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Date : 20050912

Dossier : A-610-04

Référence : 2005 CAF 292

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LINDEN                                     

                        LE JUGE SEXTON

 

ENTRE :

JOHN BAUER

appelant

et

 

SEASPAN INTERNATIONAL LTD.

intimée

 

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 septembre 2005

Jugement rendue à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 septembre 2005

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                         LE JUGE SEXTON

 


 

 

 

Date : 20050912

Dossier : A-610-04

Référence : 2005 CAF 292

 

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LINDEN                                     

                        LE JUGE SEXTON

 

 

ENTRE :

JOHN BAUER

 

appelant

 

et

 

SEASPAN INTERNATIONAL LTD.

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 septembre 2005)

 

LE JUGE SEXTON

 

[1]               L’appelant a été congédié en mai 2000 du poste de manœuvre qu’il occupait chez l’intimée. Il a déposé une plainte de congédiement injuste contre l’intimée en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail (le Code). La plainte a été instruite par un arbitre.

[2]               L’arbitre a conclu que l’appelant avait fait l’objet d’un congédiement injuste et il a ordonné qu’il soit réintégré dans son emploi à certaines conditions et lui a accordé des dommages-intérêts équivalant à un an de salaire, soit 40 000 $. L’arbitre a réduit l’indemnité de deux ans et demi de salaire (101 400 $) réclamée par l’appelant parce que ce dernier n’avait pas, selon lui, atténué le dommage.

[3]               L’appelant a demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre en faisant valoir que, comme il avait été sans travail pendant deux ans et demi, son indemnité devait être portée en conséquence à 101 400 $.

[4]               Le juge de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire en déclarant que la décision de l’arbitre n’était pas manifestement déraisonnable.

[5]               Devant notre Cour, l’appelant fait valoir les moyens suivants :

a)                  la norme de contrôle judiciaire qui a été appliquée n’est pas la bonne;

b)                  l’alinéa 242(4)a) du Code a été mal interprété;

c)                  le fardeau de la preuve en ce qui concerne l’obligation d’atténuer le dommage incombait à l’employeur, qui était tenu de démontrer que l’employé aurait pu se trouver ailleurs un emploi convenable. Or, l’arbitre et le juge de la Cour fédérale ont fait reposer ce fardeau sur l’employé;

d)                  le juge de la Cour fédérale et l’arbitre ont commis des erreurs manifestes et dominantes en appréciant les éléments de preuve relatifs aux démarches entreprises par l’appelant pour se trouver un autre emploi.

                   A.               Norme de contrôle

[6]               Bien que l’appelant affirme maintenant que la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre est celle de la décision correcte, les avocats de toutes les parties avaient convenu devant la Cour fédérale que la norme applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable.

[7]               Bien que la norme de contrôle relative à l’interprétation de l’article 242 soit selon toute vraisemblance celle de la décision correcte, puisqu’il s’agit strictement d’une question de droit, nous ne voyons pas l’utilité de nous étendre sur le sujet, étant donné que nous souscrivons à l’interprétation qui a été faite de l’article 242.

B.                                   Interprétation de l’alinéa 242(4)a)

242. (4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

 

 

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

242. (4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

 

[8]               L’appelant soutient que, dans les cas où il rend une ordonnance de réintégration, l’arbitre n’a pas, en vertu de l’alinéa 242(4)a), le pouvoir discrétionnaire de condamner l’employeur à payer une rémunération moindre que ce que l’employé a effectivement perdu.

[9]               Nous ne sommes pas de cet avis. L’alinéa 242(4)a) prévoit que l’arbitre « peut » condamner l’employeur à payer à l’employé « une indemnité équivalant, au maximum » au salaire que l’employé a perdu par suite de son congédiement. La seule interprétation possible de cette disposition est que, bien que l’arbitre ne puisse accorder une somme supérieure à ce que l’employé a perdu, il peut certainement lui accorder une somme inférieure. L’arbitre peut par ailleurs tenir compte du fait que l’employé n’a pas pris les mesures raisonnables pour atténuer son dommage.

                   C.               Fardeau de la preuve

[10]             Citant l’arrêt Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324, de la Cour suprême du Canada, l’appelant affirme que l’arbitre et la Cour fédérale ont commis une erreur en l’obligeant à s’acquitter du fardeau de la preuve en ce qui concerne l’atténuation des dommages. Il ajoute que c’était à l’employeur intimé qu’il incombait de démontrer que l’employé aurait probablement pu obtenir un autre emploi.

[11]             Pour justifier son argument que le fardeau de la preuve n’a pas été imposé à l’employeur intimé, l’appelant explique que l’intimée n’a présenté aucun élément de preuve, tels que des articles de journaux, pour démontrer que l’appelant pouvait se trouver du travail au moment des faits.

[12]             L’erreur dont est entaché ce raisonnement réside dans la prémisse que l’intimée n’a présenté aucun élément de preuve. En fait, l’employeur a bel et bien produit des éléments de preuve en soumettant l’appelant à un contre-interrogatoire serré sur les questions relatives à l’atténuation des pertes. Ainsi, il ressort de son contre-interrogatoire que l’appelant n’a entrepris aucune démarche pour se présenter en personne sur des chantiers de construction pour y chercher du travail, et ce, même si c’était la façon dont il avait antérieurement obtenu son emploi chez l’intimée.

[13]             L’employeur a donc effectivement présenté, au sujet de l’atténuation des pertes, des éléments de preuve sur lesquels l’arbitre pouvait se fonder pour conclure que l’appelant n’avait pas fait suffisamment d’efforts pour atténuer ses dommages. On ne saurait prétendre que le fardeau de la preuve a été imposé à l’appelant.

                   D.               Appréciation de la preuve

[14]             L’appelant affirme enfin que l’arbitre a commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation des éléments de preuve relatifs aux démarches entreprises par l’employé pour atténuer ses pertes.

[15]             Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle en ce qui concerne la modification de l’indemnité adjugée en cas de congédiement injuste par un arbitre en vertu de l’article 242 du Code est celle de la décision manifestement déraisonnable :

-                Nlha’7kapmx Child & Family Services c. Lockhart (2002), 17 C.C.E.L. (3d) 297 (C.F. 1re inst.);

-                Banque de Nouvelle-Écosse c. Fraser (2000), 186 F.T.R. 225 (C.F. 1re inst.);

-                Gauthier c. Fortier (2000), 191 F.T.R. 219 (C.F. 1re inst.);

-                Rogers Cablesystems Ltd. c. Roe (2000), 4 C.C.E.L. (3d) 170 (C.F. 1re inst.);

-                Bande indienne du Lac La Ronge c. Laliberté (2000), 192 F.T.R. 100 (C.F. 1re inst.);

-                Nation Wayzhushk c. Kakeway, 2001 FCT 819 (C.F. 1re inst.).

 

[16]             En ce qui concerne les quatre facteurs énumérés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, voici ce que nous estimons :

a)                  Le Code renferme une clause privative très forte :

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

 

       (2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire -- notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto -- visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

 

     (2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

 

b)                  De toute évidence, en édictant l’article 242 du Code, le législateur a reconnu la compétence particulière des arbitres en matière de questions relatives au travail, en leur permettant de trancher les litiges dans ce domaine, de sorte que la Cour doit faire preuve de retenue envers leurs décisions.

c)                  La loi a pour objet de favoriser le règlement rapide des conflits de travail, ce qui milite en faveur de la retenue judiciaire.

d)                  La question essentielle de savoir si l’appelant a suffisamment atténué ses pertes est une question de fait, ce qui permet de penser qu’il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de ce genre de conclusion.

[17]             Nous sommes d’avis que l’arbitre disposait d’éléments de preuve qui lui permettaient de conclure que les démarches entreprises par l’appelant pour atténuer ses pertes étaient totalement insuffisantes. La décision de l’arbitre n’était pas manifestement déraisonnable.

[18]             Nous sommes par conséquent d’avis que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande de contrôle judiciaire.

[19]             L’appel sera par conséquent rejeté avec dépens.

« J. Edgar Sexton »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-610-04

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LA COUR FÉDÉRALE LE 19 OCTOBRE 2004 DANS LE DOSSIER T-2151-03)

 

INTITULÉ :                                                                           JOHN BAUER c. SEASPAN INTERNATIONAL LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 12 SEPTEMBRE 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                       LE JUGE DÉCARY

                                                                                                LE JUGE LINDEN

                                                                                                LE JUGE SEXTON

                                                                                               

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                               LE JUGE SEXTON

 

COMPARUTIONS :

 

Michael T.L. Blaxland

POUR L’APPELANT

 

Michael W. Hunter, c.r.

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Forrest Gray Lewis & Blaxland

Avocats

North Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANT

 

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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