULÉ :                                                    BROOKFIELD LEPAGE JOHNSON CONTROLS FACILITY MANAGEMENT

SERVICES c. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 25 mai 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                         Le juge Evans

Y ONT SOUSCRIT :                          Les juges Stone et Sexton

DATE DES MOTIFS :                                   Le 31 mai 2004

COMPARUTIONS :

Gordon K. Cameron                                                     Pour l'appelante

Christopher Rupar                                                         Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon s.r.l.                                     Pour l'appelante

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          Pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada


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