Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20060523

Dossier : A‑398‑05

Référence : 2006 CAF 188

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

TRACEY CALLWOOD

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

et

JOHN G. CRAWFORD

intimé                                                                                                                                                 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 avril 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 mai 2006.


MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE NADON

                                                                                                                              LE JUGE EVANS


 

 

Date : 20060523

Dossier : A‑398‑05

Référence : 2006 CAF 188

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

TRACEY CALLWOOD

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

et

 

JOHN G. CRAWFORD

 

intimé                                                                                                                                                 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision Callwood c. Canada, 2005 CCI 179 [Callwood], un renvoi à la Cour canadienne de l’impôt (CCI) en vertu de l’article 174 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch.‑1 (5e suppl.) (la Loi). Devant la cour de première instance, l’appelante, Tracey Callwood, a contesté l’inclusion de paiements de pension alimentaire pour enfants dans ses revenus imposables pour 2000 et 2001. De tels paiements ne sont ni imposables pour le bénéficiaire ni déductibles par le payeur s’ils sont faits après ce que la Loi appelle une « date d’exécution ». En revanche, les paiements faits avant cette date sont soumis à l’ancien régime d’impôt sur le revenu, suivant lequel ces paiements sont imposables pour le bénéficiaire et déductibles par le payeur. Dans la décision de première instance, le juge de la CCI a fixé la date d’exécution au 14 décembre 2001. De ce fait, selon ce dernier, la quasi totalité des paiements en litige ont été inclus à juste titre dans le revenu imposable de l’appelante.

 

[2]               Devant la Cour, l’appelante conteste la décision de première instance en invoquant trois motifs principaux. Premièrement, elle allègue qu’il y a eu inéquité procédurale de la part du juge de la CCI. Deuxièmement, elle reproche au juge les conclusions de fait qu’il a tirées. Enfin, troisièmement, elle conteste sa conclusion au sujet de la date d’exécution à retenir.

 

II.        LES FAITS CONSTATÉS PAR LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

[3]               L’appelante et la partie jointe dans l’instance inférieure, John G. Crawford (la partie jointe), ont été mariés du 6 septembre 1986 au 12 juin 1997. En janvier 1997, ils ont conclu un accord de séparation (l’accord initial) prévoyant, notamment, que la partie jointe paierait à l’appelante une pension alimentaire pour leurs trois enfants.

 

[4]               Trois mois plus tard ‑ le 16 avril 1997 ‑ les deux ont signé et déposé des affidavits concernant leur requête en divorce (les affidavits). Ces affidavits précisaient, notamment, ce qui suit :

[traduction]

3. L’intimé [la partie jointe] convient que la pension alimentaire pour enfants augmentera chaque année à compter de janvier 1998, aussi longtemps que la pension alimentaire pour enfants sera payable en vertu de l’accord de séparation, d’un montant égal au moindre du pourcentage annuel d’augmentation du coût de la vie de l’année précédente et du pourcentage d’augmentation annuel du salaire de l’intimé.

 

 

[5]               En fin de compte, un jugement de divorce (le jugement de divorce) daté du 12 mai 1997 a prononcé le divorce de l’appelante et de la partie jointe à compter du 12 juin 1997. Ce jugement ne faisait pas mention du changement relatif à la pension alimentaire que prévoyaient les affidavits et qui est décrit au paragraphe précédent des présents motifs.

 

[6]               En octobre 2000, l’accord initial a été modifié par ce qui est appelé ci‑après l’« accord portant modification ». Cet accord a modifié l’accord initial en supprimant de ce dernier les passages en italiques qui suivent :

[traduction]

VII. PENSION ALIMENTAIRE POUR ENFANTS

 

                L’époux convient par la présente de verser, à titre de pension alimentaire pour enfants, et l’épouse consent à les accepter à ce titre, les montants fixés selon l’échéancier suivant :

 

1997 : 400 $ dans les trois mois qui suivent la signature du présent accord par l’épouse

 

Alicia Aileen Crawford : 1997 à 2003

 

1 599,99 $ au plus tard le 31 mars

1 599,99 $ au plus tard le 30 juin

1 599,99 $ au plus tard le 30 septembre

1 599,99 $ au plus tard le 31 décembre

 

Bryce Gordon William Crawford : 1997 à 2008

 

1 599,99 $ au plus tard le 31 mars

1 599,99 $ au plus tard le 30 juin

1 599,99 $ au plus tard le 30 septembre

1 599,99 $ au plus tard le 31 décembre

 

Alexandria Betty Crawford : 1997 à 2009

 

1 600,02 $ au plus tard le 31 mars

1 600,02 $ au plus tard le 30 juin

1 600,02 $ au plus tard le 30 septembre

1 600,02 $ au plus tard le 31 décembre

 

                L’époux convient de répartir les paiements sur une base hebdomadaire sous forme de chèque de banque ou de mandat jusqu’à ce qu’une saisie du salaire soit accordée.

 

                Il est précisément entendu et convenu entre les parties que si lesdits enfants mineurs fréquentent un établissement d’enseignement postsecondaire, les paiements de pension alimentaire se poursuivront jusqu’à l’obtention de leur diplôme ou la fin de leurs études. Il est en outre entendu que l’époux partagera le fardeau des dépenses vestimentaires, de l’assurance de soins médicaux et des autres dépenses nécessaires auxdits enfants. L’époux et l’épouse conviennent que ces paiements de pension alimentaire ne seront modifiés par aucun tribunal du vivant des parties à l’accord.

 

[7]               À la fin de 2001, l’un des enfants, Alicia Aileen Crawford, a commencé à habiter avec la partie jointe. En conséquence, par une ordonnance datée de septembre 2002, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a mis fin à l’obligation qu’avait la partie jointe de payer une pension alimentaire pour cet enfant, et ce, à compter du 14 décembre 2001 (l’ordonnance de 2002).

 

[8]               L’appelante a déclaré les paiements de pension alimentaire reçus – s’élevant à 20 800 $ pour 2000 et à 20 533 $ pour 2001 ‑ à titre de revenu pour ces années d’imposition. Les cotisations établies pour ces deux années incluaient les paiements de pension alimentaire imposables reçus. L’appelante a ensuite interjeté appel de ces cotisations.

 

[9]               Le 2 mars 2005, la CCI devait examiner le traitement fiscal approprié des paiements de pension alimentaire pour enfants, de même qu’une question de crédit d’impôt pour personnes handicapées. À l’audience, l’appelante a demandé un ajournement car elle n’avait reçu que le 28 février 2005 les documents qu’elle avait demandés à l’intimée, Sa Majesté la Reine, le 15 janvier 2005. La CCI a répondu à cette requête en disjoignant l’instance; elle a ajourné l’appel concernant la question du crédit d’impôt pour personnes handicapées, mais a poursuivi celui qui avait trait à la pension alimentaire pour enfants. C’est la décision de la CCI concernant la pension alimentaire pour enfants qui est en appel devant la Cour.

 

III.       CONTEXTE LÉGISLATIF

[10]           La procédure en première instance a été introduite en vertu de l’article 174 de la Loi, dont les passages pertinents sont les suivants :

174. (1) Lorsque le ministre est d'avis qu'une même opération ou un même événement ou qu'une même série d'opérations ou d'événements a donné naissance à une question de droit, de fait ou de droit et de fait qui se rapporte à des cotisations, réelles ou projetées, relatives à plusieurs contribuables, il peut demander à la Cour canadienne de l'impôt de se prononcer sur la question.

 

[…]

174. (1) Where the Minister is of the opinion that a question of law, fact or mixed law and fact arising out of one and the same transaction or occurrence or series of transactions or occurrences is common to assessments or proposed assessments in respect of two or more taxpayers, the Minister may apply to the Tax Court of Canada for a determination of the question.

 

[…]

 

 

[11]           En gros, la CCI devait décider si les paiements de pension alimentaire que l’appelante avait reçus en 2000 et 2001 étaient soumis à l’ancien régime régissant les paiements de pension alimentaire pour enfants. Selon ce régime, les pensions alimentaires pour enfants payées en vertu d’un accord écrit ou d’une ordonnance judiciaire étaient imposables entre les mains du bénéficiaire et déductibles par le payeur. La Loi budgétaire de 1996 concernant l’impôt sur le revenu, L.C. 1997, ch. 25, article 9, a modifié ce régime, de sorte que ces paiements ne sont plus imposables ni déductibles.

 

[12]           La loi modificative de 1996 a prévu un certain nombre de mécanismes permettant aux parties à un accord ou à une ordonnance judiciaire en matière de pension alimentaire pour enfants établi sous l’ancien régime de faire la transition au nouveau régime. Ces mécanismes sont exposés dans la définition de l’expression « date d’exécution », qui est celle qui est employée dans la Loi pour décrire le jour après lequel le nouveau régime s’applique aux paiements de pension alimentaire pour enfants. En général, lorsqu’un accord ou une ordonnance ne comporte aucune date d’exécution, le nouveau régime ne s’applique pas aux paiements qui sont effectués en vertu de cet accord ou de cette ordonnance.

 

[13]           Le paragraphe 56.1(4) de la Loi comporte une série de définitions permettant de déterminer l’existence d’une date d’exécution :

56.1(4) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 56.

 

 

« date d'exécution » Quant à un accord ou une ordonnance:

 

a) si l'accord ou l'ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

 

b) si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997:

 

(i) le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l'accord ou de l'ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

 

(ii) si l'accord ou l'ordonnance fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

 

(iii) si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d'exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

 

(iv) le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

 

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui‑ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas:

 

a) le bénéficiaire est l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex‑époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui‑ci pour cause d'échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

 

b) le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

 

« pension alimentaire pour enfants » Pension alimentaire qui, d'après l'accord ou l'ordonnance aux termes duquel elle est à recevoir, n'est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d'un bénéficiaire qui est soit l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex‑époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur, soit le père ou la mère d'un enfant dont le payeur est le père naturel ou la mère naturelle.

56.1(4) The definitions in this subsection apply in this section and section 56.

 

 

"child support amount" means any support amount that is not identified in the agreement or order under which it is receivable as being solely for the support of a recipient who is a spouse or common‑law partner or former spouse or common‑law partner of the payer or who is a parent of a child of whom the payer is a natural parent.

 

"commencement day" at any time of an agreement or order means

 

(a) where the agreement or order is made after April 1997, the day it is made; and

 

(b) where the agreement or order is made before May 1997, the day, if any, that is after April 1997 and is the earliest of

 

(i) the day specified as the

date d’exécution of the agreement or order by the payer and recipient under the agreement or order in a joint election filed with the Minister in prescribed form and manner,

 

(ii) where the agreement or order is varied after April 1997 to change the

montant de la pension alimentaire pour enfantss payable to the recipient, the day on which the first payment of the varied amount is required to be made,

 

(iii) where a subsequent agreement or order is made after April 1997, the effect of which is to change the total

montant de la pension alimentaire pour enfantss payable to the recipient by the payer, the

date d’exécution of the first such subsequent agreement or order, and

 

(iv) the day specified in the agreement or order, or any variation thereof, as the

date d’exécution of the agreement or order for the purposes of this Act.

 

"support amount" means an amount payable or receivable as an allowance on a periodic basis for the maintenance of the recipient, children of the recipient or both the recipient and children of the recipient, if the recipient has discretion as to the use of the amount, and

 

(a) the recipient is the spouse or common‑law partner or former spouse or common‑law partner of the payer, the recipient and payer are living separate and apart because of the breakdown of their marriage or common‑law partnership and the amount is receivable under an order of a competent tribunal or under a written agreement; or

 

(b) the payer is a natural parent of a child of the recipient and the amount is receivable under an order made by a competent tribunal in accordance with the laws of a province.

 

 

[14]           Comme l’indique l’article 137 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale), DORS/90‑688a :

137. Le juge peut reporter ou ajourner l'audience à la date, à l'heure et au lieu et aux conditions appropriées.

137. A judge may postpone or adjourn a hearing to such time and place and on such terms as are just.

 

 

[15]           L’article 351 des Règles concernant la pratique et la procédure à la Cour d’appel fédérale et à la Cour fédérale, DORS/98‑106 (les Règles des Cours fédérales) prévoit ce qui suit :

351. Dans des circonstances particulières, la Cour peut permettre à toute partie de présenter des éléments de preuve sur une question de fait.

351. In special circumstances, the Court may grant leave to a party to present evidence on a question of fact.

 

IV.       LES CONCLUSIONS DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

[16]           Pour déterminer dans quelle mesure l’appelante était tenue d’inclure les paiements de pension alimentaire pour enfants dans son revenu imposable, la cour de première instance a examiné s’il était possible de dire qu’une série d’événements avait créé une date d’exécution, au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi.

 

[17]           Par exemple, la CCI a porté son attention sur les affidavits. Elle a conclu qu’ils ne constituaient pas un accord visant à modifier l’accord initial et qu’il s’agissait de modifications antérieures à mai 1997. Elle a donc considéré que les affidavits ne donnaient pas lieu à une date d’exécution. Selon le juge de la CCI, la disposition concernant l’inflation qui y figurait n’a jamais été mise en oeuvre. Il a estimé que les affidavits semblaient refléter des négociations pré‑divorce sans préjudice auxquelles il n’avait jamais été donné suite et qu’il devait donc en faire abstraction.

 

[18]           La cour de première instance a également examiné l’accord portant modification. Le juge de la CCI a reconnu qu’il se pouvait que, par suite de la suppression de l’obligation qu’avait la partie jointe de payer une pension alimentaire pour enfants pendant les années d’études postsecondaires des enfants (l’obligation relative aux études postsecondaires), le total de la pension alimentaire pour enfants qui était payé en vertu de l’accord portant modification soit inférieur à celui que prévoyait l’accord initial. Il a toutefois fait aussi remarquer qu’il est question, au sous‑alinéa b)(iii) de la définition de l’expression « date d’exécution », de modifications ayant pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants. Selon la cour de première instance, lorsque l’effet qui consiste à changer le total est subordonné à un événement futur inconnu, il ne peut s’agir d’une modification qui donne lieu à une date d’exécution.

 

[19]           Le juge de la CCI a ensuite examiné la suppression dans l’accord portant modification de l’obligation de partager les dépenses relatives aux vêtements, à l’assurance de soins médicaux et à d’autres objets de première nécessité (l’obligation relative au partage des dépenses). Dans l’esprit du juge, cette suppression n’était pas non plus une modification au sens de la définition législative de « date d’exécution ». Après tout, selon lui, les dépenses partagées n’étaient pas payables sur une base périodique, de sorte qu’elles ne faisaient pas partie des « montants de pension alimentaire pour enfants » inclus dans l’accord initial. La cour de première instance a donc conclu que la suppression de ces dépenses ne pouvait pas constituer une modification des montants à payer au titre de la pension alimentaire pour enfants.

 

[20]           Ensuite, le juge de la CCI a pris en considération diverses lettres produites par les parties pour indiquer quel était le traitement fiscal voulu des paiements. Dans ce contexte, il a souligné qu’au moment de produire leurs déclarations de revenus, l’appelante et la partie jointe ont agi comme si les paiements étaient imposables et déductibles, respectivement. Il a donc conclu que les parties n’avaient jamais voulu que l’accord portant modification ait pour effet de changer le régime fiscal applicable aux paiements de pension alimentaire pour enfants. Même si, dans son esprit, l’intention ne devrait pas avoir d’effet déterminant, si tant est qu’elle soit pertinente, il a conclu qu’il était dans une certaine mesure réconfortant de faire ressortir des causes où l’effet juridique des mesures prises coïncide avec les intentions.

 

[21]           Enfin, le juge de la CCI a examiné l’ordonnance de 2002. Dans ce contexte, il a conclu que, du point de vue de l’interprétation des lois, lorsque le montant total de la pension alimentaire pour enfants est modifié, même si le montant par enfant demeure constant, il y a modification, au sens du sous‑alinéa b)(ii) de la définition de la « date d’exécution ». Selon la cour de première instance, l’ordonnance de 2002 a engendré un changement du « montant de la pension alimentaire pour enfants », tel que défini dans la Loi, qui est passé de 400 $ par semaine à 266 $ par semaine, donnant ainsi lieu à une date d’exécution. En l’espèce, cette date était, selon le juge de la CCI, le 14 décembre 2001 – le jour où le premier paiement du montant modifié devait être fait. Il a donc conclu que tous les montants à payer et à recevoir après cette date étaient assujettis au nouveau régime. Il a enfin décidé que les paiements de pension alimentaire pour enfants faits en 2000 (20 800 $) et les paiements de pension alimentaire pour enfants ‑ moins 533 $ ‑ faits en 2001 (20 000 $) étaient assujettis à l’ancien régime et qu’ils pouvaient à juste titre être inclus dans le revenu imposable de l’appelante et déduits par la partie jointe.

 

V.        QUESTIONS EN LITIGE

[22]           Le présent appel soulève quatre questions générales. Je commencerai par régler plusieurs questions préliminaires, comme la tentative par l’appelante d’introduire de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du présent appel, ses allégations selon lesquelles le juge de la CCI s’est comporté d’une manière inéquitable d’un point de vue procédural, de même que sa contestation des conclusions de fait du juge. J’examinerai ensuite si le juge de la CCI a commis une erreur en statuant que l’accord initial n’avait pas été modifié avant le 14 décembre 2001.

 

VI.       ANALYSE

1)      ÉLÉMENTS DE PREUVE NOUVEAUX

[23]           L’appelante souhaite déposer en preuve plusieurs documents qui n’ont pas été soumis à la cour de première instance. Il s’agit d’une lettre de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC), des récépissés de dépôt bancaires, de même qu’une [Traduction] « Liste modifiée de créances et d’obligations » non datée et non signée, que l’appelante a apparemment établie elle‑même.

 

[24]           L’article 351 des Règles des Cours fédérales prévoit :

351. Dans des circonstances particulières, la Cour peut permettre à toute partie de présenter des éléments de preuve sur une question de fait.

351. In special circumstances, the Court may grant leave to a party to present evidence on a question of fact.

 

 

 

[25]           Dans Amchem Products Inc. c. Colombie‑Britannique (Workers' Compensation Board), [1992] A.C.S. no 110, au paragraphe 6, la Cour suprême du Canada a traité des circonstances dans lesquelles il peut être opportun d’admettre de nouveaux éléments de preuve en appel :

[Traduction]

 

[…]

 

Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, des éléments de preuve seront habituellement rejetés s’il aurait été possible de les découvrir en faisant preuve de diligence raisonnable avant l’appel et, en outre, s’il n’est pas établi que les éléments sont tels qu’ils seraient pour ainsi dire déterminants s’ils étaient admis. Voir Dormuth et al. c. Untereiner et al., [1964] R.C.S. 122. Dans des cas spéciaux, il est toutefois possible d’exercer le pouvoir discrétionnaire pour admettre des éléments qui ne satisfont pas à ces critères : voir Brown c. Gentleman, [1971] R.C.S. 501. Selon moi, en exerçant le pouvoir discrétionnaire à l’égard d’une demande concernant un appel visant une ordonnance interlocutoire, il ne convient pas d’appliquer ces règles de manière stricte. Il faut tenir compte du fait que la possibilité de présenter tous les documents n’est pas la même que pour un procès. Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’injonction interlocutoire, la Cour ne se prononce pas de façon définitive sur les faits. Les ordonnances interlocutoires peuvent être annulées ou modifiées par le tribunal de première instance en cas de changements importants dans les circonstances.

 

[26]           À mon avis, aucune circonstance spéciale ne justifie l’admission des nouveaux éléments de preuve de l’appelante. Cette dernière a fait valoir que ces éléments n’auraient pu être découverts plus tôt parce qu’ils étaient en la possession de la partie jointe. Point n’est besoin d’émettre une opinion sur la question car, selon moi, les éléments de preuve ne sont pas « pour ainsi dire déterminants » et il n’y a donc pas lieu de les admettre.

 

2)      QUESTIONS DE PROCÉDURE

[27]           Dans ses observations écrites, l’appelante a soutenu que le juge de la CCI avait commis plusieurs erreurs de procédure. J’analyse ces arguments dans cette section des présents motifs, même si les parties n’en ont pas traité de vive voix.

 

[28]           Tout d’abord, dans son mémoire des faits et du droit, l’appelante s’est plainte du refus de la CCI d’accorder un ajournement au sujet de la question de la pension alimentaire pour enfants. L’article 137 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale) confère aux juges de la CCI le vaste pouvoir discrétionnaire d’ajourner une audience « aux conditions appropriées ». En l’espèce, l’appelante a soutenu que le refus d’ajourner l’audience lui a été préjudiciable parce qu’il l’a empêchée d’établir que ce n’était qu’à cause de nouvelles cotisations antérieures de l’ADRC que ses déclarations de revenus pour 2000 et 2001 montraient que les paiements de pension alimentaire pour enfants en litige étaient imposables.

 

[29]           Même s’il est vrai que c’est uniquement à cause des nouvelles cotisations établies antérieurement par l’ADRC que l’appelante a inclus les paiements en 2000 et en 2001, le fait de ne pas avoir pu prouver ce point ne lui a causé aucun préjudice. Après tout, la décision rendue en première instance n’était manifestement pas fondée sur le traitement fiscal des paiements de pension alimentaire pour enfants que l’appelante et la partie jointe avaient prévu. Voir, par exemple, les paragraphes 20 et 26 de Callwood. En résumé, l’appelante ne m’a fourni aucun motif d’infirmer le refus du juge de la CCI d’ajourner l’audience.

 

[30]           L’appelante a également allégué dans ses observations écrites l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part du juge de la CCI. Je ne puis relever en l’espèce aucune preuve de partialité.

 

[31]           Enfin, l’appelante a soutenu dans son mémoire qu’une présumée collaboration entre l’intimé et la partie jointe [Traduction] « enfreignait l’objet et le sens véritables » de l’article 174 de la Loi. Pour dire les choses simplement, cette prétention est sans fondement. Je ne vois en l’espèce aucune contravention à l’article 174.

 

3)      CONCLUSIONS DE FAIT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

[32]           L’appelante se plaint également des conclusions de fait tirées par la CCI. Il ne m’est possible de modifier de telles conclusions que si elles montrent que la cour de première instance a commis une erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen], au paragraphe 10.

 

[33]           D’après l’appelante, la CCI a mal compris le calendrier des paiements de pension alimentaire pour enfants. Je ne suis pas convaincu que le juge de la CCI a commis à cet égard une erreur manifeste et dominante.

 

[34]           Dans ses observations écrites, l’appelante a aussi avancé des allégations de fraude et de parjure à l’encontre de l’épouse actuelle de la partie jointe, qui a témoigné en première instance. Il n’a pas été question non plus de ces accusations dans la plaidoirie orale. Elles sont tout à fait injustifiées. Par ailleurs, les commentaires du juge de la CCI au sujet de l’épouse actuelle de la partie jointe montrent que la cour de première instance ne s’est pas fondée à tort sur la preuve contestée. Selon Callwood, au paragraphe 3 :

… L’épouse actuelle de la partie jointe a témoigné pour la partie jointe, que j’appellerai simplement « John ». L’épouse actuelle de John a elle aussi été un témoin crédible, mais elle avait une connaissance moins directe des questions liées aux accords et aux paiements de pension alimentaire pour enfants. En conséquence, je n’accorde pas de poids à son témoignage, sauf pour ce qui est des pièces qu’elle a présentées et dont l’authenticité n’a pas été contestée. [Non souligné dans l’original.]

 

4)      CONCLUSIONS DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT AU SUJET DE LA DATE D’EXÉCUTION

a)      Les affidavits

[35]           Selon l’appelante, ce sont les affidavits qui donnent lieu à l’établissement d’une date d’exécution en l’espèce. À ce sujet, le juge de la CCI a conclu ce qui suit dans Callwood, au paragraphe 17 :

Si ces affidavits constituent un accord visant à modifier l’accord initial, il s’agit d’une modification antérieure à mai 1997 de sorte qu’elle ne donne pas lieu à une date d’exécution. Le jugement de divorce de juin 1997 ne fait aucune mention de ces affidavits ni de leur objet, de sorte qu’il ne donne pas lieu à une date d’exécution. De plus, il n’y a pratiquement aucune preuve que la disposition sur l’inflation, qui semble avoir été convenue par déclaration sous serment, ait jamais été mise en oeuvre. De fait, les preuves indiquent le contraire. D’après ce que je peux comprendre à partir de la preuve, qui est insuffisante sur ce point, les affidavits semblent traduire de quelconques négociations pré‑divorce sans préjudice auxquelles il n’a jamais été donné suite et dont il faut en conséquence faire abstraction. [Voir la note no 6 qui suit]

 

‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑

 

Note no 6 : Dans des observations reçues par la Cour le 26 juillet 2005, le représentant de l’appelante a allégué certains faits concernant les dispositions relatives au coût de la vie dans les affidavits. Les assertions factuelles ne prouvent rien. Aucune preuve de telles assertions n’a été soumise à l’audience. Quoi qu’il en soit, comme il a été établi, même si un accord existait en vertu des affidavits, ce serait un accord antérieur à mai 1997 qui n’a aucune incidence sur l’établissement d’une date d’exécution.

 

‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑

 

 

[36]           Ces commentaires me préoccupent. Il est possible de considérer qu’ils indiquent de façon générale que les accords relatifs à la pension alimentaire pour enfants qui sont antérieurs à mai 1997 ne peuvent pas donner lieu à une date d’exécution. Si c’est là ce que voulait dire la cour de première instance, il me faut exprimer mon désaccord avec le juge de la CCI.

 

[37]           En raison du sous‑alinéa b)(iv), il est possible qu’un accord ou une ordonnance établi avant mai 1997, ou toute modification s’y rapportant, donne lieu à une date d’exécution. Voici de nouveau le texte de cette disposition :

« date d'exécution » Quant à un accord ou une ordonnance:

 

[…]

 

b) si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997:

 

[…]

 

(iv) le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

"commencement day" at any time of an agreement or order means

 

 

(b) where the agreement or order is made before May 1997, the day, if any, that is after April 1997 and is the earliest of

 

(iv) the day specified in the agreement or order, or any variation thereof, as the commencement day of the agreement or order for the purposes of this Act.

 

En d’autres termes, un accord ou une ordonnance établi avant mai 1997, ou toute modification s’y rapportant, qui spécifie pour l’application de la Loi une date d’exécution postérieure à avril 1997 peut donner lieu à une date d’exécution au sens de la Loi.

 

[38]           C’est ce qui est arrivé dans Dangerfield c. Canada, 2003 CAF 480 [Dangerfield], qui avait trait à un jugement de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba (le jugement du Manitoba). Le jugement du Manitoba, prononcé le 21 avril 1997, prescrivait, notamment, le versement de paiements mensuels de pension alimentaire pour enfants [Traduction] « à compter du 1er mai 1997 ». En vertu de l’article 1.04.1 des Règles de la Cour du Banc de la Reine, le jugement du Manitoba, dans son intégralité, est entré en vigueur le jour où il a été prononcé – c’est‑à‑dire le 21 avril 1997.

 

[39]           Dans Dangerfield, la Cour d’appel fédérale a conclu que le jugement du Manitoba avait précisé une date d’exécution au sens de la Loi. Il s’agissait de l’intention claire du juge qui l’avait rendu. Il ressortait également de la documentation que les parties entendaient se soumettre au nouveau régime en précisant une date d’exécution. En fin de compte, la Cour a conclu qu’en exigeant que les montants mensuels soient versés « à compter du 1er mai 1997 », le jugement du Manitoba précisait une date d’exécution, conformément au sous‑alinéa b)(iv) de la Loi.

 

[40]           L’intimée soutient que l’arrêt Kennedy c. Canada, 2004 CAF 437 [Kennedy], étaye la conclusion du juge de la CCI sur ce point. Je ne suis pas d’accord. Il s’agissait dans cette affaire d’un accord daté de décembre 1991 et intitulé « Procès‑verbal de transaction ». L’accord prévoyait notamment que le père devait payer le même montant que celui qui était précisé dans une ordonnance provisoire concernant la pension alimentaire pour enfants en date de mars 1991 (l’ordonnance de 1991). Le procès‑verbal de transaction imposait aussi au payeur une obligation additionnelle qui ne figurait pas dans l’ordonnance de 1991; il prévoyait que le montant serait rajusté chaque année en fonction du coût de la vie et il précisait la formule à utiliser à cette fin. Six ans plus tard, soit le 24 septembre 1997, la mère bénéficiaire a obtenu un jugement prévoyant le versement d’une pension alimentaire pour enfants dont les montants et les conditions étaient les mêmes que ceux indiqués dans le procès‑verbal de transaction (le jugement de 1997). Elle avait demandé ce jugement pour faciliter l’exécution de la disposition relative au coût de la vie qui figurait dans le procès‑verbal de transaction. Elle aurait pu obtenir réparation en intentant une action pour faire exécuter elle‑même les clauses du procès‑verbal de transaction, mais si l’obligation était prévue dans une ordonnance judiciaire, le Bureau des obligations familiales les ferait exécuter pour elle. Elle a fait valoir que le jugement de 1997 donnait lieu à une date d’exécution. La cour a exprimé son désaccord.

 

[41]           L’arrêt Kennedy établit deux principes : premièrement, un accord ou une ordonnance postérieur à avril 1997 (le jugement de 1997) ne donne pas lieu à une date d’exécution lorsque la date d’entrée en vigueur d’une modification est antérieure à mai 1997; deuxièmement, une date d’exécution ne peut découler d’une ordonnance ou d’un accord antérieur à mai 1997 (le procès‑verbal de transaction de 1991) qui crée des modifications touchant une obligation, lorsque ces modifications entrent en vigueur avant mai 1997. Pour dire les choses autrement, la teneur de l’obligation du payeur dans Kennedy n’avait pas changé depuis qu’elle lui avait été imposée la première fois dans le procès‑verbal de transaction de 1991. Le point en litige dans Kennedy était donc une obligation antérieure à mai 1997 que la législature entendait voir régie par l’ancien régime de déduction et d’inclusion. Voir aussi Holbrook c. Canada, 2005 CCI 671, au paragraphe 21.

 

[42]           Il n’y a donc pas de contradiction entre les arrêts Dangerfield et Kennedy. Lorsqu’un accord ou une ordonnance antérieur à mai 1997, comme dans Dangerfield, a pour but de donner lieu à une date d’exécution en vertu de la loi modifiée, cet accord ou cette ordonnance doit créer une obligation, qui exige tout d’abord, après avril 1997 le paiement d’un montant de pension alimentaire pour enfants ou exige, après avril 1997, une modification à un montant de pension alimentaire pour enfants déjà existant. Cela est clairement indiqué au sous‑alinéa b)(iv) de la définition de la « date d’exécution ».

 

[43]           En l’espèce, les affidavits précisaient que la partie jointe devait commencer à majorer ses paiements de pension alimentaire pour enfants, conformément à la disposition relative au coût de la vie, « à compter de janvier 1998 ». Si cette obligation figurait dans « l’accord ou l’ordonnance, ou dans toute modification s’y rapportant », une cour se fondant sur Dangerfield pourrait conclure que cette obligation précisait une date d’exécution au sens du sous‑alinéa b)(iv). Pour ce faire, il faudrait que la cour examine si les affidavits précisaient une date d’exécution « pour l’application de la présente loi ». Toutefois, une telle analyse est inutile en l’espèce, car la CCI a conclu que les affidavits ne constituaient pas un « accord ou [une] ordonnance, ou […] toute modification s’y rapportant ». Comme l’a dit le juge dans Callwood, au paragraphe 28 :

Les observations qui précèdent appellent les décisions suivantes :

 

1) la prétendue indexation des paiements de pension alimentaire pour enfants attestée par les affidavits faits en 1997 n’a pas modifié la pension alimentaire pour enfants à payer et à recevoir aux termes de l’accord initial ou n’a pas créé de date d’exécution;

 

[…]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Le juge de la CCI a manifestement considéré que les affidavits ne faisaient que traduire des négociations préalables au divorce auxquelles il n’a jamais été donné effet, plutôt qu’un accord ferme. Voir le paragraphe 35 des présents motifs.

 

[44]           Je ne puis modifier cette conclusion mixte de fait et de droit que si elle comporte une erreur manifeste et dominante : Housen, au paragraphe 36. Je ne suis pas convaincu que l’appelante a fait ressortir une telle erreur de la part de la cour de première instance. En fait, si les affidavits représentaient bel et bien un accord final, on se serait attendu à ce que ce soit indiqué dans le jugement de divorce, dont la date est postérieure d’environ deux mois à celle des affidavits.

 

b)      L’accord portant modification

[45]           L’appelante affirme que l’accord portant modification crée lui aussi une date d’exécution. Plus particulièrement, elle en souligne deux caractéristiques : la suppression de l’obligation relative aux études postsecondaires et l’annulation de l’obligation relative au partage des dépenses.

 

[46]           Je suis d’avis que la cessation de l’obligation qu’avait la partie jointe de payer une pension alimentaire jusqu’à ce que les enfants aient obtenu un diplôme d’études postsecondaires n’a pas créé une date d’exécution au sens de la Loi. Les sous‑alinéas b)(ii) et b)(iii) de la définition de la « date d’exécution » exigent tous deux qu’il y ait une modification touchant « le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire ». Une obligation éventuelle n’est pas un montant « payable ». Voir, par exemple, Barbican Properties Inc. c. Canada, [1996] A.C.I. no 362; confirmée par [1996] A.C.F. no 509 (C.A.); autorisation de pourvoi refusée par [1997] C.S.C.R. no 36. C’est donc dire que le fait de modifier une obligation éventuelle ne peut pas donner lieu à une date d’exécution au sens des sous‑alinéas b)(ii) ou b)(iii).

 

[47]           Il n’y a aucun doute dans mon esprit que l’obligation relative aux études postsecondaires était éventuelle. La nature d’une telle obligation a été analysée dans Wawang Forest Products Limited et Nerak Contractors Inc. c. La Reine, 2001 DTC 5212 (C.A.F.), au paragraphe 16, où la Cour a dit :

la question qu'il faut se poser, pour décider du caractère éventuel ou non d'une obligation juridique à un moment précis, est de savoir si l'obligation juridique existe à ce moment précis ou si elle ne naîtra qu'au moment où surviendra un événement, qui pourrait ne pas se produire […]

 

[48]           En l’espèce, l’obligation relative aux études postsecondaires ne prendrait naissance qu’au moment où les enfants commenceraient à fréquenter un établissement postsecondaire. Il n’était guère assuré, à l’époque de l’accord portant modification, que les enfants le feraient effectivement. L’obligation relative aux études postsecondaires était donc éventuelle, et les montants s’y rapportant n’étaient pas « payables ». Il s’ensuit donc que la suppression de cette obligation n’était pas une modification touchant le « montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire ». Par conséquent, cette modification ne satisfait pas aux conditions qui sont énoncées aux sous‑alinéas b)(ii) et b)(iii) de la Loi relativement à la création d’une date d’exécution.

 

[49]           L’appelante conteste aussi les conclusions de la CCI au sujet de la cessation, dans l’accord portant modification, de l’obligation relative au partage des dépenses. Le juge de la CCI a essentiellement conclu qu’étant donné que les dépenses partagées n’étaient pas à payer ou à recevoir à titre périodique comme l’exige la définition d’une « pension alimentaire » au paragraphe 56.1(4) de la Loi, il ne pouvait pas s’agir d’une « pension alimentaire pour enfants » au sens du paragraphe 56.1(4). De ce fait, toute modification touchant ces dépenses ne pouvait pas créer de date d’exécution en application des sous‑alinéas b)(ii) ou b)(iii). Ce raisonnement est exposé dans Callwood, au paragraphe 11 :

... Il apparaît nettement que la suppression de l’entente concernant le partage des dépenses vestimentaires, de l’assurance de soins médicaux et d’autres objets de première nécessité n’est pas une modification visée par le sous‑alinéa b)(ii) de la définition de « date d’exécution », étant donné que les montants de « pension alimentaire » payables sont les montants fixes dont il est question dans l’accord initial et que ces montants n’ont pas changé. Il en est ainsi parce qu’une « pension alimentaire pour enfants » au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi doit d’abord être une « pension alimentaire », qui est définie dans ce paragraphe comme un montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique. Les dépenses nécessaires auxquelles l’accord initial fait allusion ne sont pas payables sur une base périodique. En conséquence, elles ne font pas partie des montants de « pension alimentaire pour enfants » prévus dans l’accord initial. Ainsi, leur suppression ne peut pas équivaloir à une modification de la « pension alimentaire pour enfants » qui est initiale, c’est‑à‑dire que cette suppression ne donne pas lieu à une date d’exécution en vertu du sous‑alinéa b)(ii) de la définition. [Mot en italique, mais passage non souligné, dans la décision de la CCI.]

 

 

[50]           Le juge de la CCI n’a pas motivé sa conclusion selon laquelle les dépenses partagées n’étaient pas payables sur une base périodique. Toutefois, et ceci étant dit avec égards, je crois qu’il a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que les montants versés au titre de l’obligation relative au partage des dépenses n’étaient pas à recevoir sur une base périodique. On trouve les passages suivants dans Sa Majesté la Reine c. Jean Guay, 75 DTC 5044 (C.F. 1re inst.) :

… pour qu’il y ait paiements périodiques, il n’est pas nécessaire que les laps de temps entre chacun des paiements soient d’égales durées; ces laps de temps peuvent très bien varier et être tout à fait imprévisibles, néanmoins, les paiements peuvent quand même être qualifiés de périodiques. Périodique désigne quelque chose qui se reproduit de temps à autre mais pas nécessairement à des intervalles précis ou réguliers. L’article l’emploie dans ce sens, pour désigner des paiements, par opposition aux paiements forfaitaires ou à titre de règlement final. Le paiement de frais médicaux et pharmaceutiques, qui surviennent de temps à autre et le paiement de comptes d’électricité et de chauffage qui peuvent ou non comporter des périodes régulières, sont admissibles à titre de paiements périodiques en vertu de l’article.

 

[51]           Dans McKimmon c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1990] 1 C.F. 600 (C.A.) [McKimmon], aux paragraphes 11 à 18, la Cour a dressé une liste inclusive d’indices possibles de paiements périodiques :

 11         1. L'intervalle auquel les paiements sont effectués. Les sommes qui sont versées une fois par semaine ou une fois par mois peuvent facilement être qualifiées d'allocations d'entretien. Lorsque les paiements sont effectués à des intervalles plus longs, la question devient moins claire. Même si ce n'est pas impossible, il me paraîtrait difficile de considérer comme des allocations d'entretien des paiements faits à des intervalles plus longs qu'une année.

 12         2. Le montant des paiements par rapport au revenu et au niveau de vie du débiteur et du bénéficiaire. Lorsqu'un paiement représente une partie très importante du revenu d'un contribuable ou même l'excède, il est difficile de considérer un tel paiement comme une allocation d'entretien. Par ailleurs, lorsqu'un paiement ne dépasse pas ce qui serait censé être nécessaire au maintien du niveau de vie du bénéficiaire, il sera plus probablement admissible à titre d'allocation.

 13         3. Les paiements portent‑ils intérêt avant leur date d'échéance? On associe plus souvent l'obligation de payer des intérêts à une somme forfaitaire payable par versements qu'à une véritable allocation d'entretien.

 14         4. Les sommes en question peuvent‑elles être payées par anticipation au gré du débiteur ou peuvent‑elles être exigibles immédiatement à titre de pénalité au gré du bénéficiaire en cas de défaut de paiement? Les dispositions en matière de paiements anticipés et d'exigibilité immédiate sont d'habitude associés à l'obligation de payer des sommes à titre de capital et non à une allocation d'entretien.

 15         5. Les paiements permettent‑ils au bénéficiaire d'accumuler un capital important? Ce ne sont manifestement pas tous les paiements à titre de capital qui sont exclus d'une allocation d'entretien: l'expérience indique qu'à titre d'exemples des primes d'assurance‑vie et des paiements hypothécaires mensuels réunis, même s'ils permettent une accumulation de capital au cours des années, constituent des frais normaux de subsistance qui sont payés sur le revenu et peuvent faire partie d'une allocation d'entretien. D'autre part, une telle allocation ne devrait pas permettre l'accumulation, sur une brève période, d'un capital important.

 16         6. Les paiements sont‑ils censés continuer pendant une période indéfinie ou être d'une durée fixe? Une allocation d'entretien fera habituellement en sorte que ces paiements seront effectués pendant une période indéfinie ou jusqu'à l'arrivée d'un événement (par exemple la majorité d'un enfant) qui modifiera de façon importante les besoins du bénéficiaire. Les sommes payables pendant une durée fixe peuvent au contraire être plus facilement considérées comme un capital.

 17         7. Les paiements convenus peuvent‑ils être cédés et l'obligation de payer subsiste‑t‑elle pendant toute la vie du débiteur ou du bénéficiaire? Une allocation d'entretien est habituellement versée à la personne même du bénéficiaire; elle est par conséquent incessible et prend fin à son décès. Une somme forfaitaire ou un capital, au contraire, fera normalement partie de la succession du bénéficiaire, elle peut donc être cédée et subsistera après son décès.

 18         8. Les paiements sont‑ils censés libérer le débiteur de toute obligation future de verser une pension alimentaire? Dans l'affirmative, il est plus facile de considérer les paiements comme l'échange ou l'achat du coût en capital d'une allocation d'entretien.

[Citations internes omises.]

 

 

[52]           Dans la présente espèce, les dépenses partagées ont été payées lorsque les enfants avaient besoin de vêtements et d’autres objets de première nécessité. Autrement dit, ces dépenses étaient payables quand elles étaient nécessaires. Le fait que les montants ont été payés irrégulièrement ne les empêchent pas d’être « payables » périodiquement. Voir Rosenberg c. Canada, 2003 CAF 363 [Rosenberg], au paragraphe 12 [citant Sa Majesté la Reine c. Sills, 85 D.T.C. 5096 (C.A.F.) à la page 5098].

 

[53]           Un grand nombre des indices mentionnés dans McKimmon donnent aussi à penser que l’obligation relative au partage des dépenses était payable périodiquement. Premièrement, la nature de l’obligation dicte que ces paiements soient faits plus souvent qu’une fois par année. Pour ne donner qu’un seul exemple, les enfants qui grandissent ont tendance à avoir besoin de vêtements neufs plus d’une fois par année. Pour ce qui est du troisième indice mentionné dans McKimmon, rien n’indique qu’un montant d’intérêt est dû sur les dépenses partagées. En ce qui concerne le quatrième indice, l’accord portant modification ne comporte aucune disposition en matière de paiements anticipés et d’exigibilité immédiate. Quant au cinquième indice, la bénéficiaire ne pouvait pas accumuler les montants payés, car ils devaient servir à procurer aux enfants des objets de première nécessité. Conformément au sixième indice mentionné dans McKimmon, les paiements n’étaient pas censés être d’une durée fixe. Enfin, en ce qui concerne le huitième indice indiqué dans McKimmon, l’obligation relative au partage des dépenses n’était pas assortie d’une libération d’obligations futures. En conclusion, le juge de la CCI a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’obligation relative au partage des dépenses n’était pas payable sur une base périodique. À mon avis, l’obligation était effectivement payable sur cette base.

 

[54]           L’intimée soutient que l’erreur qu’a commise la CCI en concluant que l’obligation relative au partage des dépenses n’était pas payable sur une base périodique n’est pas pertinente car même si ces dépenses étaient payables sur une telle base, elles ne constituaient toujours pas une « pension alimentaire » et donc pas une « pension alimentaire pour enfants ». Dans ce contexte, l’intimée souligne que la Loi définit une « pension alimentaire » comme une « allocation ». Elle est d’avis que les dépenses partagées ne satisfont pas aux exigences d’une « allocation », telles qu’énoncées dans la jurisprudence, et, en particulier, à celle que la somme en question doit être « limitée et déterminée à l’avance ».

 

[55]           Dans Rosenberg, au paragraphe 6 (citant Gagnon c. Canada, [1986] 1 R.C.S. 264), la Cour a indiqué quels sont les signes distinctifs d’une allocation :

a) la somme doit être limitée et déterminée à l’avance;

 

b) la somme doit être versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à un certain type de dépenses;

 

c) cette somme doit être à l’entière disposition de celui qui la touche.

 

[56]           Compte tenu des conclusions de la CCI sur le caractère non périodique de l’obligation, la cour de première instance n’a pas décidé si les montants relatifs aux dépenses partagées satisfaisaient à l’un quelconque de ces critères. Comme j’ai conclu que les dépenses partagées étaient effectivement payables sur une base périodique, il est maintenant nécessaire de tirer ces conclusions. La question de savoir si les montants relatifs aux dépenses partagées constituaient une allocation est manifestement une question de fait et c’est un tribunal de première instance qui est le mieux placé pour y répondre.

 

[57]           Par conséquent, il convient de renvoyer l’affaire à un juge différent de la CCI afin qu’il décide si les montants relatifs aux dépenses partagées constituaient une « allocation », une « pension alimentaire » et une « pension alimentaire pour enfants » et si la suppression de l’obligation relative au partage des dépenses a créé une date d’exécution au sens de la Loi. Dans ces procédures ultérieures, les parties devraient être autorisées à produire d’autres éléments de preuve sur ces questions.

 

[58]           En conclusion, l’appel devrait être accueilli et les dépens devraient être fixés à 200 $. Il convient aussi d’infirmer les décision et jugement de la CCI et de renvoyer l’affaire à un juge différent de la CCI afin qu’il décide si la suppression de l’obligation relative au partage des dépenses dans l’accord portant modification a créé une date d’exécution au sens de la Loi à titre de pension alimentaire.

 

« J. Edgar Sexton »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs

M. Nadon, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

John M. Evans, juge »

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A‑398‑05

 

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 17 AOÛT 2005 PAR LE JUGE HERSHFIELD DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT)

 

INTITULÉ :                                                                           TRACEY CALLWOOD c. SA MAJESTÉ LA REINE et JOHN G. CRAWFORD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 26 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE SEXTON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 23 MAI 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Tracey Callwood

Daniel Callwood

 

 

POUR L’APPELANTE

 

Margaret J. Nott

Aleksandrs Zemdegs

 

 

POUR L’INTIMÉE, LA REINE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Tracey Callwood

Courtice (Ontario)

 

 

POUR L’APPELANTE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

 

 

POUR L’INTIMÉE, LA REINE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.