Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060213

Dossier : A-431-05

Référence : 2006 CAF 64

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS                  

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

AVENTIS PHARMA INC.

appelante

(demanderesse)

et

APOTEX INC.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et SCHERING CORPORATION

intimés

(défendeurs)

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 janvier 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 février 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                     LE JUGE EN CHEF RICHARD

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE EVANS

                                                                                                                     LE JUGE PELLETIER


Date : 20060213

Dossier : A-431-05

Référence : 2006 CAF 64

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS                  

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

AVENTIS PHARMA INC.

appelante

(demanderesse)

et

APOTEX INC.,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et SCHERING CORPORATION

intimés

(défendeurs)

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF RICHARD

CONTEXTE

[1]                Aventis Pharma Inc. (Aventis) interjette appel à l'encontre de l'ordonnance de la juge Mactavish de la Cour fédérale, datée du 20 septembre 2005 (2005 CF 1283), rejetant une demande d'interdiction (l'instance en interdiction) présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement). Dans cette instance, Aventis cherchait à obtenir une ordonnance interdisant au défendeur, le ministre de la Santé (le ministre), de délivrer un avis de conformité à l'intimée Apotex Inc. (Apotex) en ce qui concerne son médicament Ramipril avant l'expiration des lettres patentes canadiennes numéro 1,341,206 (le brevet 206). Aventis a obtenu la licence du brevet 206 du titulaire de ce brevet et partie adverse dans le présent appel, Schering Corporation. Schering s'est portée au soutien d'Aventis dans le présent appel.

[2]                Avant de rejeter la demande d'interdiction, la juge Mactavish a estimé que l'avis d'allégation contenu dans la lettre d'Apotex du 20 juin 2003 était un avis d'allégation valide au sens du Règlement. Elle a conclu également que l'allégation d'invalidité du brevet 206 au motif d'insuffisance de prédiction valable était bien fondée. Notamment, la juge Mactavish a conclu selon les faits que :

a)        l'énoncé détaillé dans l'avis d'allégation d'Apotex contenait suffisamment d'informations pour permettre à Aventis d'entamer en toute connaissance de cause la procédure d'interdiction et de préparer la preuve;

b)       Schering n'avait pas de motif valable qui lui permettait de prédire que les composés visés par les revendications en litige dans le brevet 206 seraient utiles comme inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA) et pour le traitement de l'hypertension chez les êtres humains.

[3]                En outre, Apotex a cherché à attaquer la validité du brevet 206 au motif que ses allégations supplémentaires d'insuffisance de la divulgation et de double brevet étaient justifiées. L'allégation de double brevet a été retirée par Apotex lors de l'audition de l'appel. Si les conclusions de la juge Mactavish qui précèdent sont confirmées, il n'est pas nécessaire d'aborder l'autre question en litige.

[4]                Après avoir apprécié les expertises et examiné la preuve considérable au dossier, la juge Mactavish a conclu que l'allégation d'Apotex concernant l'absence de prédiction valable était justifiée.

LE BREVET 206

[5]                La demande qui a donné lieu au brevet 206 a été déposée au Canada le 20 octobre 1981 et le brevet a été délivré le 20 mars 2001. La date de priorité qui y était revendiquée était fondée sur des demandes américaines déposées les 23 octobre 1980 et 28 avril 1981.

[6]                Le brevet 206 vise des composés utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs. Un inhibiteur de l'ECA inhibe l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA), laquelle convertit l'angiotensine I en angiotensine II. L'angiotensine II accroît la pression sanguine, de sorte que l'inhibition de sa production réduit la pression sanguine. Un composé qui inhibe l'ECA sert donc d'agent antihypertenseur.

LA NATURE DE L'INSTANCE

[7]                L'instance engagée sous le régime du Règlement sur les avis de conformité n'est pas une action qui vise à trancher les questions de validité ou de contrefaçon d'un brevet. Il s'agit d'une instance en contrôle judiciaire visant à déterminer si le ministre de la Santé est habilité à délivrer l'avis de conformité prévu par la Loi sur les aliments et drogues, L.R. 1985, ch. F-27. Cette instance n'empêche pas le titulaire du brevet ou de la licence de revendiquer tout droit sur le brevet par voie d'action et d'instruction complète de la question litigieuse.

LE FARDEAU DE PREUVE DANS LES INSTANCES RELATIVES À UN AVIS DE CONFORMITÉ

[8]                La jurisprudence de la Cour d'appel fédérale énonce avec clarté que le fardeau de preuve dans les instances relatives à un avis de conformité incombe au demandeur et que la preuve est appréciée selon la prépondérance des probabilités, une présomption légale de validité étant établie en faveur du titulaire du brevet en ce qui concerne les allégations d'invalidité.

[9]                Aventis et Schering prétendent qu'une attaque contre la validité d'un brevet constitue une attaque indirecte contre la décision du commissaire de délivrer le brevet, et que la norme de contrôle de cette décision est celle du caractère déraisonnable simpliciter lorsque, comme en l'espèce, la question litigieuse est une question mixte de fait et de droit (voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, aux paragraphes 42 à 44 ; Schmeiser c. Monsanto Canada Inc., [2004] 1 R.C.S. 902, au paragraphe 24). Ce principe, disent les deux sociétés, s'applique également aux instances relatives aux avis de conformité où est alléguée, comme en l'espèce, l'invalidité du brevet de la première personne.

[10]            Je ne suis pas de cet avis. Comme je l'ai déjà indiqué, l'instance relative à un avis de conformité est sommaire et ne vise pas à trancher la question de la validité d'un brevet; elle détermine simplement si l'avis d'allégation est justifié et s'il y a lieu de prononcer une ordonnance d'interdiction. Le fait qu'un avis d'allégation puisse mettre en cause la validité d'un brevet pour les fins d'une instance relative à un avis de conformité ne suffit pas pour commander la norme de preuve plus lourde qui s'applique à la détermination de la validité du brevet dans le cadre d'une action en contrefaçon. (Voir par exemple Janssen Ortho Inc. c. Novopharm Ltd. (2004), 35 C.P.R. (4th) 353, 2004 CF 1631, au paragraphe 21 (C.F.).)

LA SUFFISANCE DE L'AVIS D'ALLÉGATION

[11]            Aventis et Schering allèguent que la juge Mactavish a commis une erreur en concluant que l'avis d'allégation d'Apotex concernant le caractère valable de la prédiction était juridiquement suffisant.

[12]            J'estime que la juge Mactavish a correctement statué sur la suffisance de l'avis d'allégation d'Apotex, compte tenu de la jurisprudence de notre Cour et de la preuve au dossier.

[13]            Un avis d'allégation auquel est joint un énoncé détaillé est jugé suffisant s'il permet au titulaire du brevet de décider, au regard de la portée de son brevet et du motif allégué d'invalidité, s'il convient ou non de déposer une demande en vue d'interdire la délivrance d'un avis de conformité. La suffisance de l'énoncé détaillé est une question mixte de droit et de fait. À ce titre, notre Cour ne peut modifier la conclusion de la juge que l'avis d'allégation était suffisamment détaillé pour être conforme à l'alinéa 5(3)a) que si elle estime que la décision est viciée par une erreur manifeste et dominante. (Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 38 C.P.R. (4th) 400, au paragraphe 25 (C.A.F.); AstraZeneca AB c. Apotex Inc., [2005] A.C.F. no 842, au paragraphe 9 (C.A.F.) (AstraZeneca AB).)

[14]            Un énoncé détaillé satisfait à l'obligation légale de suffisance s'il permet au titulaire du brevet de bien comprendre la preuve qu'il a à réfuter. En l'espèce, la juge Mactavish a conclu que l'avis d'allégation et l'énoncé détaillé d'Apotex contenaient suffisamment d'informations pour permettre à Aventis d'apprécier l'allégation et d'engager la présente instance.

[15]            Elle a examiné en particulier la suffisance de l'avis d'allégation d'Apotex en ce qui concerne le caractère valable de la prédiction. Elle a appliqué le critère énoncé dans l'arrêt Novopharm Ltd c. Pfizer Canada Inc., [2005] A.C.F. no 1318, et conclu que l'avis d'allégation d'Apotex prévenait Aventis que la question du caractère valable de la prédiction serait soulevée.

[16]            Aventis et Schering se sont attardées à l'expression « niveau d'activité exigé » dans l'avis d'allégation. La juge Mactavish a estimé que le « niveau d'activité » vise la concentration des composés en cause et, par conséquent, la question de la possibilité d'inactivité totale des composés. En outre, la juge Mactavish a considéré que le fait qu'Aventis n'ait pas déposé d'affidavit en ce qui concerne l'absence de spécificité dans l'avis d'allégation d'Apotex était révélateur, tout comme dans l'affaire AstraZeneca AB.

[17]            La décision de la juge Mactavish était étayée par la preuve au dossier. Étant donné qu'elle n'a commis aucune erreur manifeste et dominante, il n'y a pas lieu de modifier ses conclusions en ce qui concerne la suffisance de l'avis d'allégation d'Apotex.

LA NORME DE CONTRÔLE

[18]            Dans l'arrêt Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Navire), [2005] A.C.F. no 612, j'ai eu l'occasion d'examiner les principes régissant la norme de contrôle qu'une cour d'appel applique à la décision d'un tribunal de première instance, principes qui sont applicables en l'espèce :

[6]    Il est bien établi en droit qu'un appel n'est pas un procès de novo. Le rôle des cours d'appel n'est pas de rédiger de meilleurs jugements que le juge de première instance, mais de contrôler les motifs à la lumière des arguments des parties et de la preuve pertinente. En conséquence, je dois me demander quelle norme de contrôle s'applique aux différentes questions soulevées par l'appel : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235.

[7]    Dans l'arrêt Housen, la Cour suprême a établi les normes de contrôle qui doivent être utilisées par les cours d'appel à l'égard de chacune des catégories de questions suivantes : 1) les questions de droit; 2) les questions de fait; 3) les inférences de fait; 4) les questions mixtes de fait et de droit.

[8]    La norme de contrôle applicable aux pures questions de droit est celle de la décision correcte et les cours d'appel ont ainsi toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance.

[9]    Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait, ces conclusions ne peuvent être infirmées que s'il est établi que le juge de première instance a commis une « erreur manifeste et dominante » .

[10]    Le juge Bastarache a défini l'erreur manifeste et dominante, au paragraphe 15 de l'arrêt Van de Perre c. Edwards, [2001] 2 R.C.S. 1014, comme une erreur qui « donne lieu à la conviction rationnelle que le juge de première instance doit avoir oublié, négligé d'examiner ou mal interprété la preuve de telle manière que sa conclusion en a été affectée » . En résumé, une erreur manifeste et dominante est un défaut évident dans les conclusions de fait du juge de première instance qui a une incidence sur l'issue du procès.

[11]    Par conséquent, la Cour doit contrôler la décision du juge de première instance en appliquant la norme de la décision correcte aux pures questions de droit. En ce qui concerne les conclusions de fait et les inférences de fait, la Cour doit faire preuve de la plus grande retenue et ne modifier la décision du juge de première instance que si elle y décèle une erreur manifeste et dominante.

[12]    Une décision impliquant l'application d'un critère juridique à un ensemble de faits constitue une question mixte de fait et de droit. Elle est assujettie à la norme de l'erreur manifeste et dominante, à moins que le juge de première instance n'ait clairement commis une erreur de principe isolable en déterminant le critère juridique applicable ou en appliquant ce critère, auquel cas l'erreur peut constituer une erreur de droit : Housen, au paragraphe 37; R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, au paragraphe 45.

[19]            Dans l'arrêt plus récent H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, la juge en chef McLachlin est revenue en ces termes sur l'arrêt Housen :

[9] [...] dans Housen [...] les neuf juges de notre Cour étaient unanimes quant à la question qui nous intéresse en l'espèce : en Saskatchewan, l'appel interjeté à l'égard d'une conclusion de fait est instruit par voie de contrôle d'erreur, et non de nouvelle audition. Ils ont également convenu que les conclusions de fait du juge de première instance ne pouvaient être modifiées en appel qu'en cas d'erreur pouvant à juste titre être qualifiée de manifeste et de dominante.

[10] Dans Housen, nul n'a prétendu en Cour d'appel de la Saskatchewan ni devant notre Cour que la norme de révision en appel applicable dans cette province différait sensiblement de celle s'appliquant ailleurs au Canada.

[20]            Et d'ajouter :

Cependant, douter de la justesse des conclusions de fait du juge de première instance ne constitue pas un motif reconnu d'intervention en appel.

[21]            Et de noter :

[53] Le contrôle d'erreur a été décrit de différentes façons. Ces dernières années, l'expression « erreur manifeste et dominante » trouve un écho dans toute la jurisprudence. L'application de cette norme à toutes les conclusions de fait - celles portant sur « ce qui s'est passé » - est universellement reconnue; elle n'est pas subordonnée à ce que la décision contestée du juge de première instance touche à la crédibilité, à des faits prouvés directement, à des faits « inférés » ou à l'appréciation globale de la preuve.

[22]            En l'absence de directives législatives, les tribunaux d'appel ne sont pas habilités à entendre ou à instruire les affaires à nouveau.

[23]            C'est cette norme de révision en appel qui doit être appliquée dans le présent appel.

LA PRÉDICTION VALABLE

[24]            Pour être brevetable, une invention doit être utile. Cependant, même si l'utilité d'au moins un des éléments de la revendication n'a pas été prouvée ou n'était pas connue au moment de la revendication, cette dernière peut quand même être maintenue si l'on est en mesure de prouver que l'inventeur pouvait « valablement prédire » que les éléments en question seraient, s'ils étaient fabriqués, utiles à leur fin déclarée.

[25]            Bien que la preuve de l'utilité puisse être établie en testant l'invention, il est de jurisprudence constante qu'il n'est pas essentiel d'effectuer des tests complets s'il est possible de prédire valablement l'utilité d'une revendication de brevet sur la base des renseignements et de l'expertise disponibles (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153 (Apotex)).

[26]            Dès lors qu'il est prouvé que l'inventeur ne pouvait valablement prédire l'utilité d'un procédé qu'il prétend avoir inventé, mais qu'il n'a pas fabriqué ou dont il n'a pas démontré l'utilité, la revendication est invalide.

[27]            Dans l'arrêt Apotex, précité, la Cour suprême a établi un critère à trois volets pour déterminer si une prédiction est valable :

a)       premièrement, la prédiction doit avoir un fondement factuel. Les composés testés peuvent constituer le fondement factuel (voir Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902), mais d'autres conclusions de fait peuvent suffire.

b)       Deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l'inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité.

c)        Troisièmement, il doit y avoir une divulgation suffisante.

[28]            Comme l'a fait observer le juge Binnie au paragraphe 66 :

La règle de la « prédiction valable » établit un équilibre entre l'intérêt public à ce que les inventions nouvelles et utiles soient divulguées rapidement, même avant qu'on en ait vérifié l'utilité par des tests (ce qui peut prendre des années dans le cas des produits pharmaceutiques), et l'intérêt public qu'il y a à éviter d'encombrer le domaine public de brevets inutiles et de consentir un monopole pour une désinformation.

[29]            Le caractère valable d'une prédiction est une question de fait qui doit être appréciée en fonction des renseignements et de l'expertise qui sont disponibles au moment pertinent.

[30]            Je conviens avec la juge Mactavish que la date pertinente est la date de dépôt au Canada, soit le 20 octobre 1981. C'est la date la plus raisonnable pour assurer la cohérence de l'application des trois volets du critère de l'arrêt Wellcome.

[31]            Appliquant les trois volets du critère juridique, la juge Mactavish a conclu, sur la base du dossier dont elle était saisie, qu'il était impossible à Aventis et à Schering de se fonder sur la règle de la prédiction valable pour satisfaire au critère légal de « l'utilité » .

[32]            Elle a conclu que les appelantes ne pouvaient satisfaire à aucun des trois volets du critère de l'arrêt Wellcome en ce qui concerne la revendication numéro 12 du brevet 206 et que la même conclusion s'appliquait aux revendications 1, 2, 3 et 6 du brevet, étant donné que les composés visés par la revendication 12 s'y retrouvaient également.

[33]            En ce qui concerne les deux premiers volets du critère de l'arrêt Wellcome, la juge Mactavish a conclu que la prédiction faite par Schering n'était étayée ni par un fondement factuel ni par un raisonnement clair.

[34]            En ce qui concerne le dernier volet du critère de l'arrêt Wellcome, à savoir l'obligation de divulgation suffisante, la juge Mactavish a conclu que selon l'état des connaissances au mois d'octobre 1981, la divulgation en ce qui concerne la revendication 12 du brevet 206 était insuffisante.

[35]            Même si notre Cour devait conclure que la juge Mactavish a commis une erreur en décidant qu'Aventis et Schering satisfaisaient bel et bien au troisième volet du critère Wellcome, l'allégation d'invalidité du brevet demeurerait justifiée parce qu'il doit être satisfait aux trois volets du critère.

LE TÉMOIGNAGE DU DRMARSHALL

[36]            La juge Mactavish a conclu que les inventeurs du brevet 206 n'avaient pas de fondement valable sur lequel s'appuyer pour prédire que les huit composés visés par la revendication 12 seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs et, pour ce motif, elle a rejeté la demande.

[37]            Aventis et Schering allèguent que la juge Mactavish a commis une erreur en préférant la déposition du Dr Marshall à celles de leurs témoins, les docteurs Triggle et Silverman.

[38]            La juge a examiné la prétention d'Aventis et de Schering selon laquelle le Dr Marshall a, s'agissant du critère de la prédiction valable, placé la barre trop haut en visant la certitude. Cependant, après avoir passé en revue l'ensemble du témoignage du Dr Marshall, elle a estimé qu'il avait compris correctement le critère applicable à cet égard.

[39]            Elle a reconnu également qu'à certains moments dans son témoignage, le Dr Marshall a considéré la question de l'utilité des composés créés par les savants de Schering comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs du point de vue commercial.

[40]            Elle a eu quelques hésitations en ce qui a trait au témoignage du Dr Marshall concernant la nécessité de faire des tests pour mesurer des paramètres comme la toxicité afin d'être en mesure de faire une prédiction valable, mais elle n'a pas considéré que cela réduisait d'une quelconque façon le poids devant être attribué à son témoignage.

[41]            Elle a fait observer que l'examen que le Dr Marshall a pu faire de l'utilité commerciale dans certains passages de son témoignage ne minait en rien la validité de sa conclusion que les connaissances n'étaient tout simplement pas suffisantes concernant la chiralité ou la stéréochimie des composés testés par Schering durant la période précédant le dépôt au Canada en octobre 1981, pour qu'on puisse être en mesure de prévoir si les composés visés par la revendication 12 du brevet 206 présenteraient une activité quelconque. Cette conclusion entrait totalement dans le domaine d'expertise du Dr Marshall et, pour les trois motifs qu'elle a indiqués, elle a préféré le témoignage du Dr Marshall à cet égard à ceux des Drs Triggle et Silverman.

[42]            En premier lieu, elle a noté que le Dr Marshall était le seul témoin à avoir consacré la totalité de sa carrière scientifique à l'étude spécifique des inhibiteurs de l'ECA, et qu'il a été publié et a reçu des prix un peu partout dans le monde pour ses travaux dans ce domaine.

[43]            En second lieu, la juge Mactavish a expliqué que l'affidavit du Dr Marshall présentait une analyse beaucoup plus détaillée et complète de la question dont elle était saisie que les analyses offertes dans les affidavits des deux autres témoins.

[44]            Enfin, la juge Mactavish indique qu'elle préférait le témoignage du Dr Marshall à celui du Dr Triggle, étant donné que l'affidavit de ce dernier était presque identique à celui qu'il avait fait pour le compte d'Aventis dans le cadre d'une autre instance portant sur le même brevet (Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., [2005] A.C.F. no 511) (Aventis), sous réserve cependant d'une différence importante.

[45]            Trois paragraphes figurant dans l'affidavit du Dr Triggle dans l'affaire Aventis avaient été enlevés avant le dépôt de son affidavit en l'espèce et, selon la juge Mactavish, ces trois paragraphes étaient significatifs dans la mesure où ils corroboraient partiellement le témoignage du Dr Marshall concernant l'impossibilité de prévoir qualitativement ou quantitativement l'activité biologique d'isomères différents.

[46]            Après examen de l'ensemble de la preuve au dossier, la juge Mactavish a tiré une conclusion de fait à l'égard de ce qu'elle considérait comme étant la meilleure preuve sur laquelle étayer sa décision eu égard au critère de la prédiction valable de l'arrêt Wellcome.

LE RÉSULTAT

[47]            Appliquant la norme correcte de contrôle en appel à la décision attaquée en l'espèce, j'ai conclu que la juge Mactavish disposait d'une preuve amplement suffisante pour étayer sa décision selon laquelle il était impossible pour les inventeurs de Schering de prédire valablement, à la date du dépôt au Canada, l'utilité des composés visés dans la revendication 12 du brevet 206 pour leur fin déclarée, non plus que l'utilité des membres de la classe de composés revendiqués dans les revendications 1, 2, 3 et 6.

[48]            Les conclusions qu'elle a tirées reposaient sur une preuve substantielle. En tirant ces conclusions, elle n'a commis aucune erreur dominante et manifeste.

[49]            Par conséquent, l'appel sera rejeté, avec un seul mémoire de dépens en faveur de l'intimée Apotex.

J. Richard

Juge en chef

« Je souscris aux présents motifs

            M. Nadon, juge. »

« Je souscris aux présents motifs

            J. D. Denis Pelletier, juge. »

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-431-05

(APPEL D'UN JUGEMENT DE LA JUGE MACTAVISH DE LA COUR FÉDÉRALE, DU 20 SEPTEMBRE 2005, DOSSIER NOT-1742-03)

INTITULÉ :                                                                            AVENTIS PHARMA, INC.

c.

APOTEX, INC., LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                                                                                SCHERING CORPORATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 25 JANVIER 2006

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                        LE JUGE EN CHEF RICHARD

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE EVANS

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 13 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Gunars A. Gaikis

David Morrow

Yoon Kang

POUR L'APPELANTE

Andrew R. Brodkin

Sorelle Simmons

Rick Tuzi

Anthony Creber

POUR L'INTIMÉE, APOTEX INC.

POUR L'INTIMÉE / BREVETÉE, SCHERING CORP.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SMART & BIGGAR

Avocats

Toronto (Ontario)

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANT

POUR L'INTIMÉE, APOTEX INC.

POUR L'INTIMÉE/ BREVETÉE, SCHERING CORP.

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉ,

MINISTRE DE LA SANTÉ

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.